18 La réponse est donnée

— Ce Terrien est fou s’écria Leebig en se tournant vers le reste de l’auditoire. C’est visible, non ?

Personne ne répondit. Certains regardèrent Leebig, d’autres Baley. Baley ne leur laissa pas le temps de se faire une opinion.

— Allons donc, docteur Leebig, dit-il. Reconnaissez-le une bonne fois, le Dr Delmarre allait rompre son association avec vous. Mme Delmarre pensait que son attitude venait de votre refus de vous marier. Moi, je ne le pense pas, le Dr Delmarre, lui-même, était en train de faire des plans pour un avenir où l’ectogenèse serait possible et le mariage, par conséquent, inutile. Mais le Dr Delmarre travaillait avec vous et donc savait, ou tout au moins pouvait deviner, plus que n’importe qui d’autre, quelles étaient vos préoccupations. Il pouvait savoir que vous étiez en train de vous livrer à des expériences dangereuses par leurs conséquences. Il a essayé de vous en dissuader. Lui-même fit part de ses craintes à l’inspecteur Gruer, mais sans donner de détails, parce qu’il n’était pas encore certain des détails. Il est visible que vous avez eu vent de ses soupçons et vous l’avez tué.

— De la folie, répéta Leebig. Je n’en écouterai pas davantage.

Mais Attlebish s’interposa :

— Vous écouterez jusqu’au bout, Leebig !

Baley se mordit la lèvre pour ne pas déployer prématurément toute la satisfaction qu’il ressentait au ton acerbe du Chef de la Sécurité.

— Au cours de cette même discussion dans laquelle vous m’avez parlé de robots à membres détachables, reprit Baley, vous avez également fait mention d’astronefs comportant des cerveaux positroniques incorporés. Vraiment, à ce moment-là, vous avez trop parlé. Peut-être vous êtes-vous dit que je n’étais qu’un Terrien incapable de comprendre tout ce qu’implique la Robotique ? Ou bien, comme je vous avais menacé de venir vous voir en présence effective, puis, ensuite, avais accepté de ne pas mettre cette menace à exécution, peut-être étiez-vous un peu hors de vous-même de soulagement ? Mais de toute façon, le Dr Quemot m’avait déjà dit que l’arme secrète sur laquelle les Solariens comptaient pour se rendre maîtres des Mondes Extérieurs était le robot positronique.

Quemot, de se voir ainsi mis en avant à l’improviste, réagit vigoureusement en s’écriant :

— Mais je voulais dire…

— Oui, vous l’entendiez d’un point de vue purement sociologique, je le sais bien. Mais cela m’a donné à penser. Considérons un astronef à cerveau positronique incorporé, par comparaison avec un astronef à équipage humain. Ce dernier, en cas de guerre ouverte, ne pourrait avoir recours aux robots, car un robot serait incapable de détruire des êtres humains à bord d’un astronef ennemi ou sur une planète ennemie. Il se révélerait totalement inapte à saisir la différence entre humains ennemis et humains alliés.

« Bien sûr, on peut lui dire que l’astronef adverse n’a pas d’humains à son bord. On peut lui raconter que c’est une planète inhabitée qu’il faut bombarder. Mais ce serait difficile de le lui faire croire. Car le robot voit bien que l’astronef où il se trouve a un équipage humain, il sait pertinemment que le monde sur lequel il vit est peuplé d’humains. Aussi va-t-il avoir tendance à postuler qu’il en est de même chez les ennemis. Il n’y aura qu’un expert en Robotique, et encore un excellent, tel que vous, docteur Leebig, pour le contraindre, sans trop de difficultés, à agir selon les directives données. Mais il existe bien peu d’experts qualifiés en ce domaine.

« Tandis qu’un astronef comportant uniquement un cerveau positronique incorporé attaquera gaillardement tout autre astronef qu’il a pour mission d’attaquer, à mon avis. Pour lui, naturellement, l’astronef adverse ne comporte pas d’équipage humain, il le considérera comme identique à lui-même. Il est facile de rendre un tel astronef incapable de recevoir des messages en provenance de bâtiments ennemis qui pourraient le détromper. Son armement, tant offensif que défensif, dépendant entièrement du cerveau positronique lui fournira une maniabilité bien supérieure à celle d’un astronef piloté. Il n’y aura pas à se préoccuper des quartiers de l’équipage, de l’approvisionnement alimentaire, de la régénération de l’air : aussi, pourra-t-il être mieux blindé, mieux armé, plus invincible qu’un autre bâtiment. Un seul astronef à cerveau positronique incorporé peut venir aisément à bout de flottes entières de bâtiments pilotés. Croyez-vous que je délire, maintenant ?

Il avait lancé cette dernière apostrophe au Dr Leebig, qui s’était dressé et restait debout, rigide, comme en catalepsie : sous l’effet de la colère ? ou de l’horreur ?

