Chapitre XVIII

La piste semblait ne jamais devoir finir. Serré dans la main gauche de Malko, le volant se défendait comme une bête rétive, cherchant à lui échapper. Le cerveau vide, il maintenait son regard rivé sur le mince ruban de latérite rouge disputé à la jungle, essayant d’éviter les plus grosses ornières, les pièges innombrables. Heureusement, à vide, le camion était beaucoup plus maniable. Plusieurs fois déjà, il avait franchi des fondrières dans lesquelles il se serait enlisé auparavant.

Une heure et demie s’était écoulée depuis qu’ils étaient repartis. Ils avaient parcouru trente kilomètres et il en restait une dizaine d’après ses calculs. Rachel cria de l’arrière :

— Ça va ?

— Ça va, fit Malko en écho.

Son bras avait encore enflé et son coude refusait tout service. Mais surtout l’empoisonnement gagnait du terrain. Toute son épaule était engourdie, douloureuse, et il avait de brusques accès de frissons dus à une fièvre violente, qui le secouaient comme une décharge électrique. Il savait que, s’il s’arrêtait ne fût-ce que cinq minutes, il n’aurait pas la force de repartir.

Il pensa aux deux mille kilos d’or abandonnés en pleine jungle. Il aurait pu se reconstruire un château de rêve avec une telle somme. Les Hollandais avaient voulu trop bien faire. Sans ce maudit métal, l’aventure se serait à peu près bien déroulée… Malko se consola en pensant que seul l’appât du gain avait motivé un homme comme Herbert Van Mook.

La goutte de pluie qui s’écrasa sur son pare-brise lui fit l’effet d’un coup de poignard. Comme le biologiste qui découvre une cellule cancéreuse au cours d’une biopsie. De nouveau, la chance l’abandonnait…

Déjà, les gouttes tambourinaient sur le toit de la cabine. En quelques minutes, ce fut le déluge, transformant la latérite déjà glissante en véritable patinoire. Malko dut ralentir, rétrograda en seconde, tanguant d’une ornière à l’autre. Celles-ci se creusaient sous l’effet de la pluie. De nouveau, il sentit le camion avancer plus difficilement. Hélas, il n’y avait plus moyen de l’alléger. Il donna un brusque coup de volant pour ne pas plonger dans une ornière. Le Willys se mit en travers de la piste. Malko contrebraqua, vit soudain un arbre grandir dans son pare-brise. Il y eut un choc violent sur le côté gauche de la cabine. Malko ressentit une douleur atroce dans son bras infecté et il perdit connaissance d’un coup.


* * *

Le visage de Rachel, penché sur lui, lui apparut flou. Il fit un effort et sa vision se clarifia. Les grands yeux bruns très écartés de la créole étaient pleins d’angoisse.

— Vous êtes blessé ? demanda-t-elle.

Malko mit encore quelques secondes à reprendre complètement connaissance. Il éprouva une violente envie de vomir. La portière était ouverte et il était allongé de guingois sur la banquette, la tête soutenue par Rachel. Il lui sembla que le toit de la cabine n’était pas droit, mais il se trompait peut-être. Plusieurs voyants rouges étaient allumés sur le tableau de bord : le moteur avait calé. Il coupa le contact. Ne se souvenant plus de rien.

— Que s’est-il passé ? demanda-t-il.

— Vous avez heurté un arbre, dit Rachel, puis le camion s’est arrêté tout seul. Ce n’est rien.

Malko se redressa. La douleur dans son bras était insupportable. Atroce. Il se remit tant bien que mal au volant. Le camion était de travers, la roue avant gauche enfoncée dans une profonde ornière. La pluie avait un tout petit peu diminué, mais formait encore un rideau gris devant lui. Il remit le contact, passa la première. Le moteur rugit, le Willys trembla de tous ses rivets, mais ne bougea pas d’un centimètre. Angoissé, Malko débraya et descendit à terre. Un seul coup d’œil l’édifia. La roue avant gauche avait heurté l’arbre et le moyeu s’était cassé net. Pas question de repartir.

Malko regarda le désastre, envahi par le découragement. Jamais ils n’attraperaient l’avion. Rachel l’avait rejoint et contemplait les dégâts. En quelques secondes, ils furent à tordre sous l’averse tropicale qui continuait avec violence. L’eau ruisselant sur son bras enflé, à la peau tendue à craquer, lui semblait de l’acide.

