CHAPITRE IX DANS LEQUEL JE ME HISSE AU NIVEAU DES PLUS GRANDS POLICIERS DE L’HISTOIRE ! !

— Refilez-moi la clé de la chambre d’Hans Burger, enjoins-je au portier. Dans quelques instants, la dame va arriver ; dites-lui que je l’attends chez moi, vu ? Et surtout pas de fausse manœuvre car alors, si vous n’avez pas de dentier, vous seriez obligé d’en porter un à partir de tout à l’heure !

Il commence à prendre l’habitude de mes manières et ne s’en offusque pratiquement plus. Il me tend sans mot causer la clé du 718. Je lui ordonne de me composer le numéro de la maison Poulardin et de me refiler la communication dans « ma » chambre.

Le ronfleur du bigophone retentit au moment où j’entre. Je décroche et je dis au standardiste de la Grande Cabane de me brancher Bérurier. J’ai l’individu réclamé. Pas d’erreur, c’est bien lui, je reconnais formellement le borborygme qu’il libère en décrochant.

— Ah bon, c’est toi, fait-il. Qu’est-ce tu maquilles ? Je t’attends !

— J’ai du boulot. Tu vas foncer chez Virginie Baume. Il n’y aura probablement personne chez elle. Pénètre dans l’appartement d’une manière ou d’une autre ; au besoin assure-toi le concours d’un serrurier.

— Tu me prends pour une lavasse z’ou quoi ? demande froidement le Gros. Moi, un serrurier ? Mais mon pauvre bonhomme, Arsène Lupin, je le prends en dix serrures de sûreté et je le ridiculise !

— Bravo ! Alors fais ce que je t’ai dit. Fouille l’appartement. Peut-être y trouveras-tu, dans une position plus ou moins fâcheuse, Monica Mikaël. Tu te contenteras de la surveiller et tu attendras mon coup de fil, c’est tout !

— Message enregistré, mon capitaine, rétorque le gros. Eh ! que je t’annonce : Pinaud dort toujours.

— Tu es certain qu’il n’est pas mort ?

— T’as déjà entendu un mort ronfler commak ?

Il brandit vraisemblablement l’écouteur en direction de Pinuche, car je perçois un bruit de moteur à explosion.

— Laisse-le finir sa pioncette, c’est bon pour ses pertes de mémoire.

— Ce qu’il va avoir les crochets en se réveillant, depuis le temps qu’il a rien bouffé. A propos, je n’ai pas pris de blanquette à l’ancienne au restaurant. Elle était tellement ancienne que les gens de la rue entraient pour demander si y avait pas une rupture de canalisation dans la crèche. J’ai préféré me cogner une escalope milanaise elle…

Mais j’ai déjà raccroché. Eh bien m’en prend, car à peine mon tubophone est-il raccroché que la sonnerie se remet à gazouiller. Le portier me dit :

— Mme Virginie, monsieur Burger !

Allons, il est réglo, il aura droit à une poignée de pogne du commissaire. Comme ça il pourra raconter plus tard à ses petits-enfants (en admettant qu’il soit apte à se reproduire) que l’étonnant San-Antonio lui a malaxé les cartilages.

Je vais tirer les rideaux afin de plonger la chambre dans une pénombre propice. Ensuite de quoi j’ouvre en grand les robinets de la salle de bains. Puis je reviens me coller de l’autre côté de la porte, entre une armoire et le portrait en pied du Grand Carlos. Comme j’achève, on toque to the door. Je ne réponds rien. Le loquet tourne et Virginie Baume entre dans la pièce. Pendant trois dixièmes de seconde je me dis qu’elle va me voir, mais non. Elle referme, pousse le verrou et s’avance vers la salle de bains. Elle va pour ouvrir la porte, se ravise et, croyez-moi ou sinon allez vite vous faire scalper le Mohican, mais cette veuve d’un genre très particulier se met à se déloquer. Ça dure moins de temps qu’un éclair de chaleur dans le ciel d’une nuit d’été.

Ses vêtements de deuil gisent sur la moquette. Bing ! la bride du soutien-Georges lui bat l’épaule. Flic-vlloutt, l’élastique du slip coquin coule sur ses hanches et ses cuisses. La voilà aussi habillée qu’un œil de veau dans une assiette. D’un plongeon superbe elle se jette sur le pageot, s’y insinue et tire les couvrantes par-dessus sa tête.

Une drôle de petite mutine, hein ? Elle veut faire la bonne surprise (en anglais the good surprise) à son julot. La séance de gala, c’est tous les jours avec madame. Cette petite frangine, vous pouvez m’en croire, elle doit valoir son pesant de cantharide. L’essayer, c’est la doper !

Il est temps maintenant que le commissaire se mette en branle, si je puis me permettre une expression aussi osée.

