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Puis vint la révélation épiphanique autant qu’inattendue de Hillel, le Juif, saturnin, séphardiquement noir et blanc, deux fois aussi rusé que le reste du monde réuni.

Quand Natoma et moi nous sortîmes des mains des douaniers du Corridor du Nord-Est (le Brésil n’a pas l’autorisation de se poser sur le territoire de la Mexifornie ; ne me demandez pas pourquoi), il était là à nous attendre au milieu d’un monde grouillant de porteurs mechos. Il agita la main en réponse à des signaux que je n’avais pas faits, se creusa un chemin dans la foule, prit nos bagages et nous poussa dans un pogo. Je voulus lui dire bonjour, mais il secoua la tête. En nous faisant asseoir, il murmura : « Pourboire. » Je pourbois. Il pousse un grognement déçu. Il disparaît. Il reparaît vêtu d’un uniforme de pogopilote et nous demande en un spanglais douteux où nous avons le culot de vouloir aller. Je lui dis où, et il commence à discuter pour demander un supplément de tarif. Je ne me suis jamais fait rouler comme ça de ma vie. Natoma est prête à l’étrangler.

— Du calme, lui dis-je. C’est la coutume dans le Corridor.

Hilly me passa un billet. Il y avait écrit : Prudence. On nous surveille. Vous contacterai prochainement. Je passai le billet à Natoma, dont les yeux s’agrandirent mais qui hocha la tête en silence.

En trois sauts nous arrivâmes à l’hôtel. Ce sacré Hillel recommença à discuter pour le pourboire. Le portier vint à notre secours et nous escorta pour passer les barrières de sécurité. Nous étions suivis par les hurlements indignés du Youp. Il tenait son rôle à merveille. La fureur chronique, c’est la mode qui fait rage actuellement dans le Corridor.

Nous demandâmes une suite avec eau courante froide et chaude. Extravagance qui effaça aussitôt l’hostilité narquoise du réceptionniste. Le Corridor souffre d’un perpétue ! manque d’eau. La plupart du temps, il faut l’acheter au marché noir. Inutile de dire que ça vous coûte les yeux de la tête. Dans le Corridor, vous ne demandez pas à une fille de venir chez vous admirer vos gravures chinoises, vous l’invitez à monter prendre une douche.

Nous prîmes donc une douche, ce qui me donna l’impression d’être un petit vieux délicieusement cochon. Pendant que nous étions en train de nous sécher, le garçon de l’étage arriva chargé de deux fourreaux à carabine en cuir.

— Ce sont les fusils que vous avez demandés, monsieur, me dit-il dans son euro d’hôtel affecté. Canons superposés, calibre 410. Modèle spécial pour Médême. Une boîte de cartouches dans chaque fourreau.

J’allais déclarer que c’était une erreur lorsque je m’aperçus que c’était le Juif. Je ne dis rien.

— Demain matin à l’aube sur la Lande. 5 h 30 précises, poursuivit suavement Hillel. Le club a accepté de lâcher vingt poulets. Très attentionné de leur part. Si je puis me permettre une suggestion, monsieur Curzon, un geste généreux serait de circonstance.

— Des poulets ! m’exclamai-je. Pas de coqs de bruyère, ni faisans, ni perdrix ?

— Impossible, monsieur. Ces espèces ont disparu dans le Corridor. On pourrait les importer d’Australasie, mais cela prendrait des semaines. Toutefois, les poulets ont été élevés spécialement pour qu’ils sachent faire preuve de ruse et de vivacité. Je suis sûr que Médême et Mossieu passeront une bonne journée.


Un officier de sécurité de tir s’approcha de nous sur la Lande tandis que nous attendions l’arrivée de l’aube et des oiseaux. Il portait un gilet de protection rouge et je crus qu’il allait nous demander de lui montrer nos permis. Mais je vis que c’était encore Hillel.

« Gottenu ! » grogna-t-il en s’asseyant sur le béton. L’appellation « La Lande » n’était qu’une façon de parler. Il s’agissait d’un vieil aérodrome datant de plusieurs siècles. Il y avait des kilomètres carrés de béton qui appartenaient maintenant au club de tir.

— Il a fallu que je vienne jusqu’ici à pied, poursuivit-il en reprenant son souffle. Asseyez-vous près de moi, madame Curzon ; autrement, si Guig nous présente, il faudra que je me lève, et je ne sais pas si j’y arriverai.

— À pied ! m’étonnai-je. Pourquoi ?

— Pour ne pas prendre de risque. Le réseau Extro est très efficace. C’est pourquoi nous nous rencontrons ici, où ils ne peuvent pas nous atteindre. Bonjour, madame Curzon. On m’appelle Hillel le Juif.

— Qu’est-ce que c’est, Juif ? demanda Natoma avec curiosité.

Le Youp gloussa.

