CHAPITRE XV

Chaque matin, Tania s’efforçait de découvrir les achats indispensables qui occuperaient sa journée avant l’heure des spectacles ou des réceptions. Acheter était devenu pour elle une fonction physiologique, à laquelle elle ne pouvait plus se soustraire. Lorsqu’elle rentrait chez elle sans paquets, l’après-midi lui semblait perdu. Peu lui importait d’ailleurs la nature de ses emplettes. Elle s’énervait autant à choisir des tissus qu’à commander des fleurs, des parfums ou du linge de table. Elle courait de magasin en magasin, palpait, triait, discutait, se fâchait, admirait, et faisait envoyer la note aux Comptoirs Danoff. Ces courses lui fouettaient le sang et contentaient en elle un extrême besoin de tout connaître et de tout posséder. Le soir, elle déballait son butin sous le regard narquois de Michel.

— Ce bonze chinois, où vas-tu le mettre ? disait-il.

— Mais au salon. La tablette de laque est toute dégarnie.

— Et ce tapis ?

— C’est pour ma chambre.

— Il y en a déjà quatre.

— Justement.

— Que veux-tu dire ?

— Je dis : justement. S’il y en a déjà quatre, je ne vois pas de raison pour hésiter à en ajouter un cinquième.

Michel riait et embrassait sa femme, sur les deux joues, comme une enfant. Il la sentait heureuse, et cette certitude excusait à ses yeux les menues folies de Tania. En vérité, il avait tellement souffert de la voir mélancolique et irritée pendant leur séjour à Armavir, qu’il était prêt à tout lui pardonner, pourvu qu’elle se déclarât satisfaite de son sort. Il disait seulement :

— Combien ?

Tania fouillait dans son sac d’un air affairé :

— Voici le total. Vérifie l’addition. Mais on t’enverra la facture au bureau.

Michel vérifiait l’addition et notait le chiffre dans son calepin, d’un air sérieux.

Un jour, comme Tania brassait à pleins doigts un étalage de dentelles, une cliente l’accosta et lui arracha des mains le carton qu’elle avait saisi. Tania se retourna contre l’impudente : Olga Varlamoff se tenait devant elle et lui souriait d’un air amusé. Les deux jeunes femmes éclatèrent de rire, et Tania, renonçant à ses achats, pria Olga Varlamoff de venir prendre le thé chez elle, séance tenante. En route, elle l’interrogea sur la santé de son petit garçon, dont Volodia lui avait donné des nouvelles. Georges était rétabli et le docteur l’autorisait à quitter la chambre.

— Volodia a été si gentil pour mon petit Georges, dit Olga Varlamoff.

Tania devina que la discussion allait devenir passionnante et cria au cocher d’accélérer le train. Dès qu’elles se furent attablées devant deux tasses de thé et des assiettes de pâtisseries, Olga Varlamoff et Tania entreprirent une critique serrée des spectacles et des réceptions du mois. Mais l’une comme l’autre, tout en feignant de s’intéresser à leurs propos, savaient intimement qu’elles s’étaient rencontrées pour d’autres confidences. Un sujet capital, qu’elles gardaient en réserve, donnait son charme à leur entrevue. Enfin, Olga Varlamoff demanda d’une voix un peu sourde :

— Vous connaissez très bien Volodia Bourine, n’est-ce pas ?

Tania eut un sourire de soulagement et murmura très vite :

— Pensez donc ! Nous jouions ensemble dès l’âge de six ans !

— Ce n’est pas une raison pour le bien connaître, dit Olga. Il me semble que, si j’avais été élevée avec lui dès le berceau, je serais encore incapable de lire dans son âme. Il paraît futile, orgueilleux, égoïste, méchant, léger, voluptueux, et, tout à coup, un geste, un mot de lui, vous révèlent un être d’une sensibilité exquise.

— C’est ça ! C’est exactement ça ! s’écria Tania. L’enveloppe est de mauvaise qualité, mais l’intérieur, l’intérieur…

Elles se turent et Olga Varlamoff baissa les yeux.

— Il me parle très souvent de vous, dit Tania.

