CHAPITRE II

LA FUMÉE QUI FAIT DU BRUIT

Les marches courent d’abord sous les pieds d’Unding, puis l’asphalte du trottoir s’infiltre en humidité à travers ses semelles usées. L’auto du baron se met à vrombir dans son dos et, éclaboussant de boue le piéton, file, monstre jaune bi-oculaire, fendant le brumeux crépuscule printanier.

Le col de son manteau remonté, Unding franchit d’un pas martial une arche sonore, il passe sous les quatre parallèles de rails suspendus dans les airs, pour aborder ensuite la vaste ligne droite de l’ancienne rue Royale. À sa dextre se dessinent les cubes de pierre, les arcs et les avancées du palais. Sur le glaire vitreux de l’asphalte aplati par les pneus s’étire, fil de perles violettes, le reflet des réverbères ; des saillies, dans le crêpe de l’ombre crépusculaire enveloppant le palais, pendent, détrempés par la pluie, les drapeaux de la révolution. Ensuite, à droite et à gauche, défilent devant ses yeux les bancs de fonte d’Unter-den-Linden et, foulant l’air de ses sabots de bronze, le noir quadrige de la Porte de Brandebourg vient à sa rencontre.

Il a loin à marcher. D’abord, traverser le long Tiergarten, puis suivre la Bismarckstrasse, en laissant derrière lui une dizaine de carrefours, jusqu’à la ligne des faubourgs de Charlottenbourg. L’air humide et brumeux semble un ersatz d’air, copie grossière et bon marché ; le verre bombé des réverbères est à deux doigts, dirait-on, de se répandre dans le ciel en gouttelettes d’écume légère, et les ténèbres de s’abattre, silencieuse avalanche, sur les toits et le trottoir. Les arbres nus du Tiergarten coupent fugitivement la route au passant, lui rappelant les taillis hachés menus par les obus ; et voici les associations juste devant ses yeux, elles pénètrent son crâne, fantastique croisement de rues en forme de tranchées. Le piéton se fige et, tendant l’oreille, se dit que la rumeur de la ville, là-bas, passé le Tiergarten, évoque le fracas décroissant d’un combat d’artillerie. Sous le pouce et l’index de sa main droite qui garde la mémoire du récent contact avec les doigts de Münchhausen, la sensation soudaine, nette, brûlant presque la peau, d’une platine de fusil, chauffée à blanc par les tirs.

— Fantasmagories ! marmonne Unding, observant alentour étoiles, réverbères, arbres et tapis des allées.

Une ombre vacillante, comme hélée par son nom, s’approche timidement du poète. Sous la carcasse détrempée du chapeau, des pommettes sculptées par la faim et les rougeurs : une prostituée. Unding tente tout d’abord de trouver un diminutif pour le mot « fantasmagorie ». Mais ni -ette ni -iote ne collent. Alors, prêtant l’oreille au rythme de ses pas, par un effort psychique dont il est familier, il fait tourner en lui rythmes et assonances ; le monde extérieur se rétrécit pour lui aux bords de son chapeau, et le clavier muet des mots d’actionner ses touches !

Son épaule en heurte une autre et le choc renverse la strophe : laissant échapper ses rimes, le poète lève les yeux, jette un regard circulaire sur la rue : il a dépassé sa maison. Une sensation soudaine : énormes poids à ses genoux, la fatigue. Avec dépit, Unding se livre mentalement à un rapide calcul : deux multiplié par deux cents, soit quatre cents pas en pure perte ; et voilà pour ses droits d’auteur !

Ernst Unding ne lit pas les journaux tous les jours, tant s’en faut. Certes, après sa discussion d’adieu avec Münchhausen, il est tombé sur un entrefilet de trois lignes évoquant le départ à destination de Londres, par le train express, pour affaires confidentielles, d’un membre du corps diplomatique, le baron de M. Une semaine plus tard encore, une dépêche en gros caractères fait état de la mission réussie de M. auprès des cercles les plus influents d’Angleterre. Les autres lettres du nom semblent s’être dissoutes dans les brumes londoniennes. Un sourire aux lèvres, Unding repousse le journal. Les informations suivantes lui échappent : il a pris froid et garde la chambre, déconnecté de tous les événements durant cinq ou six semaines. Quand le malade est suffisamment rétabli pour s’approcher de la fenêtre et en ouvrir les battants, il prend de plein fouet au visage un air ensoleillé de printemps. En bas, ricochant sur les murs, rivalisent les voix des vendeurs de journaux. Unding se penche par-dessus l’appui de la fenêtre et entend, d’abord la fin d’un cri, le début d’un autre, puis la totalité :

— Sensationnel ! Le baron de Münchhausen à propos de Karl Marx !

— Münchhausen parle de…

Une rafale de vent. Le convalescent referme la croisée et, respirant avec peine, se laisse tomber sur une chaise. Ses lèvres, dans un mouvement muet, articulent :

— Ça commence.

