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Chantal prit son service à l’heure habituelle. Comme elle s’étonnait de ne voir aucun client dans le bar, la patronne lui expliqua :

— Il y a une réunion ce soir sur la place. Réservée aux hommes.

Chantal comprit instantanément ce qui se passait.

— Tu as vraiment vu ce lingot d’or ? demanda la patronne.

— Oui. Mais vous auriez dû demander à l’étranger de l’apporter au village. S’il obtient ce qu’il veut, il est bien capable de décider de disparaître.

— Il n’est pas fou.

— Il est fou.

Soudain inquiète, la patronne monta en hâte à la chambre de l’étranger. Elle en redescendit quelques minutes plus tard.

— Il est d’accord. Il dit que l’or est caché dans la forêt et qu’il ira le chercher demain matin.

— Je pense que je ne dois pas travailler ce soir.

— Si. Tu dois respecter ton contrat.

La patronne aurait bien aimé évoquer la discussion à la sacristie pour voir la réaction de la jeune femme, mais elle ne savait comment aborder le sujet.

— Je suis choquée par tout ce qui arrive, dit-elle. En même temps, je comprends que, le cas échéant, les gens aient besoin de réfléchir deux, trois fois à ce qu’ils doivent faire.

— Ils auront beau réfléchir vingt, cent fois, ils n’auront pas le courage de mettre leur idée à exécution.

— C’est possible. Mais s’ils décidaient d’agir, qu’est-ce que tu ferais ?

Chantal comprit que l’étranger était bien plus proche de la vérité qu’elle-même, qui pourtant vivait depuis longtemps à Bescos. Une réunion sur la place ! Dommage que la potence ait été démontée.

— Qu’est-ce que tu ferais ? insista la patronne.

— Je ne vais pas répondre à cette question, même si je sais exactement ce que je ferais. Je dirais simplement que le mal n’apporte jamais le bien. J’en ai fait l’expérience cet après-midi même.

La patronne de l’hôtel n’avait aucune envie de voir son autorité contestée, mais elle jugea prudent de ne pas discuter avec sa serveuse – susciter un climat d’animosité risquait de poser des problèmes à l’avenir.

— Occupe-toi comme tu peux. Il y a toujours quelque chose à faire, dit-elle, et elle laissa Chantal seule dans le bar.

Elle était tranquille : la demoiselle Prym ne montrait aucun signe de révolte, même après avoir été informée de la réunion sur la place, indice d’un bouleversement du cours des événements à Bescos. Cette fille elle aussi avait grand besoin d’argent, elle avait sûrement envie de vivre une autre vie, envie de rejoindre ses amis d’enfance partis réaliser leurs rêves ailleurs.

Et, si elle n’était pas disposée à coopérer, au moins semblait-elle ne pas vouloir intervenir.

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