Chapitre XIX

La salle à manger du Krasnapolski était aussi vide qu’à leur première rencontre, mais les participants n’étaient pas tout à fait les mêmes, Rachel remplaçant avantageusement Frederick LeRoy. La jeune créole avait dû choquer le maître d’hôtel plein de componction avec son T-shirt moulant sa poitrine aiguë et sa jupe en cuir trop petite de deux tailles. Malko avait encore le bras droit en écharpe, après l’opération subie pour vaincre l’empoisonnement dû au venin du serpent. Ceci était compensé par les remerciements officieux du gouvernement hollandais. Le colonel de Vries rayonnait et même le capitaine au teint blafard, son adjoint, semblait un peu plus rose. L’officier supérieur hollandais se pencha vers Malko, les yeux brillants.

— Nous allons récupérer l’or que vous avez abandonné dans la jungle !

— Comment ? demanda Malko.

Le Hollandais eut un sourire modeste.

— J’ai l’autorisation de mon ministre et les Brésiliens vont coopérer. Avec un Xingu, comme la première fois. Nous emporterons dans l’avion un véhicule léger pour faire la navette sur la piste. Cela va nous servir à aider les Surinamiens en exil et à financer quelques opérations… Il se trouve bien à six heures de marche du terrain ?

— Environ, dit Malko.

Même les Services n’échappaient pas à la fièvre de l’or. Il sentait que le colonel de Vries avait autre chose à lui dire mais qu’il ne s’y décidait pas. Ils bavardèrent encore de choses et d’autres puis, finalement, l’officier supérieur plongea.

— Je préférerais que vous ne parliez pas de cette petite expédition à Julius Harb, si vous êtes en contact avec lui, dit-il. Nous avons demandé le même service à Miss Rachel, pour des raisons que vous comprenez sûrement. Elle a accepté de nous accompagner puisqu’elle connaît parfaitement le trajet.

Malko retint un sourire.

— Je comprends, dit-il, cependant Julius Harb n’est pas idiot…

— Bien sûr, fit le colonel, mais il sait que les Brésiliens étaient déjà réticents pour la première expédition. De plus parmi ses amis politiques, certains ne sont pas d’une intégrité absolue… Bien entendu, nous continuerons à l’aider grâce à une partie de la vente de l’or, mais celui-ci permettra d’aider d’autres gens qui en ont très besoin aussi.

— Bien, dit Malko, vous pouvez compter sur mon silence, à une condition…

Le sourire du colonel s’élargit.

— Vous voulez une…

— Non, dit Malko. Je veux qu’avec l’or vous rameniez Greta Koopsie.

— Mais elle est morte !

— Justement, dit Malko. Elle pèse beaucoup moins de deux tonnes. Je veux votre parole d’officier qu’elle sera enterrée au cimetière de Rotterdam et que sa famille sera avisée de son décès accidentel au Surinam. N’oubliez pas que, sans elle, vous n’auriez ni l’or, ni Julius Harb.

Il y eut un long silence, rompu enfin par le colonel de Vries.

— Vous avez ma parole, dit-il.

Un maître d’hôtel vint remplir leurs verres de Château-Petrus. Malko remarqua soudain que le jeune capitaine était écarlate. Sa serviette étant tombée accidentellement, il se baissa pour la ramasser et faillit éclater de rire. Sous la table, le pied déchaussé de Rachel montait lentement le long de la jambe du jeune officier. Décidément, la jeune créole était incorrigible.

Celle-ci regardait droit devant elle, avec son habituel sourire innocent.


* * *

En entrant dans le hall de l’hôtel Sacher à Vienne, Malko se demanda qui il allait rencontrer. Le chef de station de la CIA à Vienne avait téléphoné pour lui annoncer qu’il avait rendez-vous avec quelqu’un à la chambre 820. Bien entendu, il ne donnait aucun nom au téléphone, pour d’évidentes règles de sécurité.

L’épaisse moquette du couloir étouffait le bruit de ses pas. Il frappa un coup léger et la porte s’ouvrit aussitôt. Il eut un coup au cœur. Rachel était méconnaissable : un maquillage habile étirait ses grands yeux écartés, ses mains étaient faites, elle portait une robe-manteau bien coupée et des escarpins. Lui qui ne l’avait jamais connue qu’en sauvageonne !

— Quelle surprise ! dit-il. Que faites-vous à Vienne ?

— On m’a demandé de vous remettre quelque chose. Tenez.

Il la suivit et vit un paquet de la taille d’une grosse boîte à chaussures, dans un papier marron.

— C’est ça, dit-elle.

Il voulut prendre le paquet, mais ne put même pas le soulever. Instantanément, il comprit. Déchirant le papier, il fit apparaître un bout de métal jaune.

— Ce sont les quatre lingots promis à Herbert Van Mook, fit dans son dos la voix de Rachel. On les a retrouvés près de son corps. Le colonel de Vries a pensé qu’ils vous revenaient de droit.

Il se retourna. Rachel avait déjà défait presque tous les boutons de sa robe. Le dernier sauta et elle se débarrassa du vêtement, découvrant des bas chair et une parure de même couleur. Elle fit alors un pas vers lui, frottant la dentelle de son soutien-gorge contre son alpaga.

— On m’a dit que vous aimiez les femmes sophistiquées, dit-elle.

Ses lèvres se posèrent doucement sur les siennes. Il l’enlaça, se disant que son dossier, à la Central Intelligence Agency, était vraiment très complet.

Загрузка...