Baley n’obtint pas de réponse. Du reste, il n’aurait rien pu entendre. Quelque chose avait cédé et tous les Solariens hurlaient comme des déments. Klorissa avait le visage d’une furie et il n’était pas jusqu’à Gladïa qui, debout, ne brandît, elle aussi, un poing menaçant, mais si frêle.

Tous accusaient Leebig.

Baley relâcha son emprise sur lui-même. Il ferma les yeux. Il essaya, aussi, pendant quelques instants de détendre ses muscles, de calmer ses nerfs.

Enfin, le coup avait porté. Il avait finalement pressé le bon déclic. Quemot s’était livré à une analogie entre les robots solariens et les Ilotes de Sparte. Il avait dit que les robots étaient dans l’incapacité de se révolter, afin que les Solariens n’aient pas à s’en méfier.

Mais si quelque humain s’avisait à vouloir apprendre aux robots le moyen de malmener les humains, de vouloir, en d’autres termes, les rendre capables de se révolter ?

N’était-ce point là le crime par excellence ? Sur un monde tel que Solaria, est-ce que tous les habitants, jusqu’au dernier, ne se dresseraient pas comme un seul homme, avec la pire violence, contre celui qu’on soupçonnerait seulement de vouloir rendre les robots capables de malmener des humains ? Sur Solaria, où l’on comptait vingt mille robots pour un homme ?

Attlebish criait :

— Vous êtes en état d’arrestation. Il vous est formellement interdit de toucher à vos livres et à vos archives avant que le gouvernement ait eu le temps de les consulter.

Il continuait, s’étranglant presque, au milieu d’un infernal brouhaha.

Un robot s’approcha de Baley.

— Un message, Maître. Message du maître Daneel Olivaw.

Baley prit le message avec gravité, se retourna et cria :

— Un instant, je vous prie.

Sa voix eut un effet quasi magique. Ils se retournèrent tous vers lui, et tous ces visages graves et tendus (excepté le regard halluciné de Leebig) ne montraient rien d’autre que l’attention la plus soutenue pour les paroles du Terrien.

— Il serait vain de croire que le Dr Leebig va bien vouloir laisser intactes ses archives, dit Baley, et qu’il va gentiment attendre qu’un envoyé gouvernemental vienne s’en saisir. Aussi, dès le début de cette réunion, mon collègue, M. Daneel Olivaw, était-il parti pour le domaine du Dr Leebig. Je viens de recevoir de ses nouvelles. Il est actuellement à pied d’œuvre et va arriver chez le Dr Leebig d’un instant à l’autre, afin de s’assurer de sa personne et de l’incarcérer.

— M’incarcérer, moi, hurla Leebig, saisi d’une terreur quasi animale. (Ses yeux s’ouvrirent démesurément, la pupille dilatée :) Quelqu’un va venir ici ? En ma présence ? Oh ! non. Non !

Le second « non » fut crié d’une voix hystérique.

— Il ne vous sera fait aucun mal, répondit froidement Baley, si vous ne résistez pas.

— Mais je ne veux pas le voir. Je ne peux pas le voir. (Le roboticien tomba à genoux, sans même s’en rendre compte. Il joignait les mains en une poignante supplication désespérée :) Mais que voulez-vous donc ? C’est une confession que vous voulez ? J’avoue, oui, j’avoue, oui, le robot de Delmarre avait des membres détachables, oui, oui. C’est moi qui ai prémédité l’empoisonnement de Gruer. J’ai fait empoisonné la flèche qui vous était destinée, oui. J’ai même étudié les astronefs dont vous avez parlé, mais sans succès. Oui, j’avoue, j’avoue tout. Mais qu’il ne vienne pas. Ne le laissez pas venir. Faites qu’il s’en aille…

Il bredouillait.

Baley hocha la tête. Le bon déclic, là aussi. La menace de la présence effective d’un autre avait plus fait, pour obtenir l’aveu, que ne l’aurait fait toute torture physique.

Mais, brusquement, à quelque bruit ou mouvement en dehors du champ de vision et d’audition des autres, Leebig tourna la tête. Sa bouche s’ouvrit, béante d’effroi. Il leva les mains, comme pour tenir quelque chose à distance.

— Allez-vous-en, supplia-t-il. Partez. Non, ne venez pas. Pitié, n’approchez pas. Pitié…

Il essayait de s’enfuir à quatre pattes, mais semblait pétrifié. Alors, il plongea brusquement la main dans sa poche de veste. Elle en ressortit tenant quelque chose qu’il porta rapidement à la bouche. Il vacilla d’un côté, puis de l’autre, et s’abattit face contre terre.

Baley aurait voulu crier :

« Espèce d’idiot ! Ce n’est pas un être humain qui vient. C’est un de ces robots que vous aimez tant. »

Daneel Olivaw entra, tout soudain, dans le champ de vision. Un instant, il resta à contempler la silhouette crispée à terre.

Baley retint son souffle. Si Daneel arrivait à se rendre compte que c’était son apparence humaine qui avait forcé Leebig au suicide, les effets en seraient catastrophiques sur son cerveau asservi à la Première Loi.