Olga Varlamoff rougit et ne répondit rien. Tania attendait depuis longtemps l’occasion de parler de Volodia avec la belle rousse. À présent, elle tenait cette jeune femme à la merci de sa générosité. Cette seule pensée l’exaltait jusqu’au malaise. De nouveau, elle s’admira de pousser dans les bras d’une autre cet homme qu’elle avait aimé autrefois, et pour lequel elle conservait encore une affection spéciale. Bien peu de femmes eussent été capables d’un pareil renoncement.

— Je ne vous dirai pas les termes dont il se sert pour me raconter vos entrevues, reprit Tania.

— Il vous raconte nos entrevues ? dit Olga Varlamoff, qui parut troublée par ce détail.

— Oui. Et, à travers ses récits, je devine l’influence admirable que vous exercez sur lui. Il s’est transformé, littéralement, selon vos conseils. Moi, sa vieille amie, je le reconnais à peine. Grâce à vous, il a gagné de la profondeur, du poids, du charme, du… Bien sûr, par moments, ses anciens défauts le reprennent. Mais c’est un éclair. Et, aussitôt, il redevient tel que vous l’avez fait !

— Vous me flattez, dit Olga Varlamoff en riant. Il est vrai que je l’ai prié, dans son propre intérêt, de travailler un peu, de renoncer à certaines… facilités sentimentales…

— Et il vous a obéi. Vous êtes la première femme à qui il obéisse.

— Quel compliment !

— Je vous remercie de ce résultat au nom de l’amitié que je porte à Volodia. Il avait besoin d’une aide. Et cette aide, je ne pouvais pas la lui donner.

— Pourtant, dit Olga Varlamoff, il a tant d’affection pour vous !

— Justement, il n’a pour moi que de l’affection.

Olga Varlamoff feignit de n’avoir rien entendu et avala une gorgée de thé. Tania fut fâchée de cette réserve. Elle ne pouvait pas, d’emblée, conseiller à Olga Varlamoff d’accepter Volodia pour amant. Il fallait que la jeune femme l’aidât un peu, préparât insensiblement la nécessité de cette recommandation. Mais Olga Varlamoff ne disait rien. Elle restait là, pensive et close, devant sa tasse de thé.

— Il me semble, par moments, dit Tania, que vous n’appréciez pas Volodia à sa juste valeur, que vous doutez de lui…

— Nullement.

— Savez-vous que… je ne devrais pas vous le dire… mais puisque nous sommes décidées aux confidences, il me plaît de faire le premier pas… Savez-vous que Volodia m’avait demandée en mariage ?

— Non ? s’écria Olga, et son regard brilla, vert et vif, sous les sourcils remontés.

— Si ! Si !

Tania riait et secouait la tête.

— Et pourquoi donc avez-vous renoncé à ce parti magnifique ?

Tania s’attendait à cette question et déclara simplement :

— Volodia n’était à cette époque qu’un galantin de province, infatué de ses succès, léger, méchant et un peu bête. Le chagrin l’a beaucoup changé. Ah ! s’il avait été alors tel que je le vois à présent, je ne crois pas que je l’aurais éconduit…

Olga Varlamoff battit des paupières et vida le fond de sa tasse.

Tania ne put résister au plaisir d’insister un peu sur l’amour de son adolescence. Il ne fallait tout de même pas que cette belle rousse s’imaginât être la première passion de Volodia ! Tania avait vu Volodia à ses pieds, et elle avait repoussé sa demande. Elle était fière de son passé sentimental.

— Oui, il était fou de moi, dit-elle rêveusement. Et je dois dire – j’étais une gamine – que j’étais également très éprise. Mais la raison a parlé. J’ai compris que je serais malheureuse auprès de cet être trop beau et trop versatile. J’ai préféré renoncer au risque. Il a souffert comme un damné !

— Je vous crois sans peine, dit Olga Varlamoff, avec une moue malicieuse.

— Plus tard, il a épousé, par dépit, une créature douce et humble qui est morte en couches. Mon refus et cette mort ont formé l’homme que vous connaissez. J’estime qu’un troisième chagrin lui serait néfaste.

