CHAPITRE XXX

Jâ et Nira couraient dans un couloir interminable. Enfin, ils arrivèrent à un puits et montèrent une dizaine d'étages. Un garde les arrêta.

– Nira Slid! annonça Nira. Mission spéciale! Les astronefs sont-ils prêts?

– Oui, dit le garde, passez citoyenne.

Il regarda Jâ d'un air vague. Une sonnerie retentit et le garde s'approcha d'un transmetteur.

– Oui, dit-il… D'accord!

Il se tourna brusquement vers Nira et Jâ qui s'éloignaient.

– Halte! cria-t-il.

Les fugitifs stoppèrent.

– Désolés, citoyens, dit le garde en s'approchant d'eux. Il y a alerte générale.

Il considéra Jâ avec suspicion, puis se tourna vers Nira en portant la main à son arme.

– D'ailleurs, vous avez l'air bien pressés tous les deux. Vous ne m'avez même pas montré votre ordre de mission.

Jâ ne s'attarda pas. Il poussa violemment le canon de son désintégrateur dans l'estomac du garde qui tomba à la renverse. L'arme de l'homme partit toute seule et Jâ sentit une brûlure à l'oreille gauche. Il poussa un cri de douleur et marqua un temps d'arrêt. Le garde en profita pour lui faucher les jambes d'un ciseau et tendit la main vers son arme.

– Laissez ça, dit Nira menaçante.

Elle tenait l'homme en joue. Celui-ci pâlit et se mit à vomir sur le sol. Jâ se releva et lui assena un coup de crosse derrière l'oreille; l'homme s'effondra.

Jâ se précipita sur lui, le priva de son casque et de son pectoral et s'en revêtit. Nira lui fit signe et l'entraîna vers la terrasse. Un deuxième garde y faisait les cent pas.

– Mission spéciale, mentit la jeune femme. Mon nom est Nira Slid.

– Votre ordre de mission, citoyenne!

– Elle me l'a montré, dit Jâ avec une assurance pleine de bonhomie.

Le garde était d'un naturel méfiant, il se tourna vers Jâ.

– D'où sors-tu, toi? Je ne te connais pas.

– Je suis dans des gardes depuis seulement une semaine.

L'homme plissa les yeux.

– Je croyais que Slod était de service à l'étage aujourd'hui.

– Il était malade, je l'ai remplacé. Alors, oui ou non, tu l'ouvres, le tube de lancement?

Le garde haussa les épaules et prit une clémettrice dans sa poche. Il s'approcha d'une porte métallique. Jâ marchait à côte de lui. Soudain, l'homme s'immobilisa, il avait remarqué l'oreille de Jâ qui dégoulinait de sang. Il fit un pas en arrière et dit

– Décidément, je voudrais bien voir votre ordre de mission.

Sa main descendait vers sa hanche. Jâ bondit en avant et lui assena un terrible coup de crosse qui manqua son but. Son adversaire s'était éclipsé comme un chat. Emporté par son élan, Jâ le bouscula au passage. Ils tombèrent tous les deux et luttèrent sauvagement. Leur corps à corps les empêchait de se servir de leurs armes. Nira n'osait pas tirer. Le garde était très vigoureux; placé sous Benal, il leva le genou et l'atteignit au ventre. Jâ roula de côté en réprimant un gémissement. L'homme se rua sur lui et le prit à la gorge. Jâ lui frappa le cou du tranchant de la main. Le garde hoqueta. Jâ renouvela son geste. L'étreinte du garde mollit. Violemment rejetée en arrière par un coup de manchette, sa tête heurta le sol. Il resta allongé.

– Vite, dit Jâ haletant, la clé

– Inutile, dit Nira d'une voix lasse. Elle est tombée par-dessus le garde-fou.

Cinq hommes firent irruption sur la terrasse et dirigèrent leurs immobilisateurs sur les deux jeunes gens. Jâ et Nira se sentirent incapables de lever le petit doigt.

«Ca me rappelle les gôrs, pensa Jâ.»


* * *

On les enferma hâtivement dans une petite pièce hermétique en attendant les ordres. Jâ prit sa femme dans ses bras.

– Je crois que tout est fini cette fois, dit-il. Il aurait mieux valu que tu ne m'aies jamais rencontré.

– Voyons, Jâ…

Benal sentit les mains de Nira se crisper sur ses épaules. Il la regarda. Ses yeux s'étaient agrandis.

– Qu'y a-t-il, mon amour?

