CHAPITRE 17


Mon patron apporte une nouvelle feuille de papier jusqu’à mon bureau et la dépose à mon coude. Je ne porte même plus de cravate. Mon patron porte sa cravate bleue, donc ça doit être un jeudi. La porte du bureau de mon patron est toujours fermée maintenant, et nous n’avons pas échangé plus de deux paroles par jour depuis qu’il a découvert les règles du fight club dans la photocopieuse et que j’ai peut-être sous-entendu que je serais susceptible de l’étriper d’une décharge de fusil. Encore moi qui refais le clown, une nouvelle fois.

Ou alors, je pourrais appeler les gens des litiges au ministère des Transports. Il y a un berceau de montage de siège avant qui n’a jamais satisfait aux tests de collision avant de passer en production.

Quand on sait où chercher, il y a des cadavres enterrés partout.

Bonjour, je dis.

Il dit :

— Bonjour.

Posé au niveau de mon coude se trouve un autre document secret important à-moi-seul-réservé que Tyler voulait que je tape et que je photocopie. Il y a une semaine de cela, Tyler déterminait les dimensions de la salle en arpentant le sous-sol de la maison de location de Paper Street. Soixante-cinq semelles de longueur et quarante de largeur. Tyler réfléchissait à haute voix. Tyler m’a demandé :

— Combien font six fois sept ? Quarante-deux.

— Et quarante-deux fois trois ? Cent vingt-six.

Tyler m’a donné une liste manuscrite de notes et m’a dit de la taper avant d’en faire soixante-douze copies.

Pourquoi autant ?

— Parce que, a dit Tyler, c’est le nombre de mecs qui peuvent dormir dans le sous-sol si nous les mettons sur des couchettes de l’armée sur trois niveaux.

J’ai demandé : et leurs affaires ? Tyler a dit :

— Ils n’apporteront rien de plus que ce qu’il y aura sur la liste, et le tout devrait tenir sous un matelas.

La liste que mon patron trouve dans la photocopieuse, le compteur de la machine encore réglé sur soixante-douze exemplaires, la liste dit : « Le fait d’apporter les articles exigés ne garantit pas l’admission à l’entraînement, mais aucune candidature ne sera prise en considération si le candidat n’est pas équipé des articles suivants et de très exactement cinq cents dollars en liquide pour couvrir les frais d’inhumation individuelle. »

Il en coûte au moins trois cents dollars pour incinérer la dépouille d’un indigent, m’a dit Tyler, et le prix augmentait. Quiconque meurt sans cette somme minimale d’argent, eh bien, son corps se trouve expédié dans une classe d’autopsie.

Cet argent doit toujours être transporté dans la chaussure de l’étudiant de sorte que si l’étudiant est tué, sa mort ne sera pas un fardeau pour le Projet Chaos.

En outre, le candidat doit se présenter muni des articles suivants :

Deux chemises noires.

Deux pantalons noirs.

Une paire de grosses chaussures noires solides. Deux paires de chaussettes noires et deux ensembles de sous-vêtements sans signe distinctif. Un gros manteau noir.

Ceci inclut les vêtements que le candidat porte sur le dos.

Une serviette blanche.

Un matelas des surplus de l’armée.

Un saladier en plastique blanc.

À mon bureau, avec mon patron toujours debout à côté de moi, je prends la liste originale et je lui dis merci. Mon patron entre dans son bureau, et je me prépare au travail, un jeu de solitaire avec l’ordinateur.

Après le travail, je donne les copies à Tyler, et les jours passent. Je vais travailler.

Je rentre à la maison.

Je vais travailler.

Je rentre à la maison, et il y a un mec posté sur notre perron. Le mec est devant la porte d’entrée avec sa seconde chemise noire et son second pantalon dans un sac en papier marron et il a au moins les trois derniers articles, une serviette blanche, un matelas des surplus de l’armée et un saladier en plastique, posés sur la rambarde du perron. D’une fenêtre de l’étage, Tyler et moi reluquons le mec, et Tyler me dit de renvoyer le gars.

— Il est trop jeune, dit Tyler.

Le mec du perron est m’sieur face d’ange que j’ai essayé de détruire le soir où Tyler a inventé le Projet Chaos. Même avec ses deux yeux au beurre noir et sa brosse blonde et courte, on voit bien que ce joli petit dur boudeur n’a pas de rides ni de cicatrices. Mettez-le dans une robe et faites-le sourire, et ce sera une femme. M’sieur face d’ange est juste là, debout, les orteils au ras de la porte d’entrée, il se contente de regarder droit devant au creux du bois crevassé, les mains le long du corps, avec chaussures noires, chemise noire, pantalon noir.

