CHAPITRE VII

Quand il descendit de taxi rue de Sèvres, en face de l’hôpital Laennec, Maigret vit une grosse voiture portant le matricule du corps diplomatique. Sous le portail, un homme long et maigre attendait, vêtu avec une correction décourageante, les gestes si impeccablement étudiés, les expressions de physionomie si parfaites qu’on n’avait pas envie d’écouter les syllabes qu’il prononçait avec lenteur, mais bien de le regarder comme un spectacle.

Pourtant, ce n’était même pas le dernier secrétaire de l’ambassade de Tchécoslovaquie, mais un simple employé de la chancellerie.

— Son Excellence m’a dit..., commença-t-il.

Et Maigret, pour qui les dernières heures écoulées comptaient parmi les plus occupées de sa vie, se contenta de grommeler en prenant les devants :

— Ça va !

Il est vrai que, dans l’escalier de l’hôpital, il se retourna pour poser une question qui fit sursauter son compagnon.

— Vous parlez le tchèque, au moins ?.

Lucas était dans le couloir, accoudé à une fenêtre, à regarder mélancoliquement dans le jardin. Il faisait gris, ce matin-là, pluvieux. Une infirmière était venue le prier de ne pas fumer, et il soupira en désignant du doigt la pipe de Maigret.

— On va vous la faire éteindre, patron.

Ils durent attendre que l’infirmière de garde vînt les chercher. C’était une femme entre deux âges, qui se montrait insensible à la célébrité de Maigret et qui ne devait pas aimer la police.

— Il ne faudra pas la fatiguer. Quand je vous ferai signe de sortir, je vous prierai de ne pas insister.

Maigret haussa les épaules et pénétra le premier dans la petite chambre blanche où Maria semblait sommeiller, tandis que son bébé dormait dans un berceau à côté de son lit. Pourtant un regard filtrait entre les cils mi-clos de la femme, attentif aux faits et gestes des deux hommes.

Elle était aussi belle que la nuit rue du Roi-de-Sicile. Son teint était plus pâle. On avait tressé ses cheveux en deux grosses nattes qui faisaient le tour de sa tête.

Maigret, après avoir déposé son chapeau sur une chaise, dit au Tchèque :

— Voulez-vous lui demander son nom ?

Il attendit, sans beaucoup d’espoir. En effet, la jeune femme se contenta de regarder d’un œil haineux l’homme qui lui parlait sa langue.

— Elle ne répond pas, fit le traducteur. Autant que je puisse en juger, elle n’est pas Tchèque, mais Slovaque. Je lui ai parlé les deux langues, et c’est quand j’ai employé la seconde qu’elle a tressailli.

— Veuillez lui expliquer que je lui conseille vivement de répondre à mes questions, faute de quoi, aujourd’hui même, en dépit de son état, elle pourrait être transférée à l’infirmerie de la Santé.

Le Tchèque eut un haut-le-corps de gentleman offusqué, et l’infirmière qui rôdait dans la chambre murmura comme pour elle-même :

— Je voudrais bien voir ça !

Puis elle s’adressa à Maigret.

— Vous n’avez pas lu au bas de l’escalier qu’il est interdit de fumer ?

Avec une docilité inattendue, le commissaire retira sa pipe de sa bouche et la laissa éteindre entre ses doigts.

Maria avait enfin prononcé quelques mots.

— Voulez-vous traduire ?

— Elle répond que cela lui est égal et qu’elle nous hait tous. Je ne m’étais pas trompé. C’est une Slovaque, probablement une Slovaque du Sud, une fille de la campagne.

Il en était comme soulagé. Son honneur à lui, pur Tchèque de Prague, n’était plus en jeu, puisqu’il s’agissait d’une paysanne slovaque.

Maigret avait tiré son calepin noir de sa poche.

— Demandez-lui où elle se trouvait la nuit du 12 au 13 octobre dernier.

Cette fois, elle marqua le coup, son regard devint plus sombre et se posa sur le commissaire avec insistance. Aucun son ne sortit néanmoins de ses lèvres.

— Même question pour la nuit du 8 au 9 décembre.

Elle s’agita. On voyait sa poitrine se soulever. Elle avait eu malgré elle un mouvement vers le berceau, comme pour s’emparer de son enfant et le protéger.

C’était une magnifique femelle. Il n’y avait que l’infirmière à ne pas s’apercevoir qu’elle était d’une autre race qu’eux tous et à la traiter comme une femme ordinaire, comme une accouchée.

— Vous n’aurez pas bientôt fini de lui poser des questions stupides ?

— Dans ce cas, on va lui en poser une autre qui vous fera peut-être changer d’avis, madame ou mademoiselle.

— Mademoiselle, s’il vous plaît.

— Je m’en doutais. Veuillez traduire, monsieur.

