CHAPITRE II
À quel moment le mari de Nine devint-il le mort de Maigret, comme on devait l’appeler à la P. J. ? Peut-être dès leur première rencontre, si l’on peut dire, cette nuit-là, place de la Concorde. L’inspecteur Lequeux, en tout cas, fut frappé par l’attitude du commissaire. C’était difficile de préciser en quoi celle-ci n’était pas tout à fait normale. Dans la police, on a l’habitude des morts violentes, des cadavres les plus inattendus qu’on manie avec une indifférence professionnelle, quand on ne plaisante pas à leur sujet à la façon des internes dans les salles de garde. Maigret, d’ailleurs, ne paraissait pas ému au vrai sens du mot.
Mais pourquoi, par exemple, ne commençait-il pas, tout naturellement, par se pencher sur le corps ? Il tirait d’abord quelques bouffées de sa pipe, restait debout au milieu du groupe d’agents en uniforme, à bavarder avec Lequeux, à regarder vaguement une jeune femme en robe de lamé et en manteau de vison qui venait de descendre de voiture en compagnie de deux hommes et qui attendait, la main crispée au bras de l’un deux, comme s’il devait encore se passer quelque chose.
Ce ne fut qu’après un certain temps qu’il s’approcha lentement de la forme étendue, de la tache beige de l’imperméable, et se courba, lentement toujours – comme il l’aurait fait pour un parent ou un ami, devait dire plus tard l’inspecteur Lequeux.
Et, quand il se redressa, ses sourcils étaient froncés, on le sentait furieux, il questionnait, sur un tel ton qu’il semblait rendre responsable ceux qui étaient là :
— Qui est-ce qui a fait ça ?
À coups de poing, à coups de talon ? On ne pouvait pas le savoir. En tout cas, avant ou après avoir tué l’homme d’un coup de couteau, on l’avait frappé assez violemment, à plusieurs reprises, pour que son visage fût tuméfié, une lèvre fendue, toute une moitié de la figure déformée.
— J’attends le fourgon mortuaire, annonça Lequeux.
Sans ses meurtrissures, l’homme devait avoir un visage banal, plutôt jeune, plutôt gai sans doute. Jusque dans la mort, on retrouvait dans son expression quelque chose de candide.
Pourquoi la femme en vison, elle, était-elle plus remuée par la vue d’un pied vêtu seulement d’une chaussette mauve ? C’était ridicule, ce pied déchaussé, sur le trottoir, à côté d’un autre pied au soulier de chevreau noir. C’était nu, intime. Cela ne faisait pas vraiment mort. Ce fut Maigret qui s’éloigna et qui, à six ou sept mètres de là, alla ramasser la seconde chaussure sur le trottoir.
Après quoi, il ne dit plus rien. Il attendit en fumant. D’autres curieux se mêlèrent au groupe chuchotant. Puis le fourgon mortuaire s’arrêta au bord du trottoir, et deux hommes soulevèrent le corps. En dessous, le sol était nu, sans une trace de sang.
— Vous n’aurez qu’à m’envoyer votre rapport, Lequeux.
N’était-ce pas maintenant que Maigret prenait possession du mort, en montant à l’avant du fourgon et en laissant les autres en plan ?
Il en fut ainsi toute la nuit. Il en fut encore ainsi le matin. On eût dit que le corps lui appartenait, que ce mort-là était son mort.
Il avait donné des ordres pour que Moers, un des spécialistes de l’Identité Judiciaire, l’attendît à l’Institut médico-légal. Moers était jeune, maigre et long ; son visage ne souriait jamais, et de gros verres effaçaient ses yeux timides.
— Au travail, mon petit...
Il avait alerté aussi le docteur Paul, qui arriverait d’un moment à l’autre. Avec eux, il n’y avait qu’un gardien et, dans leurs tiroirs glacés, les morts anonymes ramassés à Paris pendant les derniers jours.
La lumière était crue, les paroles rares, les gestes précis. Ils faisaient penser à des ouvriers consciencieux penchés sur un délicat travail de nuit.
Dans les poches, on ne trouva presque rien. Un paquet de tabac gris et un carnet de papier à cigarettes, une boîte d’allumettes, un canif assez ordinaire, une clef d’un modèle peu récent, un crayon et un mouchoir sans initiale. Un peu de menue monnaie, dans la poche du pantalon, mais pas de portefeuille, aucune pièce d’identité.
Moers saisissait les vêtements un à un, avec précautions, les glissait chacun dans un sac en papier huilé, qu’il refermait ensuite. Il agit ainsi aussi bien pour la chemise que pour les souliers et les chaussettes. Tout cela était d’une qualité moyenne. Le veston portait la marque d’un magasin de confection du boulevard Sébastopol et le pantalon, plus neuf, n’était pas de la même teinte.