— Débarrasse-toi de lui, me dit Tyler. Il est trop jeune.

Je demande : c’est quoi l’âge pour être trop jeune ?

— Peu importe, dit Tyler. Si le candidat est jeune, nous lui disons qu’il est trop jeune. S’il est gras, il est trop gras. S’il est vieux, il est trop vieux. Mince, il est trop mince. Blanc, il est trop blanc. Noir, il est trop noir.

C’est ainsi que les temples bouddhistes testent leurs candidats et ce, depuis des millions de milliards d’années, dit Tyler. Tu dis au candidat de s’en aller, et si sa résolution est assez forte pour attendre à l’entrée sans nourriture ni abri ni encouragement trois jours durant, alors, alors seulement il peut entrer et commencer sa formation.

Donc je dis à m’sieur face d’ange qu’il est trop jeune, mais à l’heure du déjeuner, il est toujours là. Après déjeuner, je sors et je frappe l’angelot à coups de balai et je lui balance son sac dans la rue d’un coup de pied. Depuis son étage, Tyler m’observe qui colle un coup de batte-balai dans la tête du gamin comme si c’était une balle, le gamin qui se tient là, debout, sans rien, et ensuite je lui chasse ses affaires dans le ruisseau d’un coup de pied et je hurle.

Va-t’en, suis-je en train de hurler. Tu n’as donc pas entendu ? Tu es trop jeune. Tu n’y arriveras jamais, je hurle. Reviens dans deux ans et repose ta candidature. Pars, un point c’est tout. Mais quitte mon perron.

Le lendemain, le mec est toujours là, et Tyler sort pour y aller de son :

— Je suis désolé.

Tyler dit qu’il est désolé d’avoir parlé de la formation au mec, mais le mec est véritablement trop jeune, et voudrait-il bien tout simplement partir.

Bon flic. Méchant flic.

Je hurle à la figure du pauvre mec, à nouveau. Puis, six heures plus tard, Tyler sort et dit qu’il est désolé, mais non. Le mec doit s’en aller. Tyler dit qu’il va appeler la police si le mec refuse de partir. Et le mec reste.

Et ses vêtements sont toujours dans le ruisseau. Le vent emporte le sac en papier déchiré. Et le mec reste.

Le troisième jour, un autre candidat est devant la porte d’entrée. M’sieur face d’ange est toujours là, et Tyler descend et dit simplement à l’angelot :

— Entre. Récupère tes affaires dans la rue et entre.

Au nouveau mec, Tyler dit : il est désolé mais il y a eu une erreur. Le nouveau mec est trop âgé pour se former ici, voudrait-il bien s’en aller...

Je vais travailler tous les jours. Je rentre à la maison, et tous les jours, il y a un ou deux mecs qui attendent sur le perron. Ces nouveaux mecs ne se croisent jamais du regard. Je ferme la porte et je les laisse sur le perron. La même chose se reproduit tous les jours, pendant un moment, et parfois, il arrive que les candidats s’en aillent, mais la plupart du temps, les candidats tiennent bon jusqu’au troisième jour, jusqu’à ce que la plus grande part des soixante-douze couchettes que Tyler et moi avons achetées et installées dans le sous-sol soient pleines.

Un jour, Tyler me donne cinq cents dollars en liquide et il me dit de garder l’argent dans ma chaussure tout le temps. L’argent de mes funérailles personnelles. Il s’agit là d’un autre vieux truc de monastère bouddhiste.

Je rentre du travail maintenant, et la maison est pleine d’inconnus que Tyler a acceptés. Et tous occupés à travailler. Tout le rez-de-chaussée est transformé en cuisine et fabrique de savon. La salle de bains n’est jamais vide. Des équipes d’hommes disparaissent quelques jours durant et reviennent chargés de sacs en caoutchouc rouge pleins de gras peu épais, aqueux.

Un soir, Tyler monte à l’étage pour me trouver caché dans ma chambre et il dit :

— Ne les embête pas. Ils savent tous ce qu’ils doivent faire. Ça fait partie du Projet Chaos. Aucun mec pris seul ne comprend le plan dans son intégralité, mais chaque mec est formé pour accomplir une tâche simple à la perfection.

La cinquième règle du Projet Chaos est qu’il faut faire confiance à Tyler.