Pataugeant dans la boue rougeâtre, ils allèrent s’abriter sous la bâche. Julius Harb gémissait doucement sur sa civière. Malko consulta sa montre. Quatre heures cinq. Il restait deux heures avant la nuit.

Il était hors de question de transporter la civière de Julius Harb. Donc, il ne restait qu’une solution.

— Vous allez rester ici, dit Malko, je vais essayer d’atteindre à pied le terrain.

Julius Harb ouvrit les yeux.

— Allez-y tous les deux. Je peux rester seul. Sinon, vous n’y arriverez pas. Et, si l’avion n’est pas là, il faudra parler avec les bush-negros. Ils ne comprennent que le taki-taki.

Rachel regarda Malko :

— Il a raison, vous ne vous êtes pas vu…

En tout cas, il se sentait. Par moments, il claquait des dents comme sous l’effet d’une crise de malaria.

— Bon, dit-il, allons-y.

Ils partirent tous les deux, sans même une arme, marchant comme des robots, glissant sur le sol spongieux, aveuglés par la pluie violente. Malko avait l’impression d’être un zombi. La pluie cessa, aussi brusquement qu’elle avait commencé, et, d’abord, ce fut un soulagement. Qui se transforma vite pour Malko en torture ! Dans le camion son bras enflé avait été à l’abri du soleil. Maintenant, c’était une brûlure permanente, inhumaine.

Il essaya de marcher à l’ombre des bas-côtés, mais des branches le fouettèrent, lui arrachant des cris de douleur. Rachel était devant, se retournant sans cesse. Soudain, elle s’arrêta et Malko la rejoignit.

Ils se trouvaient devant un problème totalement imprévu. Devant eux, la piste se divisait en deux ! D’après le soleil, une branche allait vers le nord, l’autre vers le sud. Mais laquelle menait au terrain d’aviation ? Il n’y avait aucune trace sur la carte de cette bifurcation.

Les deux embranchements de la piste étaient d’importance égale. Ils écoutèrent : aucun bruit qui puisse les guider, seulement quelques cris d’oiseaux et le bruissement des insectes. Les arbres immenses de la jungle et l’enchevêtrement de la végétation empêchaient de distinguer quoi que ce soit à plus de quelques mètres.

— Je vais à droite, dit Malko, prenez la gauche. Si dans deux heures, vous n’avez rien vu, revenez sur vos pas, c’est que la piste est mauvaise.

Il se lança sur sa piste sans attendre, et très vite perdit Rachel de vue. La latérite lui sembla encore plus glissante. Il fit un faux pas et tomba, une douleur aiguë dans la cheville. Ce n’était rien et il put se relever et repartir. Avec une pensée désagréable. Une mauvaise chute et il risquait de mourir d’épuisement et d’infection.

On pouvait crier dans la jungle, il n’y avait personne pour vous entendre. Sauf les serpents, les jaguars et les tarentules à la piqûre mortelle.

La piste était en pente douce, ce qui aidait sa marche. Mais elle devenait de plus en plus étroite. Soudain, il n’y eut plus de piste ! Malko essaya bien de continuer, mais il enfonçait dans un sol meuble qui n’avait jamais été débroussaillé. Il avait pris le mauvais embranchement. La mort dans l’âme, il fit demi-tour. Mais, cette fois, la pente était contre lui…


* * *

Le pilote du Xingu se pencha pour la dixième fois sur sa carte, jurant entre ses dents. Son voisin, le visage collé aux glaces du cockpit, scrutait anxieusement le tapis vert au-dessous d’eux. La forêt tropicale sans la moindre trouée. Ils furent secoués en passant à travers un cumulus et il dut reprendre le pilote automatique. Puis le pilote leva la tête de ses instruments.

— Il faut repartir sur le Maroni et reprendre la Tapanahoni. Nous sommes trop au nord.

Depuis une heure, ils tournaient en rond à mille pieds, montant parfois un peu plus haut pour se repérer. Partant du terrain près de Talima, ils s’étaient dirigés plein nord jusqu’à couper la rivière Tapanahoni puis ils l’avaient perdue ! Ils devaient se trouver entre le lac Van Blommestein et la rivière.

Le pilote inclina le Xingu et ils repartirent plein est. Heureusement que l’appareil avait une autonomie suffisante. Volant très bas pour échapper à la surveillance radar de la Guyane française, ils consommaient plus. Le pilote fit un rapide calcul.

— Si nous ne trouvons pas le terrain avant une heure, il faut faire demi-tour, annonça-t-il. Sinon, nous serons obligés de passer la nuit à Drietabbetje.

