Le monde est fou

« Chers parents et amis,

« Clémentine n’aimait pas son prénom. Sans doute aurait-elle préféré s’appeler Sissi, pour avoir de belles toilettes comme elle disait. Elle avait pourtant un nom rigolo : Clémentine Vauléon, ça ne s’invente pas. Elle était comme ça Clémentine : jamais contente. Pourtant elle aimait la vie. Gamins, pour nous faire rire, elle enlevait son dentier de sa bouche et faisait la sorcière. Pour une impératrice, elle le faisait très bien.

« Mais Clémentine avait peur. Peur de tout : peur de l’orage, peur des bandits, qui la traquaient sûrement dans les ruelles mal famées de Mortain, peur de l’avion, qui allait tomber avec ses enfants à bord, peur des voitures, qui allaient tous nous écraser, peur de l’électricité, qui allait tous nous électrocuter, et aussi de la mort, qui allait tous nous tuer.

« Clémentine était cependant une teigneuse dans son genre : à trente ans elle passait son permis en reculant dans la vitrine d’une boulangerie, à soixante-dix elle montait seule son vélo de rééducation par l’escalier à pic de sa cave, à soixante-quinze ans elle arrachait à la main la moquette qu’un ouvrier n’avait pu décoller, taillait les arbres de son jardin perchée sur son escabeau, descendait chaque jour au bourg, passait à la boucherie, remontait avec une foule de petits sacs, partait en voyage en car et revenait à chaque fois vivante, par on ne sait quel miracle…

« Oui : qu’on l’appelle Maman, Mamie, Madame Girres, Clémentine ou Vauléon, elle nous aura toujours épatés avec son sens aigu de la jérémiade et de l’humour.

« Heureusement, il y avait la belote. Pour une bonne partie, il fallait compter deux heures : Clémentine commençait par prendre à trèfle, se laissait vite dissiper par nos âneries, se faisait couper son “bel as”, pleurait un peu son défunt mari pendant qu’on matait son jeu, annonçait belote et re, riait d’une grimace vieille de quinze ans, nous donnait des coups de carte lorsque nous chipions les 10 qui traînaient au bout de son jeu, se laissait chatouiller jusqu’à ce que ses côtes premières commencent à céder, puis gagnait un ou deux bras de fer, abandonnait une dame de carreau, ne sachant plus très bien ce qu’elle faisait dans son jeu, confiait les drames qui avaient jalonné sa vie, pleurait encore, puis riait aux éclats de nos grivoiseries et autres histoires cochonnes dont elle raffolait, jouait son beau valet en se demandant s’il allait passer, gobait tout et surtout n’importe quoi, disait “Le monde est fou ! Le monde est fou”, refusait catégoriquement que l’on touche son nez mais acceptait bon gré mal gré de faire le pélican avec son gras du cou, priait Dieu pour faire le “dix de der”, riait sans plus savoir pourquoi, pestait contre ses “maudites cartes qui collent”, s’inquiétait du moindre bruit dans la maison, jouait sa dernière carte en espérant un miracle qui ne venait jamais, criait qu’on l’avait roulée mais évitait, grâce au valet de tout à l’heure, un cruel capot.

« Après quoi, elle avait le droit à une leçon de rock et, une fois soûle à force de tourner, coupait le jeu pour qu’on distribue.

« Ces rires, il ne faut pas beaucoup d’efforts pour les entendre. Bien sûr, tout n’était pas si joyeux : il y eut la guerre, sa peur chronique de vivre, la solitude et la tristesse de tant vieillir. Louons donc ceux qui l’ont accompagnée dans ce naufrage, étant bien sûrs qu’aujourd’hui notre Clémentine est arrivée à quai.

« Il est des heures où il est sain de mourir.

« Adieu donc, Clémentine chérie. Tu nous aimais comme on était, nous t’aimions comme tu étais, tu as vécu entourée, choyée, et c’est là l’essentiel. Maintenant va. Et au passage, n’oublie pas d’embrasser Pépère… »


Voilà la lettre que je jetai sur le cercueil de ma grand-mère tandis qu’on la déposait dans la fosse, bout de femme rabougrie par la vieillesse et l’usure, Clémentine réduite à sa plus simple expression, la dernière, sorte de grimace apaisée de la mort…

Mais avant d’en finir avec la vie il avait fallu la commencer, et ce n’était pas son fort, à Clémentine. Issue de la campagne bretonne, Bédée, un village connu pour rien où paissaient les vaches et la routine agricole, Clémentine née Vauléon n’avait qu’une idée en tête, quitter cette maudite campagne qui lui bouchait l’horizon.

