Dans mon burlingue. Pinaud dort toujours. Je lui soulève une paupière et son regard laiteux me fait frissonner. Le pouls bat régulièrement. Le mieux, c’est de le laisser poursuivre sa virée au pays du cirage. Je grimpe au labo. J’y trouve le cadavre du docteur Baume sur une table. Il est seul, avec un drap sur le bide. Je me penche sur lui afin de faire sa connaissance.
— Salut, doc, murmuré-je, vous ne voulez vraiment pas me raconter ce qui vous est arrivé ?
Il boude.
C’est un homme d’une cinquantaine d’années. Il a le front dégarni, le nez fort ! Il est d’un vert bronze qui intéresserait un peintre.
La porte s’ouvre, et le rouquin du labo fait son entrée. Il tient un sandwich et une bouteille de bière. Il pose le tout près du mort sur la table d’autopsie et me tend sa main valeureuse.
— Bonsoir, monsieur le commissaire.
Son regard bleu marqué de roux a une petite lueur gourmande.
— Où en sommes-nous, fiston ? questionné-je.
— Momente ! dit-il.
Il va chercher un bouquin sur un rayon. C’est un traité sur les origines du judo.
— Lisez le second paragraphe de la page 28, monsieur le commissaire, recommande le Rouillé !
J’obéis. Dans ces lignes, il est décrit la manière dont les initiés peuvent mettre à mort un ennemi en provoquant un arrêt du cœur par simple pression du pouce sur la face externe du glotmuche condescendant.
Lorsque j’ai lu, il me fait signe d’approcher de la table. Il abaisse un peu le drap et me montre une petite tache bleuâtre sur le corps de Baume. Elle est large comme une pièce de vingt ronds et n’est visible que parce que le cadavre a une blancheur marmoréenne.
— Vous croyez que… ?
Le Rouquin hoche la tête.
— A quatre-vingt-quinze pour cent, commissaire. Cette tache n’est devenue apparente qu’à partir du troisième jour. Au moment de l’autopsie, les chairs possédaient encore une coloration qui l’atténuait, comprenez-vous ?
J’imagine la scène. C’est clair comme de l’aurochs.
Virginie Baume est en cheville avec Monica Mikaël pour l’accomplissement de je ne sais quelle sale combine. Le docteur Baume est au courant et risque de tout faire échouer. Virginie prévient Monica qui décide d’agir. La dame a des talents de société (je connais les plus agréables), entre autres celui de pouvoir provoquer un arrêt du cœur par l’application de certaine prise secrète. Elle essaie de mettre Baume à la raison, n’y parvient pas et l’envoie chez Plumeau.
— Ma petite démonstration vous satisfait, monsieur le commissaire ? demande le Rouillé en mordant dans son sandwich.
— Pleinement.
— Qu’est-ce que je dois faire du client ?
— Mettez-le au frais, le temps est à l’orage !
Je prends congé et je rentre chez ma bonne Félicie pour un dodo réparateur. La journée a été bien remplie, vous seriez gentils de le reconnaître !
— Tu veux du thé, du café ou du cacao, mon grand ?
Ma brave femme de mère se tient à mon chevet, toute proprette dans sa robe grise à col blanc. On dirait une vieille petite fille bien sage !
Du cacao, ça c’est une idée. Je pense à mon enfance, à des vacances dorées. Le temps passe, on fout de la boue et de la m… sur son âme d’enfant ; mais il suffit d’un bol de cacao pour qu’elle reprenne l’éclat du neuf un instant.
— Du cacao, m’man. Ça carbure, ce matin ?
— Mais oui. Tu déjeunes ici ?
— Sûrement pas.
— Tu n’as pas pris froid, au moins ?
— Pourquoi ?
— Au Groenland ?
— Mais non, penses-tu, maintenant, il est climatisé, le Groenland, avec les techniques modernes ! Quelle heure est-il ?
— Sept heures et demie.
— Avant de préparer mon cacao, tu veux bien téléphoner chez Bérurier pour lui demander de passer ici ?
— Tout de suite, mon grand.
Son pas menu — un pas de garde-malade, feutré et preste — descend l’escalier. Je flemmarde un instant, les bras noués derrière la tête. Il y a au plaftard une lézarde que j’aime bien. Elle représente la Corse, un peu stylisée. J’en fais le tour, puis je vais prendre ma douche et me raser.
J’achève mon cacao lorsque Sa Majesté Béru Ier radine. Croyez-moi ou allez vous faire déshonorer par les Grecs, mais il arbore un costume neuf. Et son costar, c’est pas celui de tout le monde, vous pouvez m’en croire !