Cependant, le baron de Münchhausen, arrivé sans encombre à Londres, reçoit, de son propre aveu, le plus aimable accueil des brumes du lieu. Elles le servent, fidèles et dociles. Il sait en emplir les têtes à ras bord, plus habilement qu’une laitière expérimentée répartit sa marchandise dans les bidons.

— Les chevaux et les électeurs, se plaît à répéter le baron dans un petit cercle d’amis, si on ne leur met pas des œillères, ne manqueront pas de vous jeter dans le fossé. J’ai toujours été partisan de la technique de Teniers qui permet au noir de devenir blanc et au blanc de s’apparenter au noir, par le biais du gris. Des tons neutres en peinture, la neutralité en politique – et que les John, les Michael et les Jean se crèvent donc les yeux à scruter le brouillard et à se demander : c’est quoi, là-bas ? la lune ou un réverbère ?

Ces paradoxes, au demeurant, franchissent rarement le seuil du cottage à deux étages de Bayswater road, dans lequel s’est installé le baron. La maison a été spécialement choisie à quelque distance du fracas de Charing Cross où les gens succèdent aux gens. Derrière le cottage, les rues vastes et point trop bruyantes de Paddington et, par les fenêtres de l’étage supérieur, passé le long méandre de la palissade, les taciturnes allées des jardins de Kensington : l’hiver, sur leurs arbres, des paquets d’ouate neigeuse ; l’été, sous ces mêmes arbres, le sable safran des sentes, constellé des taches d’encre des ombres.

Ayant établi ses quartiers, le baron de Münchhausen, toutes affaires cessantes, donne l’ordre d’aménager un minuscule jardinet qui vient nicher les ornements de ses tapis de fleurs et de son herbe rase contre les briques rouges de la maison ; puis il y sème de ses propres mains les graines de pois de Turquie qu’il a apportées dans une boîte ancienne, au fond de sa malle de voyage. Après les deux ou trois premiers arrosages, les pois entreprennent, à une étrange vitesse, d’enrouler leurs spirales le long du mur, haut, toujours plus haut. À midi, ils se trouvent encore au niveau du rez-de-chaussée et, vers le soir, à l’instant où le trouble croissant de lune perce la brume d’un brun bleuté, les fines moustaches des vertes volutes ont déjà atteint la fenêtre du cabinet de travail, au second, où le maître de maison est à l’ouvrage, approchant du bonnet vert de la lampe de vieux carnets de notes emperlés de lettres. Les spirales des pois déroulent les fils ténus des petites moustaches, les dirigeant manifestement vers le croissant de lune. Münchhausen, toutefois, enveloppe ces vagabonds d’un regard sévère et, les menaçant du doigt, leur dit :

— Encore !

Au matin, les passants ébaubis contemplent, hochant la tête, cette exubérante végétation qui, après avoir tournoyé jusqu’au toit, a soudain suspendu sa progression, entraînée en arrière par les contrepoids de ses vertes spirales, vers la terre. À compter de ce jour, la maison de Bayswater road est surnommée « le cottage des pois fous ».

L’emploi du temps quotidien du baron de Münchhausen confirme les paroles d’un écrivain américain en vogue : « Les guides spirituels de l’humanité ne travaillent guère plus de deux heures sur vingt-quatre, et encore, pas tous les jours. » D’ordinaire, une fois levé, le baron parcourt les journaux, il déguste une tasse de café mehrwveisse et, après avoir fumé une pipe, troque ses pantoufles de nuit contre des bottines à bouts pointus. Commence alors sa promenade. Le baron en effectue la première partie à pied : il traverse Kensington au vert feuillage, de la porte du nord à celle de l’ouest. Il aime à voir les rayons irisés sautillant le long des sentes, les châteaux de sable, les petits têtards auxquelles de vieilles Miss, qui n’ont pas réussi à se transformer en Mrs, lisent des contes dans des livres à gros caractères, pleins d’images colorées. Sur sa gauche, la Serpentine déroule ses écailles grises. Sur sa droite, venant à sa rencontre, à travers une toile d’araignée de branches, la statue de Peter Pan, qui n’a jamais existé. À la porte de l’ouest, l’attend une limousine. Le chauffeur, Johnny, lui ouvre la portière et le baron, invariablement, tandis qu’elle claque sur lui :

— Allons voir l’inexistence même.