Ensuite Tyler a disparu.

Des équipes du Projet Chaos font fondre le gras du matin au soir. Je ne dors pas. Toute la nuit j’entends d’autres équipes qui mélangent la soude caustique et coupent les barres et cuisent les pains de savon sur du papier sulfurisé avant de les envelopper individuellement dans du papier qu’ils scellent d’une étiquette Compagnie de Savon de Paper Street. Tout le monde, moi excepté, semble savoir ce qu’il faut faire, et Tyler n’est jamais à la maison.

Je me colle contre les murs, souris que je suis, prise au piège de cette mécanique de précision d’hommes silencieux à l’énergie de singes savants, occupés à cuire, travailler et dormir par équipes, à tour de rôle. Tirer un levier. Appuyer sur un bouton. Une équipe de singes de l’espace cuisine des repas toute la journée, et toute la journée, des équipes de singes de l’espace mangent dans les saladiers en plastique qu’ils ont apportés.

Un matin, je pars au travail et Gros Bob est là, sur le perron, portant chaussures noires, chemise noire et pantalon. Je demande : a-t-il vu Tyler récemment ? Est-ce Tyler qui l’a envoyé là ?

— La première règle du Projet Chaos, dit Gros Bob, talons serrés, le dos droit comme un i, est qu’on ne pose pas de questions sur le Projet Chaos.

Alors, quel petit honneur insigne et stupide Tyler lui a-t-il attribué ? je lui demande. Il y a des mecs dont le boulot se limite à cuire du riz toute la journée ou à laver les saladiers ou à nettoyer les chiottes. Toute la journée. Tyler a-t-il promis la lumière à Gros Bob si celui-ci passait seize heures par jour à envelopper des pains de savon ?

Gros Bob ne dit rien.

Je pars au travail. Je reviens à la maison, et Gros Bob est toujours sur le perron. Je ne dors pas de la nuit, et le lendemain matin, Gros Bob s’occupe du jardin.

Avant que je parte au travail, je demande à Gros Bob qui l’a laissé entrer. Qui lui a assigné cette tâche. A-t-il vu Tyler ? Tyler était-il là la nuit dernière ?

Gros Bob dit :

— La première règle du Projet Chaos est qu’on ne parle pas...

Je l’interromps. Je dis ouais. Ouais, ouais, ouais, ouais, ouais.

Et pendant que je suis au boulot, des équipes de singes de l’espace bêchent la pelouse boueuse autour de la maison et amendent la terre à la magnésie pour en abaisser l’acidité, et y mélangent des cargaisons de fumier frais sorti des corrals à bestiaux, des sacs de cheveux récupérés chez les coiffeurs pour faire battre en retraite souris et taupes en augmentant le taux de protéines du sol.

À n’importe quelle heure de la nuit, des singes de l’espace de retour de quelque abattoir reviennent à la maison chargés de sacs de sang pour augmenter le taux de fer du sol et d’os concassés pour en augmenter le phosphore.

Des équipes de singes de l’espace plantent basilic, thym et laitue ainsi que des pousses d’hamamélis, d’eucalyptus, de seringa et de menthe en motifs de kaléidoscope. Une fenêtre de rose dans chaque tonalité de vert. Et d’autres équipes sortent la nuit et tuent limaces et escargots à la lumière de la chandelle. Une autre équipe de singes de l’espace cueille les feuilles et les baies de genévrier les plus parfaites afin de fabriquer une teinture naturelle par ébullition. La bourrache parce que c’est un désinfectant naturel. Les feuilles de violette parce qu’elles guérissent les maux de tête et l’aspérule parce qu’elle donne au savon un parfum d’herbe coupée.

Dans la cuisine se trouvent des bouteilles de vodka à 40° destinées à fabriquer le savon translucide rose géranium, le savon au sucre brun et le savon au patchouli, et je vole une bouteille de vodka et je dépense l’argent de mes funérailles en cigarettes. Maria débarque. Nous parlons des plantes. Maria et moi arpentons les allées de gravier ratissé à travers les motifs verts en kaléidoscope du jardin, à boire et à fumer. Nous parlons des seins de Maria. Nous parlons de tout sauf de Tyler Durden.

Et un jour, c’est dans le journal, comment une équipe d’hommes en noir a fondu sur un quartier chic et un magasin d’automobiles de luxe pour fracasser à la batte de base-ball les pare-chocs avant des voitures de manière à faire exploser les airbags à l’intérieur de l’habitacle en nuages poudreux avec les alarmes hurlantes.