Je m’avance jusqu’au lit, je m’y assieds, je coule une main fiévreuse sous les draps, je caresse des trucs dont à la longue et après réflexion, en me référant à des souvenirs, je pourrais déterminer la nature et la fonction.

Madame se trémousse. Vous parlez d’une centrale électrique miniature ! C’est Marcoule à elle toute seule !

— Dis-moi que tu m’aimes ! vibre-t-elle.

— Comment veux-tu que je te le dise pour que ça te fasse le plus d’effet : en français ou en allemand ? je demande.

Cette fois je n’ai pas déguisé ma voix. Elle atterrit vite fait et rabat les draps. La voici dressée sur un coude, les cheveux en désordre, les yeux exorbités à force de stupeur et d’effroi. Son visage devient livide.

— Bonjour, Nini, je gazouille.

Elle me reconnaît, mais ses pensées sont en vrac. Dans sa tronche, c’est comme dans un mixer en marche.

— Mais… Vous… Hans… Je…

— Ne vous prenez pas les pieds dans le porte-bagages, Trognon, pouffé-je.

— Qu’est-ce que ça veut dire ?

Elle réalise à contretemps sa nudité et, pudiquement, remonte le drap sur ses seins.

— Dommage, fais-je, ils figurent parmi les plus beaux qu’il m’ait été donné d’admirer.

Quelque apparence de couleurs lui remonte au visage.

— Je vous reconnais…

— Vous m’en voyez flatté.

— A Moisson… L’auto…

— Mais oui.

— Vous êtes le romancier.

— Exactement. Un romancier qui est avant tout commissaire, belle dame.

Cette fois elle commence à donner une orientation valable à ses esprits désordonnés.

— Je vous ai fait venir ici parce que j’ai pensé que l’endroit en valait un autre pour discuter le bout de gras, mon petit cœur.

In petto, comme disent les pétomanes ayant une culture latine, je suis frappé par le fait que dans cette affaire, la souris polissonne abonde. Depuis ma séance chez Monica, en passant par la virée chez Mercédès, je peux dire qu’il y a eu des moments pleins d’agrément. C’est du reste ce qui fait l’enchantement de mes ouvrages. Outre la vigueur du style, la beauté du langage, la poésie latente, la richesse d’expression, la philosophie discrète, l’humour sous-jacent et le non-conformisme courageux qu’ils recèlent, on est frappé, en les lisant, par la sensualité qui en émane.

Excusez-moi, mais il est bon, de temps à autre, de vous rappeler que vous n’avez pas plongé votre nez morveux dans n’importe quel ouvrage. Déjà Nostradamus me prophétisait, qui disait :

« Lorsque l’homme du lac aura disparu, se lèvera l’astre au nom texan qui éblouira lecteurs et lectrices au pays du Grand C. »

Ce qu’il convient de traduire par « Après Paul Bourget, San-Antonio commencera la remarquable carrière que vous savez au pays du Grand Condé ».

Mais, bref, comme disent les gens qui ont le sens de l’ellipse, revenons à nos moutons.

Pour l’instant, ils bêlent mes moutons, figurez-vous.

— Mais, mais… fait Virginie.

— Vous avez eu raison de vous mettre à l’aise, ma jolie, car on en a long comme un projet de désarmement à se dire.

— Où est Hans ?

— Je ne le connaissais pas suffisamment pour vous renseigner, pourtant tout m’incite à croire qu’il serait plutôt en enfer.

— Qu’est-ce que vous me racontez ? Mais parlez !

Elle s’anime, laisse retomber le drap. Les deux seins ocrés qui lui servent d’enjoliveurs à poumons se dressent brusquement et me font les cornes.

— Je dis que votre ami Hans a eu un gros pépin en perquisitionnant chez Monica. Sa tête est entrée en contact avec un derrière de bouteille. Comme l’inspecteur Bérurier tenait le goulot de ladite bouteille et qu’elle était solide, c’est le crâne de votre copain qui a volé en éclats. Il aurait mieux valu que ce fût du verre blanc, ça nous aurait porté bonheur…

— Hans est mort ! crie-t-elle.

— Aussi mort que votre mari, oui, ma choute, mais ça n’est pas une prise de judo qui l’a tué.

Oh ! Pardon ! L’effet que ça produit sur la madame, des paroles pareilles ! Elle ouvre grand son bec, clappe à vide, éternue un sanglot et porte ses jolies mains à sa jolie tête en un joli geste qui me découvre son joli buste jusqu’au socle.

— Ça vous épate, hein, môme, que j’en sache aussi long ?

— Vous mentez, bredouille-t-elle.

— Mais non. Je n’avance rien que je ne sois en mesure de prouver.