Au cours de cette nuit du 8 au 9 décembre, dans une ferme de Picardie, à Saint-Gilles-les-Vaudreuves, une famille entière a été sauvagement massacrée à coups de hache. La nuit du 12 au 13 octobre, deux vieillards, deux fermiers, ont été tués de même dans leur ferme de Saint-Aubin, toujours en Picardie. Dans la nuit du 21 ou 22 novembre, deux vieillards et leur valet, un pauvre idiot, avaient déjà été attaqués, eux aussi, à coup de hache.

— Je suppose que vous allez prétendre que c’est elle ?

— Un instant, mademoiselle. Laissez traduire, voulez-vous ?

Le Tchèque traduisait d’un air dégoûté, comme si de parler de ces massacres lui avait sali les mains. Dès les premiers mots, la femme s’était à moitié dressée sur son lit et avait découvert un sein qu’elle ne songeait pas à cacher.

— Jusqu’au 8 décembre, on ne savait rien des assassins, parce qu’ils ne laissaient pas de survivants derrière eux. Vous comprenez, mademoiselle ?

— Je crois que le docteur ne vous a permis qu’une visite de quelques minutes.

— Ne craignez rien. Elle est solide. Regardez-là.

Elle était toujours belle, près de son petit, comme une louve, comme une lionne, comme elle devait être belle à la tête de ses mâles.

— Traduisez mot à mot, je vous en prie. Le 8 décembre, il y a eu un oubli. Une petite fille de neuf ans, pieds nus, en chemise, est parvenue à se glisser hors de son lit avant qu’on pensât à elle et s’est cachée dans un coin où personne n’a songé à la chercher. Elle a vu, celle-là. Elle a entendu. Elle a vu une jeune femme brune, une femme magnifique et sauvage qui approchait la flamme d’une bougie des pieds de sa mère pendant qu’un des hommes fendait le crâne du grand-père, et qu’un autre versait à boire à ses camarades. La fermière criait, suppliait, se tordait de douleur pendant que celle-ci...

Il désignait le lit de l’accouchée.

— ... pendant que celle-ci, souriante, raffinait le supplice en lui mettant le bout brûlant d’une cigarette sur les seins.

— Je vous en prie ! protesta l’infirmière.

— Traduisez.

Pendant ce temps, il observait Maria qui ne le quittait pas des yeux, repliée sur elle-même, les prunelles brillantes.

— Demandez-lui si elle a quelque chose à répondre.

Mais ils n’obtenaient qu’un sourire méprisant.

— La petite fille, qui a échappé au carnage, qui est maintenant orpheline et qu’on a recueillie dans une famille d’Amiens, a été mise ce matin en face d’une photographie de cette femme, transmise par bélinogramme. Elle l’a formellement reconnue. On ne l’avait pas prévenue. On a simplement placé la photo sous ses yeux, et l’émotion a été si violente qu’elle a été prise d’une crise nerveuse. Traduisez, monsieur le Tchèque.

— Elle est Slovaque, répéta celui-ci.

Et voilà que le bébé pleurait, que l’infirmière, après avoir consulté sa montre, le sortait de son berceau, tandis que la mère, pendant qu’on le changeait, le suivait du regard.

— Je vous ferai remarquer qu’il est l’heure, monsieur le commissaire.

— Est-ce qu’il était l’heure aussi pour les gens dont je parle ?

— Le bébé doit prendre le sein.

— Qu’il le prenne.

Et c’était bien la première fois que Maigret poursuivait un pareil interrogatoire, tandis qu’un nouveau-né soudait ses lèvres au sein blanc d’une meurtrière.

— Elle ne répond toujours pas, n’est-ce pas ? Je suppose qu’elle ne dira rien non plus quand vous lui parlerez de la veuve Rival, assassinée comme les autres, dans sa ferme, le 9 janvier. C’est la dernière en date. Sa fille, âgée de quarante ans, y a passé, elle aussi. Je suppose que Maria était présente. On a, comme toujours, relevé sur le corps des traces de brûlures. Traduisez.

Il sentait un profond malaise autour de lui, une hostilité sourde, mais il n’en avait cure. Il était harassé. S’il était resté cinq minutes seulement dans un fauteuil, il se serait endormi.

— Parlez-lui maintenant de ses compagnons, de ses mâles, de Victor Poliensky, sorte d’idiot de village à la force de gorille, de Serge Madok au cou épais et à la peau grasse, de Cari et du gamin qu’ils appellent Pietr.

Elle cueillait les noms sur les lèvres de Maigret et, à chacun d’eux, elle tressaillait.

— Est-ce que le petit était son amant, lui aussi ?

— Je dois traduire ?

— Je vous en prie. Ce n’est pas vous qui la ferez rougir.

Acculée, elle parvenait à sourire à l’évocation de l’adolescent.

— Demandez-lui si c’était vraiment son frère.

Chose curieuse, il y avait des moments où une chaude tendresse passait dans les yeux de la femme, et pas seulement quand elle rapprochait de son sein le visage de l’enfant.

— Maintenant, monsieur le Tchèque...

— On m’appelle Franz Lehel.