Mais Daneel s’agenouilla seulement et ses doigts effleurèrent délicatement le corps de Leebig, ici et là. Puis, soulevant doucement la tête de Leebig, comme si elle lui était infiniment précieuse, il la prit contre lui et la caressa.

Son visage, aux traits merveilleusement sculptés, faisait face aux regards de tous. Il murmura :

— Un être humain est mort.


Baley attendait Gladïa. Elle lui avait demandé une ultime entrevue. Mais il ouvrit de grands yeux lorsqu’elle fit son apparition.

— Mais, je vous vois là, devant moi, en chair et en os ! s’exclama-t-il.

— Oui, répondit Gladïa. Comment l’avez-vous deviné ?

— Vous avez mis des gants.

— Oh ! (Toute confuse, elle regarda ses mains. Puis doucement :) Cela vous gêne-t-il ?

— Non, bien sûr. Mais qu’est-ce qui a pu vous décider à venir plutôt qu’à me parler par stéréovision.

— Eh bien ! (Elle eut un faible sourire.) Il faut bien que je m’y habitue, n’est-ce pas, Elijah ? Je veux dire, si je pars pour Aurore.

— Bon, alors tout s’arrange bien ?

— M. Olivaw semble avoir beaucoup d’influence. Tout s’est très bien arrangé. Je ne reviendrai jamais plus ici.

— Parfait. Vous n’en serez que plus heureuse, Gladïa. Vous pouvez me croire.

— J’ai un peu peur tout de même.

— Oui, je sais bien. Il vous faudra toujours vous trouver en présence des gens et vous n’aurez pas tout le confort que vous aviez sur Solaria. Mais vous vous y ferez et, ce qui est beaucoup plus important, vous oublierez toutes les épreuves par lesquelles vous venez de passer.

— Mais je ne voudrais rien oublier de tout cela, dit doucement Gladïa.

— Vous oublierez, croyez-moi. (Baley regarda la mince jeune femme, debout devant lui, et ajouta, non sans un petit pincement au cœur :) Et puis, vous vous marierez, un jour ou l’autre. Mais un vrai mariage, cette fois.

— Peut-être, dit-elle d’un ton triste, mais pour le moment je vous avouerai que cela ne m’attire guère.

— Bah ! vous changerez d’avis.

Et ils restèrent là, face à face, se regardant dans les yeux, en silence, un moment.

— Je ne vous ai jamais remercié, dit Gladïa.

— Ce n’était que mon travail, répondit Baley.

— Vous repartez pour la Terre, maintenant, n’est-ce pas ?

— Oui.

— Je ne vous reverrai jamais ?

— Probablement pas, en effet. Mais pourquoi vous tracasser pour cela. Dans quarante ans au plus, je serai mort et vous n’aurez pas changé d’un iota. Vous serez toujours aussi séduisante que maintenant.

Son visage changea d’expression :

— Oh ! Ne dites pas cela !

— Puisque c’est la vérité.

Elle dit, rapidement, comme se sentant contrainte de changer de sujet :

— Vous savez, c’était vrai tout ce que vous aviez dit sur Jothan Leebig.

— Oui, je sais. D’autres roboticiens ont étudié ses archives et ont relevé des expériences portant sur des astronefs autopilotés. Ils ont découvert également d’autres robots aux membres détachables.

Gladïa eut un frisson d’horreur :

— Pourquoi a-t-il fait des choses aussi horribles, à votre avis ?

— Il avait peur des gens. Il s’est suicidé pour éviter le contact de quelqu’un et il était prêt à détruire d’autres mondes pour s’assurer que Solaria et son tabou contre la présence effective seraient à jamais respectés.

— Comment pouvait-il avoir des idées pareilles ? murmura-t-elle, alors que la présence de quelqu’un peut-être si…

De nouveau, il y eut un moment de silence, tandis qu’ils se faisaient face à dix pas de distance.

Puis Gladïa s’écria brusquement :

— Oh ! Elijah, vous allez me trouver si dévergondée.

— Pourquoi vous trouverais-je dévergondée ?

— Puis-je vous toucher, Elijah ? Je ne vous reverrai plus jamais.

— Si cela peut vous faire plaisir.

Elle s’approcha de lui, pas à pas, les yeux brillants, mais restant craintive et effarouchée tout de même. Elle s’arrêta à trois pas de lui, puis lentement, comme plongée dans une transe, elle se mit à ôter le gant de sa main droite.

Baley ébaucha un geste apaisant :

— Pas d’acte inconsidéré, Gladïa !

— Je n’ai pas peur, dit Gladïa.

Sa main était dénudée. Elle tremblait en la lui tendant. Baley tremblait lui aussi en prenant sa petite main dans la sienne. Ils restèrent ainsi un moment, la main de Gladïa, une petite chose timide, tout effarouchée de se trouver prise dans la sienne. Il ouvrit la main et elle la retira vivement, puis, d’un mouvement vif et imprévisible, elle effleura d’une légère caresse, la joue de Baley un bref instant.

