Mort aux années quatre-vingt (mort jusqu’au bout des seins)

J’ai grandi dans les années quatre-vingt et j’encule Casimir. La formule vaut son poids de baudruche mais savez-vous ce que c’est que d’avoir grandi dans les années quatre-vingt, dans un monde en faux où l’on vous disait en face qu’écraser la gueule de l’autre était la superclasse ? Que se remplir les poches était la seule liberté ?

Cette agressivité crasse, cette pauvreté intellectuelle et morale est née dans les années quatre-vingt.

Le début de la fin du journalisme, le sacre des présentateurs et des animateurs, Jean-Claude Bourret, le sex-appeal d’une tanche distillant l’info comme une piquette en tête de gondole, Guillaume Durand demandant aux téléspectateurs de La Cinq si, Sergio Leone venant de mourir, ils étaient contents de la fin des westerns ( !), Berlusconi déjà, que les journalistes sportifs trouvaient épatant tant il savait garder le sourire intact malgré la défaite de son club en finale de coupe d’Europe, « Ah ! ces Italiens : quelle classe ! », je les entends encore ces débiles, la déréglementation mondiale du marché financier assurant une fluidité totale des transferts de capitaux — source d’enrichissement pour une élite et du concept de chômeur jetable pour les autres —, le début de l’ère du supermarché, Thatcher qui montrait son humanité en laissant ses prisonniers politiques mourir de faim en prison, les murs barbouillés de merde, son ami Reagan lançant ses escadrons de la mort pour étouffer toutes velléités démocratiques en Amérique centrale, ces deux-là expliquant au monde qu’il fallait dorénavant suivre le nouveau modèle libéral, un truc qu’ils avaient spécialement pensé pour nous, pas un capitalisme à la papa où l’on nourrissait encore un peu la famille, non, un nouveau on nous a dit, celui où les autres peuvent toujours aller ramasser les miettes s’il en reste, celui qui aujourd’hui nous ravit tant… Des serial killers ces gens-là, qui n’ont jamais vu les cadavres de leurs victimes. Hitler non plus n’a jamais visité Auschwitz.

Au lieu de les juger pour malfaisance contre l’humanité, on peut encore louer la vieille Anglaise pour une soirée, épater ses dindes et écouter son venin — je ne me souviens plus de ses tarifs, mais elle vaut encore au moins trois Gorbatchev…

De quoi écœurer à vie.

Et puis Tapie, le Paris-Dakar, Sabatier, Dallas, Malibu Beach, Véronique et Davina, la culture pub, le « Vive la crise ! » des soixante-huitards repentis, Luc Besson, la 205 Peugeot, BHL, même le son du rock avait pris de l’autobronzant ; les batteries électroniques, le vibrato dans les solos de guitare, les productions Bontempi, il n’y avait bien que les rescapés du punk et de l’Alternatif à pourrir un peu l’ambiance, et quelques vieux sorciers.

Heureusement, chaque chose a son revers : grandir dans ces années de plastique forge le caractère. Quelle étrange sensation de découvrir le monde avec le sentiment d’être tombé dans une époque minable, sans cœur ni générosité, et que ce n’est pas la bonne…

La vraie vie est ailleurs, disait le poète.

Eh bien je serai autre.

Je ne comprends pas bien qu’on s’étonne s’il arrive ce qui arrive : la génération qui pousse derrière celle des années soixante-dix aujourd’hui au pouvoir est une génération de merde, pur produit des années quatre-vingt. Fric et toc en barre, on n’est pas près d’en sortir : car quand la génération en question, la mienne, va prendre le pouvoir, ça va être pire.

Ceux qui suivent pourront crever le ventre ouvert, comme les Irlandais avec Thatcher.

Parfaitement.

La violence, les incivilités, le ressentiment devant sa propre misère sexuelle, les agressions verbales ou physiques envers les femmes, la barbarie banalisée, le racisme ordinaire, le fascisme de renard qui nous tend les bras, ce n’est pas tant le contexte socio-économique actuel qui est en cause que les remugles de ces années d’idéologie réactionnaire et d’impunité devant la bêtise et la malfaisance caractérisées.

Aussi ne comptez pas sur moi pour rentrer dans la combine. Comme dit Iggy Pop : si je vais en Californie, c’est pour baiser des serpents à sonnettes.

Mort aux années quatre-vingt : mort jusqu’au bout des seins !

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