A

A cet instant

Vous êtes en train de lire. Les grains de lumière (photons) rebondissent sur cette page pour être projetés sur votre cornée. L'image de cette page franchit l'orifice de la pupille, atterrit dans l'optique de vos cristallins et revient à l'envers au fond de votre paroi oculaire, sur la rétine sensible.

De là, l'image est transportée jusqu'à l'arrière de votre cerveau par un signal électrique et chimique d'une rapidité fulgurante.

Chaque lettre est identifiée et nommée par un son dans votre esprit. Les sons, en se regroupant, forment des mots. Vous comparez ces mots aux stocks de mots dont vous connaissez déjà la signification. (Si-gni-fi-ca-tion signifie par exemple «le sens».)

Normalement, vous avez bien 100 000 mots connus en stock. Sans parler de ceux que vous connaissez vaguement ou que vous comprenez d'après leur étymologie (du grec etumos «vraie» et logos «parole»).

Les mots en se groupant forment des phrases dont vous analysez le sens global. La phrase est alors dirigée vers une zone de votre cerveau pour y être temporairement stockée. On ne sait jamais: si l'information vous semble inintéressante, il vous sera facile de vider ce «tiroir temporaire».

Si elle vous paraît, en revanche, digne d'intérêt, vous ouvrirez un coin de votre cervelle et vous la stockerez pour une durée plus longue dans un «tiroir long terme». Ce qui vous permettra plus tard deux choses: utiliser cette information pour résoudre des problèmes précis ou la transmettre à d'autres humains n'ayant pas lu ce livre.

Alchimie

Toute manipulation alchimique vise à mimer ou à remettre en scène la naissance du monde.

Au départ, la première phase se nomme la phase du corbeau, dite aussi «œuvre au noir». On prend la «materia prima» et on la chauffe après y avoir placé de la terre. C'est une phase de calcination et c'est pour cela qu'on la nomme «l'œuvre au noir». Le feu arrive et brûle, séparant les éléments calcinés et transformant le solide en liquide, la terre en eau. A ce moment revient le feu, le liquide part en vapeur. Celle-ci contient des éléments qui retombent se déposer sur les parois. L'opération s'appelle «l'œuvre au blanc». Puis le produit rebouillonne et finit par former un second dépôt sur les parois. On nomme cela «l'œuvre au rouge». Cette dernière phase, dite «sublimation», consiste en la fixation d'une poudre d'or qui va elle-même donner naissance à la pierre philosophale. Cette poudre, c'est par exemple celle de Merlin l'Enchanteur dans la légende des chevaliers de la Table ronde. Tout récit construit n'est qu'une reproduction de l'histoire de la pierre philosophale et donc de l'univers. Il va du simple au compliqué, de la matière brute, le sable, vers l'or raffiné, de l'ignorance vers le savoir. Il n'y a là aucun miracle. L'alchime est une allégorie et la pierre philoso-phale se trouve dans la tête de chacun, ce n'est qu'une manière de bien «être» dans le monde. Ce qui n'est déjà pas si facile…

Apprenons à bâtir un monde

si vous êtes un jeune dieu et que vous voulez créer un monde, voici enfin et pour la première fois la recette «physique» pour créer à partir de presque rien de la… VIE.

Attention! Il faut respecter précisément les dosages et les ingrédients. Si vous ne pouvez vous les procurer exactement tels qu'ils sont décrits ici, renoncez.

1°) Prendre une petite planète de taille moyenne. 13 000 km de diamètre par exemple. La porter à ébullition. Il faut qu'elle soit très chaude. 4 000° minimum. A cette température, tous les corps chimiques sont dissociés.

2°) Faire revenir à feu doux. On baissera un peu le thermostat: + 3 000°. Ne pas cesser de touiller la sauce. On peut alors constater que les atomes se mélangent pour former des grumeaux. Goûter. Parmi les molécules les plus stables, on reconnaîtra là des hydrures, des sili-ciures, des carbures, de l'oxygène, de l'azote, et bien sûr de l'hydrogène. Toujours de l'hydrogène. Ne jamais lésiner sur l'hydrogène.

3°) Baisser encore un tout petit peu le feu sans cesser de remuer pour que ça n'attache pas. A 500°, l'hydrogène réduit les oxydes ferreux: apparition d'un océan et de vapeur d'eau. Ne pas s'affoler, c'est normal. Mettre un couvercle en utilisant par exemple la force de gravité pour retenir cette vapeur d'eau autour de la planète.

