Lorsque Judex mit le pied sur le brick-goélette l’Aiglon, il n’avait rien perdu de son calme admirable… On eût dit qu’il n’éprouvait aucune espèce d’inquiétude de s’être livré ainsi sans défense à ses ennemis…
Persuadé que, grâce à son argumentation aussi logique que sensée, il avait convaincu Diana Monti de la nécessité pour elle de lui rendre Favraut et ne doutant pas un seul instant qu’il viendrait facilement à bout du banquier dont il ignorait d’ailleurs le prompt retour à la raison, Jacques de Trémeuse n’éprouvait donc aucune crainte non seulement au sujet de sa propre sécurité, mais encore sur le résultat du plan qu’il avait si audacieusement conçu et si énergiquement exécuté.
Et puis, n’était-il pas soutenu par la pensée de Jacqueline… par l’amour profond, immense, que l’adorable créature lui avait inspiré et que, désormais, il savait partagé?
Cet amour avait déjà accompli un miracle que longtemps il avait cru lui-même impossible.
Il avait attendri un cœur que l’on aurait pu croire à jamais fermé à tout autre sentiment qu’à celui de la vengeance.
Il avait désarmé Mme de Trémeuse au point de ressusciter en elle des sentiments de tendresse humaine et de charité chrétienne que la haine semblait avoir pour toujours étouffés…
Et Judex… dans l’ardeur d’une passion qui empruntait à son caractère façonné par une éducation spéciale une sorte de mysticisme d’un autre temps… et de chevalerie d’un autre âge, avait l’impression très nette qu’une puissance invisible et tutélaire accompagnait ses pas, veillait à tout instant sur lui et était prête à le protéger contre les atteintes de ses ennemis.
En ce moment, il n’était plus le justicier patient et secret qui s’entoure de toutes les précautions, a recours à toutes les ruses, et s’enveloppe de tous les voiles indispensables pour dissimuler son identité et favoriser son action… Il n’y avait plus qu’un apôtre de l’amour… qui ne veut devoir qu’à l’amour le triomphe de sa volonté… et le bonheur de sa vie.
Dès qu’il fut sur le pont, Diana Monti, tout en affectant une courtoise déférence qui prenait même par instants les allures d’un craintif respect, s’approcha de Judex et fit, en lui désignant l’amorce d’un escalier qui conduisait à l’intérieur du navire:
– Veuillez descendre dans cette cabine… et m’attendre un instant… Il est indispensable que je prépare Favraut à se trouver en votre présence et surtout que je le décide à vous accompagner. Cela sera difficile, très difficile même… Mais vous pouvez compter sur moi. Je tiens à vous le répéter, nous sommes entièrement d’accord, et plus je réfléchis, plus je me dis que vous avez trouvé la meilleure solution à cette affaire.
Et appelant le capitaine, qui, dans l’ombre, rôdait aux alentours, elle lui ordonna sur un ton qui prouvait qu’elle tenait à son entière merci l’interlope et singulier marin:
– Marteli, conduisez monsieur jusque chez moi.
Et elle ajouta:
– Ne donnez aucun ordre à personne… avant d’en avoir conféré avec moi.
Tandis que Judex, de plus en plus persuadé qu’il avait réussi dans sa négociation avec les bandits, suivait le patron du bord, l’aventurière rejoignait Moralès qui, costumé, lui aussi, en matelot, avait assisté, dissimulé à l’avant derrière un tas de cordages, à l’accostage du canot qui ramenait Diana Monti et… Jacques de Trémeuse.
Le fils du vieux Kerjean avait immédiatement reconnu Judex.
Quelle que fût sa surprise… il s’était bien gardé d’intervenir, car il redoutait autant l’autoritarisme de son impérieuse maîtresse, qu’il avait confiance dans les multiples ressources de son esprit infernal.
Cependant, il avait hâte d’avoir l’explication de cette nouvelle énigme… Et lorsqu’il vit Diana se diriger de son côté, il s’avança rapidement vers elle, demandant avec anxiété:
– Ah! ça, comment se fait-il?…
Mais il n’en dit pas davantage.
La misérable, tout de suite, l’interrompit en disant avec force:
– Tais-toi!
Puis, le saisissant par le bras, elle l’entraîna dans un coin isolé du pont et lui parla à voix basse.
Moralès, qui semblait plus que jamais l’esclave de la terrible femme, se contenta de scander les paroles de sa maîtresse de quelques signes de tête approbatifs… puis tous deux disparurent dans l’entrepont et s’en furent frapper à la porte de la cabine réservée à Favraut.
