XXIV UNE VISITE INATTENDUE

Après le départ d’Assas et de Crébillon la comtesse du Barry était restée longtemps songeuse devant la porte par où venait de s’éloigner celui qu’elle avait élu et qui emportait son cœur. Un travail lent, mais tenace, se faisait dans cette tête si jeune et si belle.


Des pensées qu’elle n’avait jamais eues, qu’elle ne soupçonnait même pas, venaient l’envahir et ouvraient à son esprit étonné des horizons nouveaux.


Des pudeurs inconnues, des délicatesses raffinées lui venaient tout à coup et elle se prenait à rougir à la pensée de ce qu’elle avait été, de ce qu’elle avait fait, de ce qu’elle était encore.


Pourquoi ces hontes soudaines?… Pourquoi ces pensées nouvelles qui la prenaient et la charmaient tout à la fois?…


C’est que l’amour pur et sincère mettait son emprise souveraine sur ce cœur qui n’avait jamais battu; c’est que l’amour régénérateur sortait vainqueur dans l’effroyable combat que lui livraient l’ambition, la haine, tous les sentiments vils et bas qui luttaient désespérément contre lui; c’est que toutes les scories de ce cœur vierge encore se fondaient, se purifiaient au contact de ce maître incontesté.


Et rêveuse, délicieusement alanguie, elle revoyait par l’imagination cette soirée, ce bal de l’Hôtel de Ville où pour la première fois elle s’était produite sous ce nom d’emprunt de comtesse du Barry, et à son oreille retentissaient les paroles de Saint-Germain qui d’une voix douce et grave lui disait:


– Vous n’êtes pas, vous ne serez jamais la comtesse du Barry… Il en est temps encore, partez, vivez modestement, mais honnêtement, dans votre pays… là-bas… à Vaucouleurs… et soyez ainsi assurée que vous trouverez ainsi le bonheur.


Et voilà que, chose étrange, cet inconnu qui accompagnait d’Assas, ce poète au ton railleur, à l’œil ironique, aux manières communes et emphatiquement théâtrales, venait de lui répéter là, avec la même douceur dans la voix et le regard, la même chose en termes presque identiques.


Et cet inconnu qui paraissait l’avoir devinée, tout comme Saint-Germain naguère, avait parlé du rôle qu’on lui faisait jouer.


Il savait donc?


Et il savait, comme Saint-Germain, pourquoi cette même douceur, pourquoi cette pitié qu’elle avait lue clairement dans son regard, tandis que lui, l’aimé, restait immuablement froid et dédaigneux, presque méprisant?


Toutes ces choses la frappaient étrangement, et dans son esprit simple, enclin à la superstition, cette idée qu’elle était fatalement destinée à échouer dans la tâche qu’elle avait assumée, s’incrustait tenace et tyrannique.


Et elle se demandait s’il ne valait pas mieux se donner le bénéfice de renoncer soi-même, librement, plutôt que d’échouer honteusement.


Au moins, par son abandon volontaire, se concilierait-elle des sympathies, forcerait-elle l’estime de ceux qui lui tenaient tant à cœur, tandis qu’en persistant en allant à un échec qu’un secret pressentiment lui montrait certain, elle verrait tout le monde se tourner contre elle, même et surtout ceux qui l’avaient poussée jusque-là.


Et son imagination allant de Saint-Germain à Crébillon, elle répétait machinalement les paroles du poète:


– Vous n’êtes pas faite pour le rôle qu’on vous fait jouer ici.


Et elle se demandait avec angoisse, stupéfaite elle-même devant les tiraillements de sa propre conscience, si ce poète n’avait pas raison, et si elle ne devait pas écouter sa voix qui lui conseillait de renoncer à la lutte, de réaliser ce qu’elle possédait et, avec cette petite fortune, de se retirer dans son pays, d’y vivre honnêtement en élevant sa petite sœur.


Cette fortune, d’ailleurs, qui lui paraissait aujourd’hui très modeste, ne lui apparaissait-elle pas, lorsqu’elle exerçait son métier de fille galante, comme un rêve doré qui ne se réaliserait jamais?


Elle sortit de ces pensées comme d’un songe et s’aperçut alors qu’elle tenait dans sa main crispée un papier que Crébillon y avait glissé avant de partir.


Elle ouvrit le billet et lut.


Il ne contenait pas autre chose que le nom d’une hôtellerie et les indications d’étage et de porte.


L’adresse de d’Assas sans doute.


Cet inconnu pensait donc qu’il pouvait lui être utile de connaître cette adresse?… Il pensait donc qu’elle pouvait avoir l’idée de retourner voir d’Assas?


Pourquoi?… Après ce qui s’était passé entre eux aux prisons du château, quelle nouvelle tentative pourrait-elle faire?…


Qu’espérait d’elle ce poète?


Et de plus en plus songeuse, elle allait rentrer chez elle, lorsque l’idée lui vint que le jardinier allait peut-être bavarder et raconter comment les deux fugitifs s’étaient introduits dans le jardin.


