2


L'hôtel était à la fois un magasin de produits régionaux, un restaurant qui proposait une cuisine typique et un bar où les habitants de Bescos se réunissaient pour ressasser les mêmes choses – comme le temps qu’il fait ou le manque d’intérêt des jeunes pour le village. « Neuf mois d’hiver et trois mois d’enfer », disaient-ils, forcés qu’ils étaient de faire en quatre-vingt-dix jours seulement tout le travail des champs : labourer, semer, attendre, récolter, engranger le foin, engraisser, tondre la laine. Tous ceux qui vivaient là connaissaient leur acharnement à vivre dans un monde révolu. Cependant, il n’était pas facile d’accepter l’évidence : ils faisaient partie de la dernière génération d’agriculteurs et de pasteurs qui peuplaient ces montagnes depuis des siècles. Bientôt, les machines arriveraient, le bétail serait élevé ailleurs, avec des aliments spéciaux, le village serait peut-être vendu à une grande entreprise ayant son siège à l’étranger, qui le transformerait en station de ski. Cela s’était déjà passé dans d’autres bourgs de la région, mais Bescos résistait – parce qu’il avait une dette envers son passé, compte tenu de la forte tradition des ancêtres qui y avaient habité et qui leur avaient appris combien il est important de se battre jusqu’au bout.


L’étranger, après avoir lu attentivement la fiche d’hôtel, décida comment la remplir. À son accent, ils sauraient qu’il venait d’un vague pays d’Amérique du Sud. Il choisit l’Argentine car il aimait beaucoup son équipe de football. Il devait mettre son adresse, il écrivit rue de Colombie, en déduisant que les Sud-Américains avaient coutume de se rendre mutuellement hommage en donnant à des lieux importants les noms de pays voisins.

Nom : il choisit celui d’un célèbre terroriste du siècle dernier…

En moins de deux heures, la totalité des deux cent quatre-vingt-un habitants de Bescos était déjà au courant qu’un étranger appelé Carlos, né en Argentine, domicilié dans la paisible rue de Colombie à Buenos Aires, venait d’arriver au village. C’est l’avantage des très petites bourgades : aucun effort n’est nécessaire pour très vite tout savoir de la vie de chacun.

Ce qui était, d’ailleurs, l’intention du nouveau venu.

Il monta dans sa chambre et vida le sac à dos : quelques vêtements, un rasoir électrique, une paire de chaussures de rechange, des vitamines pour éviter les refroidissements, un gros cahier pour ses notes et onze lingots d’or pesant deux kilos chacun. Épuisé par la tension, la montée et le poids qu’il avait coltiné, il s’endormit presque aussitôt. Mais après avoir pris soin de barricader sa porte avec une chaise, même s’il savait qu’il pouvait faire confiance à chacun des deux cent quatre-vingt-un habitants de Bescos.

Le lendemain, il prit son petit déjeuner, laissa des vêtements à la réception du petit hôtel pour les faire nettoyer, remit les lingots d’or dans le sac à dos et se dirigea vers la montagne située à l’est du village. En chemin, il ne vit qu’un seul de ses habitants, une vieille dame, assise devant sa maison, qui l’observait d’un œil curieux.

Il s’enfonça dans la forêt, attendit que son oreille s’habitue au bruissement des insectes, des oiseaux et du vent qui fouettait les branches défeuillées. Il savait que, dans un endroit pareil, il pouvait être observé à son insu. Pendant près d’une heure il ne bougea pas.

Une fois assuré qu’un éventuel observateur, gagné par la fatigue, serait parti sans aucune nouvelle à raconter, il creusa un trou près d’un rocher en forme de Y, où il cacha un lingot. Il monta un peu plus haut, s’attarda une heure comme s’il contemplait la nature, plongé dans une profonde méditation ; il aperçut un autre rocher – celui-ci ressemblait à un aigle – et creusa un second trou où il enfouit les dix autres lingots d’or.

La première personne qu’il aperçut sur le chemin du retour était une jeune femme assise sur la rive d’une des nombreuses rivières intermittentes de la région, formées lors de la fonte des neiges. Elle leva les yeux de son livre, remarqua sa présence, reprit sa lecture. Sa mère certainement lui avait appris à ne jamais adresser la parole à un étranger.

