Chapitre 21

À la surface de Magrathea, Arthur déambulait, morose. Ford avait eu la bonne idée de lui laisser son exemplaire du Guide du routard galactique pour lui permettre de passer le temps. Il pressa quelques boutons au hasard.


Le Guide du routard galactique est un ouvrage compilé sans grande rigueur, aussi contient-il maints passages dont la seule raison d’être est d’avoir paru intéressants aux rédacteurs de l’époque.

L’un de ceux-ci (celui sur lequel venait de tomber Arthur) relate les prétendues expériences d’un certain Veet Vojagig, jeune étudiant tranquille de l’université de Maximégalon qui poursuivait à l’époque de brillantes études de philologie antique, éthique transformationnelle et théorie des résonances harmoniques en perception historique et qui, après une nuit passée à boire du Pan Galactic Gargle Blaster en compagnie de Zaphod Beeblebrox, s’était soudain trouvé obnubilé par le problème de ce qu’avaient bien pu devenir tous les Bics qu’il avait achetés depuis des années.

S’ensuivit une longue période d’épuisantes recherches au cours desquelles il visita les principaux Bic-Bazars de la Galaxie pour finir par en ressortir avec une amusante petite théorie qui sut en son temps frapper l’imagination du public : quelque part dans le cosmos, affirmait-il, et parallèlement aux planètes habitées par des humanoïdes, reptiloïdes, cachaloïdes, arbres-à-pattoïdes, ours-polaroïdes et autres ombres-vagues-super-intelligentes-et-de-couleur-bleue, existait également une planète entièrement dévolue aux formes de vie crayons-bicoïdes. Et c’était vers cette planète que se dirigeaient tous les vieux Bics errants, en se faufilant tranquillement par les trous de ver de l’espace pour gagner un monde où ils savaient qu’ils pourraient enfin vivre une existence entièrement bicoïde, correspondant à des stimuli nettement bicorientés, bref, mener l’équivalent pour un Bic de la bonne vie.

En tant que théorie, tout ceci restait très bien, très gentil, jusqu’au jour où Veet Vojagig se vanta soudain d’avoir effectivement trouvé cette planète et même d’y avoir un moment travaillé comme chauffeur de maître dans une famille de rétractables verts à pointe fine sur quoi on s’empressa de l’emmener et de le boucler ; il devait ensuite écrire un livre puis se voir en fin de compte offrir un exil doré, sort habituellement réservé à ceux qui ont décidé de se faire publiquement remarquer.

Lorsqu’un jour une expédition fut envoyée vers les coordonnées spatiales indiquées par Veet Vojagig pour sa planète, elle n’y découvrit qu’un petit astéroïde habité par un vieillard solitaire qui ne cessait de répéter que rien n’était vrai – bien qu’il fût ultérieurement prouvé qu’il mentait.

Malgré tout, subsiste la question tant de ces mystérieux soixante mille dollars altaïriens versés annuellement sur son compte en banque à Bratisvéga que surtout de la florissante affaire de Bics d’occasion gérée par Zaphod Beeblebrox.


Arthur lut tout ceci puis reposa le livre.

Le robot était toujours assis, totalement inerte.

Arthur se leva pour gagner le sommet du cratère. Il en fit le tour. Il contempla le magnifique coucher des deux soleils sur Magrathea.

Il redescendit dans le fond du cratère. Puis il réveilla le robot parce que, pour faire la conversation, même un robot maniaco-dépressif c’est déjà mieux que personne.

— La nuit tombe, lui dit-il. Regarde, robot, les étoiles apparaissent.

Le robot les regarda docilement puis se retourna vers Arthur :

— Je sais. Misérable, non ?

— Mais enfin, ce coucher de soleils ! Je n’avais jamais rien vu de semblable, même dans mes rêves les plus fous… deux soleils ! Comme deux montagnes de feu bouillonnant dans l’espace !

— J’ai vu, dit Marvin. C’est nul.

— Nous n’avons eu qu’un seul soleil chez nous, voyez-vous, précisa Arthur. Je viens d’une planète appelée la Terre, n’est-ce pas.

— Je sais, dit Marvin. Vous n’arrêtez pas d’en parler. Ça m’a l’air rien moche.

— Ah ! mais non, pas du tout ! C’était un endroit magnifique !

— Avec des océans ?

— Oh ! oui, dit Arthur avec un profond soupir, de vastes océans aux grands flots bleus.

— Je peux pas supporter les océans, dit Marvin.

— Dites-moi, demanda Arthur, vous vous entendez bien avec les autres robots ?

— Peux pas les blairer. Mais… où allez-vous ? » C’était plus qu’Arthur n’en pouvait supporter : il s’était relevé. « Je crois que je vais retourner faire un tour.

— Ne vous excusez pas », dit Marvin, sur quoi, il compta jusqu’à cinq cent quatre-vingt-dix-sept milliards de moutons avant de se rendormir une seconde plus tard.

Arthur battit des bras pour essayer de redonner à sa circulation un brin de cœur au ventre. Il remonta la paroi du cratère.

À cause de cette atmosphère si raréfiée et de l’absence de lune, la nuit tombait très vite et il faisait à présent fort sombre. À cause de tout cela, Arthur rentra pratiquement dans le vieillard avant d’avoir pu le remarquer.

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