CHAPITRE 21
Vous vous réveillez à Sky Harbor International.
Reculez votre montre de deux heures.
La navette m’emmène au centre-ville de Phœnix et dans chaque bar où je mets les pieds, il y a des mecs avec des points de suture à l’arcade sourcilière là où un bon pain leur a empilonné la viande de la figure contre ses arêtes tranchantes. Il y a des mecs au nez de travers, et ces mecs au comptoir me voient avec mon trou en cul de poule dans la joue, et instantanément, nous sommes une grande famille.
Il y a un moment que Tyler n’est pas rentré à la maison. Je fais mon petit boulot. Je vais d’aéroport en aéroport et j’inspecte les voitures dans lesquelles des gens ont trouvé la mort. La magie du voyage. Vie minuscule. Savons minuscules. Sièges d’avion minuscules.
Partout où je voyage, je demande après Tyler.
Au cas où je le trouverais, les permis de conduire de mes douze sacrifices humains sont dans ma poche.
Dans tous les bars où je mets les pieds, dans chaque putain de bar, je vois des mecs tabassés. Chaque bar, et ils me passent le bras autour des épaules et ils veulent m’offrir une bière. C’est comme si je savais par avance quels bars sont les bars des fight clubs.
Je demande : avez-vous vu un mec du nom de Tyler Durden ?
C’est stupide de poser une telle question s’ils sont au courant des fight clubs.
La première règle est qu’il est interdit de parler du fight club.
Mais est-ce qu’ils ont vu Tyler Durden ?
Ils disent : jamais entendu parler de lui, monsieur.
Mais vous pourriez peut-être le trouver à Chicago, monsieur.
Ça doit être le trou dans ma joue, tout le monde m’appelle monsieur.
Avec un clin d’œil.
Vous vous réveillez à O’Hare et vous prenez la navette pour Chicago.
Avancez votre montre d’une heure.
Si vous pouvez vous réveiller dans un lieu différent.
Si vous pouvez vous réveiller à une époque différente.
Comment se fait-il que vous ne puissiez vous réveiller vous-même différent ?
À chaque bar où vous mettez les pieds, des mecs. Eh non, monsieur, ils n’ont jamais rencontré ce Tyler Durden.
Et ils font un clin d’œil.
Ils n’ont jamais entendu le nom auparavant. Monsieur.
Je me renseigne sur le fight club. Y a-t-il un fight club dans le coin, ce soir ? Non, monsieur.
La deuxième règle du fight club est qu’il est interdit de parler du fight club.
Les mecs marqués de coups au comptoir secouent la tête.
Jamais entendu parler, monsieur. Mais vous pourriez peut-être trouver ce fight club qui vous intéresse à Seattle, monsieur.
Vous vous réveillez à Meigs Field et vous appelez Maria pour voir ce qui se passe à Paper Street. Maria dit que maintenant tous les singes de l’espace se rasent le crâne. Leur rasoir électrique chauffe et alors maintenant toute la maison sent le cheveu roussi. Les singes de l’espace se servent de soude caustique pour brûler leurs empreintes digitales.
Vous vous réveillez à Sea Tac.
Reculez votre montre de deux heures.
La navette vous emmène au centre-ville de Seattle et dans le premier bar où vous mettez les pieds, le barman porte une minerve qui lui rejette la tête tellement en arrière qu’il est obligé de regarder dans l’axe de l’aubergine écrabouillée violine qui lui sert de nez pour vous sourire de toutes ses dents.
Le bar est vide, et le barman dit :
— Heureux de vous revoir, monsieur.
Je ne suis jamais venu dans ce bar, jamais, jamais, avant aujourd’hui.
Je demande s’il connaît le nom de Tyler Durden.
Le barman sourit de toutes ses dents, le menton en corniche sur le bord de la minerve blanche, et demande :
— C’est un test ?
Ouais, je dis, c’est un test. A-t-il déjà rencontré Tyler Durden ?
— Vous vous êtes arrêté ici la semaine dernière, monsieur Durden, dit-il. Vous ne vous souvenez pas ?
Tyler était ici.
— Vous étiez ici, monsieur.
Je ne suis jamais venu ici avant ce soir.
— Si vous le dites, monsieur, dit le barman, mais jeudi soir, vous êtes venu demander dans combien de temps la police envisageait de nous fermer.