— Merci et adieu, Elijah ! dit-elle.

— Adieu, Gladïa, dit-il en la regardant partir.

La pensée même qu’un astronef l’attendait pour le ramener sur Terre n’effaça pas le sentiment d’une perte irrémédiable qu’il éprouva à cet instant.


Le regard que lui lança le sous-secrétaire Albert Minnim prétendait à un accueil chaleureux, quoique légèrement guindé.

— Je suis heureux de vous voir de retour sur Terre. Votre rapport, bien sûr, nous est parvenu avant votre arrivée et est actuellement à l’étude. Vous avez fait du bon travail. Cette enquête va encore améliorer votre dossier.

— Merci, monsieur, dit Baley.

Toute l’ivresse du succès avait disparu en lui. Il se trouvait de nouveau à Terre, à l’abri des cavernes d’acier ; il avait entendu la voix de Jessie (il lui avait déjà parlé) et, pourtant, il se sentait étrangement vide.

— Néanmoins, continua Minnim, votre rapport ne portait que sur l’enquête du meurtre. Mais il y avait une autre question qui nous préoccupait. Pourriez-vous me faire votre rapport sur ce problème ? Verbalement, s’entend.

Baley hésita et sa main se porta automatiquement à sa poche intérieure où il pouvait, de nouveau, trouver le tiède réconfort de sa pipe.

— Vous pouvez fumer, Baley, dit aussitôt Minnim.

Baley étira quelque peu en longueur le rituel du bourrage et de l’allumage de sa pipe :

— Je ne suis pas sociologue, dit-il finalement.

— Vraiment ? (Minnim eut un bref sourire.) Il me semble que nous en avons déjà discuté. Un détective qui réussit doit être un bon sociologue, empirique certes, mais sociologue tout de même, qu’il connaisse, ou non, l’équation de Hackett. Je pense que, si j’en juge par votre gêne présente, vous avez vos idées à vous sur les Mondes Extérieurs, mais ne savez trop ce que, moi, je penserai.

— Si vous l’envisagez sous cet aspect, monsieur… Lorsque vous m’avez envoyé sur Solaria, vous m’avez posé une question : vous m’avez demandé de découvrir quels étaient les points faibles des Mondes Extérieurs. Leurs points forts étant : leurs robots, leur faible densité démographique, leur longévité, quels pouvaient être leurs points faibles ?

— Eh bien ?

— Je crois connaître les points faibles des Solariens, monsieur.

— Vous pouvez donc répondre à ma question. Parfait. Allez-y !

— Eh bien, leurs points faibles, monsieur, sont également leurs robots, leur faible densité démographique, leur longévité.

Minnim fixa Baley sans changer d’expression. Ses doigts dessinaient machinalement des figures géométriques sur les papiers du bureau.

— Qu’est-ce qui peut vous le faire croire ? demanda-t-il simplement.

Baley avait passé des heures à mettre de l’ordre dans ses idées pendant le voyage de retour. Il avait mis en balance, d’un côté, la thèse officielle et, de l’autre, des arguments solides, fortement charpentés. Mais, pour le moment, il se trouvait pris de court.

— Je ne sais trop comment expliquer clairement ce qui m’a conduit à cette idée, dit-il.

— Aucune importance. Racontez ça à votre manière. De toute façon, il ne s’agit que d’une première approximation.

— Eh bien, monsieur, dit Baley, les Solariens ont perdu, délibérément, quelque chose que l’humanité possède depuis des millénaires, quelque chose qui est plus important encore que la puissance atomique, que les villes, que l’agriculture, que les outils, que le feu même ! oui, car c’est ce quelque chose qui a rendu tout le reste possible.

— Je ne suis pas doué pour les devinettes, Baley. De quoi s’agit-il ?

— Ils ont perdu l’instinct tribal, monsieur : ils font fi de la coopération entre individus. Solaria s’est entièrement débarrassé de toute vie communautaire : c’est un monde peuplé d’individus solitaires, et le seul sociologue de la planète se réjouit qu’il en soit ainsi. Au fait, ce sociologue ignore tout de la sociologie statistique, car il découvre, par lui-même, sa propre science. Il n’y a personne pour le guider, personne pour l’aider, encore moins personne pour lui suggérer des possibilités qu’il n’a pas envisagées. La seule science qui se développe avec succès sur Solaria, c’est la Robotique et, même dans ce domaine, ils ne sont qu’une poignée à s’en occuper. D’ailleurs, lorsqu’il s’est agi d’interaction entre hommes et robots, c’est à un Terrien qu’ils ont dû faire appel pour analyser leur problème.

« L’art solarien est abstrait. Sur Terre, nous avons aussi des œuvres abstraites, mais elles ne représentent qu’un des aspects de l’Art. Par contre, sur Solaria, l’art non figuratif est la seule manifestation esthétique. Le sentiment humain a complètement disparu. L’avenir que les Solariens recherchent et désirent repose sur l’ectogenèse et l’isolement intégral dès la naissance.