Il est blanc avec des rayures noires. Avec ça sur les endosses, le Gros a autant de chances de passer inaperçu qu’un troupeau de bisons sauvages dans une verrerie de Murano.
— Tu nous étonneras toujours, Béru, le félicité-je avec une certaine émotion.
C’est beau, cette constance, dans l’impensable, mes amis. C’est grand, c’est généreux. Il reste fidèle à lui-même, le cher homme. Il se produit vaillamment, avec ses vents pour nous faire marrer et contre vent et marée.
— A cause de pourquoi tu dis ça ? demande-t-il.
— Ton costume, résumé-je. Je ne savais pas que ça existait ailleurs que chez le costumier du Châtelet, chez un obscur fripier de La Havane ou dans la garde-robe de Dario Moreno.
— J’ai eu un vase terrible ! exulte l’Enflure. Je voulais quèque chose d’élégant, qui fasse jeune. L’expérience d’hier, avec l’Opel, m’a prouvé que j’avais un don de séduction vachement meûmeû.
— Quelle Opel ? m’étonné-je.
— La fille chez qui qu’on a rendu visite. L’assistante, quoi !
— Tu veux dire Mercédès ?
— Excuse du peu, je m’ai gouré de marque. La façon dont je lui ai réussi son rodage de soupapes m’a fait piger que question Golfe-Juan je craignais personne.
— Qu’entends-tu par question Golfe-Juan ?
Il fronce ses beaux sourcils constellés de choses douteuses.
— Je veux dire don Juan, mande pardon, monseigneur. Alors avec toi, faut pas chahuter le patibulaire ou la grammaire. Ça en devient de la maniaquerie à la fin !
Revenant à son costar, il fait valoir les revers larges de trente bons centimètres.
— Mords la came, c’est de l’anglais.
— Il serait importé d’Elbeuf que ça ne m’étonnerait pas, renchéris-je.
— Ça se pourrait, affirme le Gravos avec force. Et t’as vu la coupe ? On dirait du sur-mesure. Avec la double fente par-derrière, mon prince.
Il relève le pan de sa veste.
— Avec ce système, je peux m’engager chez les Grecs, Gars ! On a le prose accessible. On me frappe dans le dos et je lève le rideau du magasin. Directement du producteur au consommateur !
Félicie, qui survient sur ces entrefesses, pousse une exclamation de surprise en découvrant le Gros dans cette tenue de scène.
— Monsieur Bérurier !
— Mes hommages du matin ! fait l’Immonde en s’inclinant. Puis, passant un pouce conquérant sous ses revers monstrueux :
— Vous qui êtes une dame, je vous prends à témouine. Comment trouvez-vous mon complet ?
— Magnifique, assure Félicie.
Le Gros écarte les pans.
— Vous avez vu la doublure ?
Elle est rose-savonnette.
— Un vrai coucher de soleil sur l’Adriatique, conviens-je.
M’man se retient de rire, parce que, vous le savez, c’est la générosité et la gentillesse personnifiées, Félicie. Elle dit que c’est beau, que c’est de bon goût, de bonne qualité, qu’elle aime, que ça va merveilleusement à Béru, qu’il fait sport là-dedans, qu’on lui donnerait dix ans de moins et qu’elle n’a jamais vu vêtement ayant autant de tact et une aussi bonne coupe.
En plein délire, le Gros nous fait une démonstration de braguette. La sienne ferme avec une fermeture Eclair.
— Ce costar, dit-il, il est avant tout fonctionnel. Et « hop » pour le derrière ; et « hop » pour le devant. Dans les deux cas un geste suffit suivant les mœurs de çui qui le met.
Tout en parlant, il fait aller et venir la fermeture.
— T’aurais pu mettre un slip, Gros ! sermonné-je.
Il se penche et examine par-dessus son ventre l’entrée du soupirail.
— Mince, fait-il, j’ai dû l’oublier chez le marchand.
Il se console pourtant assez vite.
— De toute manière il n’était plus mettable, dit-il, je l’avais acheté en 1948 et il fallait que je lui trouve un remplaçant.
Il pousse un cri.
— Qu’avez-vous ? s’inquiète m’man que ces évolutions de braguette gênent considérablement.
Le Gravos est devenu violet.
— C’est personnel, fait-il. Je viens de bloquer le fermoir avec un morceau de moi-même.