Johnny : « À vos ordres. » Alors, contournant les enceintes de Kensington et de Hyde-Park, la limousine, dans un mouvement du volant vers la droite, vient ajouter quatre roues supplémentaires aux milliers qui glissent déjà le long d’un Picadilly tout de pierre et de verre. De là, ils empruntent le Strand avec, à droite, les tours de Temple, brochées de brume au-dessus de l’arête des toits, et la coupole ronde de Saint-Paul. Près des marches de la cathédrale, Johnny lui tient à nouveau la portière : « Nous y sommes. »

Le baron distribue des pennies aux mendiants et pénètre dans le temple. Le plus souvent, il visite la célèbre galerie du Murmure qui réussit à faire entendre, à des centaines de pieds plus bas, l’infime soupir d’un mot à peine audible ; il lui arrive cependant de se diriger vers les marbres majestueux du tombeau de Wellington. Il y a toujours là un petit paquet de touristes dont les yeux courent le long des feuilles d’acanthe des chapiteaux, des glands du baldaquin et des lettres gravées dans la pierre. Mais ce n’est pas ce qui intéresse Münchhausen. Appelant un servant, il tend le doigt vers les figures allégoriques enfouies dans les détails de la pierre funéraire.

— Qu’est-ce là ?

— La véridique représentation de la Vérité et du Mensonge, sir.

— Laquelle des deux est la Vérité ? demande le baron, en plissant les yeux.

— Celle-ci, sauf votre respect.

— La dernière fois, il m’en souvient, vous disiez que c’était le Mensonge, reprend le baron avec un clin d’œil, et son sourcil droit se hausse.

Alors le servant, habitué aux lubies du visiteur, sait que l’instant est venu de regarder, non plus la Vérité ni le Mensonge mais le schilling d’argent brillant au bout des doigts du riche voyageur, puis d’esquisser un salut reconnaissant et de disparaître. Münchhausen quitte la cathédrale, le visage serein, presque illuminé, et, posant un pied sur le marchepied de l’auto, il déclare invariablement :

— À quelque moment qu’on vienne trouver Dieu, il n’est jamais à la maison. Essayons les autres.

Une adresse est donnée et Johnny tourne le volant tantôt à droite vers Pater Noster Street, tantôt à gauche vers l’agitation de Fleet Street, qui sème ses caractères d’imprimerie aux quatre coins du monde ; de là, la quinzaine de miles des radiales de Londres, tantôt l’une, tantôt l’autre, se couche sous les pneus chuintants de la limousine.

Après deux ou trois visites, le baron adresse un signe de tête au chauffeur : à la maison ! Ils s’en reviennent le plus souvent par les quartiers pouilleux de l’East End. Crasseuses, les maisons ressemblent à une compression de brouillard, et l’homme renversé sur les coussins de cuir de la voiture se dit qu’il est au monde une seule chose impossible à dissiper ou à chasser d’un coup de vent : la misère.

Au cottage des pois fous des interviewers l’attendent déjà. Leurs crayons se mettent en mouvement. Münchhausen, affable et patient, répond à toutes les questions.

— Ce que je pense du parlementarisme ? Permettez : j’ai justement, hier, achevé de calculer la quantité d’efforts musculaires nécessaires pour lever et abaisser les langues de tous les orateurs d’Angleterre : en partant du chiffre de trois contradicteurs pour un rapporteur, en prenant les Chambres basse et haute, en multipliant le nombre des séances annuelles par le nombre d’années, de mille deux cent soixante-cinq à mille neuf cent vingt, en ajoutant les fractions, les commissions et les sous-commissions, puis en convertissant le tout en livres et en chevaux-vapeur, on obtient, figurez-vous, une décharge énergétique suffisante pour ériger deux pyramides de Khéops. Quelle réalisation grandiose, quand on y songe ! Et les socialistes, après cela, clament que nous ignorons l’effort physique !

— Ma tactique de lutte ? Sur le plan social ? Elle est on ne peut plus simple. Presque primaire. Les sauvages d’Afrique eux-mêmes ont été capables de la formuler. Oui, oui. Ils ont, sur le lac Victoria, une chute d’eau ; lorsqu’on s’en approche, on en entend le bruit à des kilomètres ; et lorsqu’on est à côté, on voit un gigantesque nuage de poussière d’eau, depuis le ciel jusqu’à la terre. Les sauvages ont appelé cela : Mozi-sa-Tounia, ce qui signifie : « la fumée fait du bruit ». Voilà.

— Vous avez séjourné là-bas, sir ? s’enquiert un reporter.

— J’ai séjourné dans l’impossible séjour, c’est autrement plus loin. Au demeurant, je n’admets la possibilité – vous notez ? – que de deux forces : le bruit et l’intelligence. Si elles devaient s’allier un jour… Mais bon, restons-en là…

Le baron se lève, les interviewers rangent leurs blocs-notes et saluent.

