BERNARD PIVOT Les Tweets sont des chats

à la mémoire

de Maurice Noël

Avant-tweets

Maurice Noël, à qui je dédie ce florilège de tweets, a été mon rédacteur en chef au Figaro littéraire au début des années 60. C’est lui qui m’a appris à faire court : des informations en 2 ou 3 lignes, des échos en 4 ou 5, des billets en 10. Débutant, je devais rédiger les petites choses qui permettaient aux lecteurs de respirer entre les longs articles. Même si j’avais hâte de prouver que j’avais aussi du souffle, j’aimais beaucoup cette manière d’écrire, économique, précise, ramassée, sèche.

Aussi, récemment, quand je me suis enfin intéressé aux réseaux sociaux, j’ai tout de suite eu envie d’aller sur Twitter. École de la concision, Twitter exige de ses rédacteurs que leurs messages ne dépassent pas 140 signes. Tous les élèves des écoles de journalisme devraient en être des pratiquants. Pourquoi ? Pour se soumettre à la contrainte et goûter au plaisir de relater une information, d’exprimer un sentiment ou de délivrer une réflexion en quelques mots choisis pour leur clarté et leur efficacité.

On se doute que je ne suis pas favorable à la tricherie qui consiste à abréger les mots et à se ficher de l’orthographe. Entre les tenants utopistes d’une « twittérature », dont on attend les œuvres — les haïkus ont largement précédé les tweets —, et les adeptes du n’importe quoi n’importe comment, il existe un bon usage de Twitter, respectueux de ses abonnés et de la langue. (L’État a raison d’exiger que soit révélée l’identité des courageux pseudonymes qui se cachent derrière des tweets antisémites ou racistes.)

Le réseau est essentiellement occupé par des messages personnels, par l’envoi de citations, de conseils, de références, de liens, d’informations pratiques, par l’autopromotion, par des phrases spontanées de satisfaction ou d’indignation, de gentillesse ou d’ironie, en particulier pendant les grandes émissions populaires de la télévision. Les échanges entre twitteurs (mot que je préfère à twittos) forment des dialogues improbables. Des journalistes font des comptes rendus en direct des événements auxquels ils assistent. Ainsi François Dufour, le 16 mai 2011, a-t-il « grillé » tous ses confrères en racontant, en direct, en une quarantaine de tweets, la première comparution de Dominique Strauss-Kahn devant un juge new-yorkais. Tout abonné peut de son iPhone envoyer sur le réseau des messages et des photos qui relatent un événement dont il est le témoin.

Twitter ou l’information atomisée

À chacun, il est possible aussi de considérer Twitter comme une sorte de journal personnel intermittent, lié ou non à l’actualité. D’y écrire ce que bon lui semble. D’y pratiquer l’exercice de la cogitation ou l’art de l’observation. D’y convoquer des souvenirs. D’y utiliser, bien sûr, l’humour, le calembour, la farce. Ou de s’y adonner à la philosophie. Bref — c’est le cas de le dire —, de twitter sérieux ou amusant, sans toutefois se prendre au sérieux, ni prendre ses abonnés pour des engourdis du cervelet. C’est ce que j’ai essayé de faire pendant un peu plus d’un an.

Il est souvent plus facile au twitteur de s’ouvrir des portes situées à 10 000 km de chez lui que les portes de ses voisins. Twitter est un réseau social qui, contrairement à Facebook, échoue souvent à être un réseau familial. À une exception, je n’y ai pas entraîné mes proches. Ils découvriront mes textes sur le papier. Mon isolement ne m’a pas chagriné. J’avais l’impression d’entretenir une correspondance clandestine. Avec plusieurs dizaines de milliers de destinataires, il est vrai. Peu importe le nombre. L’important est de sentir vibrer, réagir, une famille d’adoption avec qui, twittant vers 7 heures le matin, je partage le thé ou le café. Twitter sent alors le pain grillé.

Plus un message est « retwitté » — c’est-à-dire repris et diffusé par un abonné à ses propres abonnés —, plus son audience s’élargit. Il y a aussi les commentaires. Ils vont de l’approbation louangeuse à l’insulte, de l’appréciation nuancée à la critique constructive. Certains apportent des informations complémentaires, d’autres proposent une façon différente de voir les choses. Fleurissent aussi d’abondance les jeux de mots, les détournements de sens, les coq-à-l’âne, les questions saugrenues, les répliques sibyllines ou surréalistes…

Twitter ou les brèves d’un gigantesque comptoir

On me consulte souvent sur des problèmes de conjugaison, d’orthographe, de construction de phrases, d’acception des mots. Je réponds le plus souvent possible. Il y a sur Twitter un côté « de particulier à particulier » qui est fort sympathique. Et utile. Dans l’égoïste vacarme de notre monde, les réseaux sociaux apportent un peu d’écoute et de liant.

On lira plus loin un tweet dans lequel je compare l’effet Twitter sur les personnes âgées à la Jouvence de l’abbé Soury. Il est vrai que, septuagénaire, se mêler à ce vaste échange de mots adopté d’abord par la jeunesse et les personnes les plus dynamiques de la société, paraîtra à certains opportuniste, voire racoleur. Mais seuls des esprits malveillants peuvent penser cela. Sans calcul ni stratégie, j’éprouve du plaisir à « gazouiller », comme disent les Québécois. Ce jeu m’inspire et me divertit. Les jeunes gens ont bien raison de puiser le meilleur, en tout cas ce qui leur plaît le plus, dans ce que nous leur léguons. Pourquoi les vieux s’interdiraient-ils d’utiliser avec fantaisie ou gravité les plus géniales inventions des nouvelles générations ? Avec ses 132 caractères, cette dernière phrase pourrait bien être un tweet.

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