— Si seulement on avait posé cette question il y a cinq siècles, quelle différence cela aurait pu faire pour le Peuple Élu ! C’est une ancienne race et une ancienne civilisation qui a précédé le Christianisme, madame Curzon.

— Qu’est-ce que c’est, le Christianisme ?

— J’adore cette fille, fit Hilly. Elle a exactement les lacunes qu’il faut dans son éducation. Gibier, bas, à 10 heures, Guig.

Je tirai et ratai exprès. J’ai horreur de tuer des créatures.

— Vous semblez être tout le monde et partout, lui dit Natoma. Quel est votre métier ?

— C’est un Inducteur professionnel, expliquai-je.

— Je ne connais pas ce mot, Glig.

— Je viens de l’inventer spécialement pour Hillel. C’est un génie de l’induction. C’est-à-dire qu’il est capable d’observer et d’évaluer des faits apparemment dépourvus de toute corrélation, et d’en tirer des conclusions d’ensemble qui avaient échappé à tout le monde.

— Tu es trop compliqué pour elle, Guig, me dit Hillel. Disons les choses ainsi, madame Curzon. Je vois ce que tout le monde voit, mais je pense ce que personne d’autre n’a songé à penser. Gibier, 2 heures, volant rapidement. Essaye de te résigner à en abattre quelques-uns, Guig, pour sauvegarder les apparences.

Vous voyez ? Il savait que je faisais exprès de rater. Quel sens de l’observation !

— Je crois comprendre, dit Natoma. Mon mari m’affirme que vous êtes l’homme le plus malin du monde.

— Quand a-t-il dit ça ? demanda sauvagement le Youp. Je vous avais dit de faire attention.

— Il ne l’a pas dit, monsieur Hillel. Il l’a écrit sur un morceau de papier. Nous avons presque tout le temps communiqué par billets.

— Dieu merci. (Hilly paraissait vraiment soulagé.) Pendant un instant, j’ai cru que j’avais fait tous ces kilomètres pour rien.

— Mais est-ce que l’induction est une profession, monsieur Hillel ? De quelle manière ?

— Je vais te donner un exemple, Nato, intervins-je. Il se trouvait dans une galerie de peinture à Vienne un jour où ils avaient exposé un Claude Monet. Quelque chose lui parut bizarre dans ce tableau.

— Il finissait abruptement à deux extrémités, expliqua le Juif. Mauvaise composition.

— Ensuite, il s’est souvenu d’un autre Monet qu’il avait vu au Texas. Mentalement, il a mis les deux tableaux bord à bord. Ils correspondaient parfaitement.

— Je ne comprends toujours pas, dit Natoma.

— C’est une pratique malhonnête, de la part de certains marchands de tableaux, que de prendre une grande toile signée par un peintre coté, et de la découper en plusieurs morceaux pour les vendre comme des œuvres séparées.

— Ce n’est pas bien.

— Peut-être, mais c’est très lucratif. À partir de là, Hilly s’est lancé dans une véritable chasse au trésor. Il a fini par retrouver et racheter tous les morceaux, et le Monet authentique a été restauré.

— Tt lucratif, également ?

Hillel sourit.

— Uu, mais ce n’était pas le motif principal. La vraie raison, c’est que je n’ai jamais pu résister à ce genre de défi.

— Et c’est la raison pour laquelle tu te trouves ici, dis-je.

— Vous voyez, ma jolie. Il est aussi malin qu’il prétend que je le suis. Peut-être davantage.

— Mais trop fantaisiste.

— C’est ce que j’ai remarqué au fil des années. Il refuse de se consacrer à quoi que ce soit. Il préfère plaisanter tout le temps. Gottenu ! Si seulement il voulait être aussi sérieux que la vie le demande de temps à autre, quel homme extraordinaire il pourrait devenir !

Je n’aimais pas tellement ça. Je me vengeai sur un poulet qui arrivait à tire-d’aile à 8 heures.

— Donne-moi ce fusil, dit Hillel. (Il en tua quatre autres coup sur coup.) Voilà qui devrait empêcher l’Extro d’avoir des soupçons. Et maintenant, parlons sérieusement affaires.

— Tout d’abord, demandai-je, comment es-tu au courant de l’affaire ?

— Je ne suis pas Grand Inducteur pour rien. J’étais à la Gen. Motors City sur les traces d’un Edsel de derrière les fagots lorsque j’ai reçu un message de Volk – il tient une boutique de philatélie et de numismatique à La Nouvelle-Orléans – qui me demandait d’accourir. Il avait déniché une série de six timbres à un cent de la Guyane britannique de 1856. Tous encore réunis, et non oblitérés.

— Je ne savais pas qu’il y avait déjà des timbres à cette époque-là.

— Il n’y en avait pas beaucoup. C’est pourquoi un seul timbre de Guyane de 1856 a une valeur fabuleuse. Dans les cent mille, facilement. Une bande de six, reliés et non oblitérés, ça vaut… disons, autant que toi.