Le mort était tout nu quand le docteur Paul arriva, la barbe soignée, l’œil clair, encore qu’il eût été réveillé en pleine nuit.
— Alors, mon bon Maigret, que raconte ce pauvre garçon ?
Parce qu’en somme il s’agissait, maintenant, de faire parler le mort. C’était de la routine. Normalement, Maigret aurait dû aller dormir, et le matin il aurait reçu les différents rapports à son bureau.
Or il tenait à assister à tout, la pipe aux dents, les mains dans les poches, l’œil vague et endormi.
Le docteur, avant d’opérer, dut attendre les photographes qui étaient en retard, et Moers profitait de ce répit pour curer avec soin les ongles du cadavre, ceux des mains comme ceux des pieds, recueillant attentivement les moindres débris dans des petits sachets, sur lequel il traçait des signes cabalistiques.
— Ça ne va pas être facile de lui donner l’air rigolo, remarqua le photographe après avoir examiné le visage du mort.
Travail de routine, toujours. D’abord les photos du corps, de la blessure. Puis, pour la diffusion dans les journaux aux fins d’identification, une photographie du visage, mais une photographie aussi vivante que possible. Voilà pourquoi le technicien était occupé à maquiller le mort qu’on voyait à présent, dans la lumière glacée, plus blême que jamais, mais avec des pommettes roses et une bouche peinte de racoleuse.
— À vous, docteur...
— Vous restez, Maigret ?
Il resta. Jusqu’au bout. Il était six heures et demie du matin quand le docteur Paul et lui allèrent boire un café arrosé dans un petit bar dont les volets venaient de s’ouvrir.
— Je suppose que vous n’avez pas envie d’attendre mon rapport... Dites donc, c’est une affaire importante ?
— Je ne sais pas...
Autour d’eux, des ouvriers mangeaient leurs croissants, les yeux encore pleins de sommeil, et le brouillard matinal mettait des perles d’humidité sur les pardessus. Il faisait frais. Dans la rue, chacun était précédé d’un léger nuage de vapeur. Des fenêtres s’éclairaient les unes après les autres aux différents étages des maisons.
— Je vous dirai d’abord que c’est un homme de condition modeste. Probablement a-t-il eu une enfance pauvre et assez peu soignée, si j’en crois la formation des os et des dents... Ses mains ne trahissent pas un métier déterminé... Elles sont fortes, mais relativement soignées... L’homme ne devait pas être un ouvrier... Pas un employé non plus, car ses doigts n’ont pas les déformations, si légères soient-elles, qui indiquent qu’on a beaucoup écrit, soit à la main, soit à la machine... Par contre, il a les pieds sensibles et affaissés de quelqu’un qui passe sa vie debout…
Maigret ne prenait pas de notes. Tout cela se gravait dans sa mémoire.
— Passons à la question importante : l’heure du crime... Sans crainte de me tromper, je peux la fixer entre huit heures et dix heures du soir...
Maigret avait déjà été mis au courant, par téléphone, du témoignage des noctambules et de la présence de la Citroën jaune place de la Concorde un peu après une heure du matin.
— Dites-moi, docteur, vous ne remarquez rien d’anormal ?
— Que voulez-vous dire ?
Il y avait trente cinq ans que le docteur à la barbe quasi légendaire était médecin légiste, et les affaires criminelles lui étaient plus familières qu’à la plupart des policiers.
— Le crime n’a pas été commis place de la Concorde.
— C’est évident.
— Il a probablement été perpétré dans un endroit écarté.
— Probablement.
— D’habitude, quand on prend le risque de transporter un cadavre, surtout dans une ville comme Paris, c’est pour le cacher, pour essayer de le faire disparaître ou pour retarder sa découverte.
— Vous avez raison, Maigret. Je n’y pensais pas.
— Cette fois, au contraire, nous voyons des gens risquer de se faire prendre, en tout cas, nous donner une piste, pour venir déposer un cadavre en plein cœur de Paris, à l’endroit le plus en vue, où il était impossible qu’il restât dix minutes, même en pleine nuit, sans être découvert...
— Autrement dit, les assassins voulaient qu’il fût découvert. C’est bien ce que vous pensez, n’est-ce pas ?
— Pas tout à fait. Peu importe.
— Ils ont pourtant pris leurs précautions pour qu’il ne fût pas facilement reconnu. Les coups au visage n’ont pas été portés avec des poings nus, mais avec un instrument lourd dont je suis malheureusement incapable de déterminer la forme...
— Avant la mort ?
— Après... Quelques minutes après...
— Vous êtes sûr que ce n’est que quelques minutes après ?
— Moins d’une demi-heure, j’en jurerais... Maintenant, Maigret, il y a un autre détail que je ne signalerai probablement pas dans mon rapport, parce que je n’en suis pas sûr et que je ne tiens pas à être contredit par les avocats quand cette affaire-là passera en Cour d’Assises... J’ai longuement examiné la blessure, vous m’avez vu... J’ai eu à étudier quelques centaines de coups de couteau... Je jurerais que celui-ci n’a pas été donné à l’improviste...