Sa sœur Julia garda la ferme et se maria avec un arsouille local, estampillé Tonton Marcel, qui, quand il ne roulait pas dans le fossé avec sa 2 CV, jouait de l’accordéon à tour de bras, fin rond de préférence, tandis que ses sœurs tentaient en vain de papoter.

« Tonton Marcel dans le fossé ! » est une des premières joies locutives de ma vie. Il faut dire que le bougre n’y allait pas de main morte, un de ces champions de bistrot qui font les gloires et les légendes de la breizitude profonde.

Enfin, avec ses beaux yeux verts, Clémentine avait réussi à fuir la ferme — madame avait des goûts de duchesse — et pour ça s’était mariée avec le premier venu, buveur lui aussi et fumeur invétéré, qu’on surprenait à tout coup les mains dans les poches et qui avait, de surcroît, l’avantage d’être boucher.

Aujourd’hui ça a l’air à moitié nase mais, à l’époque, c’était la main sur la bidoche et, en ces temps reculés, cela valait, passez-moi l’expression, son bout de gras.

Un bon parti, alias « Pépère ».

Clémentine Vauléon allait ainsi devenir Madame Girres, propriétaire de la boucherie de Mortain, un village de la basse Manche qui n’avait franchement rien de mieux que Bédée mais, on l’a dit, Clémentine avait un mari et une situation. On les avait présentés l’un à l’autre en leur disant qu’ils feraient un excellent ménage, ils n’avaient pas fait d’histoires. L’amour n’avait pas beaucoup d’importance. C’était Pépère ou les bouses de vache.

Ce qu’il ne savait pas, c’est que Clémentine avait peur de tout, et même du reste.

La bondieuserie n’était pas étrangère à cette tétanie — ça bigotait ferme dans la campagne bretonne — mais aussi les bombardements alliés qui, durant la guerre, avaient ravagé la région (la « cuvette de Mortain », sanglant épisode de la bataille de Normandie où les Allemands avaient lancé une terrible contre-attaque du côté d’Avranches). L’alerte donnée, Clémentine allait se réfugier avec les villageois dans les grottes voisines et, son premier enfant sous le bras, prier son Dieu en pleurant de terreur. Les bombes pleuvaient, les morts s’empilaient, des connus, des inconnus, des femmes, des enfants démembrés : la guerre.

Les bombes alliées l’épargnèrent finalement mais, duchesse ultrasensible capable de pleurer à toute occasion et à la moindre entourloupe de la vie, elle tremblait encore au souvenir des explosions.

Voilà pourquoi, les soirs d’orage, Clémentine s’enterrait dans le lit de la maison en serrant fort ses deux enfants, secouée d’épouvante, geignait en sanglotant, comme quoi la foudre allait s’abattre dans la seconde sur la maison, que c’était un miracle qui n’allait pas durer, mon Dieu mon Dieu épargnez-nous ! que le tonnerre déchirait le ciel à en retracer les voies lactées, que les ondes allaient leur décrocher les oreilles, qu’elles ne tenaient plus qu’à leur lobe, Sainte Marie Mère de Dieu épargnez au moins mes enfants ! Pulvérisez-moi la couenne, retirez-moi les os mais épargnez mes enfants ! que c’était joué d’avance, raide foutu, qu’ils allaient tous mourir sous les coups de la foudre, et dans d’atroces souffrances encore !

Pour compléter le tableau, la bonne priait à genoux au pied du lit où Clémentine gémissait tous ses saints, pleurant elle aussi à bouillons hoqueteux :

— Dites madame Girres qu’on va pas mourir ?! S’il vous plaît madame Girres qu’on va pas mourir ?!

Les enfants en vomissaient de trouille.

Pépère, lui, fumait ses clopes en arpentant le salon, les mains dans les poches, comme à son habitude, se demandant où il était tombé…

Une peur maladive, qu’on ne refilerait pas au chien du voisin.