Personnellement, cela lui importait peu. Elle était tellement lasse et découragée qu’il lui indifférait complètement que le roi et M. Jacques lui-même apprissent qu’elle avait laissé fuir le chevalier.


Mais elle comprenait fort bien aussi qu’une indiscrétion pouvait livrer celui qu’elle aimait malgré tout et elle ne voulait pas maintenant le voir en prison.


Elle fit donc un détour et, ayant trouvé le jardinier qui se livrait consciencieusement à son travail quotidien, elle lui dit:


– Ces deux gentilhommes sont enfin partis… Une autre fois, Gaspard, soyez plus prudent… Je veux bien, pour cette fois, vous promettre de laisser ignorer cet incident au roi… mais songez que si pareille aventure se renouvelait et que le roi vint à le savoir, vous seriez impitoyablement chassé… et vous avez de la famille, je crois… Dans votre propre intérêt, veillez à ce que cela ne se renouvelle plus…


Gaspard, à ces paroles, avait pâli, dans la crainte de perdre sa place, et avait répondu d’un ton soumis:


– Je vous jure, madame, que j’ai fait tout ce que j’ai pu pour empêcher ces gentilhommes d’entrer et, une fois entrés, pour les faire sortir… le jeune m’a même offert sa bourse que j’ai refusée… et cependant j’ai de la famille en effet… Si madame veut bien me promettre de ne rien dire, je lui affirme que pareil fait ne se présentera plus… mais, je vous en prie, faites que le roi ne sache rien…


– Je vous ai promis de ne rien dire, je tiendrai ma promesse… le roi ne saura rien… à moins que vous-même ne commettiez l’imprudence de parler…


– Oh! madame peut être tranquille… je n’irai pas me vendre moi-même.


Et en disant ces mots, le brave homme paraissait gêné.


Sans remarquer cette gêne, la comtesse reprit:


– En attendant, vous avez bien fait de refuser la bourse qu’on vous offrait… mais comme je ne veux pas qu’il soit dit que vous avez perdu quelque chose en cette occurrence… voici la mienne… vous pouvez la prendre, celle-là… j’espère qu’elle ne sera pas moins bien garnie que celle que vous avez refusée…


Et coupant court aux paroles du brave homme qui se confondait en bénédictions et en remerciements, elle rentra chez elle pendant que Gaspard soupesait la bourse avec une évidente satisfaction et se grattait furieusement l’oreille, en murmurant:


– Et moi, triple niais, qui n’ai pas su garder ma langue et suis allé sottement raconter la chose à Mlle Nicole… Pourvu que cette brave demoiselle n’aille pas faire comme moi et bavarder… Madame est bonne, elle veut bien oublier… mais M. Lebel lui, ne badine pas… c’est que je serait impitoyablement chassé… Et mes pauvres enfants, qu’est-ce qu’ils deviendraient?… Il faudra que je prie Mlle Nicole de ne rien dire.


Pendant ce temps, la comtesse, qui était rentrée dans son boudoir, se disait:


– Allons, ce brave Gaspard a trop peur de perdre sa place, il ne parlera pas… me voici tranquille.


Et ayant allumé une cire rose, elle brûla avec précaution le billet de Crébillon, dans la crainte que ce chiffon de papier venant à s’égarer, l’adresse qu’il contenait ne tombât entre les mains de quelque malintentionné et ne mît sur la trace du fugitif.


À la suite de cet incident la comtesse resta pendant deux jours en proie à une agitation intérieure violente, sans cesse harcelée par les idées nouvelles qui jaillissaient dans son cœur et dans son cerveau, mais ne trouvant pas malgré tout la force de prendre une détermination ferme.


Elle paraissait agacée, nerveuse, d’une sensibilité extrême qui la faisait éclater, sans raison apparente, en rires désordonnés ou en sanglots déchirants.


Tout le monde dans la petite maison subit le contre-coup de cette crise qu’elle traversait.


Le roi lui-même dut en subir les effets, ce qui le refroidit sensiblement sans que la jeune femme parût le remarquer.


Enfin, au bout de deux jours, n’y tenant plus, elle se fit habiller très simplement d’une toilette noire et prévint Nicole qu’elle sortait.


Elle se rendit tout droit à l’adresse que lui avait donnée Crébillon, monta directement sans rien demander à personne et frappa à la porte qui lui avait été désignée, d’avance le cœur étreint par une indicible angoisse.


Ce fut Crébillon qui vint lui ouvrir.


Le poète ne parut pas autrement surpris de cette visite mais en revanche d’Assas tressaillit violemment.


Elle vit ce tressaillement et, croyant qu’il voulait la chasser, elle joignit les mains dans un geste suppliant.


Crébillon les regardait tous les deux avec une attention soutenue. Il paraissait très calme, seulement ses doigts battaient nerveusement un rappel frénétique sur le dossier d’une chaise qu’il avait saisi machinalement.