4°) Soulever le couvercle et observer. La vapeur d'eau à haute température attaque les autres molécules. Sous l'assaut de l'hydrogène, les carbures se transforment en hydrocarbures. Les siliciures se transforment en siliciure d'hydrogène. L'oxygène dissout le méthane pour donner de l'oxyde de carbone. Et l'on voit apparaître aussi de l'ammoniac, de l'hydrogène phosphoré, de l'hydrogène arsénié, de l'hydrogène sulfuré. Tel est d'ailleurs l'état actuel de Saturne et de Jupiter. Mais continuons l'expérience. Baissons encore un peu la température.

5°) Laisser macérer. Puis soumettre notre nappage liquoreux à des charges électriques: la foudre. Le carbure d'hydrogène se condense avec le soufre, l'ammoniac, l'acide cyanhydrique. Notre soupe originelle prend alors une belle couleur bleue. Des grumeaux minuscules surnagent.

6°) C'est l'instant le plus délicat de la préparation de la… «vie». Comme pour un soufflé, si l'on rate cette étape, tout rate. Il faut maintenant prendre un soleil d'âge moyen (attention, les trop jeunes soleils ont des éruptions acnéiques qui peuvent être préjudiciables à la vie et les soleils trop âgés ne sont pas assez puissants) et, tout en tenant la planète dans sa main gauche, exposer progressivement l'océan aux rayons du soleil. Il faut que la planète soit dorée, mais ni brûlée ni glacée. C'est en général l'erreur que commettent les jeunes dieux débutants: ils rapprochent trop la planète et la grillent comme une saucisse. Vénus est malheureusement un exemple de brouillon de planète trop cuite, probablement par un dieu débutant maladroit. Donc on approche progressivement le soleil de la planète (c'est aussi délicat que de verser de l'huile dans une mayonnaise). Sous la chaleur de cette lampe et sous les rayons ultraviolets, les sucres se synthétisent et l'on voit apparaître du glucose et de la cellulose. Goûter. L'océan doit avoir un petit relent sucré.

7°) Approcher encore. Sous l'action des ultraviolets solaires, l'acide formique se condense avec l'aldéhyde formique pour donner la glycocolle. C'est l'acide aminé le plus simple. Et probablement le tout premier représentant de la vie. Si vous n'avez pas raté cette phase, bravo.

8°) A la fin de cette préparation, on doit obtenir dans sa soupe-océan: des sucres, des acides aminés, des protéines et des sels.

9°) Il n'y a plus qu'à laisser mijoter deux milliards d'années et l'on obtient des infimes poussières qui nagent. Ce sont des bactéries. La récompense de tous nos efforts. C'est-à-dire le plus difficile à réussir pour un jeune dieu: des cellules vivantes autonomes!

Au début
Au commencement, tout n'était que simplicité.

L'univers, c'était du rien avec un peu d'hydrogène.

H.

Et puis il y a eu le réveil. L'hydrogène détone. Le big bang explose et ses éléments bouillants se métamorphosent en se répandant dans l'espace.

H, l'élément chimique le plus simple, se casse, se mélange, se divise, se noue pour former des choses nouvelles. L'univers est expérience.

Tout part de 1, mais tout se répand dans tous les sens et dans toutes les formes.

Dans la fournaise initiale, H, l'origine de tout, se met à accoucher d'atomes nouveaux.

Comme He: l'hélium. Et puis tous se mélangent pour donner le jour à des atomes de plus en plus complexes.

On peut actuellement constater les effets de l'explosion initiale. L'ensemble de notre univers-espace-temps-local, qui était composé à 100% d'hydrogène, est maintenant une soupe remplie de tas d'atomes bizarres selon les proportions suivantes.


90 % d'Hydrogène

9 % d'Hélium

0,1 % d'Oxygène

0,060 % de Carbone

0,012% de Néon

0,010 % d'Azote

0,005 % de Magnésium

0,004 % de Fer

0,002 % de Soufre.


En ne citant que les éléments chimiques ayant su le mieux se répandre dans notre univers-espace-temps.