Celui-ci qui, peu à peu, depuis son émouvante rencontre avec Jeannot, avait reconquis presque toutes ses facultés intellectuelles, était encore l’objet d’une dépression physique assez considérable… Cependant, la certitude d’avoir reconquis sa liberté et de revoir bientôt sa fille et son petit Jean lui avait rendu quelque force… Et c’est avec une impatience fébrile qu’il attendait le résultat de la démarche qu’il avait tentée le jour même par l’intermédiaire de Diana Monti, qu’il considérait comme sa libératrice, et vers laquelle il se sentait attiré de nouveau par un sentiment de passion intense auquel se joignait une infinie reconnaissance.
– Eh bien? interrogea-t-il avidement dès qu’il vit entrer l’aventurière et Moralès dans sa cabine.
– Mon ami…, fit l’ex-institutrice d’une voix qu’elle cherchait à rendre pleine de douceur, je commence par vous dire que madame votre fille et votre cher petit Jean sont en parfait état de santé, et que vous ne devez avoir aucune espèce d’inquiétude à leur sujet. Mais vous ne les verrez pas ce soir.
– Pourquoi? ponctua le banquier dont le visage s’était aussitôt assombri.
– Parce que madame votre fille n’a pas reçu votre lettre.
– Votre envoyé n’a donc pas pu parvenir jusqu’à elle?
– Non!
– Comment se fait-il?
– Il en a été empêché.
– Par qui?
– Par Judex.
– Encore… toujours cet homme! s’écria Favraut avec un geste de rage.
Mais tout de suite, persuasive, câline même, Diana Monti reprenait:
– Ne vous énervez pas, mon ami… vous allez mieux, beaucoup mieux… Il ne faudrait pas risquer de retomber malade juste au moment où, je ne saurais trop vous l’affirmer, vous allez reconquérir tout le bonheur que vous avez perdu. Écoutez-moi donc avec beaucoup de calme… D’ailleurs, tout va pour le mieux et vous ne tarderez pas à vous en apercevoir.
Rassuré par les paroles enveloppantes de la perfide créature, Favraut fit, en lui prenant la main:
– Vous… au moins… vous êtes mon amie… vous me l’avez prouvé, je ne l’oublierai pas.
Diana reprit, en baissant les yeux, avec un air de fausse modestie:
– Mon frère et moi, nous sommes trop heureux d’avoir pu vous arracher aux mains de nos ennemis, et, pour ma part, je m’estime suffisamment récompensée en vous voyant près de moi.
– Merci! mon amie! oh! oui, merci de toute mon âme, fit le père de Jacqueline avec une vive effusion.
Puis, il ajouta:
– Vous avez raison, ma chère amie… il faut que je sois calme… très calme… Mon cerveau, en effet, n’est pas encore très solide… Il y a des moments où j’ai comme des trous dans la pensée… Aussi je veux me laisser guider entièrement par vous… Continuez, je vous en prie.
Et l’aventurière qui, avec une habileté vraiment machiavélique, était en train de réaliser le nouveau plan que, par suite de l’apparition de Judex sur la jetée, elle s’était immédiatement tracé, poursuivit aussitôt:
– Je tiens à vous le répéter: Mme Jacqueline Aubry et Jeannot sont en parfaite sécurité! Judex les a récemment amenés à Sainte-Maxime dans une propriété où ils sont entourés, je dois le reconnaître, de tous les égards possibles. Mais en attendant, ils lui servent d’otages.
– Il faut les délivrer.
– C’est à quoi, mon frère et moi, nous allons nous employer.
– Judex est un adversaire terrible.
– Il n’est plus à redouter.
– Comment cela?
– Il est entre nos mains.
– Que me dites-vous là?
– Judex est ici… dans la cabine du capitaine Martelli. Il est venu pour traiter de votre rançon. Il m’a offert un million pour que je vous rende à lui. J’ai si bien feint d’entrer dans ses vues… de céder à ses arguments qu’il n’a pas hésité à me suivre à bords de l’Aiglon.
– Je veux le voir!… exigeait Favraut d’un accent impérieux, farouche.
– Vous y tenez beaucoup?
– Absolument.
– J’aurais tant voulu vous épargner cette émotion… déclarait hypocritement l’aventurière.
– Je veux le voir! Je le veux, insistait Favraut.
– Eh bien, cette entrevue aura lieu.
