CHAPITRE 8


Mon patron me renvoie à la maison à cause de tout le sang qui a séché sur mon pantalon et je ne retiens plus ma joie.

Le trou qui me traverse la joue de part en part ne se cicatrise jamais plus. Je pars travailler, et mes orbites oculaires défoncées à coups de poing ne sont plus que deux petits pains gonflés autour des deux petits trous de bite qui me restent pour essayer de voir le monde. Jusqu’à aujourd’hui, je faisais vraiment la gueule d’être ainsi devenu maître zen totalement recentré sur lui-même sans que personne le remarque. Malgré tout, je continue à faire mes petits trucs FAX. J’écris de petits HAIKUS et je les FAXE à tout le monde aux environs. Lorsque je croise des gens dans le couloir au travail, je deviens totalement ZEN face à la petite FIGURE hostile de tout un chacun.


Les abeilles ouvrières peuvent partir,

Même les faux-bourdons peuvent s’envoler

La reine est leur esclave.


Vous abandonnez toutes vos possessions terrestres et votre voiture et vous partez vivre dans une maison de location dans la zone de déchets toxiques de la ville, là où tard le soir vous entendez Maria et Tyler dans la chambre de ce dernier, en train de se traiter mutuellement de torche-culs.

Prends ça, torche-cul humain. Fais-le, torche-cul.

Étouffe-toi dessus. Et garde tout, poupée.

Rien que par contraste, cela fait de moi le petit centre calme du monde.

Moi, avec mes yeux défoncés à coups de poing et mon sang séché en grosses taches noires et croûtées sur mon pantalon, je dis SALUT à tous ceux que je rencontre au travail. SALUT ! Regardez-moi. SALUT ! Je suis tellement ZEN. Ça, c’est du SANG. Ça, ce n’est RIEN. Salut. Tout est rien, et c’est tellement super d’avoir reçu la LUMIÈRE. Comme moi.

Soupir.

Regardez. Par la fenêtre. Un oiseau. Mon patron m’a demandé si ce sang était mon sang.

L’oiseau vole poussé par le vent. Je suis en train de rédiger un petit haiku dans ma tête.

L’oiseau sans un nid

C’est le monde sa maison

Carrière pour vie.

Je compte sur mes doigts : cinq, sept, cinq. Ce sang, est-ce le mien ? Ouais, dis-je. En partie. C’est une mauvaise réponse.


Comme si c’avait bien beaucoup d’importance. Je possède deux pantalons noirs. Six chemises blanches. Six caleçons. Le strict minimum. Je fréquente le fight club. Ce sont des choses qui arrivent.

— Rentrez chez vous, dit mon patron. Et changez-vous.

Je commence à me demander si Tyler et Maria sont une seule et même personne. Hormis leurs séances de baisage, toutes les nuits dans la chambre de Maria.

Et ils y vont.

Et ils y vont.

Et ils y vont.

Tyler et Maria ne sont jamais dans la même pièce. Je ne les vois jamais ensemble.

Néanmoins, vous ne nous voyez jamais ensemble, Zsa Zsa Gabor et moi, et ça ne signifie pas que nous soyons la même personne. C’est juste que Tyler ne sort jamais lorsque Maria est dans le coin.

Pour que je puisse laver les pantalons, Tyler doit me montrer comment on fabrique du savon. Tyler est à l’étage, et la cuisine est pleine de l’odeur de clous de girofle et de cheveux brûlés. Maria est assise à la table de la cuisine, en train de se brûler l’intérieur du bras à la cigarette au clou de girofle en se traitant de torche-cul humain.

— J’enlace à pleins bras ma corruption malsaine en train de s’envenimer, dit Maria à la cerise à l’extrémité de sa cigarette.

Maria vrille la cigarette au creux du ventre tendre et blanc de son bras.

— Brûle, sorcière, brûle.

Tyler se trouve à l’étage dans ma chambre, il examine ses dents dans mon miroir et dit qu’il m’a trouvé un boulot à mi-temps comme serveur de banquet.

— Au Pressman Hotel, si tu peux travailler le soir, dit Tyler. Ce boulot te caressera ta haine de classe dans le sens du poil.

Ouais, je dis, tout ce que tu veux.