Les étrangers, toutefois, lorsqu’ils arrivent dans une nouvelle ville, ont le droit de tenter de se lier d’amitié avec des inconnus, et il s’approcha donc.

— Bien le bonjour, dit-il. Il fait plutôt chaud pour cette période de l’année.

Elle acquiesça d’un signe de tête.

L’étranger insista.

— J’aimerais que vous veniez découvrir quelque chose.

Bien élevée, elle posa son livre, lui tendit la main et se présenta :

— Je m’appelle Chantal. Le soir, je travaille au bar de l’hôtel où vous êtes logé. J’ai trouvé étrange que vous ne soyez pas descendu dîner, l’hôtel vit non seulement de la location des chambres mais de tout ce que consomment les clients. Vous êtes Carlos, argentin, vous habitez rue de Colombie, tout le monde au village est déjà au courant, parce qu’un homme qui débarque ici en dehors de la saison de la chasse est toujours un objet de curiosité.

« Un homme d’environ cinquante ans : cheveux gris, regard de quelqu’un qui a beaucoup vécu. »

— Quant à votre invitation, je vous remercie, mais j’ai déjà regardé le paysage de Bescos sous tous les angles possibles et imaginables. Peut-être vaut-il mieux que je vous montre moi-même des endroits que vous n’avez jamais vus, mais je suppose que vous devez être très occupé.

— J’ai cinquante-deux ans, je ne m’appelle pas Carlos, tous les renseignements que j’ai fournis sont faux.

Chantal ne sut que répondre. L’étranger enchaîna :

— Ce n’est pas Bescos que je veux vous montrer. C’est quelque chose que vous n’avez jamais vu.

Elle avait déjà lu beaucoup d’histoires de jeunes filles qui décident de suivre un homme au cœur d’une forêt et qui disparaissent sans laisser de traces. La peur la saisit un instant. Mais une peur vite éclipsée par une sensation d’aventure. Finalement, cet homme n’oserait rien lui faire, car elle venait de lui dire que tous au village étaient au courant de son existence, même si les renseignements qu’il avait donnés ne correspondaient pas à la réalité. D’ailleurs, les catastrophes n’arrivent que la nuit – tout au moins dans les romans.

— Qui êtes-vous ? Si ce que vous me dites maintenant est vrai, sachez que je peux vous dénoncer à la police pour fausse déclaration d’identité !

— Je répondrai à toutes vos questions, mais d’abord venez avec moi. Je veux vous montrer quelque chose. C’est à cinq minutes d’ici.

Chantal ramassa son livre, respira à fond et pria silencieusement, tandis que dans son cœur se mêlaient excitation et peur. Puis elle se leva et suivit l’étranger. Elle était sûre que ce serait encore un moment de frustration dans sa vie. Cela commençait toujours par une rencontre pleine de promesses pour finir une fois de plus par l’écho d’un rêve d’amour impossible.

L’homme grimpa jusqu’à la pierre en forme de Y, montra la terre fraîchement remuée et lui demanda de chercher ce qui était enterré là.

— Je vais me salir les mains, dit Chantal. Je vais salir mes vêtements.

L’homme prit une branche, la cassa et la lui tendit pour qu’elle fouille le sol avec. Elle fut si surprise par ce geste qu’elle décida de faire ce qu’il lui demandait.

Quelques minutes plus tard apparut devant elle le lingot jaune, souillé de terre.

— On dirait de l’or.

— C’est de l’or. C’est à moi. S’il vous plaît, recouvrez-le.

Elle obéit. L’homme la conduisit jusqu’à l’autre cachette. De nouveau elle se mit à creuser. Cette fois, elle fut surprise par la quantité d’or étalé devant ses yeux.

— C’est aussi de l’or. C’est aussi à moi, dit l’étranger.

Chantal allait recouvrir l’or avec la terre lorsqu’il lui demanda de n’en rien faire. Assis sur une pierre, il alluma une cigarette et regarda l’horizon.

— Pourquoi m’avez-vous montré ça ?

Il ne dit mot.

— Qui êtes-vous, enfin ? Qu’est-ce que vous faites ici ? Pourquoi m’avez-vous montré ça, sachant que je peux raconter à tout le monde ce qui est caché dans cette montagne ?

— Trop de questions à la fois, répondit l’étranger, les yeux rivés sur les hauteurs, comme s’il ignorait sa présence.