« Imaginez deux hommes debout, en train de discuter... Ils sont face à face, et l’un des deux frappe... Il lui serait impossible de provoquer une blessure comme celle que j’ai examinée... Le coup n’a pas non plus été porté dans le dos...
« Par contre, supposez que quelqu’un soit assis, ou même debout, mais tout occupé à autre chose... On s’approche lentement par derrière, on passe une main autour de lui et on enfonce le couteau avec précision, avec vigueur...
« Tenez, plus exactement encore, c’est comme si la victime avait été attachée, ou maintenue immobile, et comme si quelqu’un l’avait alors littéralement « opérée »... Vous comprenez ?
— Je comprends.
Maigret savait bien que le mari de Nine n’avait pu être attaqué par surprise, lui qui fuyait depuis vingt-quatre heures devant ses meurtriers.
Ce qui n’était pour le docteur Paul qu’un problème en quelque sorte théorique avait, aux yeux de Maigret, une humanité plus chaude.
Il lui avait été donné, à lui, d’entendre la voix de l’homme. Il l’avait presque vu. Il l’avait suivi pas à pas, de bistrot en bistrot, au cours de son périple affolé à travers certains quartiers de Paris, toujours les mêmes, dans le secteur Châtelet-Bastille.
Les deux hommes suivaient les quais, Maigret fumant sa pipe, et le docteur Paul cigarette sur cigarette – il ne cessait de fumer pendant les autopsies et prétendait volontiers que le tabac est le meilleur antiseptique. L’aube pointait. Des trains de bateaux commençaient à descendre la Seine. On voyait des clochards, engourdis par le froid de la nuit, gravir, les membres roides, les escaliers des quais où ils avaient dormi à l’abri d’un pont.
— L’homme a été tué très peu de temps après son dernier repas, peut-être tout de suite après.
— Vous savez ce qu’il a mangé ?
— Une soupe aux pois, de la brandade de morue et une pomme. Il a bu du vin blanc. J’ai retrouvé aussi dans l’estomac des traces d’alcool.
Tiens ! Ils passaient justement devant les Caves du Beaujolais, dont le patron venait de retirer les volets de bois. On apercevait la salle sombre et on reniflait au vol une odeur de vinasse.
— Vous rentrez chez vous ? questionnait le docteur qui se disposait à prendre un taxi.
— Je monte à l’Identité Judiciaire.
La grande maison, quai des Orfèvres, était presque vide, avec l’équipe des balayeurs dans les couloirs et dans les escaliers encore imprégnés de l’humidité de l’hiver.
Dans son bureau, Maigret trouva Lucas, qui venait de s’endormir dans le fauteuil du commissaire.
— Rien de nouveau ?
— Les journaux ont la photographie ; quelques-uns seulement la publieront dans l’édition du matin, car ils l’ont reçue tard.
— L’auto ?
— J’en suis à la troisième Citroën jaune, mais aucune ne colle.
— Tu as téléphoné à Janvier ?
— Il sera ici à huit heures pour me relayer.
— Si on me demande, je suis là-haut... Avertis le standard, qu’on me passe toutes les communications...
Il n’avait pas sommeil, mais il était lourd, ses mouvements étaient plus lents que d’habitude. Il gravissait un escalier étroit, interdit au public, qui le conduisait dans les combles du Palais de Justice. Il ne faisait qu’entrouvrir une porte aux vitres dépolies, apercevait Moers penché sur des appareils, continuait son chemin et pénétrait aux sommiers.
Avant même qu’il eût parlé, le spécialiste des empreintes digitales secouait négativement la tête :
— Rien, monsieur le commissaire...
Autrement dit, le mari de Nine n’avait jamais eu affaire à la justice française.
Maigret quittait la bibliothèque aux fiches, retournait chez Moers, retirait son pardessus puis, après un instant d’hésitation, sa cravate qui lui serrait le cou.
Le mort n’était pas ici, mais il était aussi présent que dans celui des casiers de l’Institut médico-légal – le numéro 17 – où le garde l’avait installé.
On parlait peu... Chacun poursuivait son travail sans s’apercevoir qu’un rayon de soleil se glissait dans la fenêtre mansardée. Dans un coin se dressait un mannequin articulé qui avait servi souvent et que Maigret utilisait à nouveau.
Moers, qui avait eu le temps de battre les vêtements dans leurs sacs de papier respectifs, analysait les poussières ainsi recueillies.
Maigret, à son tour, s’occupait de ces vêtements. Avec des gestes soigneux d’étalagiste, il commençait par la chemise et le caleçon pour habiller le mannequin qui avait à peu près la taille du mort
Il venait de passer le veston quand Janvier entra, tout frais car il avait dormi dans son lit et ne s’était levé qu’avec le jour.
