Pendant un mois, Jâ travailla en secret. Il adjoignit à la bombe un dispositif permettant de la faire sauter à distance. Un jour, il trouva chez, lui un mot du Professeur Kam lui faisant connaître l'accord de Terol et lui demandant de déposer sa bombe entre les mains d'un médecin qui passerait le voir sous prétexte d'examiner sa jambe pour pallier une rechute.
Peu de temps après, Jâ demandait officiellement une entrevue avec Terol, arguant qu'il avait besoin de sa collaboration pour la mise au point d'un nouveau type d'astronef. L'Excellence fit la leçon au physicien et lui enjoignit de laisser Jâ Benal dans l'ignorance des techniques avancées de la Lune. Le ministre ne prit pas garde à la lueur ironique qui brillait dans le regard de Terol.
Le Terrien et le physicien conférèrent sérieusement pendant une bonne heure. Chacun d'eux était entouré de quelques ingénieurs et de l'inévitable Sli. Leurs propos parurent ce qu'ils étaient, c'est-à-dire absolument innocents, et Jâ fit tout au monde pour éliminer les témoins, mais sans succès. Au bout d'une heure. Terol prit congé en disant
– Je serai toujours à votre disposition. Considérez ma science comme une chose que je vous donne. Avec vos moyens, vous saurez bien la multiplier par mille. Jâ s'étonna de cette phrase alambiquée, mais en serrant la main de Terol, il sentit que celui-ci lui glissait un petit objet.
Dès qu'il fut seul, il examina la chose. C'était une petite boîte cylindrique d'environ deux centimètres de long. Elle était enveloppée dans un papier que Jâ déplia soigneusement. Sur le papier étaient inscrits ces mots: «Voici votre bombe. Méfiez-vous, elle est facile à perdre, n'ayant qu'une taille de deux millimètres. Vous trouverez son aspect changé, j'ai été obligé de la revêtir de stillite avant réduction. Bonne chance!»
Jâ rentra chez lui et entraîna Nira dans le laboratoire secret qu'il avait monté dans une grotte de son Eden particulier. Le cœur battant, il ouvrit la petite boîte et fit glisser avec précaution dans une capsule le petit grain brillant qu'elle contenait. Puis, il glissa le minuscule objet dans le multiplicateur et mit le courant.
Un quart d'heure plus tard, la capsule était remplie d'un fin gravier constitué par un bon millier de grains.
– Et voilà, dit Jâ. Je n'ai plus qu'à semer tout ça aux bons endroits, et répéter l'opération autant de fois qu'il sera nécessaire.
– La difficulté sera de t'introduire aux bons endroits, dit Nira. Comme ils savent qui tu es, tu ne penses tout de même pas qu'ils t'ont mis au courant de tout.
– Comment ça?
– Tu pourras certainement faire sauter quelques arsenaux sans grande importance, mais la vraie puissance à anéantir réside autre part. As-tu entendu parler de la ville de Num?
Jâ sourit.
– Ne t'inquiète pas pour Num. Ils ne me laisseront jamais en approcher, je le sais. Mais il me sera facile de convaincre Terol d'y déposer les bombes. Il fait partie de la mission de contrôle qui y est envoyée tous les trimestres. Rien de plus simple que de lui faire parvenir mon sable explosif. Les merveilles scientifiques de Num sauteront quand je voudrai… Et puis, j'ai une autre idée!
Jâ désigna une sphère métallique; grosse comme le poing, agrémentée de deux ailes plates.
– Sais-tu ce que c'est? demanda-t-il.
– Avec toi, je m'attends à tout, sourit Nira.
– Eh bien, ce n'est pas quelque chose de tellement curieux, tu vas être déçue!
– Une autre bombe
– Pas du tout. Un simple appareil de radio, mais excessivement solide.
– Que vas-tu en faire?
Jâ prit Nira par la taille.
– Comme pour les bombes mais sur une plus grande échelle. Nous allons le réduire et le multiplier. Il me faut des tonnes de poussière dont chaque grain sera un poste semblable. J'inonde toutes les villes. On marchera dessus. Cette poussière se nichera partout, dans les coins, elle s'envolera comme font les graines de certaines plantes au moindre souffle, restera en suspension dans l'air des villes, on nagera dedans, on la respirera, impalpable. Et quand je parlerai, on entendra ma voix résonner partout, venue en apparence de nulle part, venue en fait de milliards de brins de poussière indiscernables.
Jâ serra Nira contre lui…
– Tu peux, dit-il, cesser ta dangereuse et primitive propagande. En attendant mieux, je vais enregistrer des phrases attestant la bienveillance de la Terre et répétées sans relâche devant un émetteur. La voix sera trop faible pour être entendue, car je réglerai au minimum l'intensité du son. Mais ce lointain murmure de paix pénétrera à leur insu dans le subconscient de tous les habitants de la Lune, par un lent goutte à goutte. Cette arme psychologique sera bien plus intéressante que les bombes, que je n'emploierai qu'en cas d'extrême urgence.
– Mais, Jâ dit Nira, te rends-tu compte du travail et du temps effarant que tu devras employer à fabriquer des tonnes et des tonnes de poussière de récepteurs
Jâ, heureux et triomphant, éclata d'un grand rire confiant.
– Tu n'as pas tout vu, ma chérie. Regarde.
Il tendit le doigt vers le poste sphérique et alla pousser une manette.
Nira vit un deuxième globe apparaître aux côtés du premier. Puis chacun d'eux s'entoura d'un halo et donna naissance encore à deux autres; les quatre ainsi obtenus se dédoublèrent bientôt et huit boules métalliques encombrèrent la petite table, deux roulèrent sur le sol. Jâ s'empressa de ramener la manette en arrière.
– Qu'en dis-tu? demanda-t-il à Nira stupéfaite.
– Comment as-tu fait?
Chaque poste «est» son propre multiplicateur. Un seul grain de poussière, c'est-à-dire un seul poste, dans chaque ville, se multipliera indéfiniment et suffira à en infester la Lune. Cette poussière s'insinuera partout, comme les microbes d'une épidémie. Je n'aurai même pas besoin d'aller la semer ailleurs que dans Dav. Les hommes introduiront cette multitude microscopique partout à la semelle de leurs cothurnes.
«J'ai beaucoup travaillé pour arriver à ce résultat. Et remarque que je n'ai pas poussé la manette à fond. Si je l'avais fait, nous aurions été obligés de fuir sous la poussée effarante de milliers de globes se reproduisant à toute vitesse. Ce danger n'existera plus quand les globes seront réduits.»
– Pourquoi n'en fais-tu pas autant pour les bombes?
– Trop dangereux! Je ne peux pas contrôler une poussière. Tout sauterait. Ce serait un massacre. Or, il s'agit de bâtir la paix si possible sans violence.