Chapitre VI

Le Parbo Inn était toujours aussi sombre. Malko avait l’impression de revivre la même scène. Herbert Van Mook était au bar en compagnie de Rachel, qui portait la même jupe en denim, à la limite de l’indécence. Le Hollandais vint l’accueillir et ils s’installèrent à une table surmontée d’une énorme Tour Eiffel en carton. Aussitôt, Ayub, le barman pakistanais, apporta d’office deux bières.

— Je crois que j’ai fait du bon boulot ! annonça Herbert Van Mook. On a déjà une partie de ce qu’il nous faut.

Il résuma pour Malko les hameçons qu’il avait lancés. Ce dernier se sentit un peu rassuré : la façon dont Van Mook abordait le problème prouvait qu’il agissait en professionnel. Mais il était décidé à tout vérifier par lui-même. Une seule faille dans l’exécution du plan et il se retrouvait en prison à Cuba jusqu’à la fin de ses jours. Ou pire.

— Je veux voir le bateau, exigea-t-il.

— Maintenant ?

— Pourquoi pas ? Ce sera fait.

Herbert Van Mook réfléchit rapidement. À cette heure-ci, Tonton Beretta devait se trouver dans ses coins favoris. Après tout, pourquoi ne pas satisfaire son commanditaire ? Plus ce dernier aurait confiance, plus il serait facile à abuser. Tout cela bouillait à petit feu sous son front bas, tandis qu’il essayait de prendre un air détaché. Il ne rêvait plus que des barres d’or massif.

— OK, dit-il, on va essayer de le trouver. Mais attention, je ne lui ai pas parlé de l’or…

— Vous avez eu raison, approuva Malko.

Van Mook alla dire à Rachel de les attendre et ils partirent dans la chaleur moite du crépuscule. Quelques minutes plus tard, ils étaient dans Watermolenstraat. Premier bar, personne ; second, uniquement des Noirs qui leur jetèrent des regards hostiles. Des cris furieux sortaient du troisième. Deux putes noires comme du charbon, les cheveux tressés à la façon des rastas, moulées dans des minijupes et des pulls trois tailles trop petits, étaient en train de se crêper le chignon sous l’œil rigolard d’une Colombienne. Un type chauve, du bar, regardait la scène avec intérêt.

— C’est lui, annonça Van Mook.

Les putes se turent lorsqu’ils entrèrent dans le bar. Van Mook alla droit sur Tonton Beretta.

— Tonton, fit-il, voilà mon copain, celui qui finance l’opération. J’ai voulu que tu le connaisses.

Les gros yeux marron se posèrent sur Malko, le détaillant comme un insecte. Puis l’homme tendit une main, grasse mais ferme.

— Salut, fit-il d’une voix basse. C’est bien. J’aime connaître ceux avec qui je travaille. Vous p… p… prenez une bière ?

Ils burent en silence, puis le Hollandais lança à voix basse :

— Il voudrait voir ton bateau. C’est possible ?

Le Français vida sa bière et coula à la Colombienne un regard plein de regret.

— Ça va me faire faire des éco… éco… économies, mais allons-y.

Ils repartirent à pied jusqu’au Parbo Inn et prirent la voiture de Van Mook, après avoir récupéré Rachel. Tonton Beretta monta à l’avant et, aussitôt, à l’arrière, Rachel se colla sournoisement contre Malko, posant sa main sur la sienne. Dès qu’ils furent sortis de la lumière du centre, elle la fit glisser jusqu’à une poche de sa robe et Malko sentit tout à coup la chaleur moite de son ventre sous ses doigts. Rachel continuait à parler à son amant dont Malko ne voyait que le dos énorme… Il sentit soudain en lui un trouble qui lui asséchait la gorge. Rachel arborait toujours le même sourire un peu lointain et innocent. Malko la sentait remuer doucement sous ses bras, ouvrant légèrement les jambes pour qu’il puisse aller encore plus loin. Puis, elle se tendit, se raidit et il réalisa qu’elle était en train de jouir. Il faillit l’imiter. Heureusement, ils étaient arrivés.

La cabane du Français ne payait pas de mine au milieu d’un terrain qui était une véritable forêt vierge, en bordure du fleuve… Il les amena à un grand hangar abritant plusieurs bateaux et s’arrêta devant le plus gros, un énorme canot automobile, bleu et blanc, profilé comme un squale.

— Voilà la bête ! annonça Tonton Beretta. Deux moteurs de 175 chevaux. Vingt-cinq nœuds sans fatigue. Deux cents litres à l’heure. On peut rouler six heures, plein pot.