— Ils l’ont eu, dites donc, patron.
Il chercha Moers des yeux, lui adressa un clin d’œil, ce qui signifiait que le commissaire n’était pas d’humeur « causante ».
— On vient de signaler une nouvelle auto jaune. Lucas, qui s’en est occupé, affirme que ce n’est pas la nôtre. D’ailleurs, le numéro finit par un 9 et non par un 8...
Maigret reculait, pour juger son œuvre.
— Il n’y a rien qui te choque ? questionna-t-il.
— Attendez... Non... Je ne vois pas... L’homme était un peu plus petit que le mannequin... Le veston paraît trop court...
— C’est tout ?
— La déchirure produite par le couteau n’est pas large...
— Rien d’autre ?
— Il ne portait pas de gilet...
— Ce qui me frappe, moi, c’est que le veston n’est pas du même tissu que le pantalon, ni de la même teinte...
— Cela arrive, vous savez...
— Un instant. Examine le pantalon. Il est à peu près neuf. Il fait partie d’un complet. Le veston fait partie d’un autre complet, mais qui, celui-ci, date d’au moins deux ans.
— Cela en a l’air, oui...
— Or l’homme était assez coquet, si on en juge par ses chaussettes, sa chemise et sa cravate... Téléphone aux Caves du Beaujolais et dans les autres bistrots... Essaye de savoir si, au cours de la journée d’hier, il portait un veston et un pantalon dépareillés...
Janvier s’installa dans un coin, et sa voix mit dans la pièce comme un bruit de fond. Il appelait les cafés tour à tour, répétait à l’infini :
— Ici, Police Judiciaire... L’inspecteur que vous avez vu hier... Pourriez-vous me dire si…
Malheureusement, nulle part l’homme n’avait retiré son imperméable. Il l’avait peut-être entrouvert, mais personne n’avait pris garde à la couleur de son veston.
— Qu’est-ce que tu fais quand tu rentres chez toi ?
Et Janvier, qui n’était marié que depuis un an, de répondre avec un sourire narquois :
— J’embrasse ma femme...
— Après ?
— Je m’assieds, et elle m’apporte mes pantoufles...
— Après ?
L’inspecteur réfléchit, se frappa soudain le front.
— J’ai compris ! Je change de veston...
— Tu as un veston d’intérieur ?
— Non... Je passe un vieux veston dans lequel je suis plus à mon aise...
Et voilà que ces mots donnaient soudain une vie plus intime à l’inconnu. On l’imaginait rentrant chez lui et, peut-être, comme Janvier, embrassant sa femme. En tout cas, il retirait son veston neuf pour en endosser un vieux. Il mangeait.
— Quel jour sommes-nous ?
— Jeudi.
— Nous étions donc hier mercredi. Il t’arrive souvent de manger au restaurant ? Dans des restaurants bon marché, comme ceux que devait fréquenter notre homme ?
Maigret, tout en parlant, installait l’imperméable beige sur les épaules du mannequin. La veille, vers la même heure, à peine un peu plus tard, cette gabardine était encore sur le dos d’un homme vivant qui pénétrait aux Caves du Beaujolais, là, presque sous leurs yeux ; ils n’avaient qu’à regarder par la lucarne, de l’autre côté de la Seine pour apercevoir la devanture.
Et il appelait Maigret. Il ne demandait pas à parler à un commissaire ou à un inspecteur, ni, comme quelques-uns qui croient leur cas important, au directeur de la P. J.
C’était Maigret qu’il voulait.
« Vous ne me connaissez pas », lui avait-il pourtant avoué.
Il est vrai qu’il avait ajouté :
« Vous avez connu Nine, ma femme… »
Janvier se demandait où le patron voulait en venir avec son histoire de restaurants.
— Tu aimes la brandade de morue ?
— Je l’adore. Je ne la digère pas, mais j’en mange quand même chaque fois que j’en ai l’occasion...
— Justement !... Ta femme t’en fait souvent ?
— Non. Cela demande trop de travail. C’est un plat qu’on prépare rarement chez soi...
— Donc, tu en manges au restaurant, quand il y en a...
— Oui...
— Il y en a fréquemment au menu ?
— Je ne sais pas... Attendez... Le vendredi, cela arrive...
— Et c’était hier mercredi... Appelle-moi le docteur Paul à l’appareil...
Le docteur, qui était occupé à rédiger son rapport, ne s’étonna pas de la question de Maigret.
— Pourriez-vous me dire s’il y avait des truffes dans la brandade ?
— Certainement pas... J’en aurais retrouvé des morceaux...