— Hein ! Ces collectionneurs sont cinglés !

— Uu. Immédiatement, j’ai eu des soupçons et j’ai demandé confirmation du message. Radex confirmé. J’envoie une lettre à Volk. Pas de réponse. Je demande au Radex confirmation que le message a été remis. Confirmé. Alors, je file à New Orléans et je vais trouver Volk. Il déclare qu’il ne m’a rien envoyé du tout. Là, j’ai compris que j’étais sur quelque chose de gros.

— Pourquoi as-tu eu des soupçons au départ, Hilly ?

— En ce temps-là, on gravait et on imprimait les timbres par plaques carrées de seize, quatre fois quatre. Une bande de six, automatiquement, c’était un faux.

— Ça, c’est de la perspicacité !

— À mon retour à G.M., je me suis dit que c’était peut-être un collectionneur rival qui voulait me détourner de la piste de l’Edsel. C’est alors que le Radex m’en envoyé des excuses, et un mandat de remboursement. Erreur de transmission. Il fallait lire seize timbres de Guyane britannique au lieu de six. À ce moment-là, mon sang a commencé à bouillir.

— Pourquoi ?

— Parce que Volk et moi, nous avions eu cette conversation en privé dans son atelier. Personne n’était présent à part nous, mais quelqu’un a écouté notre conversation.

— Volk est plombé.

— Sans nul doute, mais en quoi la polizei se soucie-rait-elle de timbres rares ?

— Le prix.

— Il n’a jamais été mentionné.

— Mm.

— C’était quelque chose d’autre qui nous avait épiés, et qui essayait de réparer une gaffe. Il y a eu une troisième tentative pour me faire quitter la G.M., mais je n’entrerai pas dans les détails. C’était un défi. Je ne pouvais pas résister. J’ai fait ce que le Cosaque n’a pas pu faire. J’ai retrouvé le Groupe. Tout le monde avait été dispersé par de faux messages.

— Pourquoi ?

— Attends. J’ai découvert l’existence de l’Extro et de son réseau, du Dr Devine et de toute cette fichue conspiration de cinglés.

— Le Groupe est donc au courant ?

— Plus ou moins. C’est Poulos qui m’a donné le plus gros des informations.

— Où est-il ? Dispersé lui aussi ?

— Non. Il essaye de découvrir le renégat. Oui, nous en avons longuement discuté avec le Grec, et je suis d’accord avec ses conclusions. C’est un dangereux micmac. Une question vitale. Il – ou elle – doit être neutralisé avant qu’il anéantisse le Groupe. Aucun d’entre nous n’est de taille à lutter seul contre lui. C’est la raison pour laquelle, je pense, il a voulu nous disperser. Pour disposer de nous un par un.

— Tu n’as aucune idée sur son identité ?

— Pas un seul indice. Il y a parmi nous une proportion à peu près normale de brebis galeuses. Tu peux faire ton choix.

— Une seule question. Tu sembles dire que l’Extro est capable de faire des erreurs ?

— Je croyais que tu avais dépassé le stade de l’admiration béate des machines à penser, Guig. Bien sûr qu’ils peuvent commettre des erreurs. De même que le collaborateur de l’Extro, le Dr Devine. Même entre eux, ils peuvent se tromper, et c’est grâce à ça que nous allons trouver Devine et ses trois phénomènes. Qu’est-ce que tu dis, toi, Guig, tu crois qu’ils sont équipés d’un zizi et d’un gros toto en même temps ?

— Je n’en sais rien, Hilly. Je ne tiens pas à aller à vérifier. Tout cela me donne la chair de poule.

— Quand nous aurons retrouvé Devine, nous saurons à quoi nous en tenir. Pour le moment, nous lançons une offensive à trois pointes. Devine et la capsule se planquent quelque part sur la planète.

— Aucune chance.

— Ou peut-être en orbite.

— Explique.

— Il a fait sortir la capsule de l’United C. après qu’elle eut écrasé la fille. Bon. Houdini et Valentine ont filé pendant que tu étais dans un état de choc. Personne n’a remarqué que la capsule décollait.

— Pour se mettre en orbite ?

— De quelle manière ? Il faut un propulseur pour cela, et il n’en avait pas. La capsule a dû grimper aussi haut que son système de répulsion le lui permettait, et puis se laisser dériver.

— Il est peut-être retombé, dit Natoma.

— Il y avait des tuyères pour le contrôle d’attitude dans l’espace. C’est suffisant pour soulever la capsule et l’amener n’importe où, mais seulement sur la Terre. Voyons maintenant les trois pointés. Vous, madame Curzon, vous allez vous rendre partout demander des nouvelles de votre célèbre et distingué grand frère. Vous l’adorez et vous êtes inquiète de sa disparition.

— Je le suis, monsieur Hillel.

— Je vous crois, et tout le monde vous croira aussi. Faites-vous enquiquineuse. Forcez les gens à vous fuir comme la peste. Envoyez continuellement des messages à Guig pour annoncer que vous progressez.

