4

Louis Kehlweiler entra dans le commissariat principal du 5e arrondissement, fin prêt. C’était une occasion à tenter. Il se jeta un coup d’œil dans la porte en verre. Ses cheveux épais et sombres un peu trop longs sur la nuque, sa barbe de trois jours, son sac en plastique, sa veste chiffonnée par le banc, tout cela allait parler en sa défaveur et on allait pouvoir faire du bon travail. Il avait attendu d’être dans la place pour commencer à manger son sandwich. Depuis que son ami le commissaire Adamsberg avait quitté les lieux, emmenant avec lui son adjoint Danglard[1], il y avait pas mal d’imbéciles là-dedans, et d’autres qui courbaient le dos. Lui, il avait un compte à régler avec le nouveau commissaire, et il tenait peut-être le moyen de le faire. Cela ne coûtait rien d’essayer. Ce commissaire Paquelin qui avait remplacé Adamsberg, Louis l’aurait volontiers déminé, ou tout au moins balancé au loin, en tous les cas ailleurs que dans l’ancien bureau d’Adamsberg où on passait avant de bons moments, des moments tranquilles, et des moments intelligents.

Paquelin était loin d’être imbécile d’ailleurs, c’est souvent là-dessus qu’on bute. Dieu, disait Marthe, avait réservé une part équitable d’intelligence aux salauds, comme quoi, Dieu, on pouvait sérieusement se poser des questions.

Cela faisait deux années que Louis avait le commissaire Paquelin dans sa ligne de mire. Paquelin, une petite pointure de la sauvagerie, n’aimait pas que la Justice se mêle de son boulot et il le faisait savoir. Il estimait que la police pouvait se passer des magistrats et Louis estimait que la police devait largement se passer de Paquelin. Mais à présent qu’il était hors du ministère, le combat devenait plus complexe.

Kehlweiler se planta droit, bras croisés et sandwich en poche, devant le premier flic qu’il trouva derrière sa bécane.

Le flic leva le nez, fit un rapide inventaire de l’homme qu’il avait en face de lui et aboutit à un jugement inquiet et défavorable.

— C’est pour quoi ?

— Pour le commissaire Paquelin.

— C’est pour quoi ?

— Une bricole qui devrait l’intéresser.

— Quelle bricole ?

— Ça ne vous dirait rien. C’est trop compliqué pour vous.

Kehlweiler n’en avait pas spécialement après ce flic. Mais il voulait voir le commissaire, sans s’annoncer, tel quel, afin d’amorcer le duel selon la manière qu’il avait choisie. Pour cela, il fallait se faire balancer de planton en adjoint, d’adjoint en inspecteur, jusqu’à ce que, par mesure de cœrcition, on l’envoie se faire déglinguer chez le commissaire.

Kehlweiler sortit son sandwich et commença à mâcher, toujours debout. Il laissait tomber des miettes un peu partout. Le flic s’énerva, très normalement.

— Alors, ça vient cette bricole ? De quoi s’agit-il ?

— De pied de porc pané. Ça ne peut pas vous intéresser, trop compliqué.

— Nom, prénom ?

— Granville. Louis Granville.

— Papiers ?

— Je ne les ai pas. Je ne suis pas venu pour ça, je suis venu pour coopérer avec la police de mon pays.

— Foutez le camp. On se passera de votre coopération.

Un inspecteur s’approcha et attrapa Louis par l’épaule. Louis se retourna lentement. Ça venait.

— C’est vous qui faites ce raffut ?

— Du tout. Je viens faire une déposition à Paquelin.

— Le commissaire Paquelin.

— On parle du même.

L’inspecteur fit un signe au flic et entraîna Louis vers un bureau en verre.

— Le commissaire ne peut pas être dérangé. Alors vous me déballez votre salade.

— Ce n’est pas une salade, c’est du pied de porc pané.

— Nom, prénom ?

— Gravilliers, Louis.

— Vous aviez dit Granville.

— Ne chicanons pas, inspecteur. Je n’ai pas beaucoup de temps, je suis même pressé.

— Sans blague ?

— Vous connaissez Blériot, le gars qui s’était foutu dans la tête de traverser la Manche en avion pour aller plus vite ? C’était mon ancêtre.

L’inspecteur plaqua ses mains sur ses joues. Il s’énervait.

— Donc vous imaginez le problème, continua Louis. J’ai ça dans le sang, moi. Faut que ça usine, comme dit Paquelin.