Il s’escrime un moment, suant et soufflant tandis que Félicie détourne pudiquement les yeux et que je pouffe de rire dans mon bol de cacao. A la fin, le Monstrueux stoppe ses efforts.
— Vous n’auriez pas une goutte d’huile ? demande-t-il.
M’man le drive jusqu’à sa cuistance. Quand le Mafflu en revient, il a une tache d’huile large comme un couvercle de lesssiveuse sur le devant.
— Voilà, annonce-t-il, radieux. Le petit malheur est réparé. Quel est le programme, baron ?
— On va faire une virée à Moisson.
— C’est où, ce bled ?
— Dans les Yvelines, plus loin que Mantes.
— Jockey ! s’écrie-t-il, joyeusement. Une virée à la cambrousse, aujourd’hui c’est l’idéal.
Sa partie de jambonneaux d’hier me paraît l’avoir considérablement dopé. Félicie lui propose un bol de café, mais le Gros déclare qu’il n’a pas eu le temps de prendre son petit déjeuner, et que, de ce fait, un verre de vin rouge et une tranche de saucisson à l’ail seraient les bienvenus. Félicie déplore de ne pas avoir de saucisson à l’ail. Elle propose un reste de tripes à la mode de Caen. Béru accepte d’enthousiasme.
Lorsqu’il a petit-déjeuné nous partons.
Il est dix plombes du mat lorsque nous stoppons sur la petite place de Moisson. A l’instant précis où nous descendons de bagnole, une voiture qui radine en sens inverse stoppe. Mme Baume en descend. Je me dis que si elle nous voit, Béru et moi, tout est fichu. Elle nous connaît l’un et l’autre. Et je ne voudrais pas qu’elle nous voie ensemble. Mais vous le savez, mes chéries : ma présence d’esprit a la rapidité de l’éclair. D’une secousse je propulse Béru par une petite porte latérale de l’église. Elle n’a pas eu le temps de nous repérer à cause d’un providentiel arc-boutant qui nous soustrayait à sa vue.
— Qu’est-ce que ça rime ? demande Béru. On est venu z’ici pour faire nos dévotions z’ou quoi ?
— T’as donc pas vu ? Mme Baume arrivait sur la place.
— Sans charre ?
— Textuel, Gros, elle…
Je n’achève pas. Un sonore grincement, suivi du bruit ample d’un pas sur les dalles du saint lieu retentissent. Je file un coup de périscope par-dessus les prie-Dieu alignés et j’aperçois cette démoniaque Virginie Baume qui vient de faire également son entrée dans la maison de Dieu. La lumière mauve d’un vitrail joue sur son visage. Ce qu’elle est belle, cette mignonne veuve, dans ces vêtements noirs ! Pourquoi est-elle entrée dans l’église ? Nous aurait-elle repérés, par hasard ?
Comme elle remonte l’allée centrale et qu’elle va donc, de ce fait, nous découvrir, je désigne à Béru le confessionnal. Il a pigé. Vite fait nous pénétrons dans la cabane aux péchés. Le Gros se fourre dans le compartiment du milieu, c’est-à-dire dans celui réservé au prêtre et que masque un rideau blanc. Moi, je m’agenouille dans l’un des deux autres destinés aux pénitents.
Un moment s’écoule. On entend le pas de la petite Médème qui arpente le temple. Puis la porte de l’église grince à nouveau.
Un second pas retentit. Les deux se rejoignent. Je coule un regard very curious à l’extérieur. J’aperçois un grand type blond, sanglé dans un imperméable clair. A l’autre bout de l’église, il discute à voix imperceptible avec Virginie.
Pendant que le couple chuchote, une paroissienne entre à son tour dans l’église, Elle vient tout droit au confessionnal et va se placer dans le compartiment resté libre. Je fais la grimace. Ça tourne mal, notre histoire. Du train où vont les choses on va se faire excommunier, le Gros et moi. C’est un truc qui ira jusqu’à Rome et Paul VI, qui n’a pas l’air d’un plaisantin, prendra les mesures qui s’imposent.
Là-bas, le couple se sépare déjà. L’homme sort de l’église par la petite porte que nous avons prise, nous, pour y pénétrer. Au bout d’un moment, Virginie Baume en fait autant, mais par la grande porte. Le moment est venu de filer. Seulement il y a cette pauvre pomme, dans le confessionnal, qui entend déballer son linge sale. Si elle voit sortir un curé en costar blanc à rayures noires, portant un bitos de feutre ramolli enfoncé sur le dôme et ayant une tache d’huile large comme le golfe du Lion sur le futal, elle va se dire que quelque chose ne tourne pas rond dans le clergé. D’accord, les prêtres maintenant peuvent se loquer en civil, pourtant ils n’en sont pas encore au travesti.