— Vous m’avez promis que si je vous suivais, vous répondriez à mes questions.

— Tout d’abord, ne croyez pas aux promesses. Le monde en est plein : richesse, salut éternel, amour infini. Certaines personnes se croient capables de tout promettre, d’autres acceptent n’importe quoi qui leur garantisse des jours meilleurs. Ceux qui promettent et ne tiennent pas parole se sentent impuissants et frustrés ; de même ceux qui s’accrochent aux promesses.

Il devenait prolixe. Il parlait de sa propre vie, de la nuit qui avait changé son destin, des mensonges qu’il avait été obligé de croire parce que la réalité était inacceptable. Il devait parler le langage de la jeune fille, un langage qu’elle puisse comprendre.

Chantal, en tout cas, comprenait presque tout. Comme tous les hommes mûrs, il ne pensait qu’au sexe avec un être plus jeune. Comme tout être humain, il pensait que l’argent peut tout acheter. Comme tout étranger, il était sûr que les petites provinciales étaient assez ingénues pour accepter n’importe quelle proposition, réelle ou imaginaire, pourvu que cela signifie ne serait-ce qu’une occasion de partir à plus ou moins longue échéance.

Il n’était pas le premier et, malheureusement, ne serait pas le dernier à essayer de la séduire aussi grossièrement. Ce qui la troublait, c’était la quantité d’or qu’il lui offrait. Elle n’avait jamais pensé valoir autant et cela tout à la fois lui plaisait et lui faisait peur.

— Je suis trop vieille pour croire à des promesses, répondit-elle pour essayer de gagner du temps.

— Mais vous y avez toujours cru et vous continuez à le faire.

— Vous vous trompez. Je sais que je vis au paradis, j’ai déjà lu la Bible et je ne vais pas commettre la même erreur qu’Ève, qui ne s’est pas contentée de ce qu’elle avait.

Bien sûr que ce n’était pas vrai. Maintenant elle commençait à être préoccupée : et si l’étranger se désintéressait d’elle et s’en allait ? A vrai dire, elle avait elle-même tissé la toile et provoqué leur rencontre dans la forêt. Elle s’était placée à l’endroit stratégique par où il passerait à son retour, de façon à avoir quelqu’un avec qui bavarder, peut-être encore une promesse à entendre, quelques jours à rêver d’un possible nouvel amour et d’un voyage sans retour très loin de sa vallée natale. Son cœur avait déjà été blessé plusieurs fois, mais malgré tout elle continuait de croire qu’elle rencontrerait l’homme de sa vie. Au début, elle avait voulu le choisir, mais maintenant elle sentait que le temps passait très vite et elle était prête à quitter Bescos avec le premier homme qui serait disposé à l’emmener, même si elle n’éprouvait rien pour lui. Certainement elle apprendrait à l’aimer – l’amour aussi était une question de temps.

L’homme interrompit ses pensées :

— C’est exactement cela que je veux savoir. Si nous vivons au paradis ou en enfer.

Très bien, il tombait dans le piège.

— Au paradis. Mais celui qui vit trop longtemps dans un endroit parfait finit par s’ennuyer.

Elle avait lancé le premier appât. En d’autres termes, elle avait dit : « Je suis libre, je suis disponible. » Lui, sa prochaine question serait : « Comme vous ? »

— Comme vous ? demanda l’étranger.

Elle devait être prudente – qui a grand-soif ne court pas à la fontaine. Sinon, il pourrait s’effaroucher.

— Je ne sais pas. Tantôt je pense que oui, tantôt je me dis que mon destin est ici et que je ne saurais vivre loin de Bescos.

Deuxième étape : feindre l’indifférence.

— Bon, puisque vous ne me racontez rien sur l’or que vous m’avez montré, merci pour la promenade. Je retourne à ma rivière et à mon livre.

— Attendez !

L’homme avait mordu à l’appât.

— Bien sûr que je vais vous expliquer pourquoi cet or se trouve là. Sinon, pourquoi vous aurais-je amenée jusqu’ici ?

Sexe, argent, pouvoir, promesses… Mais Chantal arbora la mine de quelqu’un qui attend une surprenante révélation. Les hommes éprouvent un étrange plaisir à se sentir supérieurs, ils ignorent que la plupart du temps ils se comportent de façon totalement prévisible.