— Vous connaissez le commissaire ?

— Bien, très bien même. Mais lui non. Il n’a pas la mémoire des visages, c’est embêtant dans votre métier. Dites-moi, vous étiez déjà là quand il y a eu la bavure, dans la cage, là ?

L’inspecteur se passa les doigts sur les yeux. Ce flic n’avait pas l’air d’avoir beaucoup dormi et Kehlweiler comprenait cette souffrance mieux que quiconque. En attendant que l’inspecteur se décide à l’évacuer plus haut dans la hiérarchie, Louis sortit Bufo et le garda dans sa main gauche. Il ne pouvait pas laisser Bufo étouffer dans sa poche, commissariat ou pas commissariat. Les amphibiens ont leurs exigences.

— Qu’est-ce que c’est que ce truc ? demanda l’inspecteur en reculant.

— Mais rien, répondit Louis, un peu agacé. C’est mon crapaud. Il ne dérange personne, que je sache ?

C’est vrai, les gens sont décevants avec les crapauds, ils en font toute une histoire. C’est pourtant cent fois moins emmerdant qu’un chien. L’inspecteur repassa ses doigts sur ses yeux.

— Bien, allez, sortez d’ici, dit-il.

— Impossible. Je ne serais pas entré si j’avais voulu sortir. Je suis un type très accroché. Vous connaissez le gars qui ne voulait jamais sortir, même sous la force des baïonnettes ? Enfin, peu importe ce gars, ce qui est à retenir, c’est que c’était mon ancêtre. Je ne dis pas que c’est un cadeau, mais enfin c’est ainsi. Vous allez avoir du mal à vous débarrasser de moi.

— J’en ai rien à foutre ! cria l’inspecteur.

— Bon, dit Kehlweiler.

Il s’assit et mâcha lentement. Il fallait que le sandwich dure. C’était sans gloire de s’acharner sur ce gars ensommeillé mais il s’amusait bien quand même. Dommage que le gars n’ait pas voulu s’amuser aussi. Tout le monde peut jouer au jeu des ancêtres, ce n’est pas interdit. Et en matière d’ancêtres, Louis était très prêteur.

Le silence retomba dans la pièce. L’inspecteur composa un numéro. L’inspecteur principal, sûrement. On disait « capitaine » à présent.

— Un type qui ne veut pas décarrer… Oui, peut-être. Viens prendre l’oiseau et fais-en du pâté, tu m’obligeras… Je ne sais pas… Oui, sûrement…

— Merci, dit Kehlweiler. Mais c’est Paquelin que je veux voir.

— Votre nationalité, c’est quoi ?

— Pardon ?

— Français, oui ou merde ?

Kehlweiler écarta les bras d’un geste évasif.

— Possible, lieutenant Ferrière, tout à fait possible.

On disait « lieutenant » maintenant.

L’inspecteur bascula son corps en avant.

— Vous connaissez mon nom ?

L’inspecteur principal ouvrit doucement la porte, avec un calme offensif. Il était petit et Kehlweiler en profita aussitôt pour se lever. Louis frôlait le mètre quatre-vingt dix et cela rendait souvent service.

— Enlève-moi ça, dit Ferrière, mais renseigne-toi d’abord. Le type sait mon nom, il joue au plus fin.

— Qu’est-ce que vous venez faire ici ? Manger ?

Il y avait dans les yeux de l’inspecteur principal quelque chose qui devait mal s’accommoder des coups de sabre de son patron. Kehlweiler estima qu’on pouvait se risquer là-dessus.

— Non, j’ai une affaire de pied de porc pour Paquelin. Vous l’aimez bien, Paquelin ? Je le trouve un peu austère, un peu trop penché.

Le type marqua une brève hésitation.

— Suivez-moi, dit-il.

— Doucement, dit Kehlweiler, j’ai une jambe raide.

Louis ramassa son sac, ils grimpèrent au premier et l’inspecteur principal ferma la porte.

— Vous avez connu Adamsberg ? demanda Louis en posant Bufo sur une chaise. Jean-Baptiste Adamsberg ? Le nonchalant ? L’intuitif désordonné ?

L’inspecteur hocha la tête.

— Vous êtes Lanquetot ? Le capitaine Yves Lanquetot ? Je me trompe ?

— D’où sortez-vous ? demanda Lanquetot sur la défensive.