— Et si je ne progresse pas ?

— Utilisez votre imagination. Nous aussi, nous pouvons envoyer de faux messages. Votre frère sera au courant de toutes vos actions grâce au réseau. Peut-être que cela l’incitera à se découvrir pour vous rassurer.

— Je comprends. J’espère que ça marchera.

— Guig, ton rôle est un peu plus technique. Combien de carburant y avait-il dans la capsule ? Jusqu’où pouvait-elle aller ? Il faut…

— Les réservoirs étaient pleins d’hélium sous pression.

— Mm. Tu vas me calculer ça quand même. Ensuite, vérifie les rapports et communiqués sur les apparitions d’OVNI. Une capsule spatiale est un spectacle inhabituel dans le ciel de la Terre. Le Dr Devine aura besoin d’énergie pour maintenir les systèmes de pressurisation et de réfrigération de la capsule en état de marche. S’il se met sous abri, les palettes alimentant les batteries solaires ne pourront plus charger. Tâche de vérifier s’il n’y a pas eu dans les parages où tu enquêtes des demandes ou des prélèvements d’énergie inhabituels. Encore une chose. Supposons que le développement des cryonautes s’arrête au stade de l’enfance ? Un esprit infantile dans un corps d’adulte.

— Mince ! Je n’aurais pas pensé à ça.

— Personne n’y a pensé.

Natoma déclara :

— Boris a dit qu’il avait toutes ses aptitudes intactes quand il a ressuscité grâce aux clowns de l’éden.

— Les clones de l’ADN, ma chérie.

— Merci, Glig.

— Ce n’est pas la même chose, madame Curzon, expliqua Hillel. Votre frère devra les élever et faire leur éducation ; surtout, leur apprendre à parler. Regarde du côté des fournisseurs spécialisés dans le matériel pédagogique pour enfants retardés ou autistiques. Adresse de tous les gens qui ont passé une commande au cours du mois dernier. Je sais que c’est embêtant, mais…

Je haussai les épaules.

— Et la troisième pointe ?

— C’est moi. La partie la plus dure. Pourquoi y a-t-il eu trois tentatives distinctes pour me faire quitter G.M. ?

— Mais le renégat et l’Extro ont dispersé le Groupe entier.

— Exact. Ils ont peur de nous. Mais ils auraient pu facilement m’attirer en dehors de G.M. en me mettant sur la piste de l’Edsel. Pourquoi ne l’ont-ils pas fait ? Peut-être que la voiture n’existe pas. C’est une possibilité. Peut-être aussi qu’ils ont fait une erreur dans l’évaluation de ma personnalité. C’en est une autre. Mais cela ne me satisfait pas. J’en cherche une troisième.

— Laquelle ?

— Je n’en ai pas la moindre idée. Je ne suis même pas sûr qu’elle existe.

— À ton avis, Hilly. Tu crois que Devine est un monstre ?

— Nn, Nn, Nn. L’Extro et le renégat, oui, ce sont des monstres. Malheureusement, pour contre-attaquer, il nous faut nous en prendre à Devine, qui n’est qu’un vilain garnement.

— Un vilain garnement !

— Je répète, un vilain garnement. Il se trouve confronté avec des découvertes stupéfiantes, et ça le rend ivre comme un adolescent amoureux pour la première fois. Je ne peux pas le blâmer pour cela. C’est tellement inhabituel que personne ne pourrait y résister.

— Que pouvons-nous faire, dans ce cas ?

— Le désintoxiquer. Dans le fond, c’est un gentil garnement. Un enquiquineur pour le moment, mais qui ne représente pas une source de danger pour l’avenir. Concentre-toi sur ce qui nous menace vraiment : l’Extro et le renégat.

— Tu crois qu’ils forment une association commensale, aussi ?

Quien sabel Et maintenant, hélas, nous devons nous séparer. Au travail, chacun de son côté. Fini de jouer au papa et à la maman, Guig. Je regrette, mais ta lune de miel est terminée. Souviens-toi que nous devons communiquer constamment par Télex et Radex, mais que nous ne devons croire aucun message que nous recevons, quel qu’il soit.

— Mais si…

— Il n’y a pas de mais si. Tu as dit à Boris qu’il s’agissait d’une poursuite clandestine. C’est vrai. Mentez-vous. Inventez. N’ayez pas peur d’exagérer. Le réseau piquera une crise quand il se demandera s’il s’agit d’un code qu’il ne comprend pas. Rappelez-vous toujours qu’il fabriquera de faux messages lui aussi, alors ne vous fiez à rien et poursuivez votre poursuite. Chacun de nous trois opère séparément. Compris ?

— Uu, mon commandant.

— Bong. Vous allez me laisser une demi-heure d’avance. Ravi d’avoir fait votre connaissance, madame Curzon. N’oublie pas de ramasser tes poulets, Guig.