— Ils veulent que tu portes un nœud papillon noir, dit Tyler. Tout ce qu’il te faut pour travailler là-bas, c’est une chemise blanche et un pantalon noir.

Du savon, Tyler. Je dis : il nous faut du savon. Il faut que nous fabriquions du savon. Il faut que je lave mon pantalon.

Je tiens les pieds de Tyler pendant qu’il fait deux cents abdos assis.

— Pour fabriquer du savon, d’abord, il faut que nous ayons du gras.

Tyler est une mine de renseignements utiles.

— Pour fabriquer du savon, il nous faut d’abord faire fondre du gras.

Hormis leurs séances de baisage, Maria et Tyler ne sont jamais dans la même pièce. Quand Tyler traîne dans le coin, Maria l’ignore. C’est là un terrain familier. C’est exactement de cette manière-là que mes parents étaient invisibles l’un à l’autre. Ensuite mon père est parti ouvrir une nouvelle franchise.

Mon père disait toujours :

— Marie-toi avant que le sexe devienne ennuyeux, sinon tu ne te marieras jamais.

Ma mère disait :

— N’achète jamais rien avec une fermeture à glissière en nylon.

Mes parents n’avaient jamais rien dit qui aurait mérité d’être brodé sur un coussin.

Tyler fait cent quatre-vingt-dix-huit abdos. Cent quatre-vingt-dix-neuf. Deux cents.

Tyler arbore une sorte de peignoir de bain en flanelle gluante avec pantalon de survêt assorti.

— Fais sortir Maria de la maison, dit Tyler. Envoie Maria chercher au magasin un paquet de soude caustique. Celle qui est en paillettes. Pas en cristaux. Débarrasse-toi juste d’elle.

Moi, j’ai six ans, et je transmets les messages de l’un à l’autre de mes parents désunis. Je haïssais ça quand j’avais six ans. Je hais ça aujourd’hui.

Tyler commence sa série de levers de jambes, et je descends pour dire à Maria : « La soude en paillettes », et je lui donne un billet de dix dollars et ma carte de bus. Alors que Maria est toujours assise à la table de cuisine, j’ôte la cigarette au clou de girofle d’entre ses doigts. Doucement, comme une fleur. À l’aide d’un torchon à vaisselle, j’essuie les ronds de rouille sur le bras de Maria, là où les croûtes de brûlures se sont craquelées pour se mettre à saigner. Ensuite j’enfile chacun de ses pieds dans le coin en creux d’une chaussure à haut talon.

Maria baisse les yeux sur moi dans mon numéro de prince charmant avec ses chaussures et elle dit :

— Je suis entrée toute seule. Je ne pensais pas qu’il y avait quelqu’un à la maison. Il n’y a pas de verrou à la porte d’entrée.

Je ne dis rien.

— Tu sais, le préservatif est la pantoufle de verre de notre génération. Tu l’enfiles quand tu rencontres quelqu’un que tu ne connais pas. Tu danses toute la nuit, et ensuite tu le jettes. Le préservatif, je veux dire. Pas l’inconnu.

Je ne m’adresse pas à Maria. Elle peut toujours aller mettre son grain de sel dans les groupes de soutien et les affaires de Tyler, mais elle ne pourra jamais être mon amie. En aucune façon.

— Je t’ai attendu ici toute la matinée.

Fleurs écloses meurent

Vent souffle neige et phalènes

Pierre ne voit rien.

Maria se lève de la table de cuisine, elle porte une robe bleue sans manches faite d’un tissu brillant. Maria pince le bord de la jupe qu’elle retourne pour me montrer les petits points couturés sur l’intérieur. Elle ne porte pas le moindre dessous. Et elle me fait un clin d’œil.

— Je voulais te montrer ma nouvelle robe, dit Maria. C’est une robe de mariée et elle est entièrement cousue à la main. Est-ce qu’elle te plaît ?

Le magasin de charité la vendait pour un dollar. Quelqu’un s’est donné le mal de faire tous ces minuscules points à l’aiguille dans le seul but de fabriquer cette robe laide, laide, dit Maria. Peux-tu croire une chose pareille ?

La jupe est plus longue d’un côté que de l’autre, et la taille de la robe orbite bas autour des hanches de Maria.