— Du Rhin.

— Et ça, c’est un crapaud ? Crapaud commun ?

— Cela fait plaisir de rencontrer un type qui s’y connaît. Vous en avez ?

— Pas précisément… Enfin, à la campagne, juste près du pas de porte, c’est là qu’il habite.

— Et vous lui parlez ?

L’inspecteur hésita.

— Un peu, dit-il.

— Il n’y a pas de mal. On se parle beaucoup, Bufo et moi. Il est gentil. Un peu con, mais on ne peut pas lui demander de refaire le monde, n’est-ce pas ?

Lanquetot soupira. Il ne savait plus trop où il en était. Envoyer ce type et son crapaud dehors, c’était prendre un risque, il avait l’air de savoir des trucs. Le garder ici ne servirait à rien, c’était Paquelin qu’il voulait voir. Tant qu’il ne le verrait pas, il alignerait connerie sur connerie en semant des miettes dans tout le commissariat. Mais l’envoyer à Paquelin, avec son histoire de pied de porc, c’était prendre un risque aussi, une engueulade certaine. À moins que ce type ne tente d’emmerder Paquelin, et cela, ça valait le coup, ça le soulagerait. Lanquetot leva les yeux.

— Vous ne finissez pas votre sandwich ?

— J’attends d’être chez Paquelin, c’est une arme stratégique. Évidemment, on ne peut pas l’utiliser toutes les heures, faut avoir faim.

— Votre nom, c’est quoi ? Le vrai, j’entends…

Kehlweiler jaugea l’inspecteur. Si ce type n’avait pas changé, s’il était resté fidèle à la description que lui en avait faite Adamsberg, on pouvait y aller. Mais parfois, sous une nouvelle férule, on peut y prendre goût, pencher et changer. Kehlweiler misa sur le visage.

— Kehlweiler, répondit-il, Louis Kehlweiler, voici mes papiers.

Lanquetot hocha la tête. Il connaissait.

— Qu’est-ce que vous lui voulez, à Paquelin ?

— J’espère sa retraite anticipée. Je veux lui offrir une affaire qu’il refusera. S’il l’accepte, tant pis pour moi. S’il la refuse, ce sur quoi je compte, je me débrouillerai seul. Et si cette affaire me mène quelque part, je le mettrai en difficulté pour négligence.

Lanquetot hésitait toujours.

— Pas question de vous mouiller, dit Louis. Je vous demande seulement de m’amener jusqu’à lui et de jouer l’imbécile. Si vous pouviez assister à notre entretien, cela ferait un témoignage, si besoin.

— Ça, c’est facile. Il suffit de vouloir s’en aller pour que Paquelin vous ordonne de rester. Cette affaire, c’est quoi ?

— Il s’agit d’un petit rien inusité, cafouilleux et très intéressant. Je pense que Paquelin me jettera dehors avant d’en avoir saisi toute l’importance. Paquelin n’entend rien aux cafouillis.

Lanquetot décrocha son téléphone.

— Commissaire ? Oui, je sais, beaucoup de boulot. Mais j’ai là dans le couloir un gars un peu spécial qui insiste pour vous voir… Non, ce serait plus avisé de le recevoir… il a de la monnaie d’échange… assez louche… oui, la cage… il en a parlé… Possible qu’il cherche des poux, possible qu’il crâne, mais je préfère que vous le testiez vous-même. Ça devrait aller, il n’a même pas ses papiers. C’est entendu, je vous le monte.

Lanquetot ramassa les papiers de Kehlweiler et les fourra dans sa poche.

— On y va. Je vais vous malmener un peu en vous poussant dans son bureau, pour le réalisme.

— Je vous en prie.

Lanquetot jeta plus qu’il n’amena Kehlweiler dans le bureau du commissaire. Louis fit une grimace, le réalisme lui faisait mal à la jambe.

— Voilà le gars, monsieur le commissaire. Pas de papiers. Il change de nom toutes les deux minutes. Granville, Gravilliers, au choix. Je vous le laisse.

— Où allez-vous, Lanquetot ? demanda le commissaire.

Il avait une voix rauque, les yeux très vifs, le visage maigre et bien foutu, avec cette bouche détestable dont Louis se souvenait bien. Louis avait repris son sandwich et les miettes tombaient par terre.

— Je vais prendre un café, monsieur le commissaire, avec votre permission. Je suis éreinté.