Cari Lelyval, le représentant des Services hollandais, ne répondit pas, pensant à ceux qui devaient les attendre quelque part dans cette jungle immense.

Le contre-ordre avait été transmis juste à temps et les Brésiliens avaient failli dire « non » ne connaissant pas le terrain de Drietabbetje. Grâce à la « station » de Paramaribo, ils savaient que l’attaque avait bien eu lieu, mais tout le monde ignorait ce qui était arrivé ensuite. La junte n’avait pas parlé de l’évasion de Julius Harb, mais seulement d’une attaque de mercenaires. Ils allaient connaître la vérité.

Le Xingu brésilien ne portait aucune immatriculation, eux n’avaient pas de papiers. S’ils tombaient au milieu de la forêt, personne ne les trouverait jamais et, si c’était dans une région civilisée, on aurait du mal à les identifier. Le pilote, Joâo Santos, monta à trois mille pieds pour économiser son essence.

Un quart d’heure plus tard, le ruban jaunâtre et sinueux du Maroni apparut en dessous d’eux. La frontière entre les deux Guyanes, encaissé entre deux murailles vertes, coupé de rapides. Le Xingu vira, revenant vers le sud et descendit à cinq cents pieds. Les seuls qui pouvaient les apercevoir étaient les bush-negros et quelques Indiens « transistors ». Les gros bateaux ne pouvaient pas remonter le Maroni si haut, à cause des rapides. Il fallait porter les pirogues à bout de bras, après avoir ôté les moteurs hors-bord. Un vol de perroquets les croisa, au-dessus d’eux. Seul signe de vie. Cette jungle semblait morte.

— La Tapanahoni ! cria soudain Cari Lelyval.

En bas, un filet marron se greffait sur le Maroni, filant vers le sud-ouest. Ils se mirent à voler carrément au-dessus de l’eau. Quelques minutes plus tard, des carbets d’Indiens bâtis en bordure de la rivière, défilèrent à toute vitesse sous leurs ailes. Sur leur droite, la jungle moutonnait en grosses collines, comme un énorme furoncle vert.

— C’est le Lelygebergte ! cria le pilote navigateur, nous ne sommes pas loin.

Il y avait de plus en plus de carbets le long du fleuve. La carte indiquait une mine de manganèse, loin de la Tapanahoni.

Le Xingu vira légèrement pour suivre les méandres du fleuve. Celui-ci s’élargissait brusquement, puis ses berges se rapprochaient en une faille où bouillonnait une eau jaunâtre.

— Voilà les rapides de Graholosoela ! cria de nouveau Cari Lelyval, qui avait pris la carte. Virez à droite de 90°.

— Le terrain de Drietabbetje devrait se trouver entre la rivière et les collines.

Ils descendirent encore, volant au ras de la cime des arbres, aperçurent un Indien qui leur faisait de grands signes, puis le pilote remonta et commença à grimper en spirale, inspectant la jungle.

— Là-bas, annonça Cari Lelyval. Devant, sur notre droite.

Le pilote se dirigea vers l’endroit indiqué. Une minute plus tard, ils passaient au-dessus d’une bande défrichée de quatre cents mètres de long environ, conquise sur la jungle : la piste d’atterrissage de Drietabbetje. Une minuscule cabane en bois se dressait en bordure et il n’y avait personne en vue. Joâo Santos vira et refit un passage. La piste herbeuse semblait praticable. Un sentier assez visible descendait vers la Tapanahoni et le village, en amont des rapides.

— On peut se poser ? demanda Cari Lelyval.

— Je vais essayer, dit Joâo Santos.

Il fit son tour et revint, volets baissés, hélice au petit pas. Avec ce genre de terrain, on pouvait s’attendre à tout. Les roues touchèrent l’herbe et le Xingu se mit à rouler sans trop de cahots. Il fallut moins de deux cents mètres pour l’arrêter totalement. Au moteur, le pilote revint sur la cabane. Arrivé en face, il coupa les gaz et le silence se fit.

Les deux hommes sautèrent à terre. La chaleur était étouffante, des millions d’insectes les entourèrent aussitôt.

Le pilote jeta un regard inquiet en direction du sentier.

— On risque de recevoir la visite des bush-negros, remarqua-t-il. Qu’est-ce qu’on leur dit ?

Cari Lelyval écrasa un moustique sur son avant-bras.

— Rien, ils s’en foutent. On leur donnera des cigarettes.