Les enfants grandissant, elles ne purent :

— faire du vélo (avec toutes les voitures qui zigzaguaient sur la route pour écraser les fillettes à bicyclette, les pauvres petites ne tiendraient pas cinq minutes en selle) ;

— apprendre à nager (je rappelle aux étourdis qu’on suffoque sous l’eau, que si on pouvait y vivre sans danger ça se saurait, qu’on s’appellerait Bubulle ou Glou-glou, que la propriété de l’eau est de noyer, que c’était même pas la peine de discuter : vous êtes déjà resté ne serait-ce qu’un quart d’heure sous l’eau, vous ? Ne parlons même pas des vagues, ces espèces de bras tentaculaires à ventouses happeuses, ni des courants meurtriers qui vous entraînaient jusqu’en Amérique, les bulots aux trousses pour vous vider les yeux) ;

— aller toutes seules en ville (les vieux messieurs pervers labouraient de leur omniprésence les trottoirs du bourg, le foutre à la gorge, les petites étaient tellement jolies qu’on allait leur renifler le derrière comme on fait entre chiens, sans parler des voitures qui jaillissaient à tout bout de champ pour un oui ou pour un non, des vélos aux rayons acérés comme des Laguiole qui vous rentraient dedans, et puis des méchantes femmes jalouses qui seraient capables de les empoisonner comme des petits chats) ;

— prendre le car (un bon chauffeur est un chauffeur ivre mort) ;

— aller en promenade scolaire (deux petites filles ! comme ça ! dans la nature ! VOUS ÊTES COMPLÈTEMENT INCONSCIENTS OU QUOI ?!) ;

— faire du scooter, de la voiture, enfin, tout ce qui bouge (bouger tue) ;

— rentrer seules dans une cabine d’essayage (à cette époque on parlait de traite des Blanches, de méchants salauds qui enlevaient les filles, les attendaient derrière les rideaux et hop, disparition générale) ;

— rentrer après minuit (l’heure du pervers sexuel des fesses) ;

— partir de la maison (« Si tu pars, je mourrai ! Je mourrai de peur et tu auras ma mort sur la conscience ! ») ;

— fricoter avec des artistes, prendre des cours avec ce genre de personnes (« ces gens-là divorcent ! ») ;

— s’habiller à la mode (tétanisation du qu’en-dira-t-on, cette vieille plaie campagnarde) ;

— etc.

Cela fera plus tard deux enfants bien flippées, surtout l’aînée, qui avait connu les bombes dans les bras de sa mère, deux jolies jeunes femmes qui bien entendu fuirent avec le deuxième venu l’infernale protection maternelle…

Si l’aînée resta à Mortain, la cadette, qui allait devenir ma mère, quitta malgré tout la campagne basse normande pour la Bretagne et, plus tard, se mit à voyager.

En dehors du fait que, un mois avant la date du départ, Clémentine commençait à pleurer en maudissant tous ces avions qui s’écrasaient aux quatre coins de la terre, qui tombaient comme de la pluie et explosaient en vol pour des raisons inexpliquées, des avions qui se rentraient dedans même des fois, que sa fille allait bientôt mourir d’un crash télévisé, ces voyages étaient pour mon frère et moi l’occasion de passer du temps avec elle.

Clémentine nous gardait en général quinze jours tous les ans : pour être plus précis, nous la gardions quinze jours tous les ans.

L’orage tonnant au loin, elle nous emportait dans son lit en gémissant son bon Dieu que la maison etc., sauf que nous étions deux garçons, deux gars comme on dit, des Celtes comme on le verra.

À neuf et huit ans, on se tenait encore : quand Clémentine, qui nous chérissait au-delà du réel, commençait à trembler dans le lit plein d’orage, nous nous blottissions volontiers contre ses flancs, la chatouillions un peu, pour l’échauffement, après quoi nous lui tirions le gras du cou, son jabot, afin qu’elle rende les poissons qu’elle avait volés, « allez ! rends les poissons ! » on lui ordonnait, elle nous traitait de chenapans, hurlait que c’était affreux de vieillir, qu’avant elle était très belle mais que maintenant elle avait le cou tout mou, « RENDS LES POISSONS ! ON TE DIT ! », ça pouvait durer des heures : si elle résistait on lui chatouillait les côtelettes, aussi sensibles que le reste, elle protestait que c’était de la torture, qu’elle allait faire pipi dans sa chemise de nuit si ça continuait, qu’on n’avait qu’à jouer à « Je te tiens tu me tiens par la barbichette, le premier de nous deux qui… », mais ça faisait longtemps déjà qu’elle avait perdu, trahie par un pet vocal de mon frère, toujours le même, qui vingt ans plus tard garderait le même pouvoir zygomatique :

— Tiens regarde Mamie, je vais te faire rire : pstch.