— Vous restez ici, Lanquetot.

— Bien, monsieur le commissaire.

Le commissaire Paquelin examina Kehlweiler sans lui proposer de s’asseoir. Louis posa Bufo sur la chaise vide. Le commissaire observa la scène et ne dit pas un mot. Il était malin, Paquelin, on n’allait pas le faire exploser avec un crapaud sur une chaise.

— Alors, l’ami ? On fout son petit bordel dans la boîte ?

— C’est possible.

— Nom, prénom, nationalité, profession ?

— Granville, Louis, français, plus.

— Quoi, plus ?

— Profession : je n’en ai plus.

— C’est quoi la combine ?

— Je ne combine pas. Je suis là parce que c’est le commissariat principal, c’est tout.

— Et après ?

— Vous serez juge. Il s’agit d’une bricole qui m’embarrasse. J’ai pensé plus raisonnable de vous en informer. Ne cherchez pas plus loin.

— Je cherche où ça me plaît. Pourquoi ne pas avoir déposé auprès d’un de mes hommes ?

— Ils n’auraient pas pris la chose en considération.

— Quelle chose ?

Louis posa son sandwich à même la table du commissaire et fouilla lentement ses poches. Il en sortit une boule de papier journal qu’il déplia doucement sous son nez.

— Attention, dit-il, ça pue.

Paquelin se pencha avec réticence sur l’objet.

— C’est quoi, cette saleté ?

— C’est justement ce que je me suis demandé quand je l’ai trouvée.

— Vous avez l’habitude de ramasser tous les déchets de la terre pour les poser dans les commissariats ?

— Je fais mon devoir, Paquelin. De citoyen.

— On m’appelle monsieur le commissaire et vous le savez. Vos provocations sont dérisoires et elles font peine à voir. Alors, cette saleté ?

— Vous voyez aussi bien que moi. C’est un os. Paquelin se pencha de plus près sur le paquet. Le petit déchet était rongé, corrodé, percé de dizaines de trous d’épingle, et de couleur un peu rousse. Des os, il en avait vu, mais ça, non, ce gars se payait un canular.

— Ce n’est pas un os. À quoi jouez-vous ?

— C’est sérieux, commissaire. Moi, je pense que c’est un os, et un os humain encore. Je reconnais qu’on n’y voit plus très clair et que ce n’est pas bien gros, mais moi, je me suis dit, c’est un os. Donc, je suis venu me renseigner, savoir si c’était du boulot pour vous, si on avait signalé une disparition dans le quartier. Il vient de la place de la Contrescarpe. Parce que, voyez-vous, il a pu y avoir crime, puisque j’ai l’os.

— Mon ami, j’en ai vu des os dans ma carrière, dit Paquelin d’une voix qui grimpait. Des carbonisés, des broyés, des rissolés. Et cela, ce n’est pas de l’os humain, je vous le dis.

Paquelin prit la petite bricole dans sa grande main et l’approcha de Kehlweiler.

— Vous n’avez qu’à soupeser… C’est creux, c’est vide, c’est du vent. De l’os, ça pèse plus lourd que ça. Vous pouvez remballer.

— Je sais, j’ai soupesé. Mais il serait prudent de vérifier. Une petite analyse… un rapport…

Paquelin se balança, passa une main dans ses cheveux clairs ; c’est vrai qu’il aurait été vraiment beau type sans cette bouche détestable, saturée.

— Je vois… dit-il. Vous cherchez à me coincer, Granville, ou qui que vous soyez. On me force la main sur une enquête bidon, on me ridiculise, on s’offre un article dans la presse, on se farcit un flic… C’est mal fait, mon ami. La provocation stupide, le crapaud, le petit mystère, la grosse farce, le grotesque, le vaudeville. Trouvez une autre astuce. Vous n’êtes pas le premier ni le dernier qui tente de me piéger. Et je suis toujours aux commandes. Vu ?

— J’insiste, commissaire. Je souhaite savoir s’il y a eu une disparition dans le quartier. Récemment, hier, la semaine dernière, le mois dernier. Je miserais plutôt pour hier ou avant-hier.

— Dommage pour vous, tout est calme.

— Peut-être une disparition non encore signalée ? Les gens tardent, parfois. Faudrait que je repasse la semaine prochaine pour savoir.

— Et puis quoi encore ? Vous voulez nos listings ?