La nuit de jeudi dernier, je suis resté éveillé toute la nuit, je souffrais d’insomnie et je me demandais : est-ce que j’étais éveillé, est-ce que j’étais endormi ? Je me suis réveillé tard vendredi matin, complètement crevé, avec la sensation que pas un instant mes yeux ne s’étaient fermés.
— Oui, monsieur, dit le barman. Jeudi soir, vous vous teniez debout, là, exactement à l’endroit où vous êtes maintenant et vous me demandiez des informations sur le tour de vis de la police, et vous me demandiez combien de mecs nous avions dû refuser au fight club du mercredi soir.
Le barman tord épaules et cou en minerve pour regarder la salle vide et dit :
— Il n’y a personne pour entendre, monsieur Durden, monsieur. Nous avons refusé vingt-sept personnes hier soir. Le bar est toujours vide le lendemain du fight club.
Dans tous les bars où j’ai mis les pieds cette semaine, tout le monde m’a appelé monsieur.
Dans tous les bars où j’entre, les mecs tabassés du fight club commencent tous à se ressembler. Comment un inconnu peut-il savoir qui je suis ?
— Vous avez une marque de naissance, monsieur Durden, dit le barman. Sur le pied. Elle a la forme d’une Australie rouge foncé avec la Nouvelle-Zélande tout à côté.
Seule Maria sait cela. Maria et mon père. Même Tyler ne sait pas cela. Quand je vais à la plage, je m’assieds avec ce pied sous moi.
Le cancer que je n’ai pas est partout, maintenant.
— Tous les membres du Projet Chaos savent, monsieur Durden.
Le barman lève la main, le dos de la main tourné vers moi, un baiser brûlé en creux au dos de sa main. Mon baiser ? Le baiser de Tyler.
— Tout le monde est au courant de la marque de naissance, dit le barman. Ça fait partie de la légende. Vous devenez une putain de légende, mec.
J’appelle Maria de ma chambre de motel de Seattle pour lui demander si nous l’avons jamais fait.
Vous savez.
Sur l’interurbain, Maria dit :
— Quoi ?
Couché ensemble.
— Quoi !
Ai-je jamais, vous comprenez, eu des rapports sexuels avec elle ?
— Seigneur ! Eh bien ?
— Eh bien ? dit-elle.
Avons-nous jamais eu des rapports sexuels ?
— T’es vraiment un tas de merde. Avons-nous eu des rapports sexuels ?
— Je pourrais te tuer !
Est-ce que ça veut dire oui, ou non ?
— Je savais qu’une telle chose arriverait, dit Maria. T’es un tel débile. Tu m’aimes. Tu m’ignores. Tu me sauves la vie, et ensuite tu fais cuire ma mère pour la transformer en savon.
Je me pince.
Je demande à Maria comment nous nous sommes rencontrés.
— Dans ce truc du cancer des testicules, dit Maria. Ensuite tu m’as sauvé la vie.
Je lui ai sauvé la vie ?
— Tu m’as sauvé la vie. Tyler lui a sauvé la vie.
— Tu m’as sauvé la vie.
J’enfonce le doigt dans le trou que je porte à la joue et je l’agite en rond. Ce qui devrait suffire pour me coller une douleur de première et me réveiller.
Maria dit :
— Tu m’as sauvé la vie. Le Regent Hotel. J’ai accidentellement essayé de me suicider. Tu te souviens ?
Oh.
— Ce soir-là, dit Maria, j’ai dit que je voulais porter ton avortement.
Nous venons de perdre de la pressurisation en cabine.
Je demande à Maria quel est mon nom. Nous allons tous mourir. Maria dit :
— Tyler Durden. Tu t’appelles Tyler Cervelle en Torche-Cul Durden. Tu habites au 5123 NE Paper Street, qui est en ce moment tout grouillant de tes petits disciples qui se rasent le crâne et se brûlent la peau à la soude caustique.
Il faut absolument que je dorme un peu.
— Il faut que tu ramènes ton cul ici, hurle Maria au téléphone, avant que ces petits trolls ne me transforment en savon.
Il faut que je trouve Tyler. La cicatrice sur sa main, je demande à Maria, comment l’a-t-elle obtenue ?
— Toi, dit Maria. Tu m’as embrassé la main.
Il faut que je trouve Tyler.
Il faut que je dorme un peu.
Il faut que je dorme.
Il faut que je m’endorme.
Je dis bonsoir à Maria, et le hurlement de Maria se fait petit, plus petit, encore, encore, disparu, tandis que je tends le bras pour raccrocher le téléphone.