D’Assas cependant s’était levé et de sa voix fraîche et sonore, la regardant bien en face pendant qu’elle restait muette, trop émue pour parler, il dit doucement, avec une déférence visible:


– Madame, lorsque vous me fîtes l’honneur de me venir visiter dans ma prison, je me suis oublié jusqu’à vous dire des choses qu’un homme ne doit pas dire à une femme… quelle qu’elle soit… ce faisant, j’ai manqué au respect que tout homme bien né doit à une femme… je vous en demande pardon…


Elle leva sur lui des yeux brillants, se demandant si elle entendait bien, si elle ne rêvait pas, et ne trouvant pas un mot à dire elle éclata en sanglots, tomba à genoux et, avant qu’il eût pu faire un mouvement, saisit sa main et la baisa.


Vivement, d’Assas confus la releva en murmurant:


– Oh! madame!… que faites-vous?…


Et le pauvre chevalier éperdu regardait Crébillon comme pour implorer son secours.


Celui-ci, non moins ému, ne se fit d’ailleurs pas tirer l’oreille. Il approcha vivement un fauteuil dans lequel la jeune femme se laissa tomber, la tête enfouie dans ses deux mains, toujours secouée par d’affreux sanglots.


Le poète fit au chevalier un signe qui recommandait de se taire et de respecter cette douleur sincère, et posant doucement sa main sur la tête de la jeune femme avec une douceur infinie qu’on n’aurait jamais soupçonnée dans ce grand corps dégingandé:


– Pleurez, mon enfant, pleurez… les larmes sont bonnes, les larmes sont saintes parce qu’elles sont régénératrices… pleurez… parce que, avec les larmes de vos yeux tombent en même temps toutes les mauvaises pensées qui étouffaient votre cœur… pleurez, parce que ces larmes purifient ce cœur qui se dégagera pur et radieux… pleurez, mon enfant…


Et, comme une mère qui berce son enfant, l’excellent homme, en des paroles émues, laissait parler son cœur de poète et endormait la douleur dans ce cœur meurtri, pendant que d’Assas contemplait ce spectacle et écoutait avec une émotion qu’il n’essayait pas de cacher.


Enfin, la jeune femme parut se calmer.


Elle essuya ses yeux et dit avec un sourire triste et doux:


– C’est fini!…


Et comme ses yeux se fixaient sur d’Assas en prononçant ces mots, Crébillon esquissa un mouvement de retraite que le chevalier vit avec inquiétude, car il se demandait ce que venait faire la comtesse, et un tête-à-tête avec cette femme, qui, décidément, était de plus en plus étrange et extraordinaire, l’effrayait.


Juliette vit-elle cette inquiétude?… Comprit-elle ce qui se passait dans l’esprit de d’Assas?


Nous ne saurions le dire.


Toujours est-il qu’elle dit à Crébillon qui déjà gagnait la porte:


– Restez, monsieur, je vous prie… Vous pouvez entendre ce que je suis venue dire à M. d’Assas…


Crébillon s’inclina, satisfait au fond d’assister à cet entretien qui l’intriguait, devinant que sa présence pouvait être utile, tandis que d’Assas, de son côté, respirait plus à l’aise, satisfait de voir un tiers entre lui et cette femme déconcertante.


Juliette reprit, s’adressant à d’Assas, cette fois:


– Vous avez eu, tout à l’heure, la générosité de me demander pardon pour les vérités un peu dures peut-être que vous m’avez dites l’autre jour. Ces vérités, je les avais méritées par toutes les… sottises que je vous ai dites… dont je rougis aujourd’hui, et c’est moi, d’Assas, qui vous demande pardon…


– Oh! madame, je ne souffrirai pas!…


– Écoutez-moi, je vous prie… Oui, je vous demande pardon de vous avoir, par mes folles paroles, par mes actes méprisables et, je le sens aujourd’hui, indignes d’un cœur honnête, mis dans la cruelle nécessité de me dire des choses que vous vous reprochez dans la bonté de votre cœur… alors que je reconnais maintenant et que je déclare hautement, devant monsieur qui m’entend, qu’elles étaient fort au-dessus de ce que je méritais.


– Je vous en conjure, madame, dit d’Assas, ne parlons plus de cela… j’ai tout oublié pour ma part… et… je serais heureux, croyez-le, si vos paroles et vos actes futurs me permettaient de ne me souvenir que du service que vous m’avez rendu l’autre jour et de vous remercier autrement que par de vaines paroles, comme je le fais en ce moment…


La comtesse le regarda avec une pointe d’attendrissement étonné et murmura, pour elle-même:


– Il serait donc vrai…?


Puis, secouant sa tête charmante d’un air résolu, elle répondit:


– Peut-être avez-vous raison… mais ce que j’ai à vous dire me ramènera forcément à parler de ce qui s’est passé entre nous… Rassurez-vous pourtant, j’éviterai autant qu’il me sera possible de rappeler des souvenirs qui me sont aujourd’hui plus pénibles et plus odieux qu’ils ne peuvent l’être pour vous… et si certains de ces souvenirs que je serai forcée d’évoquer devant M. de Crébillon sont humiliants pour moi… eh bien, ce sera ma punition… le commencement de l’expiation que je me suis imposée… uniquement pour mériter un peu de votre estime.