— Je vous remercie... Voilà Janvier !... Il n’y avait pas de truffes dans la brandade... Cela élimine les restaurants de luxe où l’on en met d’habitude... Tu vas descendre au bureau des inspecteurs... Tu te feras aider par Torrence et par deux ou trois autres... Le standardiste va gueuler, car vous occuperez les lignes pendant un bout de temps... Appelez les restaurants les uns après les autres, en commençant par ceux qui se trouvent dans les quartiers où tu as opéré hier. Sache si l’un d’eux avait de la brandade au menu du soir... Attends... Occupe-toi d’abord de ceux qui portent un nom méridional, car c’est là que tu as le plus de chance…
Janvier s’en allait, pas fier ni enchanté du boulot qu’on venait de lui confier.
***
— Tu as un couteau, Moers ?
La matinée s’avançait, et Maigret ne quittait toujours pas son mort.
— Place la pointe dans la déchirure de l’imperméable... Bon... Ne bouge plus...
Il souleva légèrement le tissu afin de voir le veston en dessous.
— Les déchirures des vêtements ne coïncident pas... Maintenant frappe d’une autre façon... Mets-toi à gauche... mets-toi à droite... frappe d’en haut… frappe d’en bas...
— Je comprends...
Quelques techniciens et employés qui avaient pris leur travail dans l’immense laboratoire les regardaient en coin, échangeaient des regards amusés.
— Cela ne colle toujours pas... Il y a cinq bons centimètres entre la déchirure du veston et celle de la gabardine... Apporte une chaise... Aide-moi...
On asseyait le mannequin, ce qui demandait des précautions infinies.
— Bon... Quand un homme est assis, contre une table par exemple, il arrive que le pardessus se soulève... Essaie…
Mais c’est en vain qu’ils tentaient de superposer les deux déchirures qui auraient dû, logiquement, se trouver juste au-dessus l’une de l’autre.
— Voilà ! conclut Maigret, comme s’il venait de résoudre une équation difficile.
— Vous voulez dire que, lorsqu’il a été tué, il ne portait pas son imperméable ?
— C’est à peu près sûr.
— Pourtant, celui-ci est déchiré comme par un coup de couteau...
— On l’a déchiré après, pour faire croire. Or, on ne porte pas un imperméable dans une maison ou dans un restaurant... En se donnant la peine de maquiller la gabardine, on a tenté de nous faire conclure que le coup de couteau avait été donné dehors... Si on s’est donné cette peine...
— ... c’est que le crime a été commis à l’intérieur, acheva Moers.
— Pour la même raison, on a pris le risque de transporter le corps place de la Concorde, où le meurtre n’a pas eu lieu...
Il vida sa pipe en la frappant contre son talon, alla chercher sa cravate, contempla à nouveau le mannequin, qui était encore plus vivant depuis qu’il était assis. De dos ou de profil, quand on ne voyait pas la face sans traits et sans couleur, c’était saisissant.
— Tu as trouvé des indices ?
— À peu près rien, jusqu’ici. Je n’ai pas fini. Dans le creux de la semelle, pourtant, il y a de petites quantités d’une boue assez curieuse. C’est de la terre imprégnée de vin, comme on en trouverait dans une cave de campagne où on vient de mettre un tonneau en perce.
— Continue. Téléphone à mon bureau.
Quand il entra chez le chef, celui-ci l’accueillit en lui lançant :
— Alors, Maigret, et « votre mort » ?
C’était la première fois que le mot était prononcé. On avait dû raconter au directeur de la P. J. que, depuis deux heures du matin, le commissaire n’avait pas lâché la piste.
— Ils l’ont quand même eu, dites donc !... J’avoue qu’hier j’aurais facilement pensé que vous aviez affaire à un farceur, ou à un détraqué...
— Moi, non... J’ai cru ce qu’il me disait dès son premier coup de téléphone…
Pourquoi ? Il n’aurait pu l’expliquer. Ce n’était certainement pas parce que l’homme avait fait appel à lui personnellement. Tout en conversant avec le directeur, il laissait son regard errer sur le quai d’en face, que le soleil inondait.
— Le procureur a chargé le juge Coméliau de l’instruction... Ils se rendent ce matin à l’Institut médico-légal... Vous les rejoindrez ?
— À quoi bon ?
— Voyez quand même Coméliau, ou téléphonez-lui... Il est assez susceptible…
Maigret en savait quelque chose.
— Vous ne croyez pas à un règlement de comptes ?
— Je ne sais pas. Je m’en assurerai, encore que ce ne soit pas mon impression.
Les gens du milieu ne se donnent pas la peine, d’habitude, d’exposer leurs victimes sur la place de la Concorde.
— Enfin !... Faites pour le mieux... Sans doute quelqu’un ne tardera-t-il pas à le reconnaître ?...
— Cela m’étonnerait...
Encore une impression qu’il aurait eu du mal à expliquer. Dans son esprit, cela se tenait. Mais, dès qu’il essayait de préciser, fût-ce pour lui-même, cela devenait confus.