— Pourquoi pas ? dit Kehlweiler en haussant les épaules.

Il referma la boule de papier journal et l’enfonça dans sa poche.

— Alors, décidément, c’est non ? Ça ne vous intéresse pas ? Tout de même, Paquelin, je vous trouve bien négligent.

— Ça suffit ! dit Paquelin en se levant.

Kehlweiler sourit. Enfin, le commissaire déraillait.

— Lanquetot, fous-moi ça à la cage ! murmura Paquelin. Et fais-lui cracher son identité.

— Ah non, dit Kehlweiler, pas la cage. C’est impossible, je suis pris ce soir, j’ai un dîner.

— La cage, répéta Paquelin avec un geste bref à l’adresse de Lanquetot.

Lanquetot s’était levé.

— Vous permettez ? demanda Kehlweiler. Je téléphone à ma femme pour la prévenir. Si, Paquelin, c’est mon droit.

Sans attendre, Kehlweiler avait attrapé le téléphone et composé le numéro.

— Poste 229, je vous prie, oui, personnel et urgent. De la part de Ludwig.

Assis d’une fesse sur le bureau de Paquelin, Louis regardait le commissaire qui, debout lui aussi, avait posé ses deux poings sur la table. De belles mains, dommage cette bouche, vraiment.

— Ma femme est très occupée, lui précisa Louis. Ça va demander un moment. Ah non, la voilà… Jean-Jacques ? C’est Ludwig. Dis-moi, j’ai là un petit différend avec le commissaire Paquelin du 5e, oui, lui-même. Il souhaite me foutre au trou parce que je m’informais sur une éventuelle disparition dans le quartier… C’est cela, je t’expliquerai. Arrange-moi ça, tu serais gentil. C’est entendu ! je te le passe…

Louis tendit aimablement le récepteur au commissaire.

— Pour vous, commissaire, une communication du ministère de l’intérieur. Jean-Jacques Sorel.

Pendant que Paquelin prenait le récepteur, Louis s’épousseta et remit Bufo dans sa poche. Le commissaire écouta, dit quelques mots, et raccrocha doucement.

— Votre nom ? demanda-t-il à nouveau.

— Commissaire, c’est tout de même à vous de savoir à qui vous avez affaire. Je sais bien qui vous êtes, moi. Alors, bien réfléchi ? Vous ne voulez pas vous charger de la bricole ? Collaborer ? Me donner vos listes ?

— Joli coup monté, n’est-ce pas ? dit le commissaire. Et avec l’aide des planqués de l’intérieur… Et c’est tout ce que vous avez trouvé pour tâcher de m’enfoncer ? Vous me prenez vraiment pour un con ?

— Non.

— Lanquetot, emmenez-moi ça dehors avant que je ne lui fasse bouffer son crapaud.

— Personne ne touche à mon crapaud. C’est fragile comme bête.

— Tu sais ce que j’en fais de ton crapaud ? Tu sais ce que j’en fais des types comme toi ?

— Mais bien sûr que je le sais. Tu ne voudrais pas que je parle devant tes subordonnés ?

— Tirez-vous.

Lanquetot redescendit les marches derrière Kehlweiler.

— Je ne peux pas vous rendre vos papiers maintenant, chuchota Lanquetot. Il peut vous surveiller.

— Disons vingt heures, métro Monge.

Lanquetot remonta chez Paquelin aussitôt après s’être assuré que Louis Kehlweiler était dans la rue. Le patron avait un peu de sueur sur la lèvre. Il mettrait deux jours à se calmer.

— Vous avez entendu ça, Lanquetot ? Pas un mot à personne dans la boutique. Et qu’est-ce qui me prouve que c’est bien Jean-Jacques Sorel que j’ai eu au fil, après tout ? On peut vérifier, appeler le ministère…

— Certes, monsieur le commissaire, mais si c’était Sorel, cela fera du vilain. Il n’a pas bon caractère.

Paquelin se rassit lourdement.

— Vous étiez dans le quartier avant moi, Lanquetot, avec ce déglingué d’Adamsberg. Vous avez déjà entendu parler de ce gars ? « Ludwig », ou Louis Granville ? Ça vous dit quelque chose ?

— Rien du tout.

— Filez, Lanquetot. Et vous vous souvenez ? Pas un mot.

Lanquetot retrouva son bureau en transpirant. Pour commencer, vérifier les disparitions dans le 5e.

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