Ensuite, le serviteur annonce que le déjeuner est servi. Münchhausen descend à la salle à manger. Parmi les plats qui se succèdent, il y a toujours ses canards rôtis favoris. Rassasié, le baron passe dans son cabinet de travail et prend place dans un fauteuil moelleux ; tandis que le serviteur s’affaire autour des pieds tendus du baron, changeant ses bottines contre de duveteuses pantoufles, celui-ci, plissant les yeux de bonheur, observe, avec cette qualité de contemplation que confère la satiété, la pluie de Londres qui, là-bas, de l’autre côté de la vitre, biffe le vert paysage du parc. Vient l’heure que, au cottage des pois fous on a accoutumé d’appeler celle « de l’aphorisme d’après-midi ». Sur le seuil, marchant sans bruit, apparaît une respectable Miss ; elle prend dans un coin une petite table supportant une machine à écrire et place ses doigts sur le clavier. Münchhausen ne se met pas aussitôt à dicter : il tète d’abord longuement sa pipe, vaguant d’un angle à l’autre de la pièce, comme s’il cherchait le plus approprié d’entre eux pour parler et fumer. Le baron a une manière extravagante de fumer : tournoient d’abord des sphéroïdes d’un blanc bleuté que viennent ensuite entourer de transparents anneaux de Saturne, l’un tournant à droite, l’autre à gauche, lentes volutes de fumée.

— Écrivez : « Un vieux fromage de Limbourg n’a pitié de personne et pourtant il pleure. »

— « Une huître n’a pas le temps de se faire une opinion sur l’odeur du citron, qu’elle est déjà gobée. »

Les oreilles de la Miss sont masquées par des mèches rousses toutes raides ; elle se tient sur son siège, le dos tourné aux aphorismes, les yeux braqués sur les rais obliques de pluie, mais ses doigts frappent les touches, la pluie frappe la vitre et la dictée se prolonge jusqu’à ce que le baron, secouant les cendres de sa pipe, déclare :

— Je vous remercie. Demain, comme d’habitude.

Il tente de se soulever mais la somnolence lui a alourdi le corps et embrumé les pensées ; alors, dans le sillage de la Miss rouquine, le réel, à pas feutrés, quitte la pièce.

Sous ses paupières closes, la ronde des visions : une automobile rêvée emporte Münchhausen le long de rues rêvées ; elles sont étrangement désertes et muettes, de sorte que, sans actionner une seule fois le klaxon, Johnny stoppe le chuintement des pneus près des colonnes de Saint-Paul. Déjà, Münchhausen a posé le pied sur une marche quand la cathédrale, soudain, se met en mouvement : sa tête, sous le chapeau rond de géant, s’incline, encornant l’air de sa croix ; son double dos se cambre, et le monstre, agitant toutes les langues de ses cloches, s’écrie : « Sir, le chemin le plus court et le plus direct pour rejoindre Saul ? » Johnny ne lambine pas : il remet le moteur en marche et, d’un brusque coup de volant, fait machine arrière ; mais le monstre, martelant le sol de ses douze énormes colonnes et traînant avec fracas son long tronc de pierre, se lance à ses trousses. Dans un grincement, la boîte de vitesses pousse sa flèche au maximum. L’effroyable monstre, cependant, agitant prestement ses colonnes de pattes, se rapproche de plus en plus. À toute allure, la voiture vire dans une des rues étroites de l’East End. La cathédrale tente de se faufiler derrière, s’efforçant d’insinuer l’angle droit de son épaule de pierre dans la fente de la rue. C’est alors que Münchhausen, bondissant sur son siège, hurle aux centaines d’yeux carrés s’étirant à droite et à gauche : « Hé, vous autres ! Allez-vous rester à zyeuter ? Empêchez-la de passer ! » Et les maisons, au premier appel, rapprochant docilement leurs fenêtres de part et d’autre, barrent la route à la cathédrale. Avec un soupir de soulagement, le baron se renverse sur les coussins mais, au même instant, il voit, tourné vers lui, le visage mortellement pâle de Johnny : « Qu’avez-vous fait ? Nous sommes perdus ! » En effet, le baron prend conscience que les pouilleuses maisons de l’East End, à touche-touche, sont à présent soudées les unes aux autres, brique contre brique, ne formant plus qu’une masse et ne se distinguant plus que par leurs numéros ; en outre, dès que celles qui se trouvent derrière eux se sont rapprochées, les cubes de brique de devant sont contraints de les imiter : la rue resserre donc lentement ses murs, menaçant d’écraser par la même occasion l’automobile lancée à pleine vitesse ainsi que ses passagers. Les essieux de la voiture sont à deux doigts d’égratigner les murs ; vite, vite ! là devant, la trouée d’une place ! Trop tard : le gigantesque laminoir coince l’auto qui vrombit, impuissante, dans la tenaille des cubes à étages, ses ailes d’acier et sa carrosserie craquent, pareilles aux élytres d’un insecte tombé entre une semelle et le sol. D’un coup de pied, Münchhausen défonce une fenêtre qui l’assaillait par la droite et bondit à l’intérieur de la maison. Le pauvre Johnny a moins de chance : il se retrouve dans l’espace entre deux fenêtres, la rue se referme, brique contre brique… un cri bref qui se perd dans l’entrechoc des masses… et tout se tait. Puis, soudain, derrière : « C’est vous qui paierez le vitrier, Mister. » Münchhausen se retourne : il est dans une pièce pauvre mais bien tenue ; au milieu, une table de cuisine à laquelle sont assis, devant des écuelles fumantes, un homme entre deux âges, en bras de chemise, une femme osseuse, aux pommettes marquées de larges taches rouges, et deux gamins. Jambes pendantes sur leur banc, la cuiller figée dans la bouche, les enfants détaillent, émerveillés, le nouveau venu. « Et je dois vous avertir que le verre a augmenté », poursuit l’homme en remuant le contenu de son écuelle. « Tom, avance une chaise au monsieur, qu’il s’asseye, au moins. »