D’Assas s’inclina en signe d’assentiment.


La comtesse se recueillit quelques secondes et reprit:


– Pourtant, il est une chose que je veux vous répéter encore une fois… Je vous aime ardemment… de toutes les forces de mon être… Vous êtes le premier, le seul qui ait fait battre mon cœur, et ce cœur s’est donné pour toujours… il ne se reprendra jamais… quoi qu’il puisse advenir…


Je sais que je suis indigne de votre amour… vous ne pouvez descendre jusqu’à moi. Hélas! quoi que je fasse, je ne pourrai jamais m’élever jusqu’à vous, car rien au monde ne pourra effacer l’odieux et méprisable passé qui fut le mien.


Je n’espère donc rien… je ne demande rien… pas même votre amitié… mais il m’est doux de vous dire encore une fois que mon cœur vous appartient tout entier… que la misérable femme que je suis sera toujours heureuse de sacrifier sa vie et son bonheur à votre propre bonheur… Dites-vous bien cela, d’Assas, et ne l’oubliez jamais, car plus jamais maintenant je ne vous parlerai de cet amour.


Vous disiez tout à l’heure que vous attendiez mes actes et mes paroles pour me juger… En attendant les actes, vous allez pouvoir le faire tout de suite, car je vais parler avec une entière franchise et ce que je vais vous dire, c’est ma confession pleine et entière… si humiliante qu’elle puisse être pour moi… Plus tard, d’Assas, vous verrez que mes actes seront d’accord avec mes paroles.


– Je ne souffrirai pas, madame, que vous vous humiliiez… Tout ce que vous venez de dire, ce que vous avez fait pour moi me donne à penser que vous valez mieux qu’on ne vous a dépeinte à mes yeux, et je commence à croire qu’on vous a calomniée… Qui que vous soyez, quoi que vous ayez été, il y a certainement en vous des élans généreux qui ne demandent qu’à se développer… Je crois fermement que, si vous suivez les impulsions de votre cœur, vos actes seront tels qu’ils vous réhabiliteront aux yeux des honnêtes gens… Il est donc inutile de vous humilier, répondit d’Assas.


La comtesse hocha la tête comme quelqu’un qui est bien décidé, tandis que Crébillon disait:


– Laissez dire, madame… Les paroles comme les larmes sont parfois un soulagement…


– Vous avez raison, monsieur… ce me sera un soulagement immense de pouvoir découvrir mon âme devant deux hommes d’esprit et de cœur.


Les deux hommes s’inclinèrent.


La comtesse reprit:


– Vous disiez tout à l’heure qu’on m’avait dépeinte à vous et sans doute calomniée… On vous a donc parlé de moi?…


– Oui, madame, je l’avoue… mais…


– Oh! rassurez-vous, je ne vous demande pas le nom de la personne qui vous a parlé de moi… ce nom, au surplus, je crois le connaître… Est-ce la même personne qui vous a dit mon vrai nom et… ce que j’avais été?…


– La même, oui, madame, répondit d’Assas qui tout aussitôt ajouta vivement:


Cette personne aurait-elle menti?


– Non, pas sur ce point-là… Je sais bien ce qu’on vous a dit que j’étais, répondit Juliette en baissant la tête… Mais si on vous a dit que j’étais pour quelque chose dans la séquestration de Mme d’Étioles, on a menti… Je n’ai rien fait, je vous le jure, contre cette jeune femme, si ce n’est de prendre sa place dans la petite maison du roi… cela et une… méchante action que j’ai commise il y a deux jours, et que je vous confesserai, voilà les deux seules choses que j’aie à me reprocher; encore, de ces deux choses, tout au moins êtes-vous le dernier qui puisse me reprocher la première puisque, en prenant sa place, j’ai empêché Mme d’Étioles de devenir ce que je suis devenue… Me croyez-vous?…


– J’attends… répondit évasivement d’Assas qui, malgré toute la pitié qu’il ressentait pour cette jeune femme, répugnait à un mensonge.


– Vous attendez des preuves, n’est-ce pas?… c’est juste, au fond… pourquoi me croiriez-vous sur parole?…


– Je ne dis pas cela.


– Mais vous le pensez… On vous a dit que je poursuivais Mme d’Étioles de ma haine… que je l’avais fait enlever, séquestrer, que sais-je encore?… tout cela est faux… et la preuve en est que je vais vous dire où elle se trouve…


– Vous feriez cela? dit d’Assas dans une explosion de joie.


– Je ferai cela… pour vous… répondit tristement Juliette.


– Parlez!… parlez vite!…


– Vous l’aimez donc bien? demanda Juliette en fermant instinctivement les yeux devant le coup au-devant duquel elle allait.


– De toute mon âme! répondit d’Assas sans se rendre compte du coup qu’il portait.