Il avait pris son souffle et tout débité sans bégayer. Malko monta à bord pour l’examiner. Le bateau semblait en parfait état. La cabine sous le pont avant était assez vaste pour abriter l’or ; les passagers tiendraient facilement dans le cockpit. Le canot était bas sur l’eau et ne devait pas se repérer facilement…

— Où le mettez-vous à l’eau ? demanda-t-il.

— Il y a un « slip » en ville avant la gare des autobus, expliqua le Français. Mais il n’est bon qu’à marée haute.

— Il faudrait commencer la veille, dans ce cas, suggéra Malko.

Le vieux Français fit la grimace.

— Embêtant. On risque de tout voler dessus et je n’ai pas envie de dormir dedans. En plus, ça va nous faire remarquer.

— Il faut le mettre à l’eau le matin, insista Malko, et, durant la journée, le cacher quelque part sur l’autre rive du Surinam.

Tonton Beretta frotta son crâne chauve, pensivement.

— Il y a un bief en face du chantier. Là, personne ne le verra. Seulement, le dernier bac est à 6 h 30. Il faudra que quelqu’un le prenne et reste dessus jusqu’à la nuit.

— J’ai quelqu’un, affirma aussitôt Van Mook.

Il pensait à Dutchie. Malko refit le tour du bateau, satisfait. Il mesurait environ trente-cinq pieds, c’était bien assez. Il pouvait aisément porter deux tonnes plus cinq ou six personnes.

— J’ai vu un patrouilleur sur le fleuve, dit-il. Savez-vous à quelle vitesse il va ?

Tonton Beretta eut un rire joyeux.

— La moitié de celui-là, et le temps qu’ils le mettent en route, nous serons à Domburg.

— Les moteurs ?

— Je suis en train de les réviser. Mais ils tournent bien.

Le vieux Français caressa d’un regard tendre l’étrave effilée. Son rêve avait toujours été de posséder un bateau de cette espèce.

Les trois hommes regagnèrent la petite maison où Rachel les avait attendus. La créole semblait toujours perdue dans sa rêverie érotique. Tonton Beretta tint absolument à leur offrir un rhum. Pour changer. La nuit était tombée brutalement, sans que la température baisse d’un degré. Malko commençait à voir son projet fou prendre forme. Chaque fois qu’il croisait le regard de Van Mook, il se heurtait à un sourire désarmant de sincérité…

— C’est p… p… pour quand ? demanda Tonton Beretta, anxieux. Il me faut encore au moins un jour de boulot pour les moteurs et le graissage des commandes.

— Je pense que ça ira, fit Malko.

Sortant trois billets de cent dollars de sa poche, il les tendit au vieux Français.

— Voilà pour les frais et l’essence.

Herbert Van Mook changea de voix et de visage. Malko gâchait le métier. Le vieux filou était capable de leur réclamer dix mille dollars à la dernière minute…


* * *

Sur le chemin du retour, Malko demanda au Hollandais de stopper sur Waterkant, l’avenue longeant le fleuve, bordée de charmantes vieilles maisons coloniales en bois peint. À côté du minuscule ministère du Travail, la petite Banque Centrale de Surinam ressemblait à un décor de cinéma avec ses six colonnes blanches, son fronton et son toit d’ardoises bleues… Des barreaux protégeaient les fenêtres du rez-de-chaussée et aucun garde n’était en vue. De jour, un unique policier en marron, sans arme, somnolait devant l’entrée principale, sur une chaise, à l’ombre. Il fit quelques pas et aperçut sur la gauche une grille en retrait, donnant sur la cour intérieure de la banque. Rachel et Van Mook étaient restés dans la voiture. Il continua, passant devant le ministère du Travail, puis tourna dans Mirandastraat au coin du ministère du Travail. Tout de suite après celui-ci, après Mirandastraat, s’élevait une grande maison de bois qui arborait la plaque du consulat d’Allemagne sur sa porte. Entre les deux bâtiments, se trouvait un terrain vague servant de parking, dont l’entrée était le long de la maison. Malko s’y engagea. Comme il l’avait pensé, il n’était séparé de la cour de la banque que par un mur peu élevé, sans barbelés ni tessons de bouteilles. Il retourna sur ses pas et regagna Waterkant.

Plusieurs marchands ambulants stationnaient en bordure de Waterkant, en face de la banque, offrant des boissons et des glaces. Il avança jusqu’au bord du quai. L’eau semblait profonde. De Waterkant, le bateau de Tonton Beretta serait invisible à cause de ses faibles structures. Il revint à la voiture.

— Nous pourrons amener le bateau jusqu’ici, dit-il. Cela éviterait plusieurs transbordements.