— Cela me semble assez horrible, dit Minnim. Mais là n’est pas la question. Est-ce dangereux ?

— Je crois que cet état de choses est nocif, oui. Sans contacts réels entre humains, le principal attrait de la vie disparaît ; la plus grande partie des valeurs intellectuelles également ; la plupart des raisons de vivre font défaut. La vision tridimensionnelle ne peut pas remplacer l’entrevue directe. D’ailleurs, les Solariens eux-mêmes se rendent bien compte du sentiment d’éloignement que comporte cette forme artificielle de relations humaines.

« Et s’il ne suffisait pas de cet isolement de l’individu pour déclencher une stagnation de la culture, le phénomène de leur longévité vient y contribuer. Sur Terre, nous avons un flot continu de jeunes qui aiment le changement parce qu’ils n’ont pas eu le temps de s’encroûter dans leurs habitudes. Je suppose qu’il existe un point d’équilibre entre une vie assez longue pour réaliser quelque chose et assez courte pour le renouvellement constant de la jeunesse, à un rythme qui ne soit pas trop lent. Mais, sur Solaria, le rythme de renouvellement est bien trop lent.

Minnim continuait à dessiner des figures géométriques du bout du doigt.

— Intéressant. Très intéressant. (Il releva la tête ce fut comme si un masque était tombé : son regard brillait de joie :) Vous avez l’esprit très pénétrant, inspecteur.

— Merci, dit Baley, avec une certaine raideur.

— Voulez-vous savoir pourquoi je vous ai poussé à me faire part de vos idées ? (Comme un petit garçon, il se cramponnait à son plaisir. Il continua, sans attendre la réponse de Baley :) Nos sociologues se sont déjà livrés à une analyse préliminaire de votre rapport et je me demandais si vous aviez une vague idée des bonnes nouvelles que vous aviez rapportées pour la Terre. Je vois bien que vous vous en étiez rendu compte.

— Mais, dit Baley, un instant. Le problème comporte d’autres aspects.

— Certes, reconnut Minnim, transporté de joie : Solaria ne peut pas remédier à cet état de choses. La stagnation ne peut que s’accentuer maintenant que le point critique est dépassé. Les Solariens dépendent trop des robots, ils comptent trop sur eux, alors qu’un robot quelconque est dans l’incapacité formelle de corriger un enfant : cette correction pourrait avoir des effets bénéfiques pour l’avenir de l’enfant, mais le robot est aveugle à toute autre considération que la douleur présente qu’il devrait infliger. De même, du point de vue collectif, les robots ne peuvent pas corriger toute une planète en faisant table rase de toutes les institutions établies lorsqu’elles se sont révélées nocives. Ils sont aveugles à toute autre conception que l’idée immédiate du chaos qui en résulterait. Aussi, la seule issue pour les Mondes Extérieurs est-elle une stagnation perpétuelle et la Terre se trouvera peu à peu libérée de leur emprise. Ces nouveaux faits changent toutes les données du problème. Une révolte ouverte ne sera même pas nécessaire. La liberté nous reviendra progressivement.

— Un instant, répéta Baley, un ton plus haut. Pour le moment, c’est de Solaria seule que nous parlions, non d’aucun autre Monde Extérieur.

— Mais c’est du pareil au même. Votre sociologue solarien, Kimot…

— Quemot, monsieur.

— Oui, Quemot. Il vous a bien dit, n’est-ce pas, que les autres Mondes Extérieurs étaient en train de suivre la même voie que Solaria ?

— Effectivement, c’est ce qu’il m’a dit, mais il n’avait aucun renseignement de première main sur les autres Mondes Extérieurs et, de plus, ce n’était pas un sociologue. Tout au moins, pas un véritable sociologue scientifique. Je pensais m’être suffisamment expliqué là-dessus.

— Nos sociologues à nous vérifieront ses théories.

— Mais, eux aussi, vont se trouver à court de renseignements exacts. Nous ignorons tout des Mondes Extérieurs vraiment importants.

« Tenez, prenons Aurore, par exemple : le monde de Daneel. A mon avis, il semble peu rationnel de s’attendre qu’un tel monde soit comme Solaria. En fait, il n’y a qu’un seul monde pour ressembler à Solaria et c’est…

Mais Minnim écartait le sujet d’un mouvement gracieux et satisfait de sa main manucurée :

— Nos sociologues vérifieront, vous dis-je, et je suis sûr qu’ils seront d’accord avec les théories de Quemot.

Le regard de Baley s’assombrit ; si les sociologues de la Terre étaient assez impatients d’obtenir des nouvelles rassurantes, ils tomberaient d’accord avec Quemot, ça ne faisait pas un pli. On fait dire tout ce qu’on veut aux statistiques, pourvu qu’on en établisse un assez grand nombre, avec un but bien déterminé en tête, surtout si l’on fait fi de documents probants, mais gênants.