Toujours cette histoire de la place de la Concorde. Donc, on tenait à ce que le cadavre fût découvert, et découvert rapidement. Il aurait été plus facile et moins dangereux, par exemple, de le lancer dans la Seine, avant d’être repêché.
Il ne s’agissait pas d’un homme riche, ni d’une personnalité, mais d’un petit bonhomme insignifiant.
Pourquoi, si on voulait que la police s’occupât de lui, lui écraser la figure après coup et retirer de ses poches tout ce qui pouvait servir à l’identifier ?
Par contre, on n’avait pas décousu la marque du veston. Parce qu’on savait, évidemment, qu’il s’agissait de vêtements de confection vendu à des milliers d’exemplaires.
— Vous avez l’air tracassé, Maigret.
Et il ne pouvait que répéter :
— Ça ne colle pas...
Trop de détails qui ne s’emboîtaient pas. Un détail, en particulier, le chiffonnait personnellement, pour ne pas dire qu’il le vexait.
À quelle heure avait eu lieu le dernier appel ? En somme, le dernier signe de vie que l’homme avait donné était le billet remis au bureau de poste du faubourg Saint-Denis.
C’était en plein jour. Depuis onze heures du matin, l’inconnu ne ratait pas une occasion de prendre contact avec le commissaire.
Dans le billet encore, il faisait appel à lui, d’une façon plus pressante que jamais. Il lui demandait même d’alerter les agents afin que n’importe lequel d’entre eux, dans la rue, fût en mesure de l’aider au moindre appel.
Or il avait été tué entre huit heures du soir et dix heures.
Qu’avait-il fait de quatre heures à huit heures ? Aucun signe de lui, aucune trace. Le silence, un silence qui avait impressionné Maigret, la veille, encore qu’il n’en eût rien montré. Cela lui avait rappelé une catastrophe sous-marine à laquelle le monde entier avait en quelque sorte assisté, minute par minute, grâce à la radio. À telle heure, on entendait encore les signaux des hommes enfermés dans le submersible échoué au fond de la mer. On imaginait les bateaux sauveteurs croisant au-dessus. Les signaux se raréfiaient. Puis, soudain, après des heures, le silence.
L’inconnu, lui, le mort de Maigret, n’avait eu aucune raison valable de se taire. Il n’avait pu être enlevé, en plein jour, dans les rues animées de Paris. Il n’avait pas été tué avant huit heures.
Tout laissait supposer qu’il était rentré chez lui, puisqu’il avait changé de veston.
Il avait dîné à son domicile ou au restaurant. Et il avait dîné en paix, puisqu’il avait eu le temps de manger la soupe, de la brandade et une pomme. Jusqu’à cette pomme qui évoquait une idée de tranquillité !
— Pourquoi s’était-il tu pendant deux heures au moins ?
Il n’avait pas hésité à déranger le commissaire, à maintes reprises, à le supplier de mettre l’appareil policier en branle.
Puis, tout à coup, après quatre heures, c’était comme s’il avait changé d’avis, comme s’il avait voulu laisser la police hors du jeu.
Cela chiffonnait Maigret. Le terme n’est pas exact, mais c’était un peu comme si son mort lui avait commis une infidélité.
— Alors, Janvier ?
Le bureau des inspecteurs était bleu de fumée, et quatre hommes, l’œil morne, étaient rivés à leur téléphone.
— Pas de brandade, patron ! soupira comiquement Janvier. Pourtant, on est déjà hors du quartier. J’en suis au faubourg Montmartre, et Torrence est arrivé à la place Clichy...
Maigret téléphona, lui aussi, de son bureau, mais c’était pour appeler un petit hôtel meublé de la rue Lepic.
— En taxi, oui... Tout de suite...
Sur son bureau, on avait placé des photographies du mort prises pendant la nuit. Il y avait aussi les journaux du matin, des rapports, une note du juge Coméliau.
— C’est toi, madame Maigret ?... Pas trop mal... Je ne sais pas encore si je rentrerai déjeuner... Non, je n’ai pas eu le temps de me faire raser... Je vais essayer de passer chez le coiffeur... J’ai mangé, oui...
Il alla chez le coiffeur, en effet, après avoir averti le garçon de bureau, le vieux Joseph, de faire attendre un visiteur qui allait se présenter. Il n’eut que le pont à franchir. Il entra dans le premier salon du boulevard Saint-Michel et eut un regard maussade pour les gros yeux pochés que lui renvoyait le miroir.
Il savait qu’en sortant il ne résisterait pas à l’envie d’aller boire un verre aux Caves du Beaujolais. D’abord parce qu’il aimait vraiment l’atmosphère de ces petits cafés-là, où on ne voit jamais personne et où le patron bavarde familièrement avec vous. Il aimait le beaujolais aussi, surtout servi, comme ici, dans des petits cruchons de grès. Mais il y avait autre chose. Il suivait son mort.