— Cela m’est égal. Je vous prie de traduire très exactement, mot pour mot, ce que je vais dire. Il est possible que la tête de votre compatriote en dépende. Dites-lui d’abord ça : que sa tête dépend de l’attitude qu’elle va prendre.

— Je dois vraiment ?

Et l’infirmière de murmurer :

— C’est répugnant !

Mais Maria, elle, ne broncha pas. Elle devint seulement un peu plus pâle, puis elle parvint à sourire.

— Il y a un autre individu que nous ne connaissons pas et qui était leur chef.

— Je traduis ?

— Je vous en prie.

Cette fois, ce fut un sourire ironique que l’on obtint de l’accouchée.

— Elle ne parlera pas, je le sais. Je m’y attendais en arrivant. Ce n’est pas une femme qu’on intimide. Il y a cependant un détail que je veux savoir, parce que des vies humaines sont en jeu.

— Je traduis ?

— Pourquoi vous ai-je fait venir ?

— Pour traduire. Je vous demande pardon.

Et, très raide, il semblait réciter une leçon.

— Entre le 12 octobre et le 21 novembre, il y a à peu près un mois et demi. Entre le 21 novembre et le 8 décembre, il y a un peu plus de quinze jours. Cinq semaines encore avant le 19 janvier. Vous ne comprenez pas ? C’est le temps qu’il fallait à peu près à la bande pour dépenser l’argent. Or, nous sommes à la fin février. Je ne peux rien promettre. D’autres, quand le procès viendra aux Assises, décideront de son sort. Traduisez.

— Vous voulez me répéter les dates ?

Il récita à nouveau, puis attendit.

— Ajoutez à présent que si, en répondant à mes dernières questions, elle évite de nouveaux massacres, il en sera tenu compte.

Elle ne broncha pas, mais sa moue redevint méprisante.

— Je ne lui demande pas où se trouvent en ce moment ses amis. Je ne lui demande même pas le nom du chef. Je veux savoir si les fonds sont bas, si un coup est en préparation pour des prochains jours.

Cela n’eut pour résultat que de faire briller les yeux de Maria.

— Bien. Elle ne répondra pas. Je crois que j’ai compris. Reste à savoir si Victor Poliensky était le tueur.

Elle écouta la traduction avec beaucoup d’attention, attendit, et Maigret s’énervait de devoir passer ainsi par le canal de l’employé de chancellerie.

— Ils ne devaient pas être plusieurs à manier la hache, et, si ce n’était pas le rôle de Victor, je ne vois pas l’utilité pour la bande de traîner un simple d’esprit avec elle. C’est lui, en définitive, qui a fait prendre Maria et qui les fera prendre tous.

Traduction, toujours. Maintenant, elle semblait triompher. Ils ne savaient rien. Elle était seule à savoir. Elle était dans son lit, affaiblie, avec un nouveau-né accroché à son sein, mais elle s’était tue, elle continuerait à se taire.

Un coup d’œil involontaire à la fenêtre trahissait le fond de sa pensée. Au moment où on l’avait abandonnée rue du Roi-de-Sicile – c’était elle, probablement, qui avait exigé qu’on l’abandonnât – on avait dû lui faire des promesses.

Elle connaissait ses mâles. Elle avait confiance en eux. Tant qu’ils seraient libres, elle ne risquait rien. Ils viendraient. Tôt ou tard, ils la tireraient d’ici, ou plus tard de l’infirmerie même de la Santé.

Elle était splendide, Ses narines frémissaient. Ses lèvres pleines avaient une moue intraduisible. Elle n’était pas de la même race que ceux qui l’entouraient, ni ses hommes. Ils avaient choisi une fois pour toutes de vivre en marge. Ils étaient de grands fauves, et les bêlements des moutons ne touchaient en eux aucune corde sensible.

Où, dans quels bas-fonds, dans quelle atmosphère de misère leur association s’était-elle formée ? Ils avaient eu faim tous. C’était si vrai que, leur coup fait, ils ne pensaient qu’à manger, à manger à longueur de journée, manger et boire, dormir, faire l’amour, manger encore, sans souci du décor miteux de la rue du Roi-de-Sicile ni de leurs vêtements usés qui ressemblaient à des haillons.

Ils ne tuaient pas pour l’argent. L’argent n’était pour eux que le moyen de manger et de dormir en paix, dans leur coin, dans leur tanière, indifférents au reste de l’humanité.

Elle n’était même pas coquette. Les robes trouvées dans la chambre étaient des robes bon marché, comme elle en avait porté dans son village. Elle ne se mettait ni poudre ni rouge à lèvres. Elle n’avait pas de linge fin. Tous autant qu’ils étaient auraient pu, à d’autres âges ou sous d’autres latitudes, vivre de même, nus, dans la forêt ou dans la jungle.

— Dites-lui que je reviendrai, que je lui demande de réfléchir. Elle a maintenant un enfant.

Il baissa la voix malgré lui pour prononcer ces derniers mots.

— À présent, nous vous laissons, dit-il à l’infirmière. Je vous enverrai tout à l’heure un second inspecteur. Je téléphonerai au docteur Boucard. C’est bien lui qui la soigne, n’est-ce pas ?