– Oh, Jâ! Ton oreille!

– Ce n'est pas grave!

– Elle est verte.

Jâ sursauta.

– Bon sang! dit-il.

– Il faut demander le Professeur Kam. On ne peut pas te laisser comme ça.

– Kam?

Jâ retint sa respiration.

– Oui, Kam, bien sûr. Il me sauvera comme il l'a déjà f ait.

Son cœur battait rapidement, il regarda Nira et sourit. Nira ouvrit la bouche et cligna les yeux.

– Je crois que nous avons eu la même idée ensemble, dit Jâ.

– Oui, souffla Nira.

– Avec Kam, nous pourrons tenter quelque chose à la faveur de l'opération.

Le visage grave de Nira s'illumina. Elle porta la main à sa bouche et la mordit jusqu'au sang. Jâ s'empressa.

– Mais tu deviens folle, dit-il. Tu saignes.

– Oui, dit Nira.

Elle toucha l'oreille de Jâ avec son doigt blessé. Le jeune homme recula.

– Voyons, Nira, qu'est-ce que…

– Parfaitement! coupa Nira en frottant le sang de Jâ sur son doigt, je m'inocule la trichocystie. Nous serons opérés ensemble, Jâ.

– Petite folle!

– C'est le seul moyen de rester ensemble, voyons. Réfléchis un peu.,le vais moisir en prison. Si l'opération échoue, je ne te reverrai jamais. Si elle réussit et si Kam te fait évader, tu repartiras seul pour la Terre et Dieu sait quand nous nous reverrons. Crois-moi, c'est la seule solution.

– Et s'ils nous laissent mourir?

Nira branla. la tête.

– Ils ont besoin de nous pour nous faire parler, sinon ils nous auraient déjà tués comme des chiens. Ils vont nous envoyer d'urgence au vieux Kam.

Elle regarda son doigt et exulta.

– Regarde, Jâ.

Le jeune homme se pencha. Il distingua un minuscule liséré vert autour de la plaie.


* * *

– Mes malades ont besoin de calme, se fâcha le vieux professeur Kam. Je ne réponds de rien si on leur impose des gardes dans leur chambre.

Sur l'écran, le visage de Mox parut très ennuyé.

– Bien, Professeur, dit-il. Faites donc comme vous voudrez. Je vais dire à mes hommes de surveiller simplement le couloir. Mais attention, vous savez que l'Ancêtre attache une grande importance à ces deux prisonniers

– Je sais, je sais. N'ayez pas peur, dit Kam, Au revoir, jeune homme.

Il coupa le contact et sortit de son bureau. Il alla vers la chambre commune de Nira et de Jâ. Deux gardes y étaient installés. Le professeur entra et dit

– Je viens de parler à Mox; vous pouvez vous dérouiller les jambes dans le couloir.

– Nous n'avons pas d'ordres directs, dit un garde. La consigne est de rester dans cette pièce.

– Laissez-moi seul avec ces malades, dit Kam, avec hauteur et fermez la porte derrière moi. Que pouvez-vous craindre?

Les gardes se regardèrent, hésitants. Enfin, ils sortirent.

Le professeur s'approcha des jeunes gens.

– Alors, dit Jâ, vous allez nous sauver, Professeur? Des petits scaphandres vont encore se balader dans notre anatomie?

– Mais pas du tout, sourit Kam. Pensez-vous que nous avons dormi depuis votre opération? Nous avons un sérum à présent. Une simple injection dans la cuisse va liquider vos trichocystes.

– Vous êtes un as, Professeur.

– Que vous dites! Nous nous heurtons encore à des difficultés. C'est une maladie déroutante. Par exemple, voyez: vous avez déjà triomphé de l'invasion microbienne, il n'y a pas longtemps. Je m'étonne que vous soyez de nouveau réceptif. L'immunité ne dure sans doute que quelques mois. Enfin, notre sérum est déjà un progrès.

Il baissa la voix.

– Difficile de me débarrasser de ces gardes! Nous allons faire semblant de vous opérer ce soir. Comme je vous l'ai dit déjà, l'opération est inutile. Je viendrai vous faire une injection, soi-disant pour vous endormir. En fait, ce sera votre injection de sérum antitricho. Vous ferez semblant de dormir profondément. Une fois dans la salle d'enmicrobainie, vous disparaîtrez. Les gardes ne vous trouveront plus. Faites-moi confiance.

Il sortit en mettant un doigt sur ses lèvres.

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