Avant de partir pour le magasin, Maria soulève sa jupe du bout des doigts et entame une sorte de danse autour de moi et de la table de cuisine, son cul volant en rond à l’intérieur de sa jupe. Ce que Maria adore, dit-elle, ce sont toutes ces choses que les gens adorent passionnément avant de les larguer au bout d’une journée ou d’une semaine. Comme ces sapins de Noël qui sont le centre de toutes les attentions et que, passé Noël, on retrouve morts au bord des routes, encore munis de leurs guirlandes. On voit ces arbres et on pense aux animaux écrasés par les voitures ou aux victimes de crimes sexuels ligotées au chatterton, leurs dessous remis à l’envers.

Je veux juste qu’elle sorte d’ici.

— C’est la fourrière le meilleur endroit où aller, dit Maria. Là où tous les animaux, les petits chiots, les petits chatons que les gens ont adorés avant de les larguer, même les vieux animaux, dansent et bondissent pour attirer ton attention parce que, après trois jours, ils ont droit à une overdose par injection de phénobarbital de sodium avant de se retrouver dans le grand four pour animaux de compagnie.

« Le Grand Sommeil, style Vallée des Chiens7 » « Là où même s’il y a quelqu’un qui t’aime suffisamment d’amour pour te sauver la vie, on te châtre malgré tout.

Maria me regarde comme si c’était moi qui la bourrais et dit :

— Avec toi, je ne peux pas gagner, pas vrai ? Maria sort par la porte de derrière en chantant cette sinistre chanson de « La Vallée des Poupées », sinistre à vous donner le frisson.

Je me contente de la fixer des yeux pendant qu’elle s’éloigne.

Passent un, deux, trois moments de silence avant que Maria soit tout entière sortie de la pièce.

Je me retourne, et Tyler a réapparu.

Tyler dit :

— Tu t’es débarrassé d’elle ? Pas un bruit, pas une odeur, Tyler a juste réapparu.

— D’abord, dit Tyler, et il bondit depuis l’embrasure de la porte de cuisine pour se mettre à fourrager dans le congélateur. D’abord, il nous faut faire fondre la graisse.

À propos de mon patron, Tyler me dit : si je suis vraiment en colère, je devrais aller jusqu’à la poste et remplir un formulaire de changement d’adresse pour faire réexpédier tout son courrier à Rugby, Dakota du Nord.


Tyler commence à sortir des sachets à sandwich pleins de matière blanche congelée et il les dépose dans l’évier. Moi, je suis censé mettre une grosse casserole sur le feu et la remplir presque entièrement d’eau. Trop peu d’eau, et le gras noircirait en se décomposant en suif.

— Ce gras-là, dit Tyler, il contient plein de sel et donc plus il y a d’eau, mieux c’est.

Mettre le gras dans l’eau, et porter l’eau à ébullition.

Tyler exprime la mixture blanche de chaque sachet dans l’eau, et ensuite, Tyler enfouit les sachets vides tout au fond de la poubelle.

Tyler dit :

— Sers-toi un peu de ton imagination. Souviens-toi de toutes ces conneries de pionnier qu’on t’a apprises chez les boy-scouts. Souviens-toi de ton cours de chimie au lycée.

Difficile d’imaginer Tyler chez les boy-scouts.

Une autre chose que je pourrais faire, me dit Tyler, c’est prendre ma voiture, me rendre au domicile de mon patron et brancher un tuyau au robinet d’arrosage extérieur. Connecter le tuyau à une pompe manuelle, et je pourrais injecter dans le circuit de distribution d’eau de la maisonnée une dose de colorant industriel. Rouge, bleu ou vert, et attendre de voir l’allure de mon patron le lendemain. Ou alors, je pourrais juste me contenter de m’asseoir dans les buissons et pomper la pompe à main jusqu’à ce que le circuit d’eau soit en surpression à huit bars. Ainsi, quand quelqu’un irait tirer la chasse des toilettes, le réservoir de la cuvette exploserait. À onze bars, si quelqu’un ouvre le robinet de douche, la pression d’eau fait sauter la pomme, arrache le filetage, vlan, et la pomme de douche se transforme en obus de mortier.

Tyler dit cela uniquement pour me remonter le moral. La vérité est que j’aime mon patron. Qui plus est, j’ai été touché par la lumière, je sais, maintenant. Vous comprenez, comportement style Bouddha, uniquement. Chrysanthèmes du Japon. Le Sutra du Diamant et le Blue Cliff Record. Hari Rama, vous comprenez, Krishna, Krishna. Vous comprenez. Touché par la lumière.