Mais Münchhausen n’a pas la tête à s’asseoir : « Comment pouvez-vous rester ici, alors que Paul est retourné à Saul, qu’il n’y a plus de rue ni plus rien ? » À la surprise du baron, l’homme ne manifeste aucun étonnement : « Zéro plus zéro fera toujours zéro. Et celui qui n’a pas où aller n’a que faire d’une rue, Mister. Allons, les enfants, mangez, ça va refroidir. »

Le baron, comme si un nouveau mur s’avançait sur lui, recule jusqu’à la porte, renversant la chaise aimablement offerte, puis s’engage dans l’escalier : un carré de maison exigu, entre quatre murs. « Et si, là aussi… ? » Mieux vaut prendre la petite porte : mais, là encore, un carré entre quatre murs rapprochés. « Maudit échiquier », murmure Münchhausen, effrayé, et aussitôt il voit : au milieu du carré, perché sur une énorme patte ronde, dressant sa crinière noire laquée, un cheval d’échecs. Sans perdre un instant, Münchhausen saute sur son dos abrupt ; le cheval frémit de ses oreilles de bois et Münchhausen, s’efforçant de serrer les genoux sur la laque glissante, le sent : la pièce d’échecs unijambiste fait un bond en avant, un autre, et part de côté. La terre, tantôt se dérobe, tantôt, brandissant ses flèches et ses toits, vient heurter le talon rond du cheval ; mais sur ce talon – Münchhausen s’en souvient – est collé un morceau de tissu feutré, et la course folle continue : apparaissent, fugitives, des places d’abord, puis les carrés de champs et les quadrillages de villes, encore et encore – et en avant, en avant toute, un bond de côté et en avant ! Le talon rond frappe tantôt l’herbe, tantôt la pierre, tantôt la terre noire. Ensuite, le vent sifflant aux oreilles s’apaise, les bonds du cheval se font plus courts et plus lents : au-dessous, une étendue plate, enneigée ; le froid monte des congères. Le cheval, ouvrant tout grand sa gueule noire, fait encore un bond, un autre, et s’arrête au milieu de la plaine glaciale : son pied tendu de tissu est collé à la neige, gelé. Que faire ? Münchhausen tente de l’éperonner : « g8-f6 ; f6-d5. Fichtre ! d5-b6 », crie-t-il, s’efforçant de se remémorer le zigzag de la défense Alekhine2. En vain ! Le cheval est à bout de forces ; la rosse de bois n’en peut plus. Münchhausen en pleure de rage et de dépit, mais les larmes lui collent aux cils, gelées. Le froid est tel que toute immobilité est fatale ; alors, se frictionnant les oreilles, il marche d’un bon pas – en avant, en avant toute, puis de côté, et de nouveau en avant, en avant toute, et de côté, à la recherche ne fût-ce que d’une minuscule tache sur la nappe d’un blanc immaculé qui recouvre soigneusement, sans le plus petit pli, la gigantesque table ayant l’horizon pour limite. Et soudain, il voit : là-bas, droit devant, glisse, ombre légère, un long mille-pattes de lettres gothiques, hérissé et agile. Münchhausen capture des yeux la noire file de lettres et lit… son propre nom. La stupéfaction fige le baron sur place. Cependant, le dix-huit-lettres BARONDEMÜNCHHAUSEN ne perd pas de temps : arquant ses syllabes, il file soudain, d’une glissade, vers une borne-frontière surgissant de terre ; sur la borne un panneau, sur le panneau des signes. Détachant difficilement du sol ses semelles gelées, Münchhausen se lance aux trousses de son nom qui détale. Mais ce dernier, déjà, a rampé jusqu’au poteau, il a atteint la barrière qui suspend au-dessus de la plaine immaculée ses rayures rouges et blanches, et il se retourne pour jeter un coup d’œil à son poursuivant : est-il encore loin ? À cet instant, Münchhausen voit nettement la barrière s’abaisser : les rayures blanc-rouge heurtent la septième lettre, et son nom, tel un serpent sectionné au couteau, arque douloureusement ses syllabes séparées les unes des autres : MÜNCHHAUSEN de l’autre côté de la barrière, BARONDE de ce côté-ci. Planté sur son E tout encrinolent, le malheureux BARONDE s’agite en tous sens, ne sachant qu’entreprendre. Les yeux de Münchhausen vont des lettres sur la neige aux signes de la borne-frontière : URSS. Il reste un instant figé, bouche bée, puis une pensée lui vient : planter là son nom et prendre ses jambes à son cou. Mais les semelles de ses souliers ont eu le temps de se coller solidement à la neige. Il veut bouger son pied droit, tente ensuite d’extirper le gauche, quand, soudain, le quatre-lettres de la frontière se met à bouger et Münchhausen, terrifié, saute de ses chaussures et s’enfuit en chaussettes sur la croûte de neige durcie. Le froid le saisit aux talons ; dans son désespoir, le baron court, éperdu, et… se réveille.