— Ça m’a fait un drôle d’effet de lire le journal ce matin, monsieur le commissaire. Je l’ai peu vu, vous le savez. Pourtant, quand j’y repense, il était sympathique. Je le revois entrer en gesticulant. Il était troublé bien sûr, mais il avait une bonne tête. Tenez, je parierais qu’en temps normal c’était un rigolo... Vous allez vous moquer de moi : plus je vais, plus je lui trouve une tête de comique... Il me rappelle quelqu’un... Il y a des heures que je cherche...
— Quelqu’un qui lui ressemble ?
— Oui... Non... C’est plus compliqué... Il me rappelle quelque chose, et je n’arrive pas à savoir quoi... On ne l’a pas encore identifié ?
Cela aussi était curieux, mais pas encore anormal. Les journaux étaient parus depuis le matin. Certes, le visage avait été abîmé, pas au point, cependant, d’être méconnaissable pour quelqu’un de très familier, pour la femme ou la mère, par exemple.
L’homme avait un domicile quelque part, fût-ce à l’hôtel. Il n’était pas rentré chez lui de la nuit.
Logiquement, dans les quelques heures, quelqu’un devait ou reconnaître sa photographie, ou signaler sa disparition.
Pourtant Maigret ne s’y attendait pas. Il franchissait à nouveau le pont, une agréable saveur, un peu rêche, de beaujolais à la bouche. Il gravissait l’escalier terne, où certains le regardaient avec une crainte respectueuse.
Un coup d’œil dans la salle d’attente vitrée. Son homme était là, debout, fumant sa cigarette avec désinvolture.
— Par ici...
Il l’introduisait dans son bureau, lui désignait une chaise, retirait son chapeau et son pardessus sans cesser d’observer son visiteur en coin. Celui-ci, à la place où il était, avait directement sous les yeux les photographies du mort.
— Eh bien ! Fred ?
— À votre disposition, monsieur le commissaire... Je ne m’attendais pas à ce que vous m’appeliez... Je ne vois rien qui...
Il était maigre, très pâle, d’une élégance un peu efféminée. De temps en temps, un pincement des narines trahissait l’intoxiqué.
— Tu ne le connais pas ?
— J’ai compris en arrivant, dès que j’ai aperçu les photos... On l’a sérieusement amoché, dites donc !
— Tu ne l’as jamais vu ?
On sentait que Fred faisait consciencieusement son métier d’indicateur. Il examinait les photographies avec attention, s’approchait même de la fenêtre pour les voir en pleine lumière.
— Non... Et cependant...
Maigret attendait en rechargeant son poêle.
— C’est non !... Je jurerais que je ne l’ai jamais vu... Encore qu’il me rappelle quelque chose... C’est vague... Il n’appartient pas au milieu, en tout cas… Même si c’était un nouveau, je l’aurais déjà rencontré...
— À quoi te fait-il penser ?
— C’est justement ce que je cherche... Vous ne connaissez pas son métier ?
— Non...
— Ni le quartier qu’il habitait ?
— Pas davantage...
— Ce n’est pas quelqu’un de la province non plus, cela se sent...
— J’en suis persuadé…
Maigret avait noté la veille que l’homme avait un accent parisien assez prononcé, l’accent du petit peuple, de ceux qu’on rencontre dans le métro, dans les bistrots de la périphérie, ou encore sur les gradins du Vel’ d’Hiv’.
Au fait... Une idée lui venait... Il la contrôlerait tout à l’heure...
— Tu ne connais pas non plus une certaine Nine ?
— Attendez... Il y en a une à Marseille, sous-maîtresse dans une maison de la rue Saint-Ferréol...
— Ce n’est pas celle-là, je la connais... Elle a cinquante ans pour le moins...
Fred regarda la photographie de l’homme, qui devait avoir une trentaine d’années, et murmura :
— Cela n’empêche pas, vous savez !
— Prends une de ces photos. Cherche. Montre-la un peu partout...
— Comptez sur moi... J’espère que d’ici quelques jours j’aurai un tuyau à vous donner... Pas à ce sujet-là, mais à propos d’un gros marchand de drogues... Jusqu’ici, je ne le connais que sous le nom de M. Jean... Je ne l’ai jamais vu... Je sais seulement qu’il est derrière toute une bande de revendeurs... Je leur achète de la camelote régulièrement... Cela me coûte cher... Quand vous aurez du fric en trop...
Janvier, à côté, était toujours en quête de brandade.
— Vous aviez raison, patron. Tout le monde me répond qu’on ne fait la brandade que le vendredi. Et, encore, pas souvent. La semaine sainte, quelquefois le mercredi, mais nous sommes encore loin de Pâques...