— Vous devez avoir une grande expérience de la vie, vous pouvez m’apprendre beaucoup.

Parfait. Relâcher un peu la tension, faire un petit compliment pour ne pas effrayer la proie, c’est une règle importante.

— Néanmoins, vous avez la très mauvaise habitude, au lieu de répondre à une simple question, de faire de longs sermons sur les promesses ou la façon d’agir dans la vie. Je resterai avec grand plaisir si vous répondez aux questions que je vous ai déjà posées : Qui êtes-vous ? Qu’est-ce que vous faites ici ?

L’étranger détourna son regard des montagnes et le posa sur la jeune femme en face de lui. Il avait affronté pendant des années toutes sortes d’êtres humains et il savait – presque sûrement – ce qu’elle pensait. Certainement elle croyait qu’il lui avait montré l’or pour l’impressionner par sa richesse. De même, elle essayait de l’impressionner par sa jeunesse et son indifférence.

— Qui suis-je ? Eh bien, disons que je suis un homme qui cherche une vérité. J’ai fini par la trouver en théorie, mais jamais je ne l’ai mise en pratique.

— Quelle sorte de vérité ?

— Sur la nature de l’homme. J’ai découvert que, si nous avons le malheur d’être tentés, nous finissons par succomber. Selon les circonstances, tous les êtres humains sont disposés à faire le mal.

— Je pense…

— Il ne s’agit pas de ce que vous pensez, ni de ce que je pense, ni de ce que nous voulons croire, mais de découvrir si ma théorie est valable. Vous voulez savoir qui je suis ? Je suis un industriel très riche, très célèbre. J’ai été à la tête de milliers d’employés, j’ai été dur quand il le fallait, bon quand je le jugeais nécessaire. Quelqu’un qui a vécu des situations dont les gens n’imaginent même pas l’existence et qui a cherché, au-delà de toute limite, aussi bien le plaisir que la connaissance. Un homme qui a connu le paradis alors qu’il se considérait enchaîné à l’enfer de la famille et de la routine. Et qui a connu l’enfer dès qu’il a pu jouir du paradis de la liberté totale. Voilà qui je suis, un homme qui a été bon et méchant toute sa vie, peut-être la personne la plus apte à répondre à la question que je me pose sur l’essence de l’être humain – et voilà pourquoi je suis ici. Je sais ce que vous voulez maintenant savoir.

Chantal sentit qu’elle perdait du terrain. Il fallait se reprendre rapidement.

— Vous pensez que je vais vous demander : Pourquoi m’avez-vous montré l’or ? En réalité, ce que je veux vraiment savoir, c’est pourquoi un industriel riche et célèbre vient à Bescos chercher une réponse qu’il peut trouver dans des livres, des universités ou tout simplement en consultant un philosophe renommé.

La sagacité de la jeune fille eut l’heur de plaire à l’étranger. Bien, il avait choisi la personne idoine – comme toujours.

— Je suis venu à Bescos avec un projet précis. Il y a longtemps, j’ai vu une pièce de théâtre d’un auteur qui s’appelle Dürrenmatt, vous devez le connaître…

Ce sous-entendu était une simple provocation. Cette jeune fille n’avait sûrement jamais entendu parler de Dürrenmatt et maintenant elle allait afficher de nouveau un air détaché comme si elle savait de qui il s’agissait.

— Continuez, dit Chantal, se comportant exactement comme l’étranger l’avait imaginé.

— Je suis content que vous le connaissiez, mais permettez-moi de vous rappeler de quelle pièce de théâtre je parle.

Et il pesa bien ses mots, son propos manifestait moins du cynisme que la fermeté de celui qui savait qu’elle mentait implicitement.

— Une femme revient dans une ville, après avoir fait fortune, uniquement pour humilier et détruire l’homme qui l’a rejetée quand elle était jeune. Toute sa vie, son mariage, sa réussite financière n’ont été motivés que par le désir de se venger de son premier amour.

« J’ai alors forgé mon propre jeu : me rendre dans un endroit écarté du monde, où tous contemplent la vie avec amour, paix, compassion, et voir si je réussis à leur faire enfreindre certains des commandements essentiels.