– Tout de suite…
– Tout de suite… Cependant, mon ami, insinuait l’astucieuse créature, permettez-moi de vous mettre en garde contre les menées de cet homme… qui ne va pas manquer de nous blâmer, mon frère et moi, et de chercher à nous salir à vos yeux en inventant contre nous les plus lâches et les plus perfides calomnies.
– Soyez tranquille, je saurai lui répondre.
– Il est tellement habile.
– Je ne le crains pas…, affirmait le banquier… Et puis, vous serez là tous deux pour me défendre.
– Désormais…, fit simplement l’aventurière – sûre maintenant de son influence sur Favraut -, Judex vous appartient. Il est à votre merci. J’aurais pu nous en débarrasser tout de suite. Mais j’ai mieux aimé vous laisser la joie de prendre vous-même votre revanche. C’est donc à votre tour de prononcer le verdict, à votre tour d’être impitoyable. Soyez sûr que votre arrêt sera fidèlement exécuté.
Et, mettant le comble à son infâme hypocrisie, l’ex-institutrice ajouta:
– Rappelez-vous, mon ami, que si vous voulez, désormais, vivre heureux, et si vous tenez à revoir vos enfants, il faut que ce Judex disparaisse à tout jamais de la scène du monde.
– Il disparaîtra.
– Il faut que vous soyez sans pitié.
– Je le serai!
Et le banquier qui, dominé par l’infernale créature, sentait revivre en lui tous ses appétits de férocité instinctive, s’écria d’une voix rauque:
– Il mourra!… oui, il mourra!… et je ne regrette qu’une chose, c’est de ne plus être assez fort pour l’étrangler de mes propres mains.
– Alors, venez! fit l’aventurière dont le visage rayonnait du plus criminel des triomphes.
Sûre désormais de son succès, Diana Monti allait livrer l’assaut suprême avec tout l’aplomb cynique d’un joueur qui a su, en faisant sauter la coupe, mettre tous les atouts dans son jeu.
Ouvrant toute grande la porte de la cabine où attendait Judex, elle lança sur un ton solennel et dans une attitude théâtrale:
– Monsieur Favraut… voici votre bourreau… voici l’homme qui séquestre votre fille!
À ces mots, Judex ne répondit que par un sourire de froide et tranquille ironie.
Il avait compris.
L’aventurière démasquait entièrement ses batteries… Et ce procédé n’était nullement fait pour lui déplaire.
La situation se présentait ainsi nette et franche et ce fut d’une voix qui ne révélait pas la moindre inquiétude que Judex répliqua:
– C’est la bataille… eh bien, soit, je l’accepte.
Et, enveloppant de son regard tout de loyauté admirable le père de Jacqueline qui le considérait avec une expression de haine farouche, il fit de sa belle voix grave, harmonieuse:
– Monsieur, je tiens avant tout à m’inscrire en faux contre les assertions de cette femme. Mme Jacqueline Aubry et son fils ne sont nullement séquestrés par moi. Et si j’ai cru devoir leur offrir l’hospitalité dans ma maison, où ils sont en parfaite sécurité… ce n’était nullement pour en faire des prisonniers… mais uniquement pour leur permettre d’échapper à des bandits qui voulaient les assassiner tous les deux.
Et désignant Diana et Moralès, qui à la suite de Favraut étaient entrés dans la cabine, il fit avec un accent de force superbe et de dignité incomparable:
– Et ces bandits, les voilà.
– Je ne m’abaisserai même pas à vous démentir…, sifflait l’aventurière.
– J’affirme…, reprenait Judex, que vous, Diana Monti, et votre amant, Robert Kerjean…
– Mon amant! ricana l’ex-institutrice…
– Oui, votre amant!…
– Assez! interrompit violemment Favraut… Je ne sais qu’une chose… c’est que ceux que vous accusez m’ont rendu la liberté et sauvé la vie.
– Si vous ne me croyez pas, déclarait Judex, suivez-moi à Sainte-Maxime… Je vous mettrai en présence de votre fille à laquelle je suis décidé à vous rendre… et vous verrez si elle ne confirmera pas elle-même les accusations que je ne crains pas de porter contre ces deux gredins.
– Je ne vous suivrai pas! s’écriait le marchand d’or.
– Pourquoi?
– Parce que je ne veux pas tomber dans le piège que vous me tendez.
– Je ne vous tends aucun piège! répliqua Judex. La preuve, c’est que je suis venu ici sans autre arme qu’un carnet de chèques… que voici, et qu’en échange de votre liberté, je suis prêt à payer un million à cette femme, qui réellement vous tient en son pouvoir et qui n’a pas reculé et ne reculera devant aucun crime pour s’emparer de votre fortune.