Il hésita : valait-il mieux parler tout de suite, alors qu’il avait l’oreille d’un membre important du gouvernement, ou bien…

Son hésitation avait duré un instant de trop. Minnim reprenait la parole, farfouillant dans ses papiers et s’inquiétant de questions plus terre à terre.

— Encore quelques petites questions, inspecteur, à propos de l’affaire Delmarre proprement dite, et vous pourrez disposer. Aviez-vous l’intention de pousser Leebig au suicide ?

— Je voulais simplement le contraindre à l’aveu, monsieur. Je n’avais pas prévu ce suicide, étant donné que la personne qui approchait de lui n’était qu’un humanoïde ; à proprement parler, un robot n’enfreignait pas le tabou de la présence effective. Mais, à dire vrai, sa mort ne me cause aucun remords : c’était vraiment quelqu’un de très dangereux : il se passera bien du temps avant qu’on retrouve un homme à la fois aussi brillant et aussi névrosé.

— Je suis bien d’accord avec vous sur ce point, dit sèchement Minnim, et me félicite de sa mort. Mais, n’avez-vous pas envisagé dans quelle situation gênante vous vous seriez trouvé si les Solariens avaient pris le temps de réfléchir ? Ils se seraient facilement rendu compte de l’impossibilité matérielle où se trouvait Leebig d’assassiner Delmarre.

Baley ôta sa pipe de sa bouche, mais se ravisa et ne dit rien.

— Allons, inspecteur, continua Minnim, vous savez pertinemment que ce n’est pas lui l’assassin. Un tel meurtre exigeait la présence effective du meurtrier et Leebig serait mort plutôt que d’envisager pareille éventualité. Il s’est d’ailleurs suicidé pour ce motif.

— C’est vrai, monsieur, répondit Baley. J’ai tablé sur le fait que les Solariens allaient être trop horrifiés par les agissements de Leebig avec des robots pour s’inquiéter du reste.

— Bon. Alors, qui a tué Delmarre, en fin de compte ?

Baley dit, en mesurant ses mots :

— Si vous entendez par là qui a porté le coup fatal, c’est évidemment la personne que tous les Solariens considéraient comme coupable : Gladïa Delmarre, la propre épouse de la victime.

— Et vous l’avez laissée s’enfuir ?

— D’un point de vue moral, dit Baley, la responsabilité de ce meurtre ne lui incombe pas. Leebig savait que Gladïa se disputait tant et plus avec son mari, à là moindre occasion. Il a dû apprendre dans quel état de fureur elle pouvait se mettre au cours de ces querelles. Leebig voulait que la mort du mari incriminât automatiquement l’épouse. Aussi fit-il parvenir à Delmarre un robot auquel, à mon avis, il avait donné des instructions très précises : habile comme il l’était, il a dû ordonner au robot de tendre à Gladïa, au comble de la fureur, l’un de ses bras détachables. Ayant une arme entre les mains, au moment crucial, elle a brandi cette matraque improvisée dans une espèce d’état second et a frappé avant que, ni le robot ni Delmarre, puissent intercepter son geste. Gladïa se trouve avoir été, entre les mains de Leebig, un instrument aussi inconscient que le robot lui-même.

— Le bras du robot devait être souillé de sang et de cheveux, dit Minnim.

— Très certainement, répondit Baley. Mais c’est Leebig qui s’est occupé de ce robot. Il a pu facilement donner ordre aux autres robots qui auraient remarqué ce détail d’oublier tout ce qui concernait leur semblable. Le Dr Thool aurait pu, lui aussi, s’en apercevoir, mais il ne s’est occupé que du cadavre et de la femme évanouie. L’erreur de Leebig fut de croire que la culpabilité de Gladïa s’étalerait d’une manière si flagrante que l’absence d’une arme quelconque sur les lieux du crime ne pourrait la sauver. De plus, il ne pouvait pas prévoir qu’on ferait appel à un Terrien pour mener l’enquête.

— Aussi, une fois Leebig mort, vous vous êtes arrangé pour faire évader la meurtrière de Solaria. Etait-ce pour la sauver au cas où les Solariens se seraient mis à réfléchir à toute cette histoire ?

Baley haussa les épaules :

— Elle en avait assez enduré. Elle avait toujours été une victime : incomprise de son mari, le jouet de Leebig, la paria de tout Solaria.

— Et vous, vous avez accommodé la loi à votre idée pour satisfaire un caprice personnel ?

L’âpre visage de Baley se durcit :

— Ce n’était pas un caprice. J’étais au-dessus des lois de Solaria. Pour moi, les intérêts de la Terre étaient primordiaux et, pour les défendre, il a bien fallu que je fasse en sorte qu’on se débarrasse de Leebig. Lui, il était dangereux. Quant à Mme Delmarre… (Il fit face à Minnim, en pleine conscience du pas décisif qu’il faisait.) Quant à Mme Delmarre, reprit-il, elle m’a servi de cobaye pour une expérience.

— Quelle expérience ?