– Ah! fit douloureusement la jeune femme en pressant des deux mains son cœur qui bondissait dans sa poitrine.


Crébillon fut pris soudain d’une quinte de toux, comme s’il eût voulu couvrir les paroles de d’Assas et lui faire sentir la cruauté d’une telle franchise.


Juliette s’était remise et, regardant le chevalier avec mansuétude, elle dit simplement avec un accent de maternelle tendresse:


– Pauvre petit!…


– Que voulez-vous dire?


– Vous le saurez toujours assez tôt… Je vous dirai donc où se trouve Mme d’Étioles et vous ne croirez plus ainsi que je suis le bourreau de cette jeune femme, vous verrez ainsi qu’on vous a menti sur ce point-là… Mais avant que vous puissiez comprendre et sinon excuser, du moins atténuer la responsabilité de certains de mes actes, je dois vous dire qui je suis, et comment j’ai vécu jusqu’à ce jour… Peut-être trouverez-vous, quand vous saurez tout, que je suis plus digne de pitié que de mépris…


– Un mot, je vous en prie, madame… Si on m’a menti sur certains points, on peut avoir menti sur d’autres… Mme d’Étioles est vivante, n’est-ce pas?…


– Oui… cela, je vous l’affirme.


– Vivante et… bien portante?…


Avant de répondre à cette question, la comtesse regarda attentivement le jeune homme comme pour s’assurer qu’il aurait la force de supporter le coup qu’elle allait être forcée de lui porter.


D’Assas vit parfaitement cette hésitation et sentit le frisson de l’angoisse l’étreindre.


D’une voix étranglée, il interrogea:


– Elle est malade?… dangereusement peut-être… parlez… je suis fort.


– Mme d’Étioles en effet est malade… gravement malade… répondit enfin Juliette.


– En danger de mort peut-être? dit d’Assas, voyant qu’elle hésitait et devinant d’instinct qu’elle voulait le ménager.


– Non, dit vivement Juliette, plus maintenant… mais son état est grave… il exige des soins assidus, des précautions minutieuses… Une émotion dans l’état où elle se trouve pourrait la tuer net… néanmoins le docteur espère la sauver maintenant… mais elle sera longtemps à se remettre…


– Ah! fit d’Assas d’une voix rauque… Enfin, pour le moment, tout péril imminent a disparu?…


– Elle est en bonne voie… et s’il ne se produit aucun incident, aucune complication, elle est sauvée… Je vous jure que je vous dis la vérité.


– C’est bien, je vous crois… Oui, je vois que vous êtes sincère… et bien que les nouvelles que vous me donnez ne soient pas précisément ce que je voudrais qu’elles fussent… je vous remercie du sacrifice que vous faites… je vous remercie des ménagements que vous avez mis à me communiquer cette nouvelle douloureuse… Encore un mot, je vous prie… je vous tiendrai quitte après… l’état dans lequel se trouve Mme d’Étioles ne proviendrait-il pas de mauvais traitements?…


– Non, non, dit vivement Juliette, ne croyez pas cela… Mme d’Étioles a été traitée avec tous les égards qu’elle méritait…


– Peut-être alors la séquestration qu’on lui imposait…


– Ce n’est pas cela non plus… Elle n’a pu se rendre compte de rien… le mal l’a foudroyée pour ainsi dire.


– C’est donc un mal subit qui s’est abattu sur elle?


– Je vous l’ai dit… un mal foudroyant.


– Résultat d’une émotion violente? dit à son tour Crébillon.


La comtesse fit de la tête un signe affirmatif. Ce geste fut accompagné d’un coup d’œil expressif comme pour dire au poète qu’elle ne s’expliquait pas plus clairement afin d’éviter une douleur cuisante au jeune homme.


D’Assas, plongé dans des réflexions douloureuses, n’avait rien remarqué, et poursuivant son idée il demanda encore une fois:


– De quand date cette maladie foudroyante?…


– Mme d’Étioles a été terrassée par le mal le lendemain du jour où vous l’avez quittée.


– Ah! fit d’Assas dont l’œil s’illumina soudain, est-ce que…?


Juliette devina ce qu’il pensait et, pour la deuxième fois, elle murmura avec un accent de commisération profonde:


– Pauvre petit!…


– Ce n’est pas cela! dit d’Assas très naturellement et comme s’il avait exprimé tout haut sa pensée, tant il était sûr qu’elle avait compris. Quelle est donc alors la cause de ce mal subit?… Car, enfin, si ce n’est le résultat d’un crime, il doit y avoir une cause réelle… si vous la connaissez, parlez sans crainte… je vous répète que je suis fort… je peux tout entendre.


– Vous le voulez donc?…


– Je vous en prie.


– Eh bien, Mme d’Étioles est tombée foudroyée dès l’instant où on lui a prouvé que… le roi… rendait visite nuitamment à… une autre femme.


– Ah! fit sourdement d’Assas, qui à son tour étreignit sa poitrine à deux mains.