– Je ne vous crois pas! s’obstinait le banquier complètement subjugué par le regard infernal dont l’enveloppait savamment l’ancienne institutrice.
– Si votre fille était ici…, affirmait Judex, elle vous crierait que je dis la vérité.
– Eh bien! rugit Favraut, allez la chercher.
– Mais oui, appuyait Diana, allez… allez donc.
Mais Judex ripostait:
– Puisque vous avez recouvré la raison, vous comprendrez, Favraut, que la place de votre fille n’est pas auprès de ces gens-là. D’ailleurs, elle n’arriverait pas jusqu’ici. Ces misérables trouveraient bien moyen de la tuer en route…
– Vous voyez, constatait Diana… il n’y a rien à faire. Si Judex veut vous emmener, ce n’est pas pour vous rendre à votre fille, c’est pour vous plonger de nouveau dans un cachot dont vous ne sortirez jamais. Il a espéré vous acheter avec un million… Mais il avait compté sans mon attachement pour vous. Et maintenant, mon ami, que vous avez en mains toutes les pièces du procès, jugez à votre tour… condamnez!… De même que nous avons été là pour vous défendre… nous serons là pour vous venger!…
– Favraut! Favraut! s’écria Judex en un élan d’emportement magnifique, vous ne voyez donc pas que cette femme sue le mensonge par tous les pores et qu’elle ne respire que le crime?
Et s’adressant à Moralès, il poursuivit avec véhémence:
– Et, toi, malheureux, toi qui sais… toi que j’ai vu pleurer de remords et de honte dans les bras de ton père… toi qui lui as tant juré devant moi que tu voulais redevenir un honnête homme, et qui as été assez insensé pour retomber au pouvoir de cette femme… non, il ne se peut pas que tu ne m’aides pas à faire triompher la vérité contre le mensonge… Il ne se peut pas que, dégringolant jusqu’au dernier échelon du crime, tu demeures plus longtemps le complice ou plutôt l’instrument aveugle d’une misérable qui va te conduire à l’échafaud!
À ces mots, Moralès avait blêmi… Était-ce de colère ou de honte?
Judex n’eut pas le temps de le constater…
Diana, tirant de sa poche un sifflet, en tira un son aigu et prolongé, et, avant que Judex ait eu le temps de se mettre sur la défensive, Martelli et deux matelots aux figures de bandits faisaient irruption dans la cabine et, se jetant traîtreusement sur Jacques de Trémeuse, le ligotèrent, le bâillonnèrent… puis l’attachèrent solidement – après lui avoir mis un épais bandeau noir sur la figure -, au pilier central qui soutenait le toit de la cabine.
Alors, entraînant Favraut, Diana, après avoir adressé un signe mystérieux au capitaine du brick-goélette, remonta sur le pont…
– Eh bien… que vous disais-je? fit-elle au banquier…
Et, avant d’entendre sa réponse, elle martela:
– Croyez-vous que j’avais raison!… Cet homme est le démon incarné… Mais maintenant qu’il est en notre pouvoir, rien ne pourra l’en arracher… et nous lui ferons subir à notre tour, et au centuple, toutes les souffrances qu’il vous a fait endurer.
– Diana!… Diana! s’écria le père de Jacqueline, entièrement dominé par la diabolique ensorceleuse.
Mais il ne put continuer… Brisé par l’émotion, il chancela… puis, s’appuyant au bastingage, il murmura:
– Je me demande si je ne rêve pas… et si je ne vais pas m’éveiller tout à coup dans cet atroce cachot… où j’ai failli devenir fou… Ah! Diana… c’est atroce… atroce!
– Allez vous reposer, mon ami… Dormez tranquillement; votre réveil ne sera troublé par aucune surprise fâcheuse. Loin de là! Vous trouverez votre amie à votre chevet, vous souriant de toute sa pensée affectueuse… de tout son dévouement sans limites.
Et lui montrant les matelots qui, sous la direction du capitaine, commençaient à larguer les voiles… et se livraient à différentes manœuvres annonciatrices d’un prochain départ, elle fit de cette voix enveloppante sous laquelle elle savait si bien dissimuler son insondable perversité:
– Nous allons emmener Judex à quelques milles d’ici… en pleine mer… où nous pourrons, en toute sécurité, régler avec lui définitivement nos comptes. Nous reviendrons ensuite chercher votre fille et votre petit-fils. Allez, mon ami… allez… Puisse cette nuit être la plus douce de votre existence… puisqu’elle sera le prélude du bonheur sans mélange que je vous prépare et que vous aussi vous allez me donner!