— C’est le chef du service.

— Si elle est transportable, on la transférera sans doute ce soir ou demain matin à la Santé.

Malgré ce qu’il lui avait révélé de sa patiente, elle le regardait toujours avec rancune.

— Au revoir, mademoiselle. Venez, monsieur.

Dans le couloir, il dit quelques mots à Lucas, qui n’était au courant de rien. L’infirmière qui les avait accompagnés depuis le rez-de-chaussée les attendait un peu plus loin. Devant une porte, il y avait cinq ou six vases pleins de fleurs fraîches.

— À qui est-ce ? demanda-t-il.

L’infirmière était jeune et blonde, potelée sous sa blouse.

— Ce n’est plus à personne. La dame qui occupait cette chambre est rentrée chez elle voilà quelques minutes. Elle a laissé les fleurs. Elle avait beaucoup d’amis.

Il lui parla à voix basse. Elle dit oui. Elle paraissait étonnée. Mais le Tchèque l’aurait été davantage encore s’il avait deviné ce que Maigret venait de faire.

Il avait dit simplement, un peu gêné :

— Mettez-en donc quelques-unes au 217.

Parce que la chambre était nue et froide, parce qu’il y avait quand même là une femme et un nouveau petit d’homme.

***

Il était onze heures et demie. Dans le long couloir mal éclairé où s’alignent les portes des juges d’instruction, quelques hommes, menottes aux mains, sans cravate, encadrés de gendarmes, attendaient encore leur tour, assis sur les bancs sans dossier. Il y avait aussi des femmes, des témoins qui s’impatientaient.

Le juge Coméliau, plus grave que jamais, soucieux, avait dû faire chercher des chaises chez un de ses collègues et avait envoyé son greffier déjeuner.

Sur la demande de Maigret, le directeur de la P. J. était présent, assis dans un fauteuil, tandis que, sur la chaise généralement réservée au gens qu’on interroge, se tenait le commissaire Colombani, de la Sûreté nationale.

Comme la Police Judiciaire, en principe, ne s’occupe que de Paris et de la région parisienne, c’était lui qui, depuis cinq mois, en contact avec les brigades mobiles, dirigeait l’enquête au sujet des « Tueurs de Picardie », comme les journalistes, après le premier crime, avaient baptisé la bande.

De bonne heure, le matin, il avait eu une entrevue avec Maigret et lui avait confié son dossier.

De bonne heure aussi, un peu avant neuf heures, un des inspecteurs postés rue du Roi-de-Sicile avait frappé à la porte du commissaire.

— Il est ici, avait-il annoncé.

Il s’agissait du patron de l’Hôtel du Lion d’Or. La nuit, ou plutôt la fin de la nuit, lui avait porté conseil. Hâve, mal rasé, les vêtements fripés, il avait interpellé l’inspecteur qui faisait les cent pas devant la maison.

— Je voudrais aller au quai des Orfèvres, avait-il annoncé.

— Allez-y.

— J’ai peur.

— Je vous accompagnerai.

Mais Victor n’avait-il pas été abattu en pleine rue, au milieu de la foule ?

— J’aimerais mieux que nous prenions un taxi. Je payerai.

Quand il entra dans le bureau, Maigret avait son dossier devant lui, car l’homme comptait trois condamnations à son actif.

— Tu as les dates ?

— J’ai réfléchi, oui. On verra bien ce qui arrivera. Du moment que vous promettez de me protéger...

Il puait la lâcheté et la maladie. Tout son être faisait penser à un mal blanc. C’est cet homme-là, pourtant qui avait été appréhendé à deux reprises pour attentat à la pudeur.

— La première fois qu’ils se sont absentés, je n’ai pas fait trop attention, mais la seconde cela m’a frappé.

— La seconde ? Donc, le 21 novembre.

— Comment le savez-vous ?

— Parce que j’y ai pensé, moi aussi, et que j’ai lu les journaux.

— Je me suis douté que c’était eux. mais je n’ai rien laissé voir.

— Ils ont deviné quand même, hein ?

— Je ne sais pas. Ils m’ont donné un billet de mille.

— Hier, tu as dit cinq cents.

— Je me suis trompé. C’est la fois suivante, quand ils sont rentrés, que Cari m’a menacé.

— Ils partaient en voiture ?

— Je ne sais pas. En tout cas, ils quittaient la maison à pied.

— Les visites de l’autre, de celui que tu ne connais pas, avaient lieu quelques jours avant ?

— Maintenant que j’y réfléchis, je crois que oui.

— Il couchait avec Maria aussi ?

— Non.

— Maintenant, tu vas gentiment m’avouer quelque chose. Souviens-toi de tes deux premières condamnations.

— J’étais jeune.

— C’était encore plus dégoûtant. Comme je te connais, la Maria devait t’exciter.

— Je ne l’ai jamais touchée.

— Parbleu ! Tu avais peur des autres.

— D’elle aussi.