— Il faut que je demande à Tonton s’il y a du fond, fit Van Mook.

Malko regarda sur sa gauche. Le patrouilleur se trouvait à peine à deux cents mètres, gardé par deux soldats, et la masse de brique rouge de Fort Zeelandia dominait le Surinam derrière lui. Il remonta dans le véhicule.

— Il y a encore beaucoup de problèmes, dit-il, mais je pense que nous pouvons procéder de cette façon. Il n’y a pas de poste militaire en bordure du fleuve, qui pourrait intercepter le bateau ?

— Rien, affirma le Hollandais. Seulement quelques soldats qui gardent une des maisons de Bouterse, avant Domburg. La nuit, ils dorment.

Ils tournèrent devant la poste pour rejoindre le Parbo Inn. Rachel se pencha vers Malko et demanda de sa voix enfantine :

— Vous venez dîner avec nous, à la ferme ?

— Non, je suis pris, dit Malko.

Cristina devait déjà l’attendre.

Ils se retrouvèrent devant le bar.

— Il faut deux véhicules, dit Malko. Une ambulance et un camion qui nous attendra au bac.

— Une ambulance ? dit le Hollandais avec surprise. Pourquoi ?

— Je vous expliquerai, dit Malko. Demain soir, je passerai à la ferme. Il faut que vous ayez résolu ces deux problèmes d’ici là.

Il gagna sa voiture garée en face du Parbo Inn, évitant le regard brûlant et déçu de Rachel. Son intermède automobile ne lui avait pas suffi…


* * *

Un chien se mit à aboyer furieusement, se jetant contre la grille qu’essayait de pousser Malko. Presque aussitôt une silhouette apparut à la véranda du premier, indistincte dans l’obscurité.

— Entrez ! cria la voix de Cristina Ganders. Suki, tais-toi !

Malko poussa la grille, le chien se tut, et il monta l’escalier extérieur menant à la véranda. La jeune créole surgit aussitôt, souriante, maintenant contre elle une robe noire de la main gauche. Elle se retourna aussitôt.

— Vous pouvez me la fermer ?

Elle avait un dos superbe que la robe découvrait jusqu’à la naissance des reins. Malko remonta la courte fermeture Éclair et Cristina lissa la toile pour mettre sa poitrine en place. Avec ses hauts talons, sa taille mince soulignée par une grosse ceinture de croco, ses cheveux tirés sur les tempes, elle était splendide, débordante de sensualité. Une bouteille de J & B traînait sur la table et elle s’en versa une bonne rasade. Ça ne devait pas être la première de la soirée. Après le rhum qu’elle avait bu chez Mama Harb… Robuste santé.

— J’ai appris deux ou trois choses, annonça-t-elle. Peut-être que Julius ne sera pas exécuté. Il y a une grande discussion à son sujet en ce moment, entre les pro-Cubains et les autres. Les pro-Cubains veulent sa peau, mais il a encore des amis dans l’armée. Le Président a dit qu’il démissionnerait s’il y avait de nouvelles exécutions. (Elle rit). Il ne le fera sûrement pas. Il aime trop son beau palais… Mais ça les fait hésiter.

— Il y a une chance qu’ils le libèrent ?

— Non. Seulement qu’ils reculent l’exécution. Ou qu’ils l’avancent.

Elle regarda sa montre et se leva vivement.

— Allons-y. Ici, tout commence tôt, à cause du couvre-feu… Vous avez une voiture ?

— Oui, dit Malko.

Ils montèrent dans la Colt de Budget. Cristina parlait sans arrêt, jouant avec les gros bracelets de son bras gauche. Malko lui demanda :

— J’espère que je ne dérange pas votre emploi du temps ? Vous deviez peut-être aller avec quelqu’un…

— Non, dit-elle en souriant, en ce moment, j’ai un ami hindoustani dont la femme est jalouse. Je ne le vois guère que l’après-midi. Heureusement que je sors à une heure et demie. Mais au lieu de me mettre en short et de me reposer, je suis obligée de me maquiller et de faire ses quatre volontés. Il en veut vraiment pour son argent. Enfin…Une bonne nature. Elle le guida dans un dédale d’avenues sombres qui se ressemblaient toutes, bordées de maisons élégantes enfouies dans une végétation exubérante. Celle où ils se rendaient ressemblait aux autres, noyée dans les bananiers géants et les flamboyants.

Des Libanais laids comme des poux accueillirent Cristina comme si c’était la Reine de Saba. Les invités se mirent à arriver et très vite, il fallut hurler pour se parler. Soudain, Malko aperçut une peau de panthère moulant une croupe somptueuse. Quand celle à qui elle appartenait se retourna, il reconnut Greta Koopsie. La jeune Hollandaise lui sourit et il la rejoignit, abandonnant Cristina, aussitôt accaparée par un jeune métis à lunettes. Greta Koopsie lui tendit une main parfumée.

