Au bout d'une heure de travail, les cinq cabines avaient disparu. Cinq points brillants étoilaient l'aine gauche et l'abdomen de l'image humaine, sur l'écran.
Le professeur Kam se pencha sur son malade. La zone verte avait encore remonté le long de la cuisse de Jâ.
– Toutes les cabines, dit Kam, m'entendez-vous? Répondez par vos numéros.
Les cinq diffuseurs se firent entendre l'un après l'autre.
– Eh bien, dit Kam, sortez de vos véhicules et remontez le courant lymphatique. Laissez les cabines où elles sont. Ne quittez pas vos chefs de groupe, vous devez rester groupés par dix. Chef de la cabine I, parlez seul! Les autres, taisez-vous s'il n'y a pas urgence.
Chaque point lumineux se fractionna en onze plus réduits. Cinq restèrent immobiles, les autres descendirent lentement le long des vaisseaux lymphatiques.
– Ici, chef de cabine I. La progression est ralentie par les valvules que nous rencontrons tous les dix mètres… Je veux dire tous les vingt microns à peu près.
– Exprimez-vous en mètres, c'est plus vite dit et je comprendrai très bien.
– Il faut en quelque sorte ouvrir les valvules et tenir la porte au camarade suivant.
– Ne lésez rien, surtout.
– Pas de danger, Professeur. Nous revoilà dans le ganglion.
Le diffuseur émit un murmure confus ressemblant au bruit d'un torrent lointain et rythmé par des coups sourds.
– Qu'est-ce que ce bruit? demanda Kam.
– Vous devez entendre les pulsations artérielles et le frottement des globules rouges que nous voyons passer à toute vitesse derrière la tunique translucide des capillaires; ils se heurtent les uns aux autres, rebondissent comme de grosses assiettes de caoutchouc. Autour de nous, des leucocytes en abondance, on dirait de grandes méduses plates.
Formés en file indienne, nous contournons des membranes conjonctives. Voici un vaisseau afférent…
– Ensuite?
– Professeur, ils sont déjà là. J'en vois trois qui passent une valvule.
– Des trichocystes?
– Oui. Ils frétillent, ils ont l'air en pleine forme. Mes camarades m'ont rejoint, nous allons attaquer.
Le diffuseur numéro trois parla:
– Trichocystes en vue, Professeur! Nous attaquons.
Kam prit la parole.
– Allô, tout le monde! Les groupes I et III sont au combat, vous allez bientôt tous vous trouver dans le même cas. Faites tout votre possible pour empêcher l'infection de gagner les ganglions situés derrière vous. Chef de groupe I, vous avez la parole.
– Oui… je… Excusez-moi, Professeur. Là, j'en ai un autre! Nous faisons un véritable carnage. Mon camarade de droite se roule sur le sol, si j'ose dire, aux prises avec un monstre. Il le taillade à coups de glaive. Je distingue mal les autres. Je suis attaqué… Vous entendez le frottement des anneaux sur mon scaphandre… Je frappe…
– Courage, mon vieux, continuez. Je passe la parole au groupe III. Chef de groupe III, j'écoute.
– Ici chef de groupe III! Nous sommes obligés de reculer sous leur poussée. Ils sont innombrables, par ici; des débris de leurs cadavres passent à côté de nous, poussés par le courant lymphatique. Je… Professeur! Une bonne nouvelle: les leucocytes ne fuient plus. Ils s'amassent autour des débris, les englobent… Oui, c'est ça, on voit des tronçons à demi digérés dans leurs vacuoles. Oh, mais… mais oui! Les leucocytes attaquent, ils se collent à dix ou vingt à la fois sur les trichocystes, paralysant leurs mouvements; ils attaquent même des trichocystes non blessés, Professeur! Un anticorps a dû se former dans le plasma environnant. Les trichocystes reculent, maintenant. Les leucocytes font un travail magnifique. Il en arrive toujours, de partout. On les voit passer entre les cellules de la cloison; ils rampent de tous côtés. Un trichocyste arrive vers moi, il s'agite en tous sens pour se débarrasser d'un leucocyte attaché à lui.
Je le frappe… il… Aïe! J'ai blessé le leucocyte…
– Ca va bien, mon petit. Laissez-les se débrouiller maintenant. Je crois que nous tenons le bon bout. Ramenez vos camarades à la cabine. Groupe I, où en êtes-vous?
– Nous n'avons plus assez de liberté de mouvements à cause de l'abondance de leucocytes, ils attaquent…
– Je sais, je sais. Regagnez votre cabine. Groupe II?
– Même situation, Professeur.
– Rentrez aussi. Groupes IV et V?
– Même chose, Professeur.
– Rentrez!
Kam jeta un regard sur l'écran.
– Groupe V, où allez-vous vous fourrer? Vous vous trompez de direction.
– Je crois que nous sommes perdus, Professeur. Le réseau capillaire est un véritable labyrinthe.
– Je vais vous guider. Revenez sur vos pas… A votre droite, maintenant…
Sur l'écran, un brillant pointillé dont chaque élément représentait un homme revenait lentement vers les ganglions iliaques. Les autres groupes étaient déjà rassemblée dans leurs cabines respectives.
– Non, groupe V, non. Pas par là. Revenez! Stop! Vous avez certainement des ramifications à votre gauche, vous alliez trop haut.
– En effet, Professeur. Nous corrigeons.
– Allez-y, maintenant! Suivez le courant. Vous y êtes. Vous trouvez le canal afférent?
– Le voilà, Professeur, tout va bien! Oh, je vois un trichocyste. Je… Bon sang, Professeur, il m'a culbuté. Je suis sorti du capillaire! Il me suit. Je suis empêtré dans une fibre élastique… Il m'a chargé de nouveau, il me coince, contre un vaisseau sanguin. Je n'ai pas assez de place pour frapper. Il me pousse, je…
Le point brillant parut aller beaucoup plus vite.
– Bon sang, qu'est-ce que vous faites?
– Il m'a précipité dans le vaisseau sanguin.
– Retenez-vous, bon sang.
– Je… je ne peux pas, le sang m'entraîne. Je débouche dans une grosse veine.
– Vous êtes dans l'iliaque externe, malheureux. Ne perdez pas votre sang-froid, laissez-vous aller, maintenant c'est ce que vous avez de mieux à faire. Vous voilà dans la veine Porte.