Sa pantoufle droite a glissé de son pied et, sous son talon, la fraîcheur d’un carré de parquet ciré. La pluie chuinte aux vitres du cabinet de travail mais les raies fines de ses jets sont tendues d’obscurité nocturne. Le coucou de la cheminée chante à sept reprises. Le baron de Münchhausen tend le bras vers la petite cloche.

Le cottage des pois fous allume ses feux et se prépare à recevoir ses hôtes de la nuit. En bas, contre la porte de chêne, un coup de heurtoir, puis un autre : apparaît d’abord un roi de la bourse et, un instant plus tard, un as de la diplomatie. Ensuite, c’est une vieille lady, adepte du spiritisme. Et quand enfin surgissent au-dessus du seuil les moustaches tristement tombantes du leader d’un parti ouvrier, Münchhausen se lève cordialement pour l’accueillir et s’écrie, avec des mines de joueur chanceux :

— Suite au valet ! Prenez donc part à notre jeu. Nous n’attendions plus que vous.

Mais en plus de ceux que l’on attendait, survient un ancien ministre sans portefeuille, que le douillet cottage, au demeurant, reçoit avec non moins de chaleur et de cordialité.

On échange des nouvelles, sans oublier ni les secrets d’alcôves ni le Parlement, on se livre à des conjectures sur les prochaines nominations et les événements en Chine. Avec le ministre sans portefeuille, le baron évoque un portefeuille sans ministre, et la dame spirite raconte :

— Hier, chez les Pitchley, nous avons invoqué l’esprit de Li Hung-Tchang3 : « Esprit, si tu es là, frappe un coup, sinon frappes-en deux. » Eh bien, figurez-vous que Tchang a frappé deux coups.

À cet instant, à la porte d’en bas, double coup de heurtoir :

— Serait-ce Li ? dit le maître de maison en bondissant, prêt à réserver au fantôme un chaleureux accueil.

Mais, sur le seuil, son serviteur :

— Son Éminence l’évêque du Northumberland.

Une minute plus tard, une main couverte de bagues bénit l’assistance.

La conversation reprend. Le serviteur apporte des petits fours, du thé dans un service de porcelaine et de petits verres au pied menu, emplis de kummel. Les mots tournoient un moment de bouche en bouche, puis l’éminence, reposant sa tasse de thé, prie le maître de maison de raconter quelque chose. Avec la permission de la dame, le baron de Münchhausen prend sa pipe et, tirant de temps à autre sur sa chibouque, entame son récit. Aussitôt, les oreilles attentivement dressées des auditeurs se ratatinent de stupeur : juste un peu sur les bords pour commencer, puis tout le long du cartilage du pavillon, et de plus en plus creux, jusqu’à ce que, tournoyant comme feuilles d’automne, les unes après les autres, tout doucement, sans un murmure, elles s’abattent sur le plancher4. Mais, armé d’une balayette et d’une pelle, le serviteur stylé surgit derrière les invités, balaie sans bruit les oreilles, les ramasse et les emporte hors de la pièce.