— Bonne surprise ! Vous vous êtes vite intégré au Surinam, dit-elle. Vous avez trouvé la cavalière idéale.

— Pourquoi ?

Greta Koopsie se pencha à son oreille.

— On dit que c’est le meilleur coup de Paramaribo, mais elle est assez chère. Remarquez, vous avez des dollars.

Elle se tut, Cristina arrivait vers eux. La créole adressa un sourire ravageur à Greta Koopsie.

— Alors, toujours seule ?

— Toujours, répondit la jeune Hollandaise. Et très contente.

Cristina s’éloigna à travers la foule des invités. Ceux-ci s’étaient jetés comme des gloutons sur le buffet. Greta pouffa.

— Elle veut absolument me refiler à quelques-uns de ses amants. Me maquerauter, quoi. Surtout que j’en connais certains. Il faut du courage pour entrer dans un lit avec de pareils débris… Je ne l’envie pas.

— Toujours au jogging ? demanda Malko.

— Toujours. Jusqu’à ce que je trouve. Quand cela me travaille trop, je prends une bonne douche…

Malko lui jeta un regard inquisiteur.

— C’est seulement pour vous rafraîchir ? Avec une douche, on peut faire beaucoup de choses.

Elle lui tourna le dos avec une pirouette. Malko suivit des yeux la silhouette en panthère. Il n’était pas le seul. Elle était, avec Cristina, la femme la plus excitante de la soirée. À part peut-être une Chinoise sculpturale, assise à l’écart, hiératique, la robe fendue très haut, révélant sa cuisse fuselée. On buvait sec et on bâfrait encore plus. Plus la nuit avançait, plus la chaleur devenait étouffante. Des gens entraient et sortaient sans arrêt. Cristina revint vers lui, un verre de scotch à la main, et passa familièrement un bras sous le sien.

— Ne me dites pas que vous avez dégelé cette petite dinde !

— Je ne l’ai vue par hasard qu’une fois une demi-heure…

La belle créole lui jeta un regard aigu et trouble.

— Cela suffit parfois, quand on en a vraiment envie…

Elle ruisselait littéralement de sensualité… Une pulpeuse fleur tropicale. Un filet de transpiration coulait entre ses seins et ses yeux étaient de plus en plus brillants. Quelqu’un avait mis sur l’électrophone un disque de meringué lent et sensuel.

— On danse ? proposa Cristina.

Quelques couples évoluaient déjà sous un bananier géant qui ressemblait sous la lune à un gigantesque éventail. Malko ne fut pas surpris en sentant le corps souple de Cristina épouser le sien tandis qu’elle nouait les bras autour de son cou. Elle semblait ne pas avoir d’os. Son bassin se balançait très lentement, ses seins fermes s’écrasaient contre lui et son parfum sui generis se mélangeait harmonieusement à celui dont elle s’était arrosée. Un autre danseur, évoluant près d’eux, lui caressa la hanche en passant et elle lui répondit d’un sourire carnassier, murmurant à l’oreille de Malko :

— Tous les hommes qui sont ici ont couché avec moi ou ont essayé. Ils doivent être très jaloux… S’il y a des mouchards dans cette party, ils ne pourront que m’attribuer un nouvel amant. J’ai la réputation de sauter sur toutes les nouvelles têtes. Vous ne faites donc pas exception.

Elle avait beau plaisanter, l’amour-propre de Malko en fut désagréablement chatouillé. Il n’arrivait pas à savoir si elle jouait vraiment pour la galerie ou si elle se sentait sincèrement attirée par lui.

Il s’en voulut de se poser la question au sujet d’une femme qui comptait ses amants par centaines, mais il ne pouvait se défendre d’une attirance violente pour cette splendide créature, même si elle sortait sans sa bonne depuis longtemps. La musique changea et elle le quitta avec un sourire puis elle enlaça un hindoustani à grosse moustache qui se mit aussitôt à la peloter honteusement. Malko accrocha le regard ironique de Greta Koopsie debout près du buffet. Il se rapprocha d’elle.

— Vous ne dansez pas ?

— J’ai essayé, dit-elle. J’ai cru que mon cavalier allait transpercer ma robe avec son machin. Ce sont des animaux…

— Je vous jure de ne pas vous violer…, assura-t-il.

Elle l’enlaça en souriant et tout de suite se colla à lui, le bassin en avant.