Juliette le regardait avec une commisération infinie, pendant que Crébillon grommelait:


– Diable! diable!… voilà que les choses se gâtent pour mon jeune amoureux.


D’Assas cependant s’était remis et, bien que le coup eût été rude et imprévu, il avait pu, par un prodige de volonté, retrouver son calme et son impassibilité.


Aussi ce fut d’une voix où ne perçait nulle émotion qu’il dit à son tour:


– Quoi qu’il en soit, Mme d’Étioles est hors de danger pour le moment… c’est l’essentiel…


Maintenant, madame, nous vous écoutons et, quoi que ce soit que vous ayez à nous dire, soyez assurée que vous avez acquis des droits à ma reconnaissance et que vous trouverez en moi un auditeur disposé à se montrer aussi indulgent que vous vous êtes montrée doucement maternelle dans vos abnégations.


Ces paroles produisirent sur la comtesse une impression douce et encourageante dont elle avait besoin sans doute, car elle leva sur celui qui lui parlait un regard vaguement étonné où se lisait cependant une infinie tendresse et une reconnaissance sans bornes.


Et d’une voix brisée, baissant la tête pour cacher sa rougeur, elle raconta toute son existence, depuis ses premières années, en passant par la vie de débauches et d’expédients qu’elle menait rue des Barres.


Elle raconta comment M. Jacques était venu la chercher là, quel avenir prestigieux il avait fait luire à ses yeux éblouis, et comment il avait su l’entraîner par ses offres merveilleuses, par ses tentations savantes, comment elle avait succombé à ces tentations, comment elle était devenue comtesse du Barry et comment elle avait débuté dans ce rôle, au bal de l’Hôtel de Ville, ainsi que les paroles prophétiques prononcées par Saint-Germain dans cette soirée inoubliable pour elle.


Elle dit la conspiration ourdie contre Mme d’Étioles et comment en achetant la complicité de Suzon, de Nicole et des filles de service de la petite maison du roi, elle put s’introduire dans la place, éloigner sa rivale, prendre sa place et la supplanter dans les faveurs du roi; comment elle fut de nouveau tentée par le diabolique M. Jacques à son retour de la prison; comment cet homme sut souffler sur la colère qui bouillonnait en elle, attiser la haine et la jalousie; se servir, en les poussant à leur paroxysme, de tous les sentiments mauvais qui fermentaient dans son cœur pour l’amener à commettre la mauvaise action qui devait perdre irrémédiablement et du même coup d’Assas et Mme d’Étioles dans l’esprit du roi.


Elle fit le récit de la nuit épouvantable qu’elle passa à la suite de cette mauvaise action.


Elle dit le chagrin ressenti, les remords dont elle était envahie au moment où d’Assas lui était apparu et comment sa vue fixa toutes ses irrésolutions et la décida à sauver coûte que coûte celui qu’elle avait voulu perdre la veille; comment les exhortations du poète frappèrent vivement son esprit et comment, ces exhortations lui rappelant les paroles du comte de Saint-Germain, elle résolut de tenter la démarche qu’elle faisait, de renoncer à la lutte dans laquelle on l’avait engagée, de partir, de se faire oublier et de racheter ses fautes passées en se sacrifiant elle-même à son amour, en consacrant enfin sa modeste fortune à élever dignement sa petite sœur.


– Maintenant que vous savez tout, dit-elle en terminant, jugez-moi… et ne soyez pas trop sévère… Il me reste encore à vous apprendre où se trouve Mme d’Étioles et…


À ce moment la porte s’ouvrit violemment et Jean fit irruption dans la pièce en disant d’une voix étranglée:


– Alerte!… monsieur le chevalier, on vient vous arrêter!…


Ces paroles produisirent l’effet d’un coup de foudre.


La comtesse devint pâle comme une morte et fut saisie d’un tremblement nerveux.


D’Assas et Crébillon échangèrent à son adresse un rapide et significatif coup d’œil.


Le poète murmura entre haut et bas:


– Ah! les femmes!… les femmes!… quelles comédiennes!… Celle-ci paraissait pourtant bien sincère… et je crois, corbleu! qu’elle avait réussi à m’émouvoir…


D’Assas, lui, dit tout haut à Juliette qui le regardait avec des yeux démesurément hagards:


– Mes compliments, madame… vous avez admirablement joué votre rôle… Je me disais aussi: Est-il possible qu’une créature humaine ait tant de dévouement et d’abnégation? Évidemment c’est trop beau…


– Que voulez-vous dire, balbutia Juliette éperdue.


– Que, n’ayant pas voulu me livrer lorsque je me trouvais chez vous, pour des raisons qui m’échappent, vous êtes venue jouer ici une infâme comédie, pour donner le temps à votre acolyte, le comte du Barry, de venir me saisir…


– Le comte du Barry? interrogea la malheureuse qui sentait la folie l’envahir…


– Lui-même, madame, lui qui commande les soldats qui viennent ici… Voyez plutôt!