— C’est pas parce que tu te colles des plumes dans le croupion, dit Tyler, que ça fait de toi un poulet.

À mesure que le gras fondra, le suif va surnager à la surface de l’eau en ébullition.

Oh, dis-je, ainsi donc, je me colle des plumes dans le croupion.

Comme si Tyler ici présent avec son défilé de brûlures de cigarette qui lui remontent les bras était une âme tellement évoluée... M’sieur et m’dame Torche-Cul Humain. Je recompose mon visage et me transforme en un de ces moutons d’hindous qui partent comme des veaux à l’abattoir sur la fiche de la compagnie aérienne qui détaille la procédure d’évacuation d’urgence.

Baisser l’intensité de la flamme sous la casserole.

Je touille l’eau en ébullition.

De plus en plus de suif va remonter en surface jusqu’à ce que toute l’eau soit couverte d’une couche de nacre qui s’irise d’arc-en-ciel. Utiliser une grosse cuillère pour écumer ladite couche, que l’on dépose sur le côté.

— Alors, dis-je, comment va Maria ?

Tyler dit :

— Au moins Maria essaie d’atteindre le fond. Je touille l’eau en ébullition.

Continuer à écumer jusqu’à ce que le suif ne remonte plus en surface. Car c’est du suif qu’on écume sur l’eau. Du bon suif bien propre.

Tyler dit que je suis loin d’avoir atteint le fond, pour l’instant. Et si je ne dégringole pas complètement, je ne peux pas être sauvé. Jésus l’a fait avec son truc de crucifixion. Je ne devrais pas juste me contenter d’abandonner argent, possessions et savoir. Il ne s’agit pas d’une simple retraite de week-end. Je devrais fuir toute idée de progrès personnels, je devrais au contraire me précipiter au pas de course vers le désastre. Je ne peux plus me contenter de jouer le jeu sans prendre de risques.

Ceci n’est pas un séminaire.

— Si tu perds ton sang-froid avant d’avoir touché le fond, dit Tyler, tu ne réussiras jamais vraiment.

Ce n’est qu’après le désastre que nous pouvons ressusciter.

— Ce n’est qu’après avoir tout perdu, dit Tyler, qu’on est libre de faire ce que l’on veut.

Ce que je ressens est une illumination prématurée.

— Et continue à touiller, dit Tyler.

Lorsque le gras a suffisamment bouilli de sorte qu’il n’y a plus de suif qui remonte en surface, jeter l’eau bouillante. Laver la casserole et la remplir d’eau claire.

Je demande : est-ce que je suis près de toucher le fond ?

— Là où tu te trouves aujourd’hui, dit Tyler, tu ne peux même pas imaginer à quoi le fond ressemblera.

Répéter l’opération avec le suif écumé. Faire bouillir le suif dans l’eau. Écumer et continuer à écrémer.

— Le gras que nous utilisons contient beaucoup de sel, dit Tyler. Trop de sel, et ton savon ne se solidifiera pas.

Bouillir et écumer. Bouillir et écumer. Maria est de retour.

À la seconde où Maria ouvre la porte-moustiquaire, Tyler est parti, disparu, envolé, il a fui la pièce au pas de course.

Tyler est remonté à l’étage, ou Tyler est descendu au sous-sol.

Pouf.

Maria entre par la porte de derrière avec un bidon de soude en paillettes.

— Au magasin, ils ont du papier hygiénique cent pour cent recyclé, dit Maria. Ça doit être le pire des boulots sur cette terre que de recycler le papier hygiénique.

Je prends le bidon de soude et je le pose sur la table. Je ne dis pas un mot.

Je peux rester, cette nuit ? demande Maria. Je ne réponds pas. Je compte dans ma tête : cinq syllabes, sept, cinq.

Un tigre sourit

Un serpent dira qu’il t’aime

Mens, deviens le mal.

Maria dit :

— Qu’est-ce que tu fais cuire ? Je suis Joe le Point d’Ébullition.

Je dis : pars, contente-toi de partir, de sortir d’ici. Tu ne crois pas que tu possèdes déjà comme ça un assez gros morceau de ma vie ?