Béru, qui gamberge de la même façon, fait coulisser le petit judas qui nous sépare.
— Eh, Mec ! me chuchote-t-il, comment qu’on se taille de ce piège à c… ?
— Un peu de décence ! supplié-je. Je ne vois qu’un seul moyen de nous en sortir en douceur, bonhomme.
— Lequel quoi t’est-ce ?
— Confesse la dame !
Il a un petit barrissement amplifié par la voûte de l’édifice.
— Tu débloques, Gars !
— Mais non. Lorsqu’elle aura fait sa toilette intime, elle se débinera et nous pourrons en faire autant.
— Comment qu’on fait, je m’en rappelle plus, chuchote la pauvre Truffe éperdue. Quand je me confessais, au temps de ma première communion, j’étais de l’autre côté, tu comprends ?
— Improvise, Gars. T’as du génie, non ?
— Si le Bon Dieu nous voit, murmure le Mahousse, il doit pas nous avoir à la chouette en ce moment ! J’ai idée que les mauvais points s’additionnent là-haut.
Ayant dit, il fait coulisser le second trappon et se trouve de ce fait en communication avec la paroissienne.
— Alors, mon lapin, attaque-t-il, où ce qu’on en est ?
Un peu déconcertée, la pénitente marque un temps d’arrêt. Et puis elle se met à raconter ses petites histoires : elle a dit du mal de sa voisine dont elle jalouse la nouvelle voiture.
Le gros toussote.
— C’est pas bien, ça, mon chou. C’est quoi, comme bagnole ?
— Une Ami 6, répond la paroissienne, interloquée.
— Et c’est pour une malheureuse 3 chevaux que vous vous caillez le lait ! tonitrue ce curieux confesseur. L’Ami 6, qu’est-ce que c’est, je vous le demande ? Hmm ? Une 2 chevaux moins au point. La preuve, vous n’avez pas l’embrayage semi-automatique dessus ! D’accord, les sièges sont plus moelleux, mais le toit ouvrant, dites ? Où qu’il est le toit ouvrant, sur l’Ami 6 ? Faut un ouvre-boîtes si on veut en faire un ! Chercher des patins à sa voisine pour ça, je vous jure ! Après ?
La dame avoue avoir commis le péché de gourmandise. Elle avait accommodé un bon petit plat. Y avait des restes. Elle les a mangés toute seule en l’absence de son mari.
— Qu’est-ce que c’était, ce plat ? interroge le P. Béru.
— Un osso-bucco !
— Je dois dire, soupire le confesseur, plein de mansuétude, que c’est pas dégueulasse. Vous y mettez un jus d’orange, dans votre osso-bucco, naturellement ?
— Un jus d’orange ? s’étonne la dame.
— Vous n’en mettez pas ?
— Mais non, avoue-t-elle.
— Vous me direz trois Pater et trois Ave pour vous apprendre ! Continuons.
La dame marque un temps. Le Gros l’encourage.
— Eh ben, vous avez largué votre menteuse ?
— Ce que j’ai à confesser est délicat, balbutie la pauvrette. Du coup, ça l’intéresse, le Gros.
— Allez-y, voyons, faites pas votre chochote. J’ai l’habitude d’en entendre des salées, je vous le promets.
— J’ai trompé mon mari, lâche-t-elle dans un souffle.
— Oh ! la petite friponne, glousse l’Enflure. Racontez-moi voir un peu le topo !
Elle bredouille :
— C’est un représentant qui est venu hier dans le pays !
Le Gros ricane.
— Et c’est ses hommages qu’il représentait, le bandit !
— Non : de la literie.
— Tu parles d’un futé ! Alors ?
— Moi je venais de faire ma toilette, je n’avais qu’un peignoir sur le dos.
— J’imagine le topo. Ensuite ?
— Il m’a proposé un couvre-lit qui me plaisait beaucoup. Il fallait justement que je change le mien.
— Pas d’excuses, au fait ! tranche l’Impatient.
— Je l’ai mené dans ma chambre.
— Voyez-vous ! Il était beau gosse, ce mec ?
— Oui, plutôt. Jeune… Oui, jeune, vous comprenez, mon père ?
