CHAPITRE 24
De son nom, il s’appelle Robert Paulson et il a quarante-huit ans. Il s’appelle Robert Paulson, et Robert Paulson aura quarante-huit ans, pour l’éternité.
Sur une échelle temporelle suffisamment longue, le taux de survie de tout un chacun retombe à zéro.
Gros Bob.
Le gros pain tout mou. On avait affecté le gros tas à un travail personnel réglementaire, geler-au-foret. C’est ainsi que Tyler est entré dans mon appart pour le faire sauter à la dynamite fabrication maison. Vous prenez une bombe de réfrigérant, R-12 si vous pouvez encore vous en procurer, à cause du trou dans l’ozone et tout le tremblement, ou R-134a, et vous la faites gicler dans le barillet de la serrure jusqu’à ce que tout soit gelé.
Lors d’une mission geler-au-foret, vous aspergez le verrou d’un téléphone payant ou d’un parcmètre ou d’une boîte à journaux. Ensuite vous prenez un marteau et un ciseau à froid pour faire voler le barillet en éclats.
Lors d’une mission geler-au-foret réglementaire, vous percez à la chignole le téléphone ou le distributeur de billets, ensuite vous vissez un tube dans le trou et vous utilisez un pistolet à graisse pour injecter à votre cible son content de graisse à roulements ou de pudding à la vanille ou de ciment.
Ce n’est pas que le Projet Chaos avait besoin de voler quelques poignées de menue monnaie. La Compagnie de Savon de Paper Street était en retard sur ses carnets de commande. Dieu nous vienne en aide quand arriveraient les vacances. Les devoirs maison consistaient à vous fabriquer du cran. Vous avez besoin de ruse. Construisez votre propre investissement dans le Projet Chaos.
Au lieu d’un ciseau à froid, vous pouvez utiliser une perceuse électrique sur le barillet gelé. Ça marche aussi bien et ça fait moins de bruit.
Il s’agissait d’une perceuse électrique sans fil que la police a prise pour une arme quand ils ont fait sauter le caisson à Gros Bob.
Il n’y avait rien qui pouvait rattacher Gros Bob au Projet Chaos ou au fight club ou au savon.
Dans sa poche se trouvait une photo format portefeuille de lui-même, énorme et nu au premier abord, en mini-slip de compet’ lors d’un quelconque concours. C’est une façon de vivre stupide, disait Bob. On est aveuglé par les projecteurs de la scène, sourd du grondement en retour de la sono jusqu’à ce que le juge ordonne : étendez le quadri droit, gonflez et tenez.
Mettez les mains là où nous pouvons les voir.
Étendez le bras gauche, gonflez le biceps et tenez.
Ne bougez plus.
Laissez tomber votre arme.
C’était mieux que la vraie vie.
Sur sa main se trouvait la cicatrice de mon baiser. Du baiser de Tyler. La chevelure sculptée de Gros Bob avait été rasée et ses empreintes brûlées à la soude caustique. Et il valait mieux avoir mal que d’être arrêté parce que si vous étiez arrêté, plus question de Projet Chaos, finies les missions devoirs maison, travail personnel.
Une minute durant, Robert Paulson fut le centre chaud autour duquel le monde était venu s’amasser en foule, et l’instant suivant, Robert Paulson n’était plus qu’un objet. Après les tirs de la police, le stupéfiant miracle de la mort.
Dans chaque fight club, le chef du chapitre marche dans l’obscurité à l’extérieur du cercle d’hommes assemblés-là qui se dévisagent de part et d’autre du centre vide de chaque sous-sol de fight club, et cette voix hurle :
— Son nom est Robert Paulson. Et la foule hurle :
— Son nom est Robert Paulson. Le chef hurle :
— Il a quarante-huit ans. Et la foule hurle :
— Il a quarante-huit ans.
Il a quarante-huit ans, et il était partie prenante du fight club.
Il a quarante-huit ans, et il était partie prenante du Projet Chaos.
Ce n’est que dans la mort que nous recevrons nos noms véritables puisque ce n’est que dans la mort que nous ne sommes plus partie prenante de l’effort. Dans la mort nous devenons des héros.