— Bon ! Cette fois au moins tu es franc. Seulement, tu ne t’es pas contenté d’aller ouvrir leur porte de temps en temps. Avoue !

— J’ai fait un trou dans la cloison, c’est vrai. Je m’arrangeais pour que la chambre voisine soit occupée le plus rarement possible.

— Qui couchait avec elle ?

— Tous.

— Y compris le gamin ?

— Surtout le gamin.

— Tu m’as dit hier que c’était probablement son frère.

— Parce qu’il lui ressemble. C’est le plus amoureux. Je l’ai vu pleurer plusieurs fois. Quand il était avec elle, il la suppliait.

— De quoi ?

— Je ne sais pas. Ils ne parlaient pas français. Lorsque c’était un autre qui était dans la chambre, il lui arrivait de descendre et d’aller se soûler tout seul dans un petit bistrot de la rue des Rosiers.

— Ils se disputaient ?

— Les hommes ne s’aimaient pas.

— Tu ne sais vraiment pas à qui appartient la chemise maculée de sang que tu as vu laver dans la cuvette ?

— Je n’en suis pas sûr. Je l’ai vue sur le dos de Victor, mais il leur arrivait d’échanger leurs affaires.

— À ton avis, de ceux qui habitaient chez toi, qui était le chef ?

— Il n’y avait pas de chef. Quand il y avait bagarre, Maria les engueulait, et ils se taisaient.

Le tenancier du meublé était retourné dans son taudis, toujours flanqué d’un inspecteur, contre qui, dans la rue, il se collait peureusement, la peau moite d’une sueur d’angoisse. Il devait sentir encore plus mauvais que d’habitude, car la peur sent mauvais.

À présent, le juge Coméliau, au faux col roide, à la cravate sombre, au complet impeccable, regardait Maigret qui s’était assis sur le rebord de la fenêtre, le dos à la cour.

— La femme n’a rien dit et ne parlera pas, dit le commissaire en fumant sa pipe à petites bouffées. Depuis hier au soir, nous avons trois fauves en liberté dans Paris, Serge Madok, Cari et le petit Pietr, qui, malgré son âge, ne doit pas avoir une âme d’enfant de chœur. Je ne parle pas de celui qui venait leur rendre visite et qui est probablement leur chef à tous.

— Je suppose, interrompit le juge, que vous avez fait le nécessaire ?

Il aurait bien voulu prendre Maigret en faute. Celui-ci avait trop appris, en trop peu de temps, comme en se jouant. Avec l’air de s’occuper uniquement de son mort, du Petit Albert, voilà qu’il avait déniché une bande dont la police s’occupait en vain depuis cinq mois.

— Les gares sont alertées, rassurez-vous. Cela ne servira de rien, mais c’est la routine. On surveille les routes, les frontières. Toujours la routine. Beaucoup de circulaires, de télégrammes, de coups de téléphone, des milliers de gens en mouvement, mais...

— C’est indispensable.

— Aussi c’est fait. On surveille aussi les meublés, surtout ceux dans le genre de l’Hôtel du Lion d’Or. Il faudra bien que ces gens-là couchent quelque part.

— Un directeur de journal, qui est de mes amis, m’a téléphoné tout à l’heure pour se plaindre de vous. Il paraît que vous refusez de donner le moindre renseignement aux reporters.

— C’est exact. Je pense qu’il est inutile d’alerter la population parisienne en lui annonçant que quelques tueurs traqués errent dans les rues de la ville.

— Je suis de l’avis de Maigret, appuya le directeur de la P. J.

— Je ne critique pas, messieurs. J’essaie de me faire une opinion. Vous avez vos méthodes. Le commissaire Maigret, en particulier, a les siennes, qui sont parfois assez particulières. Il ne se montre pas toujours empressé à me mettre au courant, et pourtant, en dernier ressort, c’est moi seul qui suis responsable. Le procureur vient, à ma demande, de joindre l’affaire de la bande de Picardie à celle du Petit Albert. J’aimerais pouvoir faire le point.

— Nous savons déjà, récita Maigret d’une voix volontairement monotone, comment les victimes ont été choisies.

— Vous avez reçu des témoignages du Nord ?

— Ils n’ont pas été nécessaires. Moers a relevé, dans les deux chambres de la rue du Roi-de-Sicile, de nombreuses empreintes digitales. Si ces messieurs, quand ils travaillaient dans les fermes, portaient des gants de caoutchouc et ne laissaient rien derrière eux, si les assassins du petit Albert avaient des gants eux aussi, les hôtes du Lion d’Or vivaient chez eux les mains nues. Au service des fiches, on a reconnu les empreintes de l’un d’entre eux seulement.

— Lequel ?

— Cari. Son nom est Cari Lipschitz. Il est né en Bohême et est entré en France régulièrement, voilà cinq ans, avec un passeport en bonne forme. Il faisait partie d’un groupe de travailleurs agricoles qui a été dirigé sur les grosses fermes de Picardie et de l’Artois.

— À quel titre sa fiche figure-t-elle aux sommiers ?