Au nom d'Habracadabrah

La formule magique «Habracadabrah» signifie en hébreu: «Que cela se passe comme c'est dit» (que les choses dites deviennent vivantes). Au Moyen Age, on utilisait volontiers cette incantation pour soigner les fièvres. L'expression a ensuite été reprise par des prestidigitateurs exprimant par cette formule que le spectateur allait assister maintenant au clou du spectacle (le moment où les mots deviennent vivants?). La phrase n'est cependant pas aussi anodine qu'il y paraît à première vue. Il faut reconstituer la formule que produisent ces neuf lettres (en hébreu, on n'utilise pas les voyelles). HA BE RA HA CA AD BE RE HA donne donc: HBR HCD BRH. Sur neuf couches et de la manière suivante, afin de descendre jusqu'au H originel (Aleph) qui se prononce «Ha»

Cette disposition est conçue de façon à capter le plus largement possible les énergies du ciel et à les faire redescendre jusqu'aux hommes. Il faut imaginer ce talisman comme un entonnoir autour duquel la danse spiralée des lettres constituant la formule HABRACADABRAH déferle en un tourbillonnant vortex. Il happe et concentre en son extrémité les forces de l'espace-temps supérieur.

Mais, outre cette signification donnée depuis la nuit des temps par les rabbins, on peut fournir à cette formule un autre sens: la naissance de notre univers.

H, Aleph: l'hydrogène.

HB, Aleph-beth (à rapprocher d'«alphabet»): l'hélium.

HBR: l'oxygène.

En prononçant la formule HABRACADABRAH, on ne fait pas qu'annoncer un tour de magie. On raconte le plus beau, le plus grand, le plus extraordinaire de tous les tours de magie: la naissance de notre univers-espace-temps-local.

Avenir

On ne sait pas comment sera l'homme du futur, mais l'on peut déjà avancer son portrait probable.

– Il aura la mâchoire plus courte et moins de dents. Nos troisièmes molaires, nos fameuses dents de sagesse, ont en effet tendance à disparaître. Normal: les molaires servent à broyer la viande, or nous ne mangeons plus que des aliments mous qui n'ont plus besoin d'être broyés.

L'homme du futur n'aura que 28 dents au lieu de 32.

– Il sera plus grand. Tout simplement parce que les bébés sont maintenant mieux nourris, donc mieux «construits» qu'à l'origine. Les médicaments les protègent des maladies qui pourraient troubler leur croissance. On sait par exemple qu'en 1800 la moyenne des appelés français était de 1,63 m, elle était en 1958 de 1,68 m alors qu'elle est en 1993 de 1,75 m. C'est même une croissance exponentielle.

– Il sera plus myope. En ville, il n'y a pas besoin de voir loin.

– Il sera probablement métis. Tout simplement à cause de la facilité des moyens de transport qui permettent à tous les peuples de se rencontrer.

– Il vivra plus vieux. Toujours grâce à l'hygiène, aux progrès de la médecine et à une meilleure nutrition.

– Le volume cérébral sera probablement supérieur, la capacité de la boîte crânienne de l'Homo sapiens ayant déjà triplé depuis les premiers hommes d'il y a 3 millions d'années. Mais plus que le volume, ce sera probablement la complexité des connexions qui se développera.

– On restera enfant plus tard. En effet, les os durcissent de plus en plus tard. Il y a 30 000 ans, tous les os étaient durs à près de 18 ans. De nos jours, l'ossification de la clavicule qui clôt la croissance se produit à 25 ans. Tout se passe comme si les gens restaient physiologiquement des enfants de plus en plus longtemps. Ce qui expliquerait que, même mentalement, on veuille rester enfant de plus en plus longtemps.

– Les femmes par contre connaîtront plus tôt leurs premières règles, l'âge de la ménopause se déclenchera plus tard. Donc la période de fécondité humaine s'allongera. On sera peut-être plus lubrique pour rendre cette longue période moins monotone…

– Le corps masculin va se féminiser. A l'inverse des tribus de chasseurs des forêts qui gardent une grande différence entre le faciès masculin et le faciès féminin, on constate déjà une grande simi litude des crânes féminin et masculin. L'avenir est aux hermaphrodites et aux femmes-enfants. Ces deux références esthétiques sont d'ailleurs les canons de la beauté moderne les plus mis en valeur dans la mode, le cinéma et la chanson.

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