Maria m’agrippe la manche et me maintient en place une seconde, le temps qu’il lui faut pour m’embrasser sur la joue.

— S’il te plaît, appelle-moi, dit-elle. S’il te plaît. Il faut que nous parlions.

Je dis : ouais, ouais, ouais, ouais, ouais.

À l’instant où Maria passe la porte, Tyler réapparaît dans la pièce.

Aussi vif et rapide qu’un tour de magie. Mes parents ont fait ce même numéro de magie cinq années durant.

Je fais bouillir et j’écume pendant que Tyler fait de la place dans le frigo. La vapeur monte en strates dans l’air et l’eau dégoutte du plafond de la cuisine. L’ampoule de quarante watts cachée au fond du frigo, quelque chose de brillant que je n’arrive pas à voir derrière les bouteilles de ketchup vides et les pots de légumes en saumure ou de mayonnaise, quelque lumière minuscule venue de l’intérieur du frigo délimite le profil de Tyler d’un éclat tranché.

Bouillir et écumer. Bouillir et écumer. Mettre le suif écume dans des packs de lait dont on aura complètement ouvert le dessus.

Sur une chaise traînée jusque devant le frigo ouvert, Tyler surveille le refroidissement du suif. Dans la chaleur de la cuisine, des nuages de brouillard froid cascadent au sortir du bas du frigo pour s’amasser à l’entour des pieds de Tyler.

À mesure que je remplis les packs de lait, Tyler les place dans le frigo.

Je vais m’agenouiller à côté de Tyler devant le frigo, et Tyler me prend les mains pour me les montrer. La ligne de vie. La ligne d’amour. Les monts de Vénus et de Mars. Le brouillard froid qui s’amasse en flaque autour de nous, la lumière chiche qui brille sur nos visages.

— J’ai besoin que tu me rendes un autre service, dit Tyler.

C’est à propos de Maria, n’est-ce pas ?

— Ne lui parle surtout jamais de moi. Ne va pas parler de moi derrière mon dos. Tu me promets ? dit Tyler.

Je promets. Tyler dit :

— Si jamais tu t’adresses à elle en faisant référence à moi, tu ne me reverras jamais.

Je promets.

— Promis ? Je promets. Tyler dit :

— Et maintenant, souviens-toi, tu as promis par trois fois.

Une couche de matière épaisse et claire se rassemble sur le dessus du suif dans le frigo. Le suif, dis-je, est en train de se séparer.

— Ne t’en fais pas, dit Tyler. La couche claire, c’est de la glycérine. Tu peux remélanger la glycérine quand tu fabriques du savon. Ou alors, tu peux ôter la glycérine en l’écumant.

Tyler se passe la langue sur les lèvres, et retourne mes mains paumes en bas sur sa cuisse, sur le pan de flanelle gluante de son peignoir de bain.

— Tu peux mélanger la glycérine à l’acide nitrique pour fabriquer de la nitroglycérine, dit Tyler.

Je respire bouche ouverte et je dis : nitroglycérine.

Tyler se passe la langue sur les lèvres, il les mouille, elles brillent, et il dépose un baiser sur le dos de ma main.

— Tu peux mélanger la nitroglycérine à du nitrate de sodium et de la sciure pour faire de la dynamite, dit Tyler.

Son baiser brille de mouillure sur le dos de ma main blanche.

— De la dynamite, dis-je, et je me rassieds sur les talons.


Tyler dégage le couvercle du bidon de soude.

— Tu peux faire sauter des ponts, dit Tyler.

« Tu peux mélanger la nitroglycérine avec plus d’acide nitrique et de paraffine et fabriquer des explosifs modelables, dit Tyler.

« Tu pourrais faire sauter un immeuble, facile, dit Tyler.

Tyler incline le bidon de lessive au-dessus du baiser mouillé et brillant sur le dos de ma main.

— Ça, c’est une brûlure chimique, dit Tyler, elle te brûlera bien pis que tu n’as jamais été brûlé. Pire que cent cigarettes.

Le baiser brille sur le dos de ma main.

— Tu auras une cicatrice, dit Tyler.

« Avec suffisamment de savon, dit Tyler, tu pourrais faire sauter le monde entier. Et maintenant n’oublie pas ta promesse.

Et Tyler verse la soude caustique.


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