Dans l’appareil, ils avaient des carabines, quelques grenades et chacun un pistolet. Ils se trouvaient dans un territoire d’un pays hostile, sans la moindre autorisation, ayant observé le silence radio absolu depuis le début de leur vol. Seuls, les radars de Kourou, en Guyane française, les avaient peut-être repérés.

Cari Lelyval regarda le soleil déjà très bas sur l’horizon. Dans une demi-heure, ils seraient obligés de redécoller. Pourquoi ceux qu’ils étaient venus chercher n’étaient-ils pas là ? Il savait que les Brésiliens ne mettraient pas une seconde fois le Xingu à leur disposition. Trop de risques de complications diplomatiques. Il scruta la jungle autour de lui. Mais où étaient-ils donc ?

Tant de choses avaient pu se passer depuis la veille. Ils étaient restés à l’écoute de la radio surinamienne, sans rien glaner d’intéressant. Peut-être que ceux qu’ils attendaient se trouvaient toujours coincés à Paramaribo. Ils auraient dû être là depuis trois heures au moins, d’après les calculs de Lelyval. Donc, quelque chose était arrivé. Joâo Santos poussa un juron furieux. Un scolopendre venait de se laisser tomber sur son bras nu. Le temps qu’il l’écarté, les pattes de l’insecte avaient marqué sa peau d’une série de traces urticantes.

— Putain de pays ! grommela-t-il.

Lui n’avait plus qu’une hâte : redécoller.


* * *

Rachel, les joues en feu, épuisée, allait se laisser tomber à terre quand ce qui restait de la piste, un sentier zigzaguant dans la jungle, se jeta dans un autre sentier perpendiculaire. Elle s’arrêta et regarda à droite et à gauche. De nouveau, aucun moyen de savoir quelle était la bonne direction. La piste abandonnée qu’elle avait suivie montait, descendait, franchissait même un gué que le camion n’aurait pas pu passer, parfois réduite à l’étroitesse d’une simple sente. La jeune créole hésitait, le cœur cognait dans sa poitrine. Soudain, un bourdonnement frappa ses oreilles, comme celui d’un gros insecte. D’abord, elle crut à une hallucination due à la chaleur, puis le bruit s’amplifia. Cela venait de la gauche !

Un moteur ! C’était un moteur d’avion. Elle reconnaissait maintenant le ronflement caractéristique.

Comme une folle, elle se lança sur le nouveau sentier, le visage fouetté par les branches, glissant dans la latérite boueuse, criant pour elle seule. Le bourdonnement continuait, s’éloignait, semble-t-il. Encore cent mètres et brusquement le rideau de verdure se déchira devant elle et elle déboucha à une extrémité de ce qui devait être une piste d’atterrissage. À l’extrémité la plus éloignée d’elle, un avion bimoteur était en train de tourner, se préparant à décoller.

Agitant les bras, Rachel jaillit de la forêt et se mit à courir vers l’appareil.


* * *

Cari Lelyval remarqua le premier la silhouette courant vers eux sur la piste. Le pilote était en train de vérifier sa « check-list » pour le décollage.

— Attention ! dit-il. On a une visite. Ce doit être un bush-negro. Filons.

Le pilote jeta un coup d’œil à la silhouette en train de courir.

— C’est OK, je passerai vingt mètres au-dessus de lui.

Cari Lelyval regardait se rapprocher la silhouette, le cœur lourd de cette mission avortée. Le pilote lança les gaz et le Xingu commença à rouler. Soudain, alors que l’appareil cahotait déjà rapidement, le Hollandais réalisa que celui qui courait ne venait pas du village, mais de la direction opposée ! Il regarda plus attentivement et vit qu’il s’agissait d’une femme, en jupe avec un T-shirt. Les bush-negros ne s’habillaient pas comme ça.

— Stop ! cria-t-il au pilote, ne décollez pas.

Il était temps ! Joâo Santos réduisit aussitôt la puissance et le Xingu perdit de la vitesse. Il était presque arrêté quand la fille arriva à leur hauteur. Contournant l’aile, elle se jeta sur la porte latérale, tambourinant des deux poings, le visage inondé de larmes, criant des mots qu’ils n’entendaient pas. Le capitaine Cari Lelyval sentit une coulée glaciale le long de sa colonne vertébrale.

— Godferdom ! murmura-t-il. Heureusement qu’on n’a pas décollé.

Il ouvrit la porte et sauta à terre. Aussitôt, l’inconnue se jeta sur lui, criant en hollandais :

— Ils sont là-bas, il faut aller les chercher. Ils sont blessés !