— Il y a deux ans, il a été accusé de meurtre, accompagné de viol sur une gamine de Saint-Aubin. Il travaillait à ce moment-là dans une ferme du village. Arrêté, sur la foi de la rumeur publique, il a été relaxé un mois plus tard, faute de preuves. Depuis, on perd sa trace. Sans doute est-il venu à Paris ? On vérifiera dans les grandes usines de la banlieue, et je ne serais pas étonné qu’il ait travaillé chez Citroën, lui aussi. Un inspecteur est déjà en route.

— Cela nous en fait donc un d’identifié.

— Ce n’est pas beaucoup, mais vous remarquerez qu’il est à la base de toute l’affaire. Colombani a bien voulu me confier son dossier, que j’ai examiné attentivement. Voici une carte qu’il a dressée avec beaucoup d’à-propos. Je lis aussi dans un de ses rapports que, dans les villages où les crimes ont été commis, ne résidait aucun Tchèque. Comme on y comptait quelques Polonais, certains ont parlé d’une « bande des Polonais », mettant les massacres de fermiers à leur compte.

— Où voulez-vous en venir ?

— Quand le groupe auquel Cari appartenait est arrivé en France, les hommes ont été dispersés. Nous ne trouvons que lui, à cette époque, dans la région qui se situe un peu au sud d’Amiens. C’est là que les trois premiers crimes ont été commis, toujours dans des fermes riches et isolées, toujours aussi chez des vieillards.

— Et les deux fermiers ?

— Un peu plus à l’est, vers Saint-Quentin. Nous apprendrons certainement que Cari a eu une liaison ou un ami dans ces parages. Il pouvait s’y rendre à bicyclette. Trois ans plus tard, quand la bande s’est constituée...

— Où croyez-vous qu’elle se soit constituée ?

— Je l’ignore, mais vous verrez que nous retrouverons la plupart des personnages dans les environs du quai de Javel. Victor Poliensky travaillait encore chez Citroën peu de semaines avant le premier coup de main.

— Vous avez parlé d’un chef.

— Permettez-moi de finir d’abord ma pensée. Avant la mort du petit Albert, ou plutôt avant la découverte du corps de celui-ci place de la Concorde, – j’insiste sur la différence et vous verrez pourquoi – la bande, qui en était à son quatrième massacre, jouissait d’une sécurité complète. Personne ne connaissait le signalement de ceux qui la composaient. Notre seul témoin était une fillette qui avait vu une femme torturer sa mère. Quant aux hommes, elle les avait à peine entrevus, et ils portaient tous des chiffons noirs sur le visage.

— Vous avez retrouvé ces chiffons rue du Roi-de-Sicile ?

— Non. La bande, donc, était en sûreté. Personne n’aurait pensé à aller chercher les tueurs de Picardie dans un taudis du ghetto. Est-ce exact, Colombani ?

— Tout à fait exact.

— Le petit Albert, soudain, se sentant menacé par des hommes qui le suivaient – n’oubliez pas que, dans ses coups de téléphone, il a dit qu’ils étaient plusieurs à se relayer – le petit Albert, dis-je, a été tué d’un coup de couteau dans son propre caboulot, après avoir fait appel à moi pour le protéger. Il avait eu l’intention de venir me voir. Il avait donc des révélations à me faire, et les autres le savaient. Une question se pose : pourquoi s’est-on donné la peine de transporter son cadavre place de la Concorde ?

Ils le regardaient en silence, cherchant en vain une solution à cette question que Maigret s’était posée tant de fois à lui-même.

— Je me réfère toujours au dossier de Colombani, qui est d’une précision remarquable. Pour chacun des attentats dans les fermes, la bande s’est servie de voitures, de préférence de camionnettes volées. Presque toutes ont été prises sur la voie publique dans les environs de la place Clichy, en tout cas dans le dix-huitième arrondissement, et c’est pourquoi c’est surtout dans ce secteur que les recherches ont été poussées. C’est dans le même quartier, mais un peu en dehors de la ville, qu’on retrouvait les autos le lendemain.

— Vous en concluez ?

— Que la bande ne possède pas d’auto. Une voiture doit se garer quelque part, et cela laisse des traces.

— Si bien que l’auto jaune... ?

— L’auto jaune n’a pas été volée. Nous le saurions, car le propriétaire aurait porté plainte, d’autant plus qu’il s’agit d’une voiture presque neuve.

— Je comprends, murmura le chef, tandis que le juge Coméliau, qui, lui, ne comprenait pas, fronçait les sourcils, vexé.

— J’aurais dû y penser plus tôt. J’ai un moment admis cette éventualité, puis je l’ai rejetée parce que cela me semblait trop compliqué et que je professe que la vérité est toujours simple. Ce ne sont pas les assassins du petit Albert, qui ont déposé son cadavre place de la Concorde.

— Qui est-ce ?

— Je ne sais pas, mais nous l’apprendrons bientôt.

— Comment ?

