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L’inspecteur dépêché par le commissariat portait un manteau brun, trop long, et un vieux feutre défraîchi. Il examina les deux motocyclettes noires, nota leurs numéros et, se tournant vers les employés du tunnel, demanda :

— Quelqu’un se souvient-il d’avoir vu entrer les motocyclistes ?

Les interpellés s’entre-regardèrent avec des moues incertaines. Le plus jeune, un frêle garçon au visage criblé de taches de rousseur, déclara :

— Je ne vois que les policiers…

L’inspecteur tiqua.

— Les policiers ?

— Un fourgon cellulaire a pris le tunnel en fin d’après-midi. Deux motards l’escortaient…

L’hypothèse parut insensée à l’inspecteur.

— Des motards n’ont pas l’habitude d’abandonner leurs engins dans les ascenseurs ! déclara-t-il.

Les assistants éclatèrent de rire, à l’exception du jeune employé qui rougit.

— Je crois pourtant que c’est de leurs motos qu’il s’agit, insista-t-il, d’une voix qui s’étranglait.

Ses collègues le chahutèrent.

— Dis voir, Hans, tu n’aurais pas lu cette nuit un Kriminal Roman qui te serait resté sur la conscience ?

Ces sarcasmes donnèrent au jeune homme le courage d’exposer son point de vue.

— Quelque chose m’a surpris sur les motos de ces policiers, dit-il. En général, ils ont sur le guidon une plaque blanche avec le mot « Police ». Eux n’en avaient pas. Et puis leurs engins étaient plus petits que les motocyclettes réglementaires. Et puis…

— Et puis ? insista l’inspecteur.

— Et puis il manquait un garde-boue à l’une des machines. Et vous voyez : il en manque un à celle-ci.

— Vous me paraissez avoir un drôle d’œil, mon garçon, félicita le délégué du commissariat.

Hans rougit un peu plus. Ses collègues ne riaient plus.

— Ces motards escortaient un fourgon cellulaire, dites-vous ? reprit l’inspecteur.

— Oui.

— S’ils ont laissé leurs motos dans le second ascenseur, ils ont dû sortir à pied, non ? Demandez des détails de l’autre côté.

Le chef décrocha son téléphone pour sonner la rive d’en face. Il regrettait d’avoir laissé le vieux liftier rentrer chez lui. Son témoignage eût été précieux. Au poste de contrôle de l’autre rive, on lui répondit qu’effectivement un fourgon cellulaire noir était bien sorti du tunnel vers six heures trente, mais qu’aucun motard de l’escortait.

L’inspecteur bondit.

— Il y a du louche dans cette affaire, déclara-t-il.

Il composa le numéro de son commissariat et demanda à parler à son chef. Il était sept heures moins dix et la pluie s’était remise à tomber.

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