À la Compagnie de Savon de Paper Street, d’autres équipes ramassent les pétales de rose ou d’anémone ou de lavande et entassent les fleurs dans des caisses garnies de suif pur qui viendra absorber leur parfum afin de fabriquer du savon au parfum fleuri.

Maria me parle des plantes.

La rose, me dit Maria, est un astringent naturel.

Certaines parmi les plantes ont des noms de notice nécrologique : iris, basilic, rue, romarin et verveine. D’autres, comme la reine-des-prés et la primevère, le doux-drapeau, nom de l’iris sauvage, et le nard, ressemblent aux noms des fées de Shakespeare. La langue-de-daim et son arôme sucré de vanille. L’hamamélis, un autre astringent naturel.

La racine d’iris espagnol sauvage.

Tous les soirs, Maria et moi nous promenons dans le jardin jusqu’à ce que je sois sûr que Tyler ne reviendra pas à la maison ce soir-là. Juste sur nos talons, un singe de l’espace nous file pour ramasser un brin de mélisse, de rue ou de menthe que Maria écrase sous mon nez. Un mégot de cigarette abandonné. Le singe de l’espace ratisse l’allée derrière lui pour effacer toute trace de notre passage.

Et un soir, dans un jardin public de quartier résidentiel, un autre groupe d’hommes a versé de l’essence autour de chaque tronc, d’arbre en arbre, pour allumer un petit incendie de forêt parfait. C’était dans le journal, comment les fenêtres des maisons de ville de l’autre côté de la rue ont fondu sous la chaleur des flammes, comment les voitures garées ont pété pour se retrouver les pneus à plat complètement fondus.

La maison de location de Tyler sur Paper Street est un organisme vivant tout humide à l’intérieur, à cause de la sueur et de l’haleine d’un aussi grand nombre de personnes y séjournant. Un si grand nombre de personnes y bougent et s’y déplacent que la maison bouge et se déplace.

Un autre soir où Tyler n’était pas rentré à la maison, quelqu’un forait à la perceuse distributeurs bancaires et téléphones publics avant de visser dans les trous des embouts à lubrifiant et d’injecter au pistolet à graisse à l’intérieur desdites machines de la graisse à roulements ou du pudding à la vanille.

Et Tyler n’était jamais à la maison, mais au bout d’un mois, quelques-uns des singes de l’espace se sont mis à arborer sur le dos de la main la brûlure du baiser de Tyler. Puis ces singes de l’espace ont disparu, eux aussi, pour se voir remplacés par de nouveaux spécimens sur le perron. Et tous les jours, les équipes d’hommes allaient et venaient dans des voitures différentes. On ne voyait jamais la même voiture deux fois de suite. Un soir, j’entends Maria sur le perron, en train de dire à un singe de l’espace :

— Je suis ici pour voir Tyler. Tyler Durden. Il habite ici. Je suis son amie.

Le singe de l’espace dit :

— Je suis désolé, mais vous êtes trop... (et il s’interrompt)...vous êtes trop jeune pour vous entraîner ici.

Maria dit :

— Va te faire mettre.

— En outre, dit le singe de l’espace, vous n’avez pas apporté les articles requis : deux chemises noires, deux pantalons noirs...

Maria hurle :

— Tyler !

— Une paire de grosses chaussures noires.

— Tyler !

— Deux paires de chaussettes noires et deux ensembles de sous-vêtements sans signe distinctif.

— Tyler !

Et j’entends la porte d’entrée qui se referme dans un claquement. Maria n’attend pas les trois jours.

La plupart du temps, après le travail, je reviens à la maison et je me prépare un sandwich au beurre de cacahuète.

Lorsque je reviens à la maison, un singe de l’espace est en train de lire à l’adresse des singes de l’espace assemblés, assis devant lui, couvrant tout l’espace du rez-de-chaussée. Le singe de l’espace poursuit :

— Notre culture a fait de nous des individus absolument identiques. Personne n’est plus véritablement blanc ou noir ou riche. Nous voulons tous la même chose. Individuellement, nous ne sommes rien.

Le lecteur s’interrompt lorsque j’entre pour me préparer mon sandwich, et tous les singes de l’espace restent assis silencieux, à croire que je suis seul. Je dis : ne vous en faites pas, je l’ai déjà lu. C’est moi qui l’ai tapé.

Même mon patron l’a probablement lu.