— N’oubliez pas que Séquoia est mon frère, lui cria Natoma.

Le Juif se retourna en souriant.

— Ce qui est plus important, c’est qu’il fait partie du Groupe, madame Curzon ; et nous avons toujours un petit faible pour nos meshugenehs [1]. Demandez donc à votre mari ce que nous avons enduré avec Kafka l’aboyeur.

Puis il disparut. Efficace et rapide.

— Kafka l’aboyeur ? demanda Natoma.

— Il se prenait pour une colonie de phoques. Ce béton ne sera pas trop dur pour ton dos ?

— Oui, mais pas pour le tien.

Nous donnâmes donc sa demi-heure à Hillel, et je n’oubliai pas de ramasser les poulets en partant.


LÊMURE DE UN MÈTRE QUATRE-VINGTS DÉCOUVERT À MADAGASCAR. FOSSILE VIVANT. PRÉVIENS TON FRÈRE D’URGENCE.

SÉQUOIA SIGNALÉ SUR THÉTIS.

TELFORD DÉCLARE QUE TON FRÈRE TRAVAILLE SUR UN TRAITEMENT DE L’ASTHME CHEZ LES SAUTERELLES. PEUX-TU CONFIRMER ? PRIX NOBEL EN VUE S’IL DÉCOUVRE SAUTERELLES ASTHMATIQUES

IMPOSSIBLE CONFIRMER. AL APPRIS QU’IL VIENT D’ADHÉRER À SECTE INCA AU MEXIQUE.

EDISON PRÉTEND CAPSULE EN ORBITE AVEC TON FRÈRE. IL DIT QUE SÉQUOIA EST UN SINGE D’AIRAIN. PP CROIRE EDISON.

SÉQUOIA A QUITTÉ LE MEXIQUE. QUE FAIS-TU À P & G ?

ERREUR DE TRANSMISSION PROBABLE. PP P & G. JE SUIS A TINKER TOY. TON FRÈRE PAS LOIN MAIS GLACES DE FOND RENDENT RECHERCHES DIFFICILES.

URGENT. VIENS IMMÉDIATEMENT À GARBO. ME SUIS BRISÉ LA HANCHE

REGRETTABLE. PP AIMER TA HANCHE. DOIS RENCONTRER DEVINE A SAN MIGUEL ALLERGY.

DEMANDE RESPECTUEUSEMENT LE DIVORCE.

EXIGE CONTREPROCÈS POUR LE CRIME DE PHLÉBOTOMIE COMMIS SUR TON FRÈRE. COMMENT T’ES-TU BRISÉ LA HANCHE À GARBO ?

PP. GARBO. SUIS À DIETR1CH. HANCHE INTACTE.

TON FRÈRE ME DIT QUE LA CAPSULE EST BIEN CACHÉE MAIS IL NE DIT PAS OÙ. LE SAIS-TU ?

SUIS AMOUREUSE D’ECZÉMA LE MÉCHANT. DEMANDE

RESPECTUEUSEMENT DIVORCE OU TON SUICIDE. MON FRÈRE NE M’A RIEN DIT.

URGENT. INFORME SÉQUOIA QU’UN NOUVEAU FOSSILE VIVANT A ÉTÉ SIGNALÉ AU CANASKA. UN DINAHSORE. IL EST GERMAPHRODITE.

URGENT. STP ENVOYER FINANCES. REÇU FACTURE DE TRACTEURS ET COMPAGNIE POUR 1110110011 MILES PARCOURUS EN PLUS À LA SUITE DE TES MESSAGES.

IMPOSS. M10110011 MILES EST LA DISTANCE JUSQU’AU SOLEIL ET RETOUR. C’EST LÀ QUE SE CACHE TON FRÈRE ?

CORRECTION. PP MILES. KILOMÈTRES.

JE RÉPÈTE : DISTANCE JUSQU’AU SOLEIL QUAND MÊME. TON FRÈRE EN ORBITE AVEC LA CAPSULE ?

CORRECTION : UTILISÉ SYSTÈME BINAIRE AU LIEU DE DÉCIMAL. LIRE 947 KILOMÈTRES. UU. SÉQUOIA ET CAPSULE EN ORBITE


Le Juif avait raison, comme d’habitude. Le réseau de l’Extro était en train de devenir fou. Transmissions déformées, faux messages, corrections stupides. Pendant ce temps, je suivais la voie qu’il m’avait tracée. La capsule était bourrée de gaz, suffisamment pour arriver jusqu’à Houston, Memphis, Duluth ou Toronto. Inutile de faire des diagrammes. Il y avait eu une douzaine d’OVNI signalés dans le Nevahado, l’Utoming, l’Iowska et l’Indinois. Sans compter Hawaii. Là aussi, c’était un échec.

Je ne réussis pas davantage dans le domaine de l’énergie. Après une demi-douzaine de consultations, je découvris qu’ils ne tenaient plus compte des vols de carburant. Ça leur coûtait moins cher de faire passer ça dans les frais généraux et d’augmenter leurs tarifs en conséquence.