De ses lèvres tremblantes, le banquier effleura le front de Diana, qui, doucement, l’emmena jusqu’à sa cabine… en le laissant, sur le seuil, lui prendre encore un hésitant baiser.
Alors… remontant sur le pont, elle murmura, atrocement cynique:
– Allons, tout va bien!… Et nous allons pouvoir travailler tranquilles!
Et, se heurtant à Moralès, qui la guettait caché derrière un tas de caisses vides, elle fit rudement:
– Qu’est-ce que tu fais là, toi?
– J’attendais.
– Quoi?
– Que tu aies fini de roucouler ton duo d’amour avec Favraut.
– Je te dispense de ces plaisanteries stupides… Tu connais le but que nous poursuivons… nous devons l’atteindre par tous les moyens… Par conséquent… tais-toi…
– Je ne dis rien.
– Mais tu n’en penses pas moins!
– Cependant, Diana, je crois que je t’ai bien secondée dans toute cette affaire et que, cette fois-ci, tu n’auras pas de reproches à m’adresser.
– Je reconnais que tu n’as pas été trop mal…, admettait l’aventurière.
– Enfin.
– Pourtant, tout à l’heure, lorsque Judex t’a parlé de ton père… tu as encore pâli… et tu t’es mis à trembler à un tel point que j’ai cru que tu allais flancher encore… Aussi je me demande…
– Quoi?…
– Rien!
– Dis, au contraire.
– Eh bien, je me demande si tout à l’heure tu auras le courage de balancer par-dessus bord ce Judex exécré.
– Judex l’a dit, Diana… tu me conduiras…
– À l’échafaud!…
– Non, en enfer.
– Pas de grands mots, mon petit Mora… Puis-je compter sur toi?
– Tu le sais bien.
– Alors, je t’aime!
Un baiser infâme scella ce pacte suprême… tandis que l’Aiglon appareillait dans la nuit.
De la terre, divers témoins suivaient, à la clarté de la lune qui s’était assez rapidement dégagée des nuages, les évolutions du navire qui commençait à s’éloigner lentement.
C’était d’abord Cocantin, qui, demeuré sur la jetée, avait vu Miss Daisy Torp exécuter son plongeon magistral, et s’éloigner ensuite, nageuse intrépide, dans la direction du brick-goélette.
Jamais, comme en ce moment, Cocantin n’avait regretté de ne pas savoir nager.
Et, songeant aux joies qu’il eût éprouvées en accompagnant sa bien-aimée dans son raid nautique, et en partageant les dangers que la jolie Américaine n’allait pas manquer de courir, il se lamentait:
– Décidément… c’est idiot… À quoi pensent les parents de ne pas apprendre à nager à leurs enfants! On ne devrait accorder aucun diplôme à quiconque ne sait pas nager. On devrait rayer des listes électorales quiconque ne sait pas nager. On devrait faire payer un impôt de cinq cents francs par an à quiconque ne sait pas nager.
Et Cocantin, se montant, ne cessait de répéter, en brandissant avec désespoir le chapeau, le manteau et les souliers de miss Daisy:
– Ne sait pas nager!… Ne sait pas nager!
Et, tout à coup, une question se posa à son esprit bouleversé:
– Et l’empereur… lui, savait-il nager?
Tout de suite il se répondit à lui-même:
– Je ne crois pas… sans cela, avec son courage et son audace, il eût certainement essayé de s’évader de Sainte-Hélène. S’il ne l’a pas fait… c’est qu’il ne le pouvait pas.
Et quelque peu réconforté par cet illustre exemple, il se prit à murmurer d’un air mi-chagrin, mi-résigné:
– C’est égal, je ne me doutais pas que mon rendez-vous d’amour tomberait ainsi dans l’eau.
Et là-bas… à une fenêtre du premier étage de la villa de Trémeuse, deux femmes, elles aussi, regardaient ce navire qui commençait à évoluer dans la baie.
C’étaient Jacqueline et Mme de Trémeuse.
Toutes deux, en constatant que Jacques ne revenait pas, se sentaient envahies par une mortelle inquiétude.
Elles n’osaient échanger leurs impressions… tant elles craignaient de s’effrayer l’une l’autre.
Mais la même pensée angoissante les étreignait.
– Pourvu qu’il ne lui soit pas arrivé malheur!