— Laisse ça à Torrence... Il y a quelque chose au Vel’ d’Hiv’, cet après-midi ?
— Attendez que je consulte le journal.
Il y avait des courses cyclistes derrière moto.
— Prends une photo avec toi. Tu verras les vendeurs de billets, les marchands d’oranges et de cacahuètes... Fais le tour des bistrots des environs... Puis tu pourras rôder dans les cafés de la porte Dauphine...
— Vous croyez que c’était un sportif ?
Maigret ne savait pas. Il sentait quelque chose, lui aussi, comme les autres, comme le patron des Caves du Beaujolais, comme Fred l’indicateur, mais c’était fluide, imprécis.
Il ne voyait pas son mort dans un bureau, ni vendeur de magasin. Fred affirmait qu’il n’appartenait pas au milieu.
Par contre, il était à son aise dans les petits bars populaires.
Il avait une femme prénommée Nine. Et, cette femme, Maigret l’avait connue.
À quel titre ? Est-ce que l’homme s’en serait vanté si le commissaire l’avait connue comme cliente ?
— Dubonnet... Tu vas aller aux « mœurs »... Tu demanderas la liste des filles en carte de ces dernières années... Tu prendras les adresses de toutes les Nine que tu pourras trouver... Tu iras les voir... Tu comprends ?
Dubonnet était un jeune qui sortait des écoles, un peu raide, toujours tiré à quatre épingles, d’une politesse exquise avec tout le monde, et c’était peut-être par ironie que Maigret le chargeait de cette besogne.
Il en envoyait un autre dans tous les petits cafés entourant le Châtelet, la place des Vosges et la Bastille.
Pendant ce temps-là, le juge Coméliau, qui, lui, dirigeait l’instruction de son cabinet, l’attendait avec impatience, ne comprenant pas que Maigret ne fût pas encore venu prendre contact avec lui.
— Les Citroën jaunes ?
— Ériau s’en occupe...
Tout cela, c’était la routine. Même si cela ne servait à rien, cela devait se faire. Sur toutes les routes de France, la police, la gendarmerie interpellaient les conducteurs de Citroën jaunes.
Il fallait aussi envoyer quelqu’un dans le magasin du boulevard Sébastopol, où le veston du mort avait été acheté, puis dans un autre magasin du boulevard Saint-Martin, d’où provenait l’imperméable.
Pendant ce temps-là, cinquante autres affaires réclamaient des inspecteurs. Ils entraient, sortaient, téléphonaient, tapaient leur rapport. Les gens attendaient dans les couloirs. On courait des « garnis » aux « mœurs » et des « mœurs » à l’Identité Judiciaire.
La voix de Moers, au téléphone :
— Dites donc, patron... Un tout petit détail, qui est sans doute sans importance... Je trouve si peu de chose que je vous le signale à tout hasard... J’avais prélevé des cheveux, comme d’habitude. L’analyse révèle des traces de rouges à lèvres...
C’était presque comique, et pourtant personne ne riait. Une femme avait embrassé le mort de Maigret dans les cheveux, une femme qui portait du rouge à lèvres.
— J’ajoute que c’est un rouge bon marché et que la femme est probablement brune, car son rouge est très foncé...
Était-ce la veille qu’une femme avait embrassé l’inconnu ? Était-ce chez lui, alors qu’il était rentré pour changer de veston ?
Au fait, s’il s’était changé, c’est qu’il ne comptait pas sortir à nouveau. Un homme qui rentre chez lui pour une heure ne prend pas la peine de passer un autre vêtement.
Ou, alors, il avait été appelé dehors à l’improviste... Mais pouvait-on croire que, traqué comme il l’était, affolé au point de courir les rues de Paris en gesticulant et en appelant sans cesse la police au bout du fil, il serait sorti de chez lui après la tombée de la nuit ?
Une femme l’embrassait dans les cheveux. Ou bien elle avait appuyé le visage contre sa joue. De toute façon, c’était un geste tendre.
Maigret soupira en bourrant une nouvelle pipe, regarda l’heure. Il était midi et quelques minutes.
À peu près l’heure à laquelle, la veille, l’homme traversait la place des Vosges où chantaient les fontaines.
Le commissaire franchit la petite porte faisant communiquer la P. J. avec le Palais de Justice. Des robes d’avocats flottaient comme de grands oiseaux noirs dans les couloirs.
— Allons voir le vieux singe ! soupira Maigret, qui n’avait jamais pu sentir le juge Coméliau.
Il savait fort bien que celui-ci l’accueillerait par une phrase glacée qui constituerait à ses yeux le plus cinglant des reproches :
« Je vous attendais, monsieur le commissaire... »
Il aurait été capable de dire :
« J’ai failli attendre... »
Maigret s’en moquait éperdument.
Depuis deux heures et demie du matin, Maigret vivait avec son mort.