Quant aux méthodes d’enseignement pour enfants autistiques, là je crois que je tenais le bon bout. Sacré Hillel ! Une pluie de commandes pour des méthodes accélérées s’était abattue sur plusieurs succursales. Les commandes, qui provenaient d’un organisme qui s’intitulait la Néo-Ecoie, avaient été centralisées au siège social de Tchicago, qui seul savait où il fallait les expédier. Il y avait de fortes chances pour qu’il s’agisse de Hiawatha et de ses trois bébés germaphrodites. Il était nécessaire que j’aille farfouiller un peu du côté de Tchi.

Entre-temps, il apparut que j’étais moi-même traqué. Cela commença petit, pour prendre de l’ampleur au fur et à mesure. Je recevais la visite de représentants de composts privés. On me livrait des gâteaux de noces entourés d’horribles néons ; je recevais, contre-remboursement, des vêtements, des tapis, des chambres à coucher, des bouteilles d’alcool ou d’acide, des ceintures pour hernie. Des acuponcteurs que je ne connaissais pas m’envoyaient des notes d’honoraires. On me confirmait des réservations pour Vénus, Mars, Jupiter et même les satellites de Saturne, le tout en classe de luxe, naturellement.

Cela devint bientôt plus grave. Mettez ensemble l’adoration des ordinateurs par les hommes et la révolte des machines électroniques, et vous aurez quelque chose de sérieux sur les bras. Il n’y a rien que ces fichues machines ne puissent pas faire quand les humains inclinent la tête et considèrent l’infaillibilité comme acquise. Au moins, les Druides adoraient des arbres. Un arbre, c’est raisonnable et digne de confiance. Un arbre, ça ne se laisse pas corrompre.

Six accusations de meurtre furent lancées contre moi par la machine du Provocateur général. Le tout suivi de l’annonce de mon suicide dans les dépêches de l’agence Solar Press. Puis mon passeport et mes cartes de crédit furent rejetés comme faux par un ordinateur. J’étais maintenant un apatride.

Mes sept banques et maisons de courtage m’informèrent sèchement que mes comptes accusaient un large découvert. Elles ne pouvaient plus m’accorder de facilités. J’étais en état de cessation de paiement. Mon ancienne demeure – celle du Grand Chef maintenant – fut rasée jusqu’aux fondations par un gigantesque incendie. J’avais pris la précaution de déménager tous les trésors du tipi pour les mettre dans un coffre. Tout fut détruit ou volé. Je passai la nuit à fouiller dans les cendres tièdes à la recherche d’un fragment de souvenir. Les pillards étaient arrivés avant moi et ne m’avaient laissé que leurs excréments, ainsi qu’une arme étrange qu’ils avaient dû perdre dans la mêlée. C’était une dague à la lame courte, épaisse et pointue. La poignée était formée de deux barres parallèles reliées par une pièce transversale. Je la glissai dans ma botte. Elle me permettrait peut-être de retrouver les vandales et de remettre la main sur des objets volés.

J’aurais tout laissé tomber cette nuit-là, n’eût été la pensée des représailles auxquelles se livreraient Natoma et Hillel s’ils le savaient. Cela me donna le courage du lâche. Le lendemain, je payai un billet en espèces pour le linéaire de Tchicago. Je fus détourné sur Cannibal, Mistucky. Transféré avec les autres voyageurs et force excuses sidérées dans un autre linéaire qui se rendait à Tchi mais qui arriva cette fois-ci à Duluth. Transfert et confusion derechef. (« Comprends pas ! Ces lignes sont entièrement contrôlées par ordinateur ! ») Mais entre-temps le Guig-guignon avait compris. Ils ne veulent pas me laisser entrer à Tchicago ? Bong. Je montai dans la navette de Buffalo. J’arrivai à destination sans problème.

Je me trouvais donc à l’autre extrémité de la réserve du lac Erié. Pour une fois, la chance fut de mon côté. Parmi l’équipe qui gardait l’entrée, il y avait un de mes parents totémiques qui me reconnut aussitôt, frappa quatre fois ses poings fermés l’un contre l’autre et me fit grimper à bord d’un hélico pour me piloter jusqu’au wigwam en marbre des Devine.

Je devais avoir une mine horrible. Quand elle me vit, mama éclata en sanglots et m’enveloppa de ses replis. Puis elle me déshabilla, me donna un bain et me fit boire un bouillon qui m’emplit de bien-être entre les côtes. Je n’ai jamais eu une mère comme ça. Je l’adorais. Une heure plus tard, papa entra dignement, accompagné par un lutin – trop de tête, pas assez de corps pour aller avec. Des yeux slaves, des pommettes hautes. Un personnage issu du Roi de la Montagne Magique.

— Like bwenas thardes, man, fit le lutin en un spanglais melliflue. How esta you ?