— Cet incident survint lors de mon dernier séjour à Rome, dit le narrateur dont la voix charrie des tourbillons de fumée. Par une fraîche matinée d’automne, ayant descendu les marches de la basilique Saint-Pierre, je traversai la place sertie dans le portique de Bernini et pris à gauche par l’étroit Borgo San Angelo. Si vous avez eu l’occasion de séjourner dans cette ville, vous vous rappelez sûrement les poussiéreuses vitrines de l’antichità et les échoppes de ces commissionnaires d’un genre particulier qui, si vous leur confiez un objet et quelques soldi, se font forts de vous retourner le premier une semaine plus tard sans les seconds, mais avec la bénédiction papale. La réalité de la bénédiction demeurant invisible, les commandes sont honorées promptement, et toujours dans les temps. On peut en ce même lieu faire l’acquisition, à vil prix, d’une amulette : dent de serpent guérissant la fièvre, jettatura de corail contre le mauvais œil et assortiment complet de cendres – depuis celles de saint François jusqu’à celles de saint Janvier – soigneusement réparties dans des sachets de pharmacie. Je fis donc un crochet par une de ces échoppes et demandai les cendres de saint Personne. Les doigts du propriétaire parcoururent les sachets de papier : « Peut-être le signor se contentera-t-il de sainte Ursule ? » Je secouai la tête. « Pour obliger le signor, je pourrais lui céder celles de saint Pacheco : des cendres extrêmement rares. » Je maintins mon « der heilige Niemand ». Le patron de la boutique était de toute évidence un honnête homme. Il écarta les bras en signe d’impuissance et reconnut tristement qu’il n’avait pas cela en magasin. J’allais prendre la porte quand mon attention fut soudain attirée par un objet posé dans un coin, sur une étagère : c’était une toute petite boîte noire, sous le couvercle entrouvert de laquelle pointait la filasse jaune et ébouriffée d’un morceau d’étoupe. « Qu’est-ce là ? » demandai-je, me retournant vers le comptoir. Et les doigts obligeants du marchand de cendres rapprochèrent aussitôt de moi la marchandise. C’était un morceau d’étoupe incomplètement brûlé, ayant servi au rituel d’intronisation de Pie X. Chacun sait que lors de la consécration d’un pape, on fait brûler au-dessus de la tonsure de l’élu un morceau d’étoupe, en prononçant le sacramentel : « Sic transit gloria mundi. » Donc, ainsi que me le jura le boutiquier que je n’avais aucun motif de ne pas croire, au cours de la cérémonie d’intronisation de Pie, au moment où, précisément, les paroles sacramentelles étaient prononcées, un coup de vent subit emporta ce morceau d’étoupe que lui, collectionneur de raretés, réussit à acquérir moyennant certaine somme : « Le signor peut se convaincre par lui-même, déclara le vendeur de cendres en ouvrant grand la petite boîte, que l’étoupe est charbonneuse sur les bords et qu’elle sent le brûlé. » Et c’était vrai. Je m’enquis du prix. Il avança une somme rondelette. Je divisai par deux. Il en rabattit, j’en rajoutai un peu et, au bout du compte, la petite boîte d’étoupe papale se retrouva dans ma poche. Quant à moi, deux heures plus tard, j’étais dans le train Rome-Gênes. C’est que, voyez-vous, je ne voulais pas manquer le nouveau congrès des socialistes chrétiens dont les assises se tenaient précisément au Palazzo Rosso de Gênes. Pour l’amateur de vanités que je me flatte d’être, la fréquentation de ce genre d’assemblées est parfois pleine d’enseignements. Les fenêtres du wagon étaient ouvertes ; les senteurs humides de garance, puis, en approchant de Gênes, une série de tunnels, le passage de la touffeur aux courants d’air… bref, je pris froid et, à la moitié de la première séance, je me sentis indisposé. Il me fallait envisager un traitement. Comme je portais la main à ma poche, mes doigts rencontrèrent la petite boîte et je me rappelai que le coton dans les oreilles ou, à défaut, l’étoupe, était un remède radical contre le refroidissement. Je soulevai le couvercle noir et me fourrai dans l’oreille gauche, puis dans la droite, un bout d’ouate papale. Aussitôt… oh, si vous saviez seulement ce qui arriva ! Les orateurs parlaient, comme avant l’étoupe, leurs lèvres remuaient, mais pas un son, hormis le tic-tac de ma montre, ne parvenait à mes tympans. Je n’y comprenais goutte : en admettant que je fusse subitement devenu sourd, comment pouvais-je entendre le tic-tac d’une montre, sans percevoir les mots ? Et si l’étoupe qui me bouchait les oreilles assourdissait les sons, si elle affaiblissait l’ouïe, comment des voix fortes pouvaient-elles faire moins de bruit que le mécanisme à peine audible d’une montre ? En grand désarroi, je quittai l’assemblée, passai devant des bouches qui parlaient sans proférer un son et fus saisi d’un étonnement joyeux quand, dans la rue, ayant à peine descendu les marches de l’entrée, j’entendis soudain à travers mon étoupe : « Manda. » Le mot avait été lancé par une vieille mendiante. Manifestement, l’étoupe avait cessé son obstruction. Je vis venir à ma rencontre, s’extirpant de haillons crasseux, une main de vieillarde ; toutefois, pressé de vérifier mon hypothèse, je fis un brusque demi-tour et réintégrai la salle de séance. Je me hâtais, mais mon hypothèse était plus hâtive encore : de nouveau, j’eus devant les yeux des bouches qui remuaient ; néanmoins, ne sortait de ces mêmes bouches qu’un silence articulé. Que diable ! – pardonnez-moi, Éminence, je retire aussitôt ce « diable »… – Qu’est-ce que cela signifiait ? Me voilà occupé à échafauder toutes les suppositions possibles, quand soudain me revient que l’étoupe pointant de mes oreilles n’est pas une étoupe ordinaire, que c’est une étoupe sacrée, chassant, avec la fumée, toute la gloria mundi ; rien d’éphémère, rien de ce qui a le souci de la gloire terrestre ne peut donc passer au travers. Il en était sans nul doute ainsi. Je n’avais pas surpayé mon achat au marchand de cendres du Borgo San Angelo. Cependant, comment expliquer que les discours des adeptes du socialisme chrétien s’enlisassent dans mon coton et me demeurassent inaudibles ?