— Un troisième chagrin ? demanda Olga Varlamoff.

Tania se pencha et prit les mains de la jeune femme dans les siennes.

— Vous me comprenez, dit-elle. Il ne faut plus le faire souffrir. Il ne le mérite pas. Il a droit à un grand bonheur…

— Je sais, je sais, dit Olga Varlamoff.

Et elle ajouta, en remuant à peine les lèvres :

— Vous êtes très gentille. Vous défendez bien vos amis. Tout ce que vous pensez de Volodia, je le pense aussi. Êtes-vous contente ?

— Mais je… je n’ai pas à être contente, dit Tania, prise au dépourvu.

Olga Varlamoff affecta d’ignorer son trouble et parla encore de ses invitations, de son fils et de ses amies.

À sept heures du soir, Michel et Volodia firent leur apparition dans le petit salon. Tania observait Olga Varlamoff avec une curiosité gourmande. Elle vit le sang affluer aux joues de la belle rousse, lorsque Volodia s’approcha d’elle pour la saluer.

Olga Varlamoff partit très tard. Elle avait une figure heureuse. Ses gestes lents étaient ceux d’une femme comblée. Tania l’accompagna jusqu’au vestibule.

— Nous nous reverrons bientôt, j’espère ?

— Mais oui, dit Olga Varlamoff. Je me sens si proche de vous, depuis cette conversation.

Volodia les rejoignit en courant. Il rapportait un mouchoir qu’Olga Varlamoff avait oublié dans son fauteuil.

— Le roman est terminé, murmura-t-il en tendant la main à la jeune femme.

— Le roman ? Ah ! bien, dit-elle d’un air égaré, comme si ces paroles l’eussent tirée d’un rêve.

— Quand vous le lirai-je ?

— Jeudi, après le thé, comme d’habitude.

— Cinq jours à attendre ! dit-il en faisant la grimace.

Elle haussa les épaules et lui tourna le dos.

Dans la voiture qui la ramenait chez elle, Olga Varlamoff ferma les yeux, prise d’une fatigue subite. Mais le visage de Volodia s’inscrivait sur le fond rouge de ses paupières. Et ce visage était d’une grâce inquiétante. Elle souhaita inexplicablement voir la figure de Volodia enlaidie par quelque blessure, ou nouée par une vieillesse précoce. Elle l’eût aimé facilement, sans doute, s’il avait été moins aimable. Tel quel, n’importe qui pouvait l’aimer. Or, elle voulait choisir à sa passion un objet dédaigné, dont elle fût seule à connaître le prix. Elle désirait créer sa joie dans l’ombre, dans le secret. Volodia éblouissait tout par sa présence. Cette lumière qui émanait de lui était bizarrement répugnante. Olga Varlamoff en avait des frissons de dégoût. N’était-ce pas la crainte de cette perfection, qui, jadis, avait incité Tania à repousser son camarade d’enfance ? Comment le savoir ? Tania le savait-elle ?

En arrivant chez elle, Olga Varlamoff se précipita dans la chambre d’enfant. Georges était assis devant sa table et jouait avec des cubes de bois coloriés. Elle l’embrassa farouchement, comme si elle l’eût retrouvé après une longue absence. Le caniche sautait autour d’elle et mordillait le bas de sa robe. Olga Varlamoff se redressa et regarda la bête.

— Il est si gentil, Viki, dit le gamin. Il ne me quitte plus, il m’amuse.

Olga Varlamoff poussa un soupir et caressa le chien d’une main molle.


Deux jours plus tard, comme Volodia rentrait chez lui pour se changer avant le théâtre, son valet de chambre lui annonça qu’une dame inconnue l’attendait depuis près d’une heure dans le salon. C’était Olga Varlamoff. Elle portait une robe noire. Une voilette épaisse dissimulait ses traits. Volodia, radieux s’élança vers la jeune femme et lui saisit les mains.

— Vous êtes venue sans me prévenir, balbutiait-il.

Olga Varlamoff se dégagea doucement et remonta sa voilette.

— Oui, je suis venue, dit-elle. Je voulais inspecter votre maison, imaginer votre vie dans son décor véritable. C’est charmant, chez vous. Un peu saugrenu, un peu bazar, mais charmant…

Ses lèvres étaient pâles. Son regard fixe dépassait le visage de Volodia.

— Au fond, reprit-elle, votre appartement vous ressemble. Il est plein de jolies choses disparates, achetées dans un mouvement d’enthousiasme, et que, déjà, vous ne voyez plus. On y devine une dispersion de désirs, une incohérence de pensée, qui fait peur. Savez-vous seulement pourquoi cette lampe vous a plu, pourquoi cette chaise Louis XV voisine avec cette tablette incrustée de nacre, et d’où vous est tombé ce narghilé obèse ? Savez-vous quand vous avez acquis cette dépouille de léopard ? Et vous êtes-vous jamais servi de ce brûle-parfum ?

— C’est pour une réprimande maternelle que vous vous êtes dérangée ? demanda Volodia. Alors, asseyez-vous. Car j’ai tellement de défauts que nous allons passer une bonne soirée à les énumérer.

Olga Varlamoff sourit à peine. Une soudaine rougeur enflamma ses joues.

— Vous êtes effrayant de légèreté, dit-elle. Vous ne pouvez que faire le malheur des êtres qui vous aiment.

Volodia, déconcerté, ne savait plus s’il fallait plaisanter ou paraître ému,

— Vous avez peur de moi ? dit-il d’une voix hésitante.

Elle ne répondit pas.

— Comment peut-on avoir peur de moi ? reprit-il avec un étonnement sincère. Je suis bien incapable d’être méchant. Il faut de la suite dans les idées pour être méchant. Et je n’ai aucune suite dans les idées…

Olga Varlamoff le laissait parler, à présent. Elle l’écoutait même avec une grande attention. De toutes les forces de son esprit, elle s’appliquait à prévoir les conséquences d’un sentiment qu’elle ne savait pas maîtriser. Mais, plus elle réfléchissait au caractère de Volodia, plus elle était inquiète pour elle-même. Elle le devinait égoïste, irresponsable, privé d’âme comme un pantin. Il n’y aurait jamais entre eux aucun abandon, aucun échange. Leur amour ne serait qu’une suite de désordres et de mensonges. Cependant, elle ne pouvait accepter l’idée de fuir cette chambre. On eût dit, même, que c’était la certitude d’un avenir néfaste qui l’attirait vers cet homme. Comme si elle éprouvait le besoin de souffrir par sa faute.

— N’essayez pas de me convaincre, dit-elle faiblement. Mon opinion est faite.

— Qu’entendez-vous par là ?

Il se leva, s’approcha d’elle. Elle se mit à trembler.

— Olga, murmura-t-il. Laissez-moi vous appeler Olga. Je vous jure qu’il ne faut plus me craindre. Je vous aime trop pour vous causer le moindre chagrin. De vous seule dépendra notre bonheur ou notre infortune. De vous seule !

— Je ne vous crois pas.

— Quelle preuve, quel gage exigez-vous de moi ?

— Les preuves et les gages que vous donnerez aujourd’hui n’auront plus cours demain, mon pauvre ami.

— Vous me repoussez ?

Elle eut un regard long et fier :

— Pourquoi serais-je venue ?

Volodia se sentait à la fois joyeux et déçu devant cette étrangère trop rapidement consentante. Il s’attendait à une lutte, et, dès l’abord, il était victorieux. Sa mission n’était plus de séduire, mais de protéger Olga Varlamoff contre ce péril vague qu’elle portait en elle. Le saurait-il ? Maladroitement, il posa la main sur l’épaule de la jeune femme.

— Non, dit-elle, pas de ces gentillesses.

Il rougit et bredouilla :

— Je voulais vous rassurer, Olga.

— C’est inutile. Où est votre chambre ?

— Pardon ?

— Où est votre chambre ? Cette porte doit y conduire, je pense ?

Elle feignit d’être parfaitement à l’aise. Mais son visage était blanc. Et des larmes divisaient ses yeux.

Elle sortit à pas lents, la tête haute.

Volodia, suffoqué, essayait de comprendre sa chance. Mais les idées se brouillaient dans son esprit. Il s’était préparé à tout, sauf à cette proposition sobre et hygiénique. De son désir, de son impatience, il ne lui restait rien maintenant. L’étonnement annihilait en lui l’envie, le courage viril, et jusqu’à la curiosité la plus élémentaire. Elle était folle ! Pourquoi se donnait-elle à lui aussi brusquement ? Pourquoi ne cherchait-elle pas, comme les autres femmes, à mettre en valeur le sacrifice qu’elle lui faisait de son corps ? Il aimait tellement le plaisir préliminaire des pudeurs vaincues et des linges froissés ! Par la faute de cette créature, il allait, pour la première fois, se montrer au-dessous de sa renommée. Car, c’était indéniable, il n’éprouvait plus pour elle qu’un intérêt contemplatif et limité.

— C’est trop bête ! C’est trop bête ! grognait-il.

Furieux, il cueillit un Casanova dans sa bibliothèque, en parcourut, sans profit, quelques lignes, et le rejeta sur la table. Puis, il alluma une cigarette et lui trouva mauvais goût. Enfin, il voulut se parfumer les cheveux, ouvrit une commode et se cassa un ongle contre la poignée du tiroir. Il en aurait pleuré de rage.

Une voix lointaine le fit tressaillir.

— Vous pouvez venir.

Comme un automate, il poussa la porte et pénétra dans la chambre. Il espérait qu’Olga Varlamoff serait déjà blottie sous les couvertures. Mais elle l’attendait devant le lit, toute nue. Il en eut le souffle coupé. Vidé de son désir, il contemplait cette grande femme potelée et blanche, aux longues jambes unies, aux seins puissants, au sourire mort. Les épaules étaient larges, le bassin rond et bien planté. Son pubis était marqué d’une ombre rousse. Debout devant lui, dans cette chambre aux lampes allumées, elle avait une réalité gênante.

Il murmura sans conviction :

— Vous êtes belle.

Et il se sentit ridicule, aussitôt. Il devait avoir fière allure, dressé tout habillé, tout cravaté, tout chaussé, devant une femme nue ! Cette chair, brutalement dévoilée, le glaçait d’ennui. Anxieux et morne, il tentait vainement de réagir contre sa défaillance. Il grommela :

— Pourquoi avez-vous fait cela ?

Puis, tout à coup, il se mit à crier :

— Vous êtes pire que toutes les autres !… De quoi ai-je l’air ?… De quoi avons-nous l’air, tous les deux ?…

Il la saisit aux poignets et la secoua violemment. La chaleur qui venait de ce pauvre visage démoli par la honte, le regard éperdu de ces yeux verts, le parfum de cette peau émue, tout cela le grisait, lui donnait des forces. Avec fierté, il surveillait en lui-même le retour de l’audace.

Lorsqu’il se fut convaincu de l’excellence de ses moyens, il repoussa la jeune femme et alla s’asseoir dans un coin. Il haletait. Il était heureux. Il dit :

— Vous êtes stupide ! Vous auriez pu tout gâcher. Oublions-le, maintenant…

Mais Olga Varlamoff avait ramassé sa chemise au creux d’un fauteuil. Sa face était marbrée de plaques rouges.

— Je m’en vais… je m’en vais, gémissait-elle. Quelle honte !

D’un bond, il fut sur la porte, la ferma et retira la clef de la serrure. Elle continuait à se rhabiller. Il lui arracha le corset, la blouse qu’elle tenait encore à la main. Il les jeta loin et tomba à genoux devant elle.

— Restez ! C’est un malentendu… J’avais tant espéré cette entrevue… Et votre attitude m’a dérouté… Alors, j’ai crié comme une brute, comme une sale brute ; mais maintenant, c’est fini… Je vous aime, je vous aime, Olga…

Il lui baisait les doigts. Il reniflait des larmes véritables.

— Si vous vous en allez, je me tue ! dit-il enfin.

— Vous êtes bien tel que je le redoutais, murmura-t-elle.

Il sentit une main tiède qui descendait et s’attardait sur son front.

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