Les deux oncles

Paroles et Musique: Georges Brassens 1964

C'était l'oncle Martin, c'était l'oncle Gaston

L'un aimait les Tommies, l'autre aimait les Teutons

Chacun, pour ses amis, tous les deux ils sont morts

Moi, qui n'aimais personne, eh bien! je vis encor

Maintenant, chers tontons, que les temps ont coulé

Que vos veuves de guerre ont enfin convolé

Que l'on a requinqué, dans le ciel de Verdun

Les étoiles ternies du maréchal Pétain

Maintenant que vos controverses se sont tues

Qu'on s'est bien partagé les cordes des pendus

Maintenant que John Bull nous boude, maintenant

Que c'en est fini des querelles d'Allemand

Que vos fill's et vos fils vont, la main dans la main

Faire l'amour ensemble et l'Europ' de demain

Qu'ils se soucient de vos batailles presque autant

Que l'on se souciait des guerres de Cent Ans

On peut vous l'avouer, maintenant, chers tontons

Vous l'ami les Tommies, vous l'ami des Teutons

Que, de vos vérités, vos contrevérités

Tout le monde s'en fiche à l'unanimité

De vos épurations, vos collaborations

Vos abominations et vos désolations

De vos plats de choucroute et vos tasses de thé

Tout le monde s'en fiche à l'unanimité

En dépit de ces souvenirs qu'on commémor'

Des flammes qu'on ranime aux monuments aux Morts

Des vainqueurs, des vaincus, des autres et de vous

Révérence parler, tout le monde s'en fout

La vie, comme dit l'autre, a repris tous ses droits

Elles ne font plus beaucoup d'ombre, vos deux croix

Et, petit à petit, vous voilà devenus

L'Arc de Triomphe en moins, des soldats inconnus

Maintenant, j'en suis sûr, chers malheureux tontons

Vous, l'ami des Tommies, vous, l'ami des Teutons

Si vous aviez vécu, si vous étiez ici

C'est vous qui chanteriez la chanson que voici

Chanteriez, en trinquant ensemble à vos santés

Qu'il est fou de perdre la vie pour des idées

Des idées comme ça, qui viennent et qui font

Trois petits tours, trois petits morts, et puis s'en vont

Qu'aucune idée sur terre est digne d'un trépas

Qu'il faut laisser ce rôle à ceux qui n'en ont pas

Que prendre, sur-le-champ, l'ennemi comme il vient

C'est de la bouillie pour les chats et pour les chiens

Qu'au lieu de mettre en joue quelque vague ennemi

Mieux vaut attendre un peu qu'on le change en ami

Mieux vaut tourner sept fois sa crosse dans la main

Mieux vaut toujours remettre une salve à demain

Que les seuls généraux qu'on doit suivre aux talons

Ce sont les généraux des p'tits soldats de plomb

Ainsi, chanteriez-vous tous les deux en suivant

Malbrough qui va-t-en guerre au pays des enfants

O vous, qui prenez aujourd'hui la clé des cieux

Vous, les heureux coquins qui, ce soir, verrez Dieu

Quand vous rencontrerez mes deux oncles, là-bas

Offrez-leur de ma part ces "Ne m'oubliez pas"

Ces deux myosotis fleuris dans mon jardin

Un p'tit forget me not pour mon oncle Martin

Un p'tit vergiss mein nicht pour mon oncle Gaston

Pauvre ami des Tommies, pauvre ami des Teutons…

Загрузка...