— J’ai fait insérer une annonce dans les journaux. Rappelez-vous qu’Albert, vers cinq heures de l’après-midi, quand il a compris que nous étions impuissants à l’aider, a donné un coup de téléphone qui ne nous était pas destiné.

— Il a demandé du secours à ses amis, selon vous ?

— Peut-être. Il a en tout cas donné rendez-vous à quelqu’un. Et ce quelqu’un n’est pas arrivé à l’heure.

— Comment le savez-vous ?

— Vous oubliez que l’auto jaune a eu une panne quai Henri-IV, une panne assez longue.

— De sorte que les deux hommes qu’elle emmenait sont arrivés trop tard ?

— Justement.

— Un instant ! J’ai, moi aussi, le dossier sous les yeux. D’après votre cartomancienne, l’auto a stationné en face du Petit Albert de huit heures et demie à neuf heures environ. Or le corps n’a été déposé sur le trottoir de la place de la Concorde qu’à une heure du matin.

— Ils sont peut-être revenus, monsieur le juge.

— Pour chercher la victime d’un crime qu’ils n’avaient pas commis et pour la déposer ailleurs ?

— C’est possible. Je n’explique pas. Je constate.

— Et la femme d’Albert, pendant ce temps-là ?

— Supposez que, précisément, ils soient allés la mettre en lieu sûr ?

— Pourquoi ne l’aurait-on pas tuée en même temps que son mari, puisque, vraisemblablement, elle savait, elle aussi, puisqu’en tout cas elle doit avoir vu les meurtriers ?

— Qui nous dit qu’elle n’était pas sortie ? Certains hommes, quand ils ont à traiter une affaire sérieuse, éloignent leur femme.

— Vous ne pensez pas, monsieur le commissaire, que tout ceci nous écarte, nous aussi, de nos tueurs qui, comme vous dites, rôdent en ce moment dans Paris ?

— Qu’est-ce qui nous a mis sur leur piste, monsieur le juge ?

— Le cadavre de la place de la Concorde, évidemment.

— Pourquoi ne nous y ramènerait-il pas une fois encore ? Voyez-vous, je crois que, quand nous aurons compris, il ne nous sera pas difficile de mettre la main sur la bande. Seulement, il faut comprendre.

— Vous supposez qu’ils ont tué l’ancien garçon de café parce qu’il en savait trop ?

— C’est probable. Et je cherche à savoir comment il savait. Quand je l’aurai découvert, je saurai aussi ce qu’il savait.

Le chef approuvait de la tête, en souriant, car il sentait l’antagonisme entre les deux hommes. Quant à Colombani, il aurait bien voulu prendre la parole à son tour.

— Peut-être le train ? insinua-t-il.

Il connaissait son dossier à fond, et Maigret l’encouragea.

— De quel train parlez-vous ? s’informa Coméliau.

— Nous avons – c’était Colombani qui parlait, et son collègue l’y poussait du regard – nous avons, depuis la dernière affaire, un léger indice que nous avons évité de rendre public, afin de ne pas mettre la bande sur ses gardes. Veuillez examiner la carte numéro 5 qui est jointe au dossier. L’attentat du 19 janvier a été commis chez les époux Rival, morts tous les deux, malheureusement, ainsi que leur valet et une servante. Leur ferme s’appelle Les Nonettes, sans doute parce qu’elle est bâtie sur les ruines d’un ancien couvent et se trouve à près de cinq kilomètres du village. Ce village, Goderville, a une gare de chemin de fer où s’arrêtent les trains omnibus. C’est la grande ligne Paris-Bruxelles. Inutile de vous dire que les voyageurs venant de Paris sont rares, car il faut des heures pour accomplir le trajet en s’arrêtant aux moindres gares. Or, le 19 janvier, à huit heures dix-sept du soir, un homme est descendu du train, muni d’un billet aller et retour Paris-Goderville.

— On possède son signalement ?

— Vague. Un homme encore jeune, bien vêtu.

Le juge voulait découvrir quelque chose à son tour.

— L’accent étranger ?

— Il n’a pas parlé. Il a traversé le village sur la grand-route, et on ne l’y a pas revu. Par contre, le lendemain matin, à six heures et quelques minutes, il reprenait le train de Paris dans une autre petite gare, Moucher, située à vingt et un kilomètres plus au sud. Il n’a pas loué un taxi. Aucun paysan ne l’a emmené dans sa voiture. Il est difficile de croire qu’il a passé la nuit à marcher pour son plaisir. Il a dû fatalement passer à proximité des Nonettes.

Maigret fermait les yeux, envahi par une fatigue à laquelle il ne résistait plus qu’avec peine. Il lui arrivait même, debout, de s’endormir à moitié, et il avait laissé éteindre sa pipe.

— Quand nous avons été en possession de ces renseignements, poursuivait Colombani, nous avons fait rechercher le billet à la compagnie du Nord.

Tous les billets que l’on récolte à l’arrivée des trains, en effet, sont conservés pendant un certain temps.

— Et vous ne l’avez pas retrouvé ?