— Je voulais savoir si elle oserait vivre dans un monde où la présence effective des gens est courante, et même de règle. J’étais curieux de savoir si elle aurait le courage de se dégager d’habitudes aussi profondément ancrées en elle. J’avais peur qu’elle ne refuse de partir, qu’elle insiste pour demeurer sur Solaria, qui, pour elle, était un vrai purgatoire, au lieu de renoncer au mode de vie artificiel des Solariens. Mais elle a choisi le dépaysement, avec tout ce qu’il comporte. J’en suis heureux ; pour moi, c’est une espèce de symbole. Son geste m’a paru ouvrir toutes grandes les portes du salut, de notre salut.

— De notre salut ! dit énergiquement Minnim. Que diable voulez-vous dire ?

— Pas du vôtre personnellement, ni du mien, monsieur, dit Baley avec gravité, mais du salut de l’humanité tout entière. Vous vous trompez en ce qui concerne les autres Mondes Extérieurs : ils ont peu de robots, la présence effective est de règle et, eux aussi, ont procédé à l’enquête sur Solaria ; R. Daneel Olivaw était là-bas, avec moi, souvenez-vous, et, lui aussi, il va rendre compte. Il y a le danger qu’un jour ils deviennent comme Solaria, mais il est probable qu’ils se rendront compte assez tôt du péril. Ils trouveront un compromis entre une démographie démentielle et un malthusianisme redoutable. Aussi, resteront-ils les chefs de l’humanité.

— C’est votre opinion à vous, dit Minnim, très sec.

— Oui, et autre chose encore : il existe un monde comme Solaria : la Terre.

— Inspecteur Baley !

— Je vous l’assure, monsieur. Nous sommes comme les Solariens, mais à rebours. Eux, ils se sont retirés dans leur isolement les uns des autres. Nous, nous sommes isolés du reste de la Galaxie, par notre volonté propre. Ils ne peuvent aller au-delà de leurs domaines inviolables. Nous ne pouvons aller au-delà de nos cités souterraines. Ce sont des Généraux, sans troupes, avec juste des robots, qui ne peuvent pas répondre. Nous sommes des Troupes sans généraux, avec juste des cités où nous nous murons par peur du dehors. (Baley crispait les poings.)

Minnim dit d’un ton désapprobateur :

— Inspecteur, vous avez traversé de lourdes épreuves. Vous avez grand besoin de repos. Je vous l’accorde. Vous avez un mois de vacances à plein salaire, avec une promotion au bout.

— Merci, monsieur, mais ce n’est pas ce que je désire le plus. Je désire que vous m’écoutiez. Il n’y a qu’une seule issue au cul-de-sac où nous nous trouvons : vers le haut, vers l’Espace. Il y a là-bas des millions de Mondes. Les Spaciens n’en occupent que cinquante. Ils sont peu nombreux, ils ont une grande longévité. Nous sommes légion et notre temps est court. Nous sommes bien mieux armés qu’eux pour partir en exploration et coloniser. Nous avons, une croissance démographique suffisante pour nous pousser en avant et les générations se succèdent à un rythme assez rapide pour nous donner des réserves inépuisables d’éléments jeunes et téméraires. N’oublions pas qu’en premier lieu ce sont nos ancêtres qui colonisèrent les Mondes Extérieurs.

— Oui, oui. Je vois, mais je crains de n’avoir pas le temps de vous entendre davantage.

Bien que Baley sentît parfaitement l’impatience qu’avait son interlocuteur d’être débarrassé de lui, il demeura imperturbable, à la même place.

— Lorsque les premières colonies bâtirent là-bas des mondes supérieurs au nôtre, en technique pure, nous avons bâti sous terre des cocons où nous nous sommes réfugiés. Les Spaciens nous faisaient prendre conscience de notre infériorité : alors, nous nous sommes cachés. Mais ce n’est pas là une bonne réponse. Pour éviter le cycle destructeur des révoltes et des répressions, il faut entrer en compétition avec eux : suivre leurs traces s’il le faut, et devenir leur chef si nous le pouvons. Mais, pour cela, il nous faut faire face au vide : il faut que nous apprenions à faire face à l’espace. Il est trop tard pour que, nous, nous l’apprenions. Mais nous devons l’apprendre à nos enfants. C’est une question de vie ou de mort.

— Prenez du repos, inspecteur.

— Ecoutez-moi, monsieur, s’écria violemment Baley. Si les Spaciens sont forts et que, nous, nous restions où nous en sommes, alors, dans moins d’un siècle, la Terre sera détruite : Cela a été mathématiquement prévu. C’est vous qui l’avez dit vous-même. Si réellement les Spaciens étaient faibles et s’affaiblissaient de jour en jour, nous pourrions peut-être nous en sortir. Mais qui dit que les Spaciens sont faibles ? Les Solariens, un point c’est tout. Nous n’en savons pas plus.