— Je me sens plus à l’aise en XXe, répondis-je. Vous ne le parleriez pas par hasard ?

— Mais certainement. Permettez-moi de me présenter. Larsen. Professeur de linguistique à l’Université de la Réserve. Vous n’êtes pas malade, j’espère, monsieur Curzon.

— Seulement fatigué, épuisé, vanné.

— Le Sachem demande d’abord des nouvelles de vous, son nouveau fils. Je vais le lui dire.

Il parla à papa en cherokee. Papa secoua la tête d’un air navré et fit claquer sa langue.

— Maintenant, il demande comment vont sa fille et son autre fils.

— Tous deux sont vivants et en bonne santé à ma connaissance.

— Ceci est un peu ambigu, monsieur Curzon.

— Je n’en disconviens pas, professeur Larsen, mais les faits sont si compliqués qu’il faudrait le reste de la journée pour les expliquer. Dites-lui simplement vivants et en bonne santé et heureux.

Après une courte palabre, le lutin me traduisit :

— Le Sachem demande pourquoi ils ne sont pas avec vous.

— Dites-lui que je suis sur le point d’aller les rejoindre.

— Ceci est une visite de courtoisie ?

— Oui et non.

— C’est encore ambigu, monsieur Curzon.

— Cela fait partie de la complexité du tout. Il faut que j’emprunte un peu d’argent liquide.

— Mais vous avez la réputation d’être plusieurs fois milliardaire.

— C’est vrai. Toujours la complexité.

— J’aimerais entendre cela. Je n’ai jamais été si intrigué. Excusez-moi. (Il se tourna pour cacarder avec papa, puis m’annonça :) Le Sachem a dit oui, certainement. Combien ?

— Cent mille.

Larsen fut sidéré. Ce ne fut pas le cas de papa. Il hocha calmement la tête. Je l’adorais. Je n’ai jamais eu un père comme ça. Il quitta la pièce et revint quelques instants plus tard avec dix liasses de billets dorés, ce qui signifiait que c’étaient des coupures de mille. Il en fit une petite pile sur la table de nuit, s’assit à mon chevet et me dévisagea longuement. Il posa une main sur mon front en murmurant quelque chose.

— Le Sachem dit que malgré la fatigue, le mariage avec sa fille semble vous réussir, traduisit le lutin.

— Dites-lui qu’elle est devenue plus jolie que jamais.

— Je préfère pas, monsieur Curzon. Selon la tradition, un homme qui se respecte ne doit pas admirer sa femme.

— Merci, professeur Larsen. Dites-lui que Natoma est une squaw très travailleuse.

— Je pense que cela devrait lui faire plaisir.

La porte s’ouvrit soudain en grand et la squaw en question chargea avec l’air d’une déesse agitée. Si toutefois les déesses s’habillent au dernier goût du jour. Elle se jeta sur moi littéralement.

— Qu’est-ce que tu as, Glig ? Tu es malade ? Pourquoi es-tu au lit ? Je te fais mal ? Que fais-tu ici ? Où devrais-tu être ? Tu savais que j’allais venir ? Comment ? Pourquoi ne dis-tu rien ?

Dès que j’eus l’occasion de placer un mot, je le plaçai. Je réussis même à lui demander ce qu’elle faisait elle-même ici.

— Il fallait que je vienne, me dit-elle. Sinon ma raison risquait de vaciller. Je viens de voir mon frère. Tu ne peux pas savoir comme je suis furieuse.

Je mourais d’entendre les nouvelles qu’elle m’apportait, mais le repas était prêt. Nous n’avions plus le temps de parler. Papa, le professeur, les petits frères et moi-même nous passâmes à table. Mama et Natoma nous servaient. Mon incomparable femme avait eu le charme de retourner aux traditions de la réserve. Elle portait des vêtements de daim, gardait les yeux baissés et rougit même quand les vilains petits frères se mirent à faire des plaisanteries grossières sur le mariage, que Larsen refusa de traduire.

Quand je lui fis signe de sortir avec moi pour faire une petite promenade du soir, elle acquiesça de la tête mais me fit comprendre qu’il fallait attendre. Elle avait la vaisselle à faire avec mama. Quand finalement nous quittâmes ensemble le wigwam, elle marcha sagement à trois pas derrière moi jusqu’à ce que nous fûmes hors de vue. Elle se jeta alors à mon cou et faillit me renverser.

— Je t’aime. Comme je t’aime ! Je t’adorerais même si tu étais détestable. Tu m’as arrachée à tout ça.

— Tu t’en serais arrachée toi-même, Natoma.

— Comment aurais-je pu ? Je ne savais même pas qu’il existait un autre monde. Non, c’est toi qui m’as libérée, et maintenant je suis entière.

— Moi aussi ; cela fonctionne dans les deux sens.