Clémentine tordue de rire.

Une malade.

Après quoi, sourds à ses suppliques, nous lui subtilisions son dentier avec l’ordre, si elle voulait caresser l’espoir de le revoir un jour vivant dans sa bouche, de faire des grimaces de sorcière. Des vraies, pas des imitations.

La duchesse suppliait, implorait, disait la voix déformée qu’on était des vilains poussins, et sous nos rires extatiques et cruels, finissait par céder. Ses grimaces sans dents nous amusaient tant que nous en demandions sans cesse de nouvelles, des pires, qui lui arrachaient des hoquets puis des crises de rire proches de l’apnée.

Nous l’adorions méchamment.

Quant à l’orage, il y a belle lurette que tout le monde l’avait oublié.

Nos parents rentraient de voyage sains et saufs, on se demande par quelle opération du Saint-Esprit, et Clémentine repartait vers sa basse Manche, lessivée mais radieuse…

À partir de seize ans, nous nous tenions beaucoup moins bien.

Les parents continuant à voyager chaque année, Clémentine venait se faire garder chez nous, en Bretagne. Nous rentrions le soir de l’école, jetions nos sacs déchiquetés dans un coin de la maison et retrouvions Clémentine autour de la table de jeu, où elle nous attendait depuis quelques heures, en priant pour que nos vélos tiennent le choc, rapport aux accidents qui attendaient sur le bord de la route.

Les parties de belote duraient jusqu’au dîner, sans qu’on la vît jamais gagner — nul besoin de tricher, elle jouait sans ruse, que c’en était comique. Mais les parties de belote étaient surtout un prétexte pour parler de sa vie, et aussi de la nôtre : Astrid et Sophie, nos premières amoureuses respectives, étaient comme ses petites filles.

Fatalement, nous parlions d’elles, et de sexe, avec la ferme intention de lui vider son sac.

Bigote agnostique, Clémentine astiquait Dieu en priant pour qu’Il existe, et toute sa vie avait subi la peur catholique des choses de la chair.

La pauvre femme, il faut le dire, ne s’était pas gâtée. Elle s’était donc mariée au premier venu, Pépère, sans la moindre expérience. Et puis, très vite, comme elle nous l’avoua, « le pauvre Pépère eut des problèmes de verge ». Elle nous la décrivait à moitié pourrie, rongée sur les bords, frappée de maladies à répétition — naturellement, jamais il ne lui effleura l’esprit qu’elles pussent être vénériennes, bien que le bonhomme passât son temps sur les routes, à chercher les bestiaux qui allaient étaler leur viande dans sa boutique, mais surtout à boire des coups avec les copains, de bistrot en bistrot des petits calvas du coin, il avait même une bouteille de Ricard entre les sièges, pour les breaks, et devait, je lui souhaite, culbuter dans les foins la paysanne normande en veux-tu en voilà.

Des problèmes de verge, oui, qui faisaient de la malheureuse une femme peu honorée, voire carrément déshonorée. Difficile d’en vouloir à Pépère : son épouse ayant peur de tout y compris de sa verge, la procréation obligatoire serait leur intime corvée.

Et puis tout à coup, après vingt ans de ce régime sec, Clémentine fit un truc incroyable : elle prit un amant.

Tout le village sitôt au parfum de ce bovarysme agricole, notre bouchère aux pieds nus vécut là le drame de sa vie ; une honte de celles qu’on n’emporterait pas au paradis, une honte entre les jambes qui se voyait depuis Vire, Avranches, une honte ardente qui, à quatre-vingts ans passés, la faisait pleurer encore.