D’Assas, en parlant, s’était approché de la fenêtre et avait pu voir le comte qui paraissait, sinon commander, du moins diriger une troupe de soldats sous les ordres d’un officier.


D’un bond la jeune femme fut près de lui et s’assura par elle-même qu’il ne se trompait pas.


Elle passa sa main sur son front où perlait une sueur froide et murmura, terrifiée:


– Le comte!…


– En personne, madame… mais, vrai Dieu! il ne me tient pas encore, et puisque la correction que je lui ai administrée ne lui suffit pas…


– Et vous croyez que c’est moi qui l’ai amené ici?… moi?… dit Juliette avec une douloureuse indignation.


Sans répondre, d’Assas tourna le dos et alla chercher son épée et ses pistolets posés sur une chaise.


La comtesse ne trouva pas un mot de protestation.


Cette accusation imprévue l’assommait littéralement.


Elle sentait vaguement, du reste, que cette extraordinaire intervention de celui dont elle portait le nom, au moment précis où elle se trouvait chez d’Assas, devait paraître louche et qu’il lui était impossible de se justifier pour le moment.


Que dire, en effet?


Par un sentiment de délicatesse qui se tournait maintenant contre elle, elle avait, dans le long et douloureux récit qu’elle venait de faire, volontairement omis de citer aucun nom.


Elle voulait bien renoncer à la lutte, mais elle ne voulait pas paraître dénoncer et livrer ceux qui l’avaient engagée et soutenue dans cette lutte.


Écrasée de honte et de douleur devant cette soudaine et irréfutable accusation, elle poussa un soupir douloureux et s’affaissa évanouie sur le parquet.


Sans s’occuper d’elle, d’Assas examinait froidement ses armes.


Mais le valet, Jean, qui paraissait trépigner d’impatience, lui dit:


– Vite, monsieur le chevalier, suivez-moi…


– Et où cela, mon ami? demanda le chevalier assez étonné.


– Vous le verrez… mais, pour Dieu, dépêchons, monsieur; dans quelques secondes il sera trop tard… Monsieur de Crébillon, tâchez de gagner quelques minutes, je réponds de tout…


Jean parlait avec une telle assurance que le poète, gagné par cette confiance, répondit:


– Allez, chevalier, allez vite… Je me charge de retenir pendant quelques instants ceux qui vous cherchent.


– Venez, monsieur, suivez-moi, reprit Jean.


– Soit, répondit d’Assas, qui, sans plus discuter, s’élança à la suite du valet de Saint-Germain qui lui montrait le chemin.


Quelques instants plus tard, le poète entendait des pas nombreux dans l’escalier, et la voix de l’hôtelier, qui, tremblant de frayeur, disait, d’ailleurs avec la plus entière bonne foi, car il n’avait jamais vu d’Assas:


– Mais, monsieur l’officier, je vous jure que la personne que vous cherchez ne loge pas chez moi.


– C’est ce que nous allons voir, répondait une voix… Je vais fouiller la maison, je verrai bien si vous dites vrai…


– Ah! Seigneur! quelle aventure!… geignait l’hôtelier.


Crébillon n’en écouta pas davantage et, jugeant le moment venu d’intervenir, il ouvrit la porte et demanda avec son plus gracieux sourire:


– Qu’y a-t-il donc?… D’où vient tout ce vacarme?


L’officier s’avança et dit, après avoir consulté d’un coup d’œil le comte du Barry, qui répondit par un signe de tête négatif:


– Monsieur, nous recherchons M. le chevalier d’Assas pour l’appréhender au corps… J’ai reçu l’ordre de fouiller cette maison… Permettez-nous donc de pénétrer chez vous et de nous assurer que celui que je cherche n’y est pas…


J’ajoute, d’ailleurs, qu’au cas où cette visite ne vous conviendrait pas, je me verrais contraint, à mon grand regret, de me passer de votre permission…


– À Dieu ne plaise, monsieur, qu’il me vienne à l’idée d’empêcher un loyal officier de Sa Majesté d’exécuter sa consigne… Celui que vous dites n’est pas chez moi… Entrez, monsieur, et assurez-vous-en par vous-même… accomplissez votre mission…


L’officier, voyant que cet inconnu s’exprimait comme un homme de qualité et en sujet docilement soumis aux ordres de son roi, s’inclina très poliment, et sans doute avait-il des instructions précises, car il s’effaça devant du Barry qui entra le premier.


Pendant ce temps, la comtesse, remise de son évanouissement, s’était traînée vers un fauteuil dans lequel elle s’était assise, ses jambes refusant de la soutenir.


La première personne que du Barry vit en mettant le pied dans la chambre, fut donc la comtesse, qui le regardait s’approcher avec des yeux où se lisaient la terreur et l’angoisse.


À la vue de la comtesse, du Barry tressaillit violemment et, sans dire un mot, s’approchant d’elle vivement, il se plaça devant elle de façon à la masquer le plus possible.


De son côté, la jeune femme, soit par crainte réelle, soit qu’elle eût compris l’intention du comte, avait enfoui son visage dans son mouchoir et pleurait silencieusement.