— Vous savez, interrompt Béru, un chouïa vexé, y a pas que les jeunots qui savent donner l’éclat du neuf à une bergère. Les hommes mûrs sont beaucoup plus expérimentés. Ils connaissent les petites agaceries flatteuses, celles qui mettent dans le bain, et puis alors pour ce qui est de la partie extase, c’est tout à fait leur longueur d’onde. Bon, racontez ?
— Oh ! On a commencé à plaisanter, il m’a fait des compliments qui m’ont énervée…
— Tu parles, il a dû mettre son petit numéro au point, votre marchand de paillasses ! Quand on fait un job qui vous amène dans la chambre à coucher des dames, c’est pas marle de marquer des buts. C’était bien ?
— Oh ! s’insurge la pénitente.
— Faites pas votre sucrée, se fâche Béru. Quand on double son vieux avec le premier tireur de sonnette venu, on n’a pas le droit de jouer les bûcheuses. Réponse ! C’était bien ?
— Pas mal !
— Mais à la va-vite, je pense ?
— Oui. Ma femme de ménage allait arriver et je redoutais d’être prise en flagrant délit.
— Si bien qu’il ne vous a pas fait le nénuphar hindou ?
— Non ?
— Ni la bretelle à moustaches ?
— Non ?
— Ni le triporteur en panne ?
— Non ?
— Non plus que la dégustation napolitaine ?
— Mais non…
— Du bâclé, quoi ! Je vois ça d’ici ! Un coup pour jeter sa casquette, un coup pour retourner la rechercher ! Même un lapin de clapier se marrerait en voyant ça ! Et Môssieur vendait du sommier ! Je parie qu’il se prend pour le roi du traversin, ce Gugusse ! Surprendre une pauvre petite madame en peignoir et se l’embourber avant même de lui dire bonjour, c’est pas des manières ! Ces représentants c’est tous rigolos et compagnie. Ça enlève son bénard avant d’enlever son chapeau. Ma pauvre petite, va. C’est vrai que chez soi, c’est pas l’idéal. Surtout dans ces petits bleds où ce que tout un chacun vous tient à l’œil. Vous n’allez jamais à Paris, l’après-midi ?
— Quelquefois…
— On pourrait s’y trouver, un de ces quatre matins, non ? Je vous attendrais à Saint-Lazare…
— Mais, bredouille la dame, anéantie, mais…
Je tapote contre la cloison. Le Gros réagit :
— Je voulais vous éprouver, dit-il. Bon, bien… Et à part ces petites saloperies, mon trognon, y a rien d’autre à déballer ?
— Non, fait la dame.
— Jockey ! Tout ça n’est pas très grave. La vie est courte, si qu’on se marrerait pas un peu de temps en temps on deviendrait vite neuneu, hein, ma poule ? Vous avez quel âge ?
— Trente-cinq ans !
— La belle âge, approuve le Gros. Çui où qu’une femme est en pleine bourre. Profitez-en bien, va ; c’est pas quand vous aurez des valoches sous les yeux et les roberts qui feront des nœuds que les bonshommes se jetteront sur vous !
— Vous ne me donnez pas l’absolution, mon père ? balbutie la pénitente.
— Si, mon trésor, de tout cœur.
— Et comme pénitence, mon père ?
— Faites une gâterie à votre mari, ce soir. Le pauvre tordu, il a quand même droit à sa part de rigolade, non ? Après tout, c’est lui qui paie le gaz ! Allez, tchao !
Lorsque la dame quitte le confessionnal je suis déjà affalé sur un prie-Dieu voisin. Elle paraît étourdie, la pauvre biquette, comme si elle venait de traverser le Sahara à pinces sans ombrelle. Elle me regarde. Je lui souris. Elle n’a pas l’air d’avoir inventé l’eau chaude.
Je l’intercepte.
— Comment trouvez-vous le missionnaire ? demandé-je.
— Ah ! c’est un missionnaire ?
— Oui, il est rapatrié de la jungle indochinoise où il a passé trente ans.
— Bon, je comprends…
Elle fait un large signe de croix et se barre. Béru sort alors de sa guérite. Il sue comme une motte de beurre sur une plaque chauffante.
— On étouffe là-dedans, dit-il. Moi qui suis un peu saxophone sur les bords, j’aurais du mal à m’accoutumer si je serais vraiment curé. Et pourtant c’est pas désagréable comme turbin. Figure-toi que…
— Ne trahis pas le secret de la confession, Gros, d’ailleurs j’ai tout entendu.
— Avoue que je m’en ai bien tiré !
— Comme un pape, Gros. Comme un pape !