Ça n’était pas au programme. Le pilote, après avoir coupé ses moteurs, descendit à son tour. À deux, ils obtinrent un récit à peu près cohérent. Leurs instructions ne prévoyaient pas un contretemps pareil !

D’après ce que leur disait cette fille, pour aller rechercher à pied Julius Harb et Malko, il y en aurait au minimum pour une heure. Ensuite, il faudrait revenir. En transportant la civière du blessé, ce qui les retarderait considérablement et signifiait deux choses :

D’abord, ils allaient être obligés d’abandonner le Xingu sans surveillance, car ils devaient être deux pour porter la civière. Ensuite, ils devraient décoller en pleine nuit, car il était presque six heures. Joâo Santos jeta un long regard à Cari Lelyval. Perplexe. Certes, il était le pilote, responsable de l’appareil, mais dans l’armée brésilienne, il n’avait que le grade de lieutenant, alors que Lelyval était déjà un vieux capitaine. Pas dans la même armée, mais quand même…Impossible de demander des instructions par radio. Les consignes étaient formelles. Mais si quoi que ce soit arrivait au Xingu, il serait tenu pour responsable. Puis, il pensa aux deux hommes blessés, naufragés sur la piste.

— Qu’est-ce qu’on fait ? demanda-t-il à l’officier hollandais.

En posant la question, il se mettait implicitement sous ses ordres.

— Vous pouvez décoller de nuit ? demanda Lelyval.

— Oui, je pense, la piste n’est pas trop mauvaise.

— Alors, allons-y.


* * *

Malko venait d’atteindre l’endroit où il s’était séparé de Rachel lorsqu’il aperçut, dans le brouillard de sueur qui noyait sa vision, trois silhouettes.

Il s’arrêta et dut s’appuyer à un arbre pour ne pas tomber. Quelques instants plus tard, Rachel se jetait dans ses bras.

— Nous sommes sauvés ! cria-t-elle. Ils sont là.

Malko parvint à se redresser et fit face aux deux hommes. À leur regard horrifié, il réalisa qu’il ne devait pas être beau à voir. Ses yeux dorés étaient injectés de sang, la barbe lui mangeait le visage et la souffrance lui creusait les traits. De nouveau, il eut un accès de fièvre qui le fit claquer des dents. Joâo Santos se pencha avec inquiétude sur son bras.

— Restez ici, nous allons chercher Julius Harb, nous vous prendrons au retour.

— Il y a une torche électrique dans le camion, parvint à dire Malko avant de se laisser glisser à terre, le dos à une souche. Trop épuisé pour discuter ou se réjouir. Son bras semblait prêt à exploser et il sentait l’infection gagner le reste de son corps.


* * *

Le faisceau d’une torche électrique arracha Malko à sa torpeur. Il avait dormi, sans même s’en rendre compte. Rachel s’accroupit à côté de lui.

— Allons-y, dit-elle, Julius est avec nous.

Il se leva, vit dans le faisceau de la lampe leurs deux sauveurs portant la civière, maculés de boue rouge eux aussi, l’air épuisé. Ils repartirent tous les quatre en silence, Rachel ouvrant la marche avec la torche. Comme il faisait nuit noire, il n’y avait plus de moustiques, heureusement. Trois quarts d’heure plus tard, ils atteignaient le Xingu. Rien n’avait bougé.

Dès qu’ils avaient rejoint les blessés, Joâo Santos, grâce à la trousse de secours, avait administré de la morphine aux deux hommes. Aussi, lorsque l’appareil décolla, Malko ne souffrait presque plus. Un immense soulagement l’envahit quand le Xingu vira et mit le cap au sud, vers le Brésil, teinté pourtant de tristesse. Certes, il avait réussi le partie la plus importante de sa mission, mais au prix de la vie de Greta Koopsie. Il se demanda quel serait le premier à emprunter cette piste perdue. Qui trouverait l’or, le corps de Herbert Van Mook et le camion accidenté ?

Peut-être personne.

Il jeta un coup d’œil à Julius Harb, calmé lui aussi par la morphine. Dans deux heures, ils auraient regagné la civilisation et seraient soignés. Une sorte de torpeur béate l’engourdissait. Il sentit une main caresser son front. Rachel s’était assise sur un siège à côté de lui. Les doigts glissèrent sur sa poitrine, mais il ne sut jamais ce que Rachel voulait, car la morphine fit son effet et il s’endormit.

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