Chantal détourna son visage et regarda les montagnes. Elle savait que l’étranger s’était rendu compte qu’elle ne connaissait pas cet écrivain et maintenant elle avait peur qu’il l’interroge sur les commandements essentiels. Elle n’avait jamais été très dévote, elle n’avait aucune idée sur ce sujet.

— Dans ce village, tous sont honnêtes, à commencer par vous, poursuivit l’étranger. Je vous ai montré un lingot d’or qui vous donnerait l’indépendance nécessaire pour vous en aller parcourir le monde, faire ce dont rêvent toujours les jeunes filles dans les petites bourgades isolées. Le lingot va rester là. Vous savez qu’il est à moi, mais vous pourrez le voler si vous en avez l’envie. Et alors vous enfreindrez un commandement essentiel : « Tu ne voleras pas. »

La jeune fille cessa de regarder la montagne et fixa l’étranger.

— Quant aux dix autres lingots, ils suffiraient à ce que tous les habitants du village n’aient plus besoin de travailler le restant de leurs jours, ajouta-t-il. Je ne vous ai pas demandé de les recouvrir car je vais les déplacer dans un lieu connu de moi seul. Je veux que, à votre retour au village, vous disiez que vous les avez vus et que je suis disposé à les remettre aux habitants de Bescos s’ils font ce qu’ils n’ont jamais envisagé de faire.

— Par exemple ?

— Il ne s’agit pas d’un exemple, mais de quelque chose de concret. Je veux qu’ils enfreignent le commandement : « Tu ne tueras pas. »

— Pourquoi ?

La question avait fusé comme un cri.

L’étranger remarqua que le corps de la jeune femme s’était roidi et qu’elle pouvait partir à tout moment sans entendre la suite de l’histoire. Il devait lui confier rapidement tout son plan.

— Mon délai est d’une semaine. Si, au bout de sept jours, quelqu’un dans le village est trouvé mort – ce peut être un vieillard improductif, un malade incurable ou un débile mental à charge, peu importe la victime –, cet argent reviendra aux habitants et j’en conclurai que nous sommes tous méchants. Si vous volez ce lingot d’or mais que le village résiste à la tentation, ou vice versa, je conclurai qu’il y a des bons et des méchants, ce qui me pose un sérieux problème, car cela signifie qu’il y a une lutte au plan spirituel et que l’un ou l’autre camp peut l’emporter. Croyez-vous en Dieu, au surnaturel, aux combats entre anges et démons ?

La jeune femme garda le silence et, cette fois, il comprit qu’il avait posé la question au mauvais moment, courant le risque qu’elle lui tourne le dos sans le laisser finir. Trêve d’ironie, il fallait aller droit au but :

— Si, finalement, je quitte la ville avec mes onze lingots d’or, ce sera la preuve que tout ce en quoi j’ai voulu croire est un mensonge. Je mourrai avec la réponse que je ne voulais pas recevoir, car la vie me sera plus légère si j’ai raison – et si le monde est voué au mal.

« Même si ma souffrance sera toujours la même », pensa-t-il.

Les yeux de Chantal s’étaient emplis de larmes. Cependant, elle trouva encore la force de se contrôler.

— Pourquoi faites-vous cela ? Pourquoi mon village ?

— Il ne s’agit ni de vous ni de votre village. Je ne pense qu’à moi : l’histoire d’un homme est celle de tous les hommes. Je veux savoir si nous sommes bons ou méchants. Si nous sommes bons, Dieu est juste. Il me pardonnera pour tout ce que j’ai fait, pour le mal que j’ai souhaité à ceux qui ont essayé de me détruire, pour les décisions erronées que j’ai prises aux moments les plus importants, pour cette proposition que je vous fais maintenant – puisqu’il m’a poussé sur le versant de l’ombre.

« Si nous sommes méchants, alors tout est permis. Je n’ai jamais pris de décision erronée, nous sommes déjà condamnés, et peu importe ce que nous faisons dans cette vie – car la rédemption se situe au-delà des pensées ou des actes de l’être humain.

Avant que Chantal ne se décide à partir, il ajouta :

— Vous pouvez décider de ne pas collaborer. Dans ce cas, je révélerai à tous que je vous ai donné la possibilité de les aider et que vous vous y êtes refusée. Alors, je leur ferai moi-même la proposition. S’ils décident de tuer quelqu’un, il est probable que vous serez la victime.

Загрузка...