— Vous ne pouvez rien prouver vous…

— Je peux prouver, car le corps de votre cher défunt est dans un tiroir frigorifique. L’urne qu’on vous a montrée au Columbarium ne contient que de la cendre de cigare.

Cette fois, elle prend la mine terreuse, Virginie.

— Mais tout à l’heure, Hans, au téléphone…

— Tout à l’heure, au téléphone ! ricané-je.

Je reprends l’accent de Burger.

— Ich liebe Sie, susurré-je.

Elle abandonne tout espoir et éclate en sanglots.

— Ce n’est pas possible ! trépigne la belle enfant. Pas possible ! Oh ! non… Je ne veux pas, je ne veux pas !

J’essaie de la calmer en lui caressant tendrement l’épaule. Moi, vous me connaissez : toujours le cœur sur la main et la main où il ne faut pas. Mais ça déplaît à Médème qui, à bout de nerfs, me balance une mandale carabinée. J’en ai les gobilles qui se décrochent.

— Arrête ta crise, môme ! tonné-je, sinon je vais t’administrer un calmant qui t’empêchera de t’asseoir pendant les quarante années que tu vas sûrement passer en prison.

Elle se dresse.

— Qu’est-ce que vous dites ?

— La vérité du Bon Dieu, comme l’écrivent si puissamment les romanciers américains. Complicité de meurtre sur la personne de ton mari, sans parler du reste, tu te figures pas que les jurés vont te voter la croix de guerre avec palmes ?

J’enchaîne, voulant profiter de son désarroi.

— Et le reste, c’est quelque chose, hein !

Je suis d’autant plus sincère dans cette affirmation que j’ignore absolument ce dont il s’agit. Seulement c’est en affirmant les choses qu’on ignore qu’on parvient à les connaître. Cette tactique semblera un peu spécieuse à d’aucuns, mais je m’en balance, et je dirai même que ça tombe bien, vu que ces d’aucuns-là je les utilise à l’occasion comme papier hygiénique.

Elle est hébétée, la jolie Virginie. Son rimmel part en brioche. Ça lui donne un regard à la Charlot. Son rouge à lèvres ressemble à de la confiture de groseille. Elle hoquette et renifle.

J’en remets un peu pour l’amener à composition.

— On n’exécute plus les dames, en principe, mais je suis certain que tu te farciras la peine maximum. Le restant de tes jours, tu vas rempailler des chaises et ta beauté disparaîtra comme rosée au soleil. Remarque que la comparaison est mal choisie, vu que le soleil, en taule, on te le sert au compte-gouttes ou à travers une passoire.

Elle me considère mornement, comme si je n’avais pas plus de réalité et de présence que la gravure fixée au mur et qui illustre la rêverie d’un garçon coiffeur sur le mont Chauve.

Tout à coup, j’entends l’eau déborder dans la salle de bains. J’ai ouvert les robinets trop grands et la bonde de la baignoire, entraînée par la pression, a dû se reboucher. Toujours est-il que ça bouillonne sur le carrelage. Pas la peine de saccager l’hôtel. Je cours pour stopper l’inondation. C’est mon côté génie ! Sapeur et sans reproche comme toujours !

Je marche dans une immense flaque de flotte. Je tourne les robinets. Puis je reviens dans la chambre.

Mais c’est trop tard.

Déjà des mecs hurlent dans la rue. Les rideaux de la croisée grande ouverte, happés par le courant d’air, flottent à l’extérieur.

Je me précipite à la barre d’appui.

En bas il y a une tache claire cernée par un essaim de badauds avides.

Je réprime un petit frisson. La môme a choisi la solution idéale. Seulement elle est morte avant d’avoir parlé.

Ah ! Il est au point, le San-Antonio ! Quelle truffe j’ai été de l’abandonner une demi-minute ! Le roi des policiers en carton-pâte, voilà ce que je suis.

Ça va faire une sacrée bouillabaisse, cette petite aventure. D’autant plus que les loufiats du hall ne vont pas piger que cette femme se soit défenestrée en étant à loilpé. C’est mauvais pour mon standing. Déjà je perçois la petite musique de Police-Secours qui joue sur deux notes « Ça va barder ».

Quelle explication vais-je fournir aux collègues ? La vérité n’est pas croyable. Je m’emmène devant la glace et je me flanque un coup de pied au prose pour m’apprendre à vivre.

On tambourine à la porte. Je vais ouvrir. C’est plein d’esclaves en gilet rayé qui me demandent si c’est bien d’ici que…

Je leur réponds que oui.

J’aimerais être ailleurs.

N’importe où, mais ailleurs.

— Ne me regardez pas avec ces yeux-là, les gars, fais-je, impatienté. Il s’agit d’un suicide. La dame a eu une petite crise de conscience et c’est pour ça qu’elle est allée bouffer le trottoir pendant que j’avais le dos tourné.

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