Plongé dans ces pénibles réflexions, je regagnai mon hôtel. Je résolus, pour la prochaine assemblée, de perfectionner mon filtre, afin qu’il séparât les chrétiens des contrefaçons et qu’il ne laissât point passer la moindre vanité. Je me tenais le raisonnement suivant : si aucun mot pécheur n’est en mesure de s’insinuer dans l’étoupe sacrée, si tous s’envasent dans la densité de ses fibres, que se passera-t-il si l’on atténue la sécheresse et la raideur de celles-ci, d’un peu de lubrifiant ? Il se produira, tout naturellement, la chose suivante : les mots continueront, de par leur lenteur et leur grossièreté, à s’enliser dans l’étoupe lubrifiée, mais les pensées qu’ils recèlent parviendront malgré tout, peut-être, parce qu’elles sont éthérées et subtiles, à se glisser à travers la filasse et à sauter jusqu’à mon ouïe. Retirant les deux morceaux d’étoupe de mes oreilles, je les examinai attentivement : la surface en était recouverte d’un dépôt un peu sale. La trace des discours, sans doute. Je nettoyai ce sténogramme, pour ainsi dire, et, avant de replacer l’étoupe dans mon oreille gauche et mon oreille droite, je la plongeai dans une cuillerée de graisse – de la graisse d’oie ordinaire, fondue à l’aide d’une bougie. La pendule me rappela que, dans quelques instants, le congrès allait reprendre ses travaux. En traversant les couloirs, j’entendis des voix confuses dans la salle. C’était donc commencé. Entrouvrant la porte, je pointai mes oreilles étoupées : l’assistance était au complet ; sur l’estrade se tenait un homme à la mine respectable, vêtu d’une redingote des plus convenables, boutonnée jusqu’au menton, et qui, un sourire onctueux aux lèvres, déversait des tombereaux d’injures. Perplexe, j’observai les rangs de ceux auxquels s’adressaient ces insultes : la salle écoutait religieusement et les centaines de têtes s’inclinaient, approbatrices, au rythme des affronts qui s’abattaient en grêle. De temps à autre seulement, le discours de l’orateur était interrompu par des applaudissements, des cris fusaient à son adresse : « crétin », « faux cul », « girouette », « ordure » ; en réponse, l’orateur, la main sur le cœur, saluait avec gratitude. Incapable de le supporter plus longtemps, je me bouchai les oreilles… ou plutôt, tout au contraire, les débouchai : l’orateur évoquait à présent l’apport du congrès à la lutte contre la lutte des classes, les « bravos » éclataient de toutes parts, mêlés aux : « la vérité parle par votre bouche », « bien envoyé » et « quelle finesse ». Je commençais seulement à comprendre que les quelques grammes d’étoupe contenus dans ma petite boîte valaient une solide méthode philosophique. Je résolus de passer le monde entier au filtre de mon étoupe dégloriolisante. Ayant esquissé un plan d’expérimentations, je pris l’express, le soir même, à destination de…

Le récit se poursuit. Le coucou chante onze fois, puis douze, et ce n’est que bien après la minuit que la pipe de Münchhausen secoue sa cendre et que le maître de maison, sa narration achevée, raccompagne ses invités jusque dans le hall. Sa journée de travail est finie. Autour du cottage des pois fous, de nouvelles spirales s’enroulent encore et encore, élargissant toujours plus, chaque soir, l’envergure de leurs lignes : déjà, leurs fines moustaches ont traversé la Manche, menaçant de s’allonger jusqu’aux méridiens les plus reculés de la terre. Les aphorismes du baron – il le sait bien – reposent sur les pupitres des deux Chambres du Parlement où ils voisinent avec les sténogrammes et l’ordre du jour ; les récits, les historiettes anciennes, entamées à proximité de la longue fumée bleutée de la pipe, rampent en volutes de brume autour du cottage des pois fous, s’insinuant sous tous les plafonds et, de bouche en bouche, jusque dans les oreilles de ceux qui n’étaient pas là pour les entendre. Alors, traînant ses pantoufles vers son lit douillet, le baron a un sourire vague et marmonne :

— Münchhausen dort mais son œuvre veille.

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