Le moyenâgeux

Paroles et Musique: Georges Brassens 1966

Le seul reproche, au demeurant,

Qu'aient pu mériter mes parents,

C'est d'avoir pas joué plus tôt

Le jeu de la bête à deux dos.

Je suis né, même pas bâtard,

Avec cinq siècles de retard.

Pardonnez-moi, Prince, si je

Suis foutrement moyenâgeux.

Ah! que n'ai-je vécu, bon sang!

Entre quatorze et quinze cent.

J'aurais retrouvé mes copains

Au Trou de la pomme de pin,

Tous les beaux parleurs de jargon,

Tous les promis de Montfaucon,

Les plus illustres seigneuries

Du royaum' de truanderie.

Après une franche repue,

J'eusse aimé, toute honte bue,

Aller courir le cotillon

Sur les pas de François Villon,

Troussant la gueuse et la forçant

Au cimetièr' des Innocents,

Mes amours de ce siècle-ci

N'en aient aucune jalousie…

J'eusse aimé le corps féminin

Des nonnettes et des nonnains

Qui, dans ces jolis tamps bénis,

Ne disaient pas toujours " nenni ",

Qui faisaient le mur du couvent,

Qui, Dieu leur pardonne! souvent,

Comptaient les baisers, s'il vous plaît,

Avec des grains de chapelet.

Ces p'tit's sœurs, trouvant qu'à leur goût

Quatre Evangil's c'est pas beaucoup,

Sacrifiaient à un de plus:

L'évangile selon Vénus.

Témoin: l'abbesse de Pourras,

Qui fut, qui reste et restera

La plus glorieuse putain

De moines du quartier Latin.

A la fin, les anges du guet

M'auraient conduit sur le gibet.

Je serais mort, jambes en l'air,

Sur la veuve patibulaire,

En arrosant la mandragore,

L'herbe aux pendus qui revigore,

En bénissant avec les pieds

Les ribaudes apitoyées.

Hélas! tout ça, c'est des chansons.

Il faut se faire une raison.

Les choux-fleurs poussent à présent

Sur le charnier des Innocents.

Le Trou de la pomme de pin

N'est plus qu'un bar américain.

Y a quelque chose de pourri

Au royaum' de truanderie.

Je mourrai pas à Montfaucon,

Mais dans un lit, comme un vrai con,

Je mourrai, pas même pendard,

Avec cinq siècles de retard.

Ma dernière parole soit

Quelques vers de Maître François,

Et que j'emporte entre les dents

Un flocon des neiges d'antan…

Ma dernière parole soit

Quelques vers de Maître François…

Pardonnez-moi, Prince, si je

Suis foutrement moyenâgeux.

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