Et les foules hurlent :
— Robert Paulson. Et les foules hurlent :
— Robert Paulson. Et les foules hurlent :
— Robert Paulson.
Je vais au fight club tous les soirs pour le fermer. Je me place dans l’unique lumière au centre de la pièce, et le club acclame. Pour tous ici, je suis Tyler Durden. Intelligent. Convaincant. Des tripes à revendre. Je lève les mains pour obtenir le silence, et je suggère : pourquoi n’en resterions-nous pas tout bonnement là ? Rentrez chez vous, ce soir, et oubliez le fight club.
Je crois que le fight club a accompli son office, ne pensez-vous pas ?
Le Projet Chaos est annulé.
J’entends qu’il y a un bon match de football à la télévision...
Cent hommes me fixent de tous leurs yeux, c’est tout.
Un homme est mort, dis-je. La partie est finie. On ne joue plus pour le plaisir.
Alors, sortant des ténèbres à l’extérieur de la foule, arrive la voix anonyme du chef de chapitre.
— La première règle du fight club est : il est interdit de parler du fight club.
Je hurle : rentre chez toi !
— La deuxième règle du fight club est : il est interdit de parler du fight club.
Le fight club est annulé. Le Projet Chaos est annulé.
— La troisième règle est : deux mecs seulement par combat.
Je suis Tyler Durden, je hurle. Et je vous ordonne de sortir !
Et personne ne me regarde. Les hommes se contentent de se dévisager de part et d’autre du centre de la pièce.
La voix du chef de chapitre fait lentement le tour de la salle. Deux hommes par combat. Pas de chemise. Pas de chaussures.
Le combat se poursuit, encore et encore, aussi longtemps qu’il doit se poursuivre.
Imaginez la même chose se produisant dans une centaine de villes, dans une demi-douzaine de langues différentes.
Les règles ont pris fin, et je suis toujours debout dans le cercle de lumière.
— Combat enregistré numéro un, prenez place hurla la voix sortant des ténèbres. Dégagez le centre du club.
Je ne bouge pas.
— Dégagez le centre du club ! Je ne bouge pas.
L’unique lumière se réfléchit au sortir des ténèbres dans cent paires d’yeux, tous focalisés sur moi, en attente. J’essaie de voir chaque homme à la manière dont le verrait Tyler. Choisir les meilleurs combattants pour l’entraînement au Projet Chaos. Lesquels Tyler inviterait-il à travailler à la Compagnie de Savon de Paper Street ?
— Dégagez le centre du club !
Il s’agit là d’une procédure établie au fight club. À l’issue de trois demandes de la part du chef de chapitre, je serai éjecté du club.
Mais je suis Tyler Durden. J’ai inventé le fight club. Le fight club est mien. J’ai rédigé ces règles. Aucun de vous ne serait ici si je n’existais pas. Et je dis : arrêtez !
— Préparez-vous à expulser le membre du club dans trois, deux, un...
Le cercle vient s’abattre sur moi, et deux cents mains se verrouillent sur chaque centimètre de mes bras et jambes et on me soulève le corps en croix vers la lumière.
Préparez-vous à évacuer l’âme dans cinq, quatre, trois, deux, un...
Et on me fait passer par-dessus les têtes, de mains à mains, à surfer sur la foule en direction de la porte. Je flotte. Je vole.
Je hurle : le fight club est mien. Le Projet Chaos était mon idée. Vous ne pouvez pas me jeter dehors. C’est moi qui suis aux commandes ici. Rentrez chez vous.
La voix du chef de chapitre hurle : « Combat enregistré numéro un, prenez place au centre de la salle s’il vous plaît. Maintenant ! »
Je ne pars pas. Je n’abandonne pas. Je suis capable de combattre ça. C’est moi qui suis aux commandes ici.
— Expulsion du membre du fight club. Maintenant !
Évacuez l’âme, maintenant.
Et je vole lentement par la porte au cœur de la nuit sous les étoiles en surplomb dans l’air froid, et j’atterris sur le béton du parc de stationnement. Toutes les mains battent en retraite, et une porte se ferme derrière moi, et un pêne la verrouille. Dans cent villes, les fight clubs continuent sans moi.