Elle me conduisit à sa cachette d’enfant, un cèdre du Liban énorme où l’on pouvait grimper, s’asseoir l’un à côté de l’autre et se tenir les mains sans s’attirer de commentaires caustiques de la part des conservateurs du lac Erié.

— Qui commence, toi ou moi ? demanda-t-elle.

— Toi.

— Hillel avait raison. Mon frère n’a pas pu résister au désir de venir me parler.

— Où t’a-t-il retrouvée ?

— À Boxton.

— J’ignorais que tu étais allée là-bas.

— Les machines nous séparaient exprès.

— Uu. Et alors ? Il a essayé de te rassurer ?

— Non. Il m’a fait peur. Ce n’est pas seulement un mauvais garnement. Il est devenu froid, très froid. Son cœur est une pierre.

— Ah !

— Ce n’est plus mon frère.

— Pas pour l’instant, mais il le redeviendra.

— Il m’a dit qu’il livrerait une guerre sans merci au genre humain, qui cherchait cela depuis un milliard d’années. Ravages et destructions. La mort de l’humanité.

Dio ! Nous savions déjà que le réseau et lui ne plaisantaient pas.

— Il m’a conseillé de rentrer ici me mettre à l’abri. Le réseau n’a pas accès à la réserve. Il y a d’autres endroits qui sont immunisés aussi. Le Sahara, le Brésil… J’en oublie, parce que je n’écoutais pas tellement.

— Pourquoi pas ?

— J’étais furieuse. Je lui ai dit… Pourquoi souris-tu ?

— Parce que je sais ce que c’est, quand tu es furieuse.

— Je lui ai dit que c’était un sale traître, envers ce monde merveilleux que tu m’as fait connaître.

— Eh bien ! Tu devais être dans tous tes états.

— Je l’étais. Je lui ai dit que je n’étais plus une squaw. Que tu avais fait de moi une personne pensante, indépendante, et que je ferais tout ce qui serait en mon pouvoir pour l’arrêter et pour le châtier, même si je devais pour cela rassembler tous les peuples et toutes les tribus de l’Erié et les lancer à ses trousses. Ils ont bien eu raison de la Maffia Internationale. Je ne vois pas pourquoi il les tiendrait en échec avec son fichu ordinateur.

— Ça c’est parler, Nato. Et tu crois que les peuples et les tribus suivraient ?

— J’en suis sûre. Nous nous passons de l’électronique depuis des générations, en dehors du système de sécurité et de quelques gadgets mineurs. Ce n’est pas un vulgaire ordinateur qui va nous en imposer. De plus, nos braves sont démangés par l’idée d’aller se battre.

— Même contre le fils du Grand Sachem ?

— Ils ne le tueront pas. Ils le feront seulement rôtir à petit feu, à la mode iroquoise, jusqu’à ce qu’un peu de bon sens lui entre dans la cervelle. Cela devrait suffire à le désintoxiquer.

— Tu lui as parlé du véritable ennemi, le renégat ?

— Non.

— Et qu’est-ce qu’il a répondu à tout ça ?

— Rien du tout. Il s’est détourné et m’a quittée comme tu quittes un fauteuil.

— Pour aller où ?

— Il ne me l’a pas dit.

— Pour retourner à la capsule ?

— Je n’en sais rien. Ensuite, je suis venue ici.

— Bien sûr. Et tu vas y rester.

— Nn.

— Pourquoi Nn ?

— Je veux aller avec toi.

— Natoma !

— Edward !

Nous nous disputâmes si bien que je faillis tomber de l’arbre. J’énumérai tous les désastres causés par le réseau. Rien. Pas même une larme pour la disparition du service de Sèvres. Elle serra simplement les lèvres d’un air encore plus décidé. Elle avait reçu le ballon du vieux farfelu que j’étais, et elle était décidée à courir avec ou à faire la passe. Aussi je renonçai. Ma fichue Cherokee d’épouse avait jeté sur moi son sortilège indien.

Elle réussit à flouer le réseau anti-Tchicago. Nous primes la navette de Buffalo jusqu’à Pittsburgh. Puis de Pittsburgh à Charleston. Là, nous avions l’intention d’aller à Springfield et d’embarquer à bord d’un hovercraft pour Tchi. Mais quelqu’un avait dû faire une erreur sur le billet de Natoma. On l’appela au comptoir de Charleston juste avant le départ. Son spanglais n’étant pas aussi bon que son XXe, je la laissai à bord de la navette pour descendre voir moi-même ce qu’il y avait.

J’argumentai longuement avec les gros malins de la compagnie. Ils argumentèrent en retour. Contrôle par ordinateur (inévitable). Le billet n’était pas valable. J’abattis sur le comptoir une coupure dorée en demandant un nouveau billet. Vite, s’il vous plaît. Mais le système automatique nous prit de vitesse. La navette s’envola sans moi. À cent pieds d’altitude, une explosion la volatilisa, fracassa les murs de la salle des passagers et me fit rejoindre le pays de l’oubli.

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