— Il n’a pas été présenté à la gare du Nord. Autrement dit, un voyageur est descendu à contre-voie ou encore s’est mêlé à la foule, dans une gare de banlieue, et a pu sortir sans être vu, ce qui n’est pas difficile.

— C’est de cela que vous vouliez parler, monsieur Maigret ?

— Oui, monsieur le juge.

— Pour en arriver à quelle conclusion ?

— Je ne sais pas. Le petit Albert aurait pu être dans le même train. Il aurait pu se trouver à la gare.

Il secoua la tête et reprit :

— Non. On aurait commencé plus tôt à le harceler.

— Alors ?

— Rien ! D’ailleurs, il était en possession d’une preuve matérielle, puisqu’on s’est donné la peine de fouiller sa maison de fond en comble après l’avoir assassiné. C’est compliqué. Et Victor est revenu rôder autour du bistrot.

— Sans doute n’avaient-ils pas trouvé ce qu’ils cherchaient ?

— Dans ce cas, ce n’est pas le simple d’esprit qu’ils auraient envoyé. Victor a agi de son propre chef, à l’insu des autres, j’en jurerais. La preuve, c’est qu’ils l’ont abattu froidement quand ils ont su que la police était sur ses talons et qu’il risquait de les faire prendre tous. Excusez-moi, messieurs. Excusez-moi, chef. Je tombe de fatigue.

Il se tourna vers Colombani.

— Je te vois vers cinq heures ?

— Si tu veux.

Il paraissait si mou, si las, si flottant, que le juge Coméliau eut des remords et murmura :

— Vous avez quand même obtenu de jolis résultats.

Puis, quand Maigret fut sorti :

— Il n’a plus l’âge de passer des nuits sans sommeil. Pourquoi aussi vouloir tout faire par lui-même ?

Il aurait été bien étonné s’il avait vu Maigret, au moment de monter en taxi, hésiter sur l’adresse à donner et prononcer enfin :

— Quai de Charenton ! Je vous arrêterai.

Cette visite de Victor au Petit Albert le tarabustait. Tout le long du chemin, il revoyait le grand garçon roux marcher de son pas félin, avec Lucas sur les talons.

— Qu’est-ce que vous prenez, patron ?

— Ce que tu voudras.

Chevrier était entré tout à fait dans la peau de son rôle, et sa femme devait faire de la bonne cuisine, car on comptait une vingtaine de clients dans la salle.

— Je monte ! Tu ne veux pas m’envoyer Irma ?

Elle le suivit dans l’escalier, s’essuyant les mains à son tablier. Il regarda autour de lui, dans la chambre qui, fenêtres larges ouvertes, sentait bon le propre.

— Où avez-vous mis les objets qui traînaient un peu partout ?

Il en avait fait l’inventaire avec Moers. Mais, à ce moment-là, il cherchait ce que les assassins avaient pu laisser derrière eux. Maintenant, il se demandait autre chose, de plus précis : ce que Victor, personnellement, avait eu l’intention de venir chercher.

— J’ai tout fourré dans le tiroir du haut de la commode.

Des peignes, une boîte qui contenait des épingles à cheveux, des coquillages avec le nom d’une plage normande, un coupe-papier réclame, un porte-mine qui ne fonctionnait plus, de ces petits riens dont s’encombrent les maisons.

— Tout est là dedans ?

— Même un reste de paquet de cigarettes et une vieille pipe cassée. Nous allons encore rester longtemps ici ?

— Je n’en sais rien, mon petit. Vous vous ennuyez ?

— Moi, non. Mais il y a des clients qui deviennent trop familiers, et mon mari commence à s’impatienter. D’ici à ce qu’il leur cogne sur la figure…

Il fouillait toujours le tiroir et il en retira un petit harmonica de marque allemande qui avait beaucoup servi. Il le mit dans sa poche, à la grande surprise d’Irma.

— C’est tout ? questionna-t-elle.

— C’est tout.

Quelques minutes plus tard, d’en bas, il téléphonait à M. Loiseau, que sa question ahurit :

— Dites-moi, cher monsieur, est-ce qu’Albert jouait de l’harmonica ?

— Pas à ma connaissance. Il chantait, mais je n’ai jamais entendu dire qu’il jouait d’un instrument.

Maigret se souvenait de l’harmonica trouvé rue du Roi-de-Sicile. L’instant d’après, il appelait le tenancier du Lion d’Or à l’appareil.

— Est-ce que Victor jouait de l’harmonica ?

— Certainement. Il en jouait même dans la rue en marchant.

— Était-il le seul à en jouer ?

— Serge Madok en jouait aussi.

— Ils avaient chacun leur harmonica ?

— Je crois. Oui. C’est même certain, car il leur arrivait de faire des duos.

Or, il n’y avait qu’un harmonica dans la chambre du Lion d’Or quand Maigret l’avait fouillée.

Ce que Victor le simple était venu chercher quai de Charenton à l’insu de ses complices, ce pourquoi, en fin de compte, il était mort, c’était son harmonica.

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