— Vous voyez que je ne suis pas bégueule, dit-elle. Ce n’est pas désagréable la sensation d’un corps d’homme contre le sien. À condition de le choisir.

Ils dansèrent plusieurs meringués, étroitement imbriqués l’un dans l’autre. Il commençait à fantasmer sur ce qu’il y avait sous la peau de panthère lorsque Greta Koopsie se détacha et soupira :

— Bon, je dois rentrer, j’ai mon jogging demain matin à sept heures. À bientôt, peut-être…

Quelle allumeuse ! Malko se retrouva en tête-à-tête avec une coupe de Dom Pérignon. Jusqu’à ce que Cristina surgisse, traînant une jeune Noire bouclée comme un caniche, avec une extraordinaire poitrine pointue.

— Helena veut faire votre connaissance, annonça-t-elle.

Helena se jeta dans les bras de Malko et commença à danser sur place une gigue absolument obscène, enfonçant sa poitrine d’acier dans ses pectoraux, faisant tourner son bassin comme une danseuse orientale.

Hélas, la musique s’interrompit et Helena fut happée par un grand Javanais qui l’entraîna dans le jardin. Cristina rejoignit Malko, pouffant de rire.

— Vous ne savez pas y faire ! Cela fait un quart d’heure qu’elle vous dévorait des yeux. Elle ne peut pas résister à un blond. Mais elle a trop bu ce soir. Le premier qui l’emmènera la sautera. Tant pis pour vous…

Les mœurs semblaient plutôt libres au Surinam. À voir le nombre d’hommes qui entouraient Cristina avec des regards pleins de sous-entendus, elle n’avait pas menti à Malko sur le nombre de ses amants. Celui-ci en avait assez de ce bruyant carnaval tropical. L’air ruisselait d’érotisme et il avait envie de chasser sa tension nerveuse pour quelques heures.

— Si nous rentrions ? proposa-t-il.

À sa grande surprise, Cristina ramassa aussitôt son sac.

— Bonne idée ! Il faut que je m’arrête de boire. Ça fait grossir…

Le temps d’étreindre au passage une douzaine de ses ex-amants, ils réussirent à s’extraire de la cohue. La température avait légèrement baissé, il ne devait plus faire que 30 degrés et le ciel était dégagé. Cristina se laissa tomber sur le siège de la Mitsubishi.

— Je suis morte ! J’ai bu au moins douze scotchs !

Il n’était que onze heures et déjà les rues étaient totalement désertes. On se serait cru dans une ville morte, abandonnée. Le silence était tel qu’on entendait même les cliquetis du mécanisme des feux de signalisation ! En stoppant devant la villa, Malko aperçut une lumière. Cristina se redressa avec une exclamation dépitée.

— Godferdom ! Il est là !

— Qui « il » ?

— Mon Jules ! Je pensais qu’il était à Cayenne. Il a dû prendre le dernier bac. (Elle se tourna vers lui). Tant pis, ce sera pour une autre fois.

Malko n’eut pas à se demander longtemps à quoi elle faisait allusion. Se penchant, elle lui offrit sa bouche avec fougue. En une fraction de seconde, ils furent emmêlés comme deux araignées. Le bassin de Cristina semblait doué d’une vie indépendante, se soulevant du siège, roulant, venant à la rencontre de Malko. Collée à la jeune femme comme une seconde peau, la robe ne représentait pas un grand obstacle. Hors de lui après cette soirée de frustration, Malko en fit craquer un bout. Cristina le repoussa avec un sourire, essoufflée :

— À demain, je vous téléphone.

Elle l’abandonna sur un dernier baiser.

En arrivant au Torarica, Malko n’était pas encore apaisé. Deux allumeuses dans la même soirée, c’était beaucoup. Il repensa à Rachel, s’avouant avec un peu de honte que la jeune créole l’excitait furieusement en dépit de son côté malsain. C’était rare de rencontrer une perverse aussi épanouie. Cela le ramena au but de sa présence au Surinam. Pourvu que Herbert Van Mooke soit à la hauteur de ses promesses. Tout reposait sur lui.

Dans le hall du Torarica, trois clients attardés regardaient un film cubain sur la culture du maïs, tandis que des paquets d’Indiens et de Chinois flambaient comme des fous à des tarifs d’hospice au mini-casino, fierté de l’hôtel.

Malko mit son réveil à six heures. Il se méfiait de l’exactitude surinamienne. Il avait décidé d’aller vérifier lui-même les points essentiels de l’opération. Il aurait assez à faire à surveiller Herbert Van Mooke, ensuite.

Il ne restait plus que six jours pour organiser la libération de Julius Harb.

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