Au moment de quitter l'ermitage, je ne pus me retenir de questionner encore :
– Père Nil, vous n'avez donc pas peur de celui qui vous cherche ?
Il réfléchit longuement avant de me répondre :
– Ce n'est pas un juif. Depuis la destruction du Temple, ils sont traversés par une profonde désespérance : la promesse était vaine, le Messie ne reviendra pas. Mais Dieu reste pour eux une réalité vivante. Tandis que les musulmans ne savent rien de Lui – sinon qu'il est unique, plus grand que tout, et qu'il les juge. La tendresse, la proximité du Dieu des prophètes d'Israël leur demeurent étrangères. Face à un Juge infini mais infiniment lointain, le désespoir juif s'est transformé, chez eux, en une angoisse insurmontable. Et certains ont toujours besoin de violence pour exorciser la peur d'un néant que Dieu ne remplit pas. C'est sans doute un musulman.
Avec un sourire, il ajouta :
– L'intimité avec le Dieu d'amour détruit à jamais la peur. Peut-être, en effet, est-il à mes trousses ? S'il veut m'entraîner dans son néant, il n'apaisera pas l'angoisse qui l'habite.
Il prit mes deux mains dans les siennes.
– Chercher à connaître la personne de Jésus, c'est devenir un autre treizième apôtre. La succession de cet homme est toujours ouverte. En ferez-vous partie ?
Depuis, dans ma Picardie de forêts, de terres grasses et d'hommes taciturnes, je ne cesse d'entendre ces dernières paroles de Nil.
Quand elles résonnent en moi, me viennent des nostalgies de désert.