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— PLANTÉS, les mecs. On est plantés.

— ’Toute façon, on n’a pas l’ombre d’une empreinte, alors...

Sur le seuil d’une petite pièce, au premier étage, plusieurs flics fixaient d’un air découragé un ordinateur, surmonté d’une loupe mobile et relié par un réseau de câbles à un scanner.

A l’intérieur du réduit, assis face à l’écran, les yeux écarquillés comme des fenêtres, un grand blond s’escrimait à régler les paramètres d’un logiciel. Karim se renseigna : Patrick Astier en personne. A ses côtés, Marc Costes se tenait debout – un mec brun, voûté, embué par de grosses lunettes.

Les flics quittaient les lieux, jouant des coudes et marmonnant quelques réflexions philosophiques sur le manque de fiabilité des nouvelles technologies. Ils ne jetèrent pas même un regard à Karim.

Celui-ci s’approcha et se présenta à Costes et à Astier. En quelques mots, les trois interlocuteurs comprirent qu’ils étaient sur la même longueur d’ondes. Jeunes et passionnés, ils tournaient le dos à leur propre peur en se concentrant sur cette enquête. Quand le flic beur eut expliqué précisément ce qui l’amenait, Astier ne put réprimer son excitation. Il s’exclama :

— Merde. Les empreintes du tueur, rien que ça ? On va tout de suite les soumettre au CMM.

Karim s’étonna :

— Il marche ?

L’ingénieur sourit. Une mince fêlure dans la porcelaine du visage.

— Bien sûr qu’il marche. (Il désigna les OPJ, déjà occupés ailleurs.) Ce sont eux qui ne marchent pas des masses...

En quelques gestes rapides, Astier ouvrit une des mallettes nickelées que Karim avait repérées dans un coin de la pièce. Des kits de relève d’empreintes latentes et de moulages de traces. L’ingénieur extirpa un pinceau magnétique. Il enfila des gants de latex puis trempa l’instrument aimanté dans un conteneur de poudre d’oxyde de fer. Aussitôt, les infimes particules se groupèrent en une petite boule rose, au bout de la pointe magnétique.

Astier saisit le Glock et frôla sa crosse avec le pinceau. Il plaqua ensuite sur l’arme un film adhésif transparent, qu’il colla en retour sur un support cartonné. Alors apparurent les crêtes digitales argentées, brillantes sous la pellicule translucide.

— Superbes, souffla Astier.

Il glissa la fiche dactylaire dans le scanner, puis se rassit face à l’écran. Il écarta la loupe rectangulaire et pianota sur le clavier. Presque aussitôt les trames digitales s’affichèrent sur le moniteur. Astier commenta :

— Les empreintes sont d’excellente qualité. Nous avons de quoi numériser vingt et un points : le maximum...

Des signaux rouge grenat, reliés entre eux par des lignes obliques, apparaissaient en surimpression sur les crêtes digitales, coïncidant avec des petits bips sonores de salle d’urgence. Astier poursuivait, comme pour lui-même :

— Voyons ce que MORPHO nous dit.

C’était la première fois que Karim contemplait le système à l’œuvre. D’un ton doctoral, Astier apportait ses commentaires : MORPHO était un immense registre informatique qui conservait les empreintes des criminels de la plupart des pays européens. Par modem, le programme était capable de comparer n’importe quelle nouvelle empreinte, quasiment en temps réel. Les disques durs bourdonnaient.

Enfin, l’ordinateur livra sa réponse : négative. Les empreintes de « l’ombre » ne correspondaient à aucun sillon du fichier des délinquants connus. Karim se redressa et soupira. Il s’attendait à cette conclusion : la suspecte n’appartenait pas à la corporation des criminels ordinaires.

Soudain le flic eut une autre idée. Un joker. Il sortit de sa veste de cuir la fiche cartonnée qui portait les empreintes digitales de Judith Hérault, prélevées juste après son accident de voiture, quatorze ans auparavant. Il s’adressa à Astier.

— Tu peux scanner aussi ces empreintes et les comparer ?

Astier pivota sur son siège et saisit la fiche.

— Aucun problème.

L’ingénieur se tenait si droit qu’il semblait avoir avalé un néon. Il jeta un bref regard sur les nouveaux dermatoglyphes. Il parut réfléchir quelques secondes puis releva ses yeux myosotis vers Karim.

— D’où sors-tu ces empreintes ?

— D’une station d’autoroute. Ce sont celles d’une petite fille, morte dans un accident de voiture, en 1982. On ne sait jamais. Une ressemblance ou...

Le scientifique l’interrompit :

— Ça m’étonnerait qu’elle soit morte.

— Quoi ?

Astier glissa la fiche sous l’écran-loupe. Les sillons ciselés apparurent en transparence, irisés et agrandis à une échelle exponentielle.

— Je n’ai pas besoin d’analyser ces empreintes pour te dire que ce sont les mêmes que sur la crosse du flingue. Mêmes crêtes sous-digitales transversales. Même tourbillon, juste au-dessous des crêtes.

Karim était sidéré. Patrick Astier rapprocha la loupe mobile de l’écran d’ordinateur, de façon à ce que les deux dermatoglyphes soient placés côte à côte.

— Les mêmes empreintes, répéta-t-il, à deux âges différents. Ta fiche porte celles de l’enfant, la crosse celles de l’adulte.

Karim fixait les deux images et se persuadait de l’impossible.

Judith Hérault était morte en 1982, dans les tôles d’une voiture fracassée.

Judith Hérault, vêtue d’un ciré et d’un casque de cycliste, venait de vider un chargeur de Glock au-dessus de sa tête.

Judith Hérault était à la fois morte et vivante.

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