Et quand on lui demandait si au moins c’était bien avec son amant, si elle l’avait aimé et pris du plaisir, Clémentine clignait des yeux comme une possédée, serrait ses vieux poings de toutes ses forces et, le visage crispé jusqu’au chignon, mimait la scène :

— Oh ! mon Dieu mon Dieu ! Faites que ça aille vite ! Mon Dieu ! Je vous en supplie !

L’amour, une expérience qu’elle ne renouvellerait pas, puisque son mari mourut à soixante-six ans d’un cancer de la vessie, un cancer d’alcoolo, et que l’amant en question avait, on s’en doute, changé de crémerie.

Clémentine avait beau sangloter sur le tapis de cartes comme quoi elle n’avait jamais eu de chance dans la vie, si elle comptait nous émouvoir c’était raté.

Nous lui demandions si elle avait déjà sucé Pépère, si elle lui avait déjà mâchouillé le bazar, aspiré, léché, tété, force mimes à l’appui, si elle lui taillait des pipes endiablées malgré sa verge démantibulée, bref, si elle l’avait déjà fait :

— Oh ! non ! s’insurgeait-elle. Ah ! ça non !

— Pourquoi ? on en rajoutait. Allez : la bonne turlute à Pépère !

— Aahh non ! elle faisait la duchesse outragée. Ça, jamais !

Elle tentait bien de nous éloigner en donnant des grands coups de carte mais, penchés sur elle avec des bites imaginaires dans la bouche, nous évitions sans peine ses pauvres moulinets, si bien que sous nos insistances elle finissait par imiter la fellation, tirait le bout de la langue plusieurs fois de suite comme si elle lapait du lait, s’en repartait écœurée, et recommençait, crevant de rire.

— T’as tort ! on lui disait. Une bonne pipe, y a que ça de vrai !

— Ah non non non non !

Elle s’en tordait le chignon.

— Sophie, c’est une grande spécialiste ! certifiait mon frère.

— Et Astrid ! Tu verrais la sucette à l’anis !

— Oh non ! implorait-elle. Ne me dites pas qu’elles font ça ?!

— Des pipes gastronomiques !

— Des pipes en or !

— Des pipes championnes du monde !

— Des pipes miss univers !

— Des pipes t’as honte à la fin !

— Oh non ! non ! Pas la petite Sophie ! elle geignait, au bord des larmes. Pas la petite Sophie !

On exagérait :

— Des turlutes à trois bouches !

— Oh non ! non ! Pas la petite Astrid, qui est si mignonne ! Non ! Non ! Astrid je ne le crois pas !

Elle tentait le tout pour le tout.

— Et elles avalent hein ! on précisait. Des pipes jusqu’au-boutistes !

— Oh ! non ! Oh ! non non non !

— Pourquoi ? T’as jamais goûté de sperme ?

— Ah non !

— T’as tort : c’est bon ! certifiait mon frère.

— Aaaaaaaah…

Clémentine mimait la liqueur divine au fond de sa gorge, la tête relevée comme sous un entonnoir :

— Un gargarisme ! Ah ! un gargarisme !

Elle s’esclaffait en se tenant le ventre, K.O. assise.

— Vous me faites marcher ! tentait-elle alors de se défendre. C’est pas vrai ! Vous me faites marcher !

— Et Pépère, il ne t’a jamais enculée ?

— Hein ?!

— Pépère, il ne t’a jamais enculée ? Tu sais : par le trou de balle !

— Ah ça non ! s’acharnait la duchesse. Non non non ! Je ne lui aurais pas permis !

Tout y passait.

Ne parlons même pas du pauvre Jésus, son idole, Jésus humilié, Jésus traumatisé à vie, Jésus arrosé par tous les spermes, tous les foutres de la Terre, Jésus sodomite, Jésus ravalé au rang de la bête, sa mère la Vierge au quatrième dessous, Joseph tout nu parmi les boucs, Dieu hardeur professionnel… un carnage.

— Et la zoophilie, tu connais ?

— La quoi ?

Il fallut ouvrir le dictionnaire et lire la définition pour que la pauvre femme nous crût. Le coup était rude.

Clémentine prit alors sa tête dans ses mains, comme dépossédée du réel. Sous le choc, elle s’étrangla une dernière fois et, la laque de son chignon toute décollée par l’émotion, s’écria :

— Le monde est fou ! Le monde est fou !

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