En sorte qu’il eût été impossible à l’œil le plus perçant de pénétrer les traits de la femme qui pleurait dans ce fauteuil.


L’officier, à qui cette manœuvre avait échappé, avait du premier coup d’œil aperçu la jeune femme et il en avait conclu que sa visite intempestive venait interrompre un duo d’amour.


Aussi, jetant sur le poète un coup d’œil égrillard, il dit avec un sourire entendu et un furtif coup d’œil à l’adresse de la comtesse:


– Excusez-moi, monsieur, mais ma consigne est rigoureuse et formelle… Néanmoins, j’abrégerai autant qu’il sera en mon pouvoir et vous laisserai continuer votre… entretien…


Crébillon s’inclina à son tour et, toujours aimable, répondit:


– Faites ce que vous avez à faire.


Discrètement, l’officier, pendant que ses hommes fouillaient partout, affecta de ne pas remarquer la présence de cette femme.


La visite terminée, l’officier allait se retirer, lorsque du Barry s’approcha de lui et lui dit à voix basse quelques mots qui parurent le surprendre.


Néanmoins, il s’inclina devant l’ordre qu’on venait de lui donner, et, s’adressant à Crébillon, il dit:


– Encore une fois, monsieur, excusez la rigueur des ordres que je suis chargé de faire exécuter… Je dois laisser deux sentinelles dans cette chambre, pendant que nous continuerons ailleurs nos recherches… Jusque-là, vous êtes mon prisonnier… Mais rassurez-vous, cette détention sera de courte durée…


Assez étonné et vaguement inquiet, le poète répondit néanmoins avec un calme apparent:


– Je suis à vos ordres, monsieur.


L’officier, après avoir fait un signe à deux hommes, sortit, suivi de du Barry et de toute sa troupe, et pendant qu’ils se faisaient ouvrir toutes les portes par l’hôte toujours geignant, pendant qu’ils visitaient minutieusement toutes les pièces, sondaient les matelas, regardaient sous les lits, fouillaient les armoires, et enfin inspectaient les combles et les caves dans tous leurs coins et recoins, les deux soldats restés dans la chambre s’étaient placés, l’arme au bras, l’un devant la porte, l’autre devant la fenêtre, et par leur présence empêchaient toute conversation entre le poète et Juliette.


Enfin, après avoir fouillé la maison de fond en comble, Crébillon entendit l’officier qui disait:


– Rien!… Vous aurez été mal renseigné, mon cher comte!…


Demi-tour! ajouta-t-il sur un ton de commandement. Au revoir, comte, envoyez-moi les deux hommes que j’ai laissés là-haut et rendez la liberté à ce brave homme que nous avons dérangé bien malencontreusement, à ce qu’il me paraît.


Crébillon respira.


Le chevalier avait donc pu fuir encore une fois.


Cependant une vague inquiétude le tenait encore et il se demandait ce que pouvait bien avoir à faire encore le comte du Barry, lorsque la porte s’ouvrit et celui-ci parut.


Sans dire un mot au poète, le comte fit signe aux deux soldats de partir et, s’approchant de Juliette défaillante, il dit simplement en lui offrant son bras:


– Venez, madame.


Machinalement elle obéit à l’injonction, se leva, prit le bras qu’on lui offrait et suivit du Barry, qui sortit comme il était entré, sans dire un mot, sans un salut, aux yeux ébahis de Crébillon tout déferré par cette attitude.


Lorsque le comte, emmenant Juliette, eut disparu, le brave Crébillon, revenu de sa stupeur, exhala sa mauvaise humeur par des retentissants jurons et de violentes invectives à l’adresse de celui qui venait de sortir.


– Que la fièvre quarte t’étouffe en route; oiseau de malheur, toi et ta traîtresse compagne!… Traîtresse?… Heu!… Est-ce bien sûr?… Pouvait-elle pas dire que d’Assas venait de fuir?… Elle ne l’a pas fait pourtant… pourquoi?…


Oui, mais qui sait si, maintenant que je ne suis plus là, elle ne parlera pas?… Pourtant elle paraissait sincère… Le diable emporte les femmes… Qui donc oserait rien affirmer avec cette engeance?…


Peut-être serait-il plus prudent de déguerpir… et de déménager tout doucement, jusqu’à ce que j’aie des nouvelles de d’Assas que je ne puis abandonner ainsi… En attendant, me voilà tout seul et ne sachant que faire… mordieu!…


À ce moment même la porte s’ouvrit encore une fois et Jean fit une entrée discrète.


Nous laisserons l’adroit et fidèle valet de Saint-Germain expliquer au poète comment il avait mené à bonne fin la tâche qu’il avait assumée de faire fuir le chevalier et nous suivrons le comte et sa pseudo-femme, après avoir expliqué toutefois, en quelques mots, l’intervention soudaine de du Barry accompagné d’une troupe de soldats chargés d’arrêter d’Assas.

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