« Je n’ai pas fini. Il y a une chose que nous pouvons changer, que les Spaciens soient faibles ou forts. Nous pouvons changer ce que nous sommes. Faisons face à l’espace, et jamais nous n’aurons besoin de nous révolter. Nous pouvons, nous aussi, nous répandre sur des foules de mondes à nous. Nous deviendrons, nous aussi, des Spaciens. Mais, si nous restons ici, sur Terre, blottis comme des lapins, alors il sera impossible d’enrayer le cycle infernal des révoltes inutiles et fatales. Et ce ne sera que pis si les gens se bercent d’espoirs fallacieux, en croyant à la faiblesse des Spaciens. Allez-y. Consultez les sociologues : présentez-leur mes arguments. Et, s’ils ne sont pas convaincus, trouvez le moyen de m’expédier sur Aurore. Je vous rendrai compte de ce que sont réellement les Spaciens, et nous verrons alors ce que la Terre doit faire.

Minnim acquiesça :

— Oui, oui. Au revoir, maintenant, inspecteur Baley.

Baley s’en fut, le cœur plein d’enthousiasme. Il ne s’était pas attendu à obtenir une franche victoire sur Minnim. On ne remporte pas, en un jour, ni en un an, la victoire sur des réflexes conditionnés. Mais il avait vu l’expression de curiosité, d’hésitation, de réflexion, passer sur les traits de Minnim et obscurcir, tout au moins un instant, sa jubilation précédente.

Baley envisageait l’avenir sous l’aspect suivant : Minnim allait consulter les sociologues. Il y en aurait bien un ou deux qui allaient hésiter. Ils allaient se poser des questions. Ils feraient appel aux lumières de Baley.

Dans un an, pensait Baley, un an pas plus, je serai en route pour Aurore et, dans une génération, les Terriens affronteront de nouveau l’Espace.

Baley monta sur l’express du Nord. Bientôt, il allait voir Jessie. Mais, est-ce qu’elle comprendrait ? Et aussi Bentley, son fils de dix-sept ans ? Est-ce qu’à dix-sept ans le fils de Ben se tiendrait sur un monde nouveau, vide, pour une vie, face à l’Espace ?

Quelle pensée effrayante ! Baley avait toujours peur des espaces libres. Mais il n’avait plus peur de sa peur. Ce n’était plus quelque chose à fuir, cette peur, mais quelque chose à combattre, à maîtriser.

Baley sentît qu’une espèce de démence s’était retirée de lui. Dès le premier instant, les espaces libres avaient exercé sur lui leur magique attrait, dès cet instant même où dans le véhicule de surface il avait joué Daneel : il avait fait ouvrir le toit pour pouvoir se dresser à l’air libre.

A l’époque, il n’avait pas compris ce qui l’avait poussé. Daneel avait estimé que c’était un sentiment morbide. Lui, Baley, il avait cru qu’il devait faire face au vide par conscience professionnelle, pour résoudre ce crime. C’était seulement le dernier soir, sur Solaria, lorsqu’il avait déchiré la tenture voilant la fenêtre qu’il avait enfin compris. Il avait besoin de faire face au vide sans autre raison que l’attrait qu’il exerçait, que la promesse de libération qu’il évoquait.

Ils seraient légion, sur la Terre, à éprouver ce même besoin, si seulement on attirait leur attention sur l’Espace, si on leur faisait franchir le premier pas.

Il regarda autour de lui.

L’express continuait sa course. Tout, autour de lui, baignait dans une lumière artificielle : les immenses immeubles qui défilaient devant lui, les enseignes flamboyantes, les vitrines illuminées, les usines et la foule. La foule, le bruit, les lumières, encore plus de foule, de bruit, de gens, et de gens, et de gens…

Et, maintenant, tout lui paraissait étranger.

Il ne pouvait plus s’y incorporer, s’y perdre.

Il était parti pour résoudre un meurtre et il lui était arrivé quelque chose.

Il avait dit à Minnim que les villes étaient des cocons, et c’est bien ce qu’elles étaient. Mais quelle est la première chose qu’un papillon doit faire avant d’être un vrai papillon ? Il lui faut quitter le cocon, briser le cocon. Et une fois qu’il en est sorti, il ne peut plus y rentrer.

Baley avait quitté la ville. Il ne pouvait plus y rentrer. Il ne participait plus à la cité, les cavernes d’acier lui étaient étrangères. Et ceci était comme il devait l’être.

Il en serait de même pour d’autres. La Terre renaîtrait à la vie de surface et les Hommes de la Terre vogueraient vers l’Espace.

Il sentait son cœur battre à coups précipités et le bruit de la vie tout autour de lui s’estompa en un murmure inaudible.

Il se souvenait de son rêve sur Solaria. Il comprenait enfin. Il leva la tête, et au travers de l’acier, du béton, de l’humanité, au-dessus de lui, il le vit. Il vit ce phare planté dans l’Espace pour attirer les hommes vers ailleurs.

Il voyait son éclat rayonner jusqu’à lui, l’éclat éblouissant des pleins feux du soleil.

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