Nous ne sommes tous qu’un gros tas de merde, je dis. Allez-y, continuez. Jouez votre petit jeu. Ne faites pas attention à moi.

Les singes de l’espace attendent en silence tandis que je prépare mon sandwich et me prends une nouvelle bouteille de vodka avant de remonter l’escalier. Derrière moi, j’entends :

— Vous n’êtes pas un beau flocon de neige unique.

Je suis le Joe Cœur Brisé parce que Tyler m’a largué. Parce que mon père m’a largué. Oh, je pourrais continuer longtemps, encore et encore.

Certains soirs, après le travail, je me rends jusqu’à un fight club différent dans le sous-sol d’un bar ou d’un garage, et je demande si quelqu’un a vu Tyler Durden.

Dans chaque nouveau fight club, quelqu’un que je n’ai jamais rencontré se tient sous l’unique lampe au centre des ténèbres, entouré d’hommes, et il lit les mots de Tyler.

La première règle du fight club est : il est interdit de parler du fight club.

Quand le combat a commencé, je prends le chef du club à part et je lui demande s’il a vu Tyler. Je vis avec Tyler, je dis, et il n’est pas rentré à la maison depuis un moment.

Les yeux du mec s’écarquillent et il demande : est-ce que je connais vraiment Tyler Durden ?

Cela se produit dans la plupart des nouveaux fight club. Oui, je dis, je suis pote avec Tyler. Alors, tout le monde tout d’un coup veut me serrer la main.

Ces nouveaux mecs ont le regard rivé au trou de balle que je porte à la joue et à la peau noire de mon visage, jaune et verte en périphérie, et ils m’appellent monsieur. Non, monsieur. Y a peu de chances, monsieur. Personne de leur connaissance n’a jamais rencontré Tyler Durden. Des amis d’amis ont rencontré Tyler Durden, et ils ont fondé ce chapitre de fight club, monsieur.

Puis ils m’adressent un clin d’œil.

Personne de leur connaissance n’a jamais vu Tyler Durden.

Monsieur.

Est-ce que c’est vrai ? tout le monde demande. Tyler Durden est-il en train de bâtir une armée ? C’est le bruit qui court. Est-ce que Tyler ne dort qu’une heure par nuit ? La rumeur dit que Tyler a pris la route et ouvre des fight clubs à travers tout le pays. Que fera-t-il ensuite, voilà ce que tout le monde veut savoir.

Les réunions du Projet Chaos se sont déplacées vers des sous-sols plus vastes parce que chaque comité — Incendie volontaire, Agression, Malfaisance et Désinformation – augmente en nombre à mesure qu’augmente le nombre de mecs diplômés du fight club. Chaque comité a un chef, et même les chefs ne savent pas où Tyler se trouve. Tyler les appelle chaque semaine au téléphone.

Tous les participants du Projet Chaos veulent savoir ce qui vient ensuite.

Où allons-nous ?

Qu’y a-t-il à espérer ?

Sur Paper Street, Maria et moi traversons le jardin la nuit, pieds nus, et à chacun de nos pas, à chacun de nos frôlements, se lèvent des parfums de sauge, de verveine citron et de géranium. Chemises noires et pantalons noirs se tapissent autour de nous avec leurs chandelles, soulevant les feuilles des plantes pour tuer une limace ou un escargot. Maria demande : mais qu’est-ce qui se passe ici ?

Des touffes de cheveux font surface à côté des mottes de terre. Cheveux et merde. Nourriture d’os et nourriture de sang. Les plantes croissent plus vite que les singes de l’espace ne peuvent les couper.

Maria demande :

— Qu’est-ce que tu vas faire ?

Qu’est-ce qui se raconte ?

Dans le sol brille un éclat d’or, et je m’agenouille pour voir. Ce qui va se passer ensuite, je ne sais pas, je dis à Maria.

Tout laisse à croire qu’on nous a largués comme deux vieilles chaussettes, elle et moi.

Du coin de l’œil, je vois les singes de l’espace qui arpentent le terrain vêtus de noir, chacun d’eux penché sur sa chandelle. La petite trace d’or dans la terre est une molaire avec un plombage en or. Tout à côté, deux autres molaires font surface, garnies d’un amalgame en argent. C’est une mâchoire. Je dis : non, je ne peux pas dire ce qui va arriver. Et je repousse une, deux, trois molaires dans la terre, les cheveux, la merde, les os, le sang, là où Maria ne les verra pas.


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