Le Nain Vert
Le Nain Jaune peut-il réapparaître ou ses traits restent-ils ceux d'un moment tricolore ?
Je le pensais jusqu'en septembre 2009 ; même si j'avais été frappé par le parallèle établi par Zac entre Jean Jardin et Albert Speer, deux honnêtes figures du pire.
Ce samedi soir-là, j'avais consenti, à tort, à participer à une émission télévisée populaire que je ne regarde jamais. En pensant avec un certain angélisme que l'inconduite mercenaire et goguenarde de certains chroniqueurs pouvait être raisonnée. Soudain, un invité remarqué déboule sur le plateau, éveillant dans l'assistance un frisson qui parcourt les échines. L'audimat entre en érection. Peu porté sur les sujets polémiques, j'ignorais jusqu'à cet instant l'existence de cet individu bien de sa personne qui, de prime abord, m'apparaît séduisant, habile orateur et, pour tout dire, le visage même de l'intelligence.
Rien à voir avec l'emportement identitaire qui monte à la tête des foules arabo-musulmanes en leur inoculant la haine des autres.
Il se nomme Tariq Ramadan.
Les spadassins de service, rémunérés pour se gourmer de tout en s'enveloppant de sincérité, lui infligent d'acides réflexions, allant même jusqu'à soupçonner chez lui de déplaisantes arrière-pensées islamistes. Voire un scabreux double discours favorable aux iranosaures de Téhéran. Pour un peu, cet apprenti démon m'en deviendrait sympathique. Mais quelque chose cloche chez ce jeune intellectuel roide qui semble faire métier d'être de bonne foi et qui, bizarrement, étaye sa bonté d'arguments aussi sagaces que brillants ; comme si la capacité d'amour, chez un homme, pouvait faire l'objet d'une démonstration. L'évidence, en cette matière, n'a que faire des spéculations ; elle est ou n'est pas. L'animateur, une intelligence vive, me demande ce que je pense de cet islamiste camouflé en bien-pensant. Je réponds avec franchise :
- Je ne vous connaissais pas, monsieur Ramadan. Vous êtes lumineux, impressionnant même mais...
- Ah, il y a un mais ! me coupe-t-il.
- Oui. Il y a comme un décalage entre ce que vous dites et ce que vous êtes, entre vos mots doux et la violence qui émane de vous. J'ai l'impression qu'il n'y a pas beaucoup d'amour en vous.
Etonné, l'homme me regarde, a la gaucherie de se défendre quand un aveu touchant l'aurait sauvé ou du moins conforté. Instinctivement, j'ai alors l'impression de me trouver devant un autre Nain Jaune : quelqu'un de vraiment correct, une candeur égarée que les accusateurs professionnels prennent pour du cynisme, une honnêteté capable de s'engouffrer dans des risques majeurs. L'un de ces jeunes intellectuels musulmans aptes à tous les dérapages car trop fiévreusement moraux. La quête du bien guide ses propos tendus d'esprit, cette sorte de bien véhément qui leste les êtres potentiellement dangereux. Il a tout d'un Nain Vert islamisé, responsable, inapte à se défausser si d'exceptionnelles circonstances exigeaient de lui - comme elles l'exigèrent jadis du Nain Jaune - de beaux sacrifices. Question de moment, de géographie. L'un respira l'œuvre de Maurras et un certain catholicisme véhément, l'autre rumine un Coran fermenté qui ignore tout de l'instinct de laïcité. Tous deux, en costume cravate élégant, ont ce visage avenant, non sectaire, qui rameute la sympathie et rend hésitant devant l'idéologie qu'ils escortent.
En quittant le plateau, je me plonge dans la prose ambiguë de cet auteur prolixe ; en me méfiant des a priori de la meute de ses harceleurs mais sans parvenir à me défaire de l'étrange impression que ce séducteur a laissée sur moi. Et, en le lisant, mon corps se glace ; comme à chaque fois que le fantôme du Nain Jaune croise mon existence. Entre les lignes, je renifle les liens anciens mais fournis entre un certain islam dévoyé et le nazisme. Le manque d'affection de Tariq Ramadan pour le sionisme peut encore passer pour une opinion ; mais ses Juifs à lui semblent bien être les femmes déchues de leur pleine humanité, ces sous-hommes dont l'islamisme radical - avoué ou masqué - trouve l'abaissement si normal. Et si légitime. Le virus a muté, trouvant une fois de plus des êtres à diminuer, à mutiler dans leurs droits. Les Juifs hier, les femmes aujourd'hui.
Le pouvoir ensorcelant de certains suppôts du bien m'effraie.
Des personnes de bien, j'en ai croisé également dans certaines salles de marchés, prêtes à spéculer contre des nations en toute bonne conscience, à disloquer des peuples sans sourciller. Ils n'étaient pas verts ces Nain Jaune-là, ou alors d'un vert dollar ; mais tout aussi solidement campés sur de beaux discours responsables. Et charmants, frottés de culture.
Comment le Nain Jaune s'y prit-il pour séduire - et berner - jusqu'à son biographe ?