C’est que, de l’observatoire où elles étaient placées… à l’aide d’une puissante jumelle, elles avaient pu remarquer, autour de ce navire ancré dans la baie, les allées et venues du canot…
À un moment même, lorsque la lune était sortie des nuages, Jacqueline eut l’impression qu’elle apercevait, comme en un sillage argenté, la silhouette si caractéristique de Judex.
Elle ne put retenir un cri étouffé.
– Il me semble que je l’aperçois…, fit-elle.
– Mon fils?
– Oui… monsieur Jacques.
– Où donc?
– Dans une barque qui s’approche du bateau. Peut-être les misérables qui ont enlevé mon père l’ont-ils emporté là… et M. Jacques s’en va le chercher.
Vite Mme de Trémeuse s’empara à son tour de la lorgnette.
Mais l’embarcation avait disparu… contournant le brick-goélette.
– Je ne vois rien…, déclara-t-elle.
– Sans doute me serai-je trompée…, murmura la fille du banquier.
Mais lorsque l’Aiglon largua ses voiles et qu’elle le vit lentement, majestueusement prendre le large, Jacqueline qui venait d’avoir une intuition si exacte de la vérité, sentit son cœur se serrer encore davantage.
Il lui sembla que ce navire emportait toutes ses espérances.
Et… cette fois… malgré elle, elle prononça d’une voix tremblante:
– Mon Dieu… sauvez-le… protégez-le.
Sombre et silencieuse… la fille des Orsini contemplait la mer.
Miss Daisy Torp, ainsi que nous l’avons déjà dit et que nous l’avons vu, était une de ces femmes dont l’intrépidité n’avait point de limites.
Peut-être le lecteur jugera-t-il nécessaire que nous lui esquissions en quelques traits rapides l’histoire de cette jeune et charmante personne qui est appelée à jouer un rôle important et même décisif dans ce récit.
Ses qualités de bravoure, de charme et de beauté ne peuvent en effet que donner à toutes et à tous l’envie de faire avec elle plus ample connaissance.
Miss Daisy Torp était la fille unique d’un riche industriel de Chicago.
Destinée à recueillir une de ces fortunes immenses telles qu’on n’en rencontre guère qu’aux États-Unis, elle n’en avait pas moins reçu une instruction et une éducation des plus soignées, son père et sa mère la destinant à quelque grand seigneur européen plus ou moins décavé et dont elle n’eût point manqué, tout en remplissant l’escarcelle, de faire le plus heureux des hommes… à la condition, toutefois, qu’il ne froissât pas son caractère extrêmement indépendant, et la laissât libre de se livrer à ses exercices sportifs dont elle avait toujours raffolé.
Car, non seulement Miss Daisy Torp nageait comme une ondine, mais elle montait à cheval comme un centaure… pilotait une automobile aussi bien qu’un coureur professionnel… et tenait l’épée aussi bien que d’Artagnan lui-même.
Mais… un désastre financier avait ruiné ses parents.
Son père trouva dans une banque un modeste emploi qui lui permit d’assurer ses vieux jours… et Miss Daisy trouva également une place de dactylographe dans une grande maison de cinéma.
Mais elle ne put y rester huit jours.
Elle avait soif de grand air, de liberté, de voyages… Elle sentit que si elle demeurait plus longtemps enfermée de neuf heures du matin à six heures du soir, à taper… sur une machine à écrire, elle deviendrait, immanquablement, neurasthénique.
Alors elle prit une grande résolution.
– Je veux partir en Europe… tenter fortune… Avec mes capacités et mon énergie, il n’est pas possible que je ne réussisse pas à la retrouver.
Après avoir sollicité et obtenu la bénédiction paternelle, Miss Daisy Torp, munie du léger viatique que représentaient ses économies, prenait passage sur un paquebot à destination de Saint-Nazaire.
Loin de rechercher l’aventure facile et profitable sur laquelle sa beauté lui donnait tous les droits de compter, la jeune Américaine était, au contraire, bien résolue à ne devoir son succès qu’au travail.
Extrêmement pratique, très business woman, c’est-à-dire très femme d’affaires, elle n’avait point pris sa décision à l’aveuglette.
Elle avait, au contraire, un plan bien arrêté… et qui consistait à utiliser les talents sportifs vraiment prodigieux qu’elle avait su acquérir au temps de son ancienne opulence.
Une fois à Paris, elle eut vite fait de se débrouiller.
Tout d’abord, pour attirer l’attention sur elle, elle participa à une course nautique qui consistait à parcourir toute la partie de la