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Clic-claquante, Gudlaug me conduisit du couloir de la prison à la salle d’interrogatoire. J’avais envie de lui dire d’échanger ses sabots contre des sandales souples, mais dans les films qui passent au cinéma on apprend à ne pas irriter le gardien.

Cette fois-ci, c’étaient Dóra et Lárus qui m’attendaient. Il y avait des gens derrière la grande glace, parce qu’ils étaient tous les deux très polis, en particulier Lárus, qui autrement ne l’était pas, et ils étaient bien habillés. Qui plus est, Dóra me parut bien mieux. Je jetai un coup d’œil à la glace et, comme d’habitude, je ne vis que l’image de moi-même dans cette horrible pièce. Je me demandai si le commissaire n’était pas présent derrière la glace cette fois-là.

Lárus mit le magnétophone en marche. Il lut le numéro de l’affaire, la date et l’heure. Il était juste un peu plus de dix heures. Dix heures du matin, supposai-je. Ça n’a pas d’importance.

– Nous avons parlé du viol qu’aurait commis Tómas, Sara, dit Lárus en s’efforçant de faire officiel. Tu nies qu’il s’agissait d’un viol.

– C’est une question ? dis-je.

– Est-ce que Tómas t’a violée ? demanda Lárus.

– Non, dis-je. Il n’a pas fait ça.

– Est-ce que, au cas où Tómas l’aurait fait, tu considérerais que ce serait une raison suffisante pour le tuer ?

– Au cas où… ?

– Ne tourne pas comme ça autour du pot, dit Dóra. Nous n’avons pas que ça à faire.

– Oui, dis-je. Je trouve qu’il faudrait tuer tous les violeurs, mais dans mon cas, ce n’était pas un viol.

– Nous avons la déposition de ton amie, dit Dóra.

– Elle ment, dis-je. Vous ne comprenez pas ? Vous ne comprendrez jamais qu’elle ment comme elle respire ?

– Tiens-toi tranquille ! dis Lárus.

– Toi-même, éructai-je. Bettý s’était fait avorter. Est-ce qu’elle vous a dit ça ? Vous l’avez interrogée là-dessus ? Vous lui avez demandé pourquoi elle s’est fait avorter ?

– Qu’est-ce que ça a à voir ? dit Dóra.

– Ce que ça a à voir ? dis-je. C’est vous, les flics. C’est à vous de le trouver. Allez savoir pourquoi elle a dit à Tómas qu’ils ne pouvaient pas avoir d’enfants. Demandez-lui si Tómas ne voulait pas avoir d’enfants avec elle et pourquoi ça n’a pas marché. Ensuite, demandez-lui pourquoi elle a eu besoin de se faire avorter.

– Nous n’avons rien au sujet d’un avortement, dit Lárus.

– Non, c’est vrai ? Vous avez besoin de cinq colonnes dans ces foutus journaux pour vous mâcher le travail ?

Ils se regardèrent.

– Mais quel genre de flics vous êtes ? Je n’ai jamais vu ça. Si on ne vous serine pas les choses mille fois, il n’y a rien qui fonctionne dans votre cerveau ?

Lárus jeta un coup d’œil rapide à la glace.

– Bettý s’est fait avorter, dis-je, un peu plus calme. Elle m’a dit qu’ils ne pouvaient pas avoir d’enfants, elle et Tómas. Pourtant, je sais qu’elle s’est fait avorter. Alors, de deux choses l’une : soit elle était enceinte de Tómas et pour des raisons que j’ignore elle a fait supprimer le fœtus, et elle a menti à Tómas en lui faisant croire qu’ils ne pouvaient pas avoir d’enfant…

– Je ne sais pas où tu veux en venir avec ça, dit Lárus. Qu’est-ce que le fait d’avoir des enfants ou pas a à voir dans cette affaire ?

– Elle a menti à Tómas. Ils pouvaient avoir un enfant, mais Bettý n’en voulait pas. Pour des raisons que j’ignore, elle a fait en sorte qu’ils n’aient pas d’enfant et elle a fait comme s’ils ne pouvaient pas en avoir. J’imagine qu’elle a utilisé des contraceptifs à son insu et qu’ensuite, à un moment donné, ça n’a pas marché.

– Mais pourquoi ?

– Allez lui demander à elle, dis-je. C’est vous les flics. Ce n’est pas à moi de faire votre travail. Demandez-lui pourquoi Tómas ne pouvait pas avoir d’enfant avec elle. Allez vous renseigner dans les hôpitaux, parlez avec les médecins. J’ai entendu parler d’un seul avortement, mais peut-être qu’il y en a eu plusieurs.

– Tu es en train de nous dire qu’elle ne voulait pas avoir d’enfant avec Tómas ? dit Dóra.

– Demandez-lui pourquoi elle ne voulait pas fonder une famille avec Tómas. Pourquoi seul son argent l’intéressait, sa richesse, les maisons chics, les voyages, les navires de croisière.

Je regardai la glace.

– Parlez-lui de ça !

– Il n’y a personne derrière, dit Dóra.

– Si, sûrement ! dis-je.

– Quelle est l’autre possibilité ? dit Dóra. Tu as dit : “De deux choses l’une.” Elle était enceinte de Tómas ou bien…

– Qu’est-ce que tu crois ?

– J’ai envie d’entendre ce que toi tu crois, dit Dóra.

Je me mis à sourire. Lárus nous regarda tour à tour. Il semblait avoir perdu le fil.

– Elle était enceinte, mais l’enfant n’était pas de Tómas.

– L’enfant n’était pas de Tómas ? dit Dóra en écho à mes paroles.

– Il était de qui, alors ? dit Lárus en nous regardant tour à tour.

– J’ai ma petite idée là-dessus, mais…

– Quelle idée ? demanda Dóra.

Je me tus.

– Je crois que tu n’as rien à gagner à te taire, dit Lárus.

– Je vois que je n’ai rien à gagner non plus à vous parler. Ce n’est pas à moi que vous devez parler, c’est à Bettý.

Dóra regarda Lárus et il y avait quelque chose dans son expression que je ne comprenais pas.

– Nous avons de bonnes relations avec Bettý, dit-elle en me regardant.

Je fixai les yeux sur elle.

– Qu’est-ce que tu veux dire ?

– Ne te fais pas de souci pour Bettý, dit Lárus.

– Elle est ici ?

Ils me regardèrent sans répondre.

– Est-ce que Bettý est ici ?

Ils se turent.

– Elle est en détention ? Elle est dans une des cellules, ici ? Vous la détenez comme moi ?

Ils ne répondirent pas. Je posai les yeux sur Dóra qui était assise et me renvoyait un regard fatigué. Je regardai Lárus et il me sembla que ses lèvres se tordaient en un rictus. Je regardai à nouveau Dóra et je vis qu’elle dirigeait son regard vers la glace. Elle le fit furtivement, sans remuer la tête. Elle me disait quelque chose. Je me redressai et la fixai des yeux, et soudain je compris le signe qu’elle m’avait fait.

Je m’adossai de nouveau à ma chaise. Je tournai la tête en direction de la glace.

Je sentai sa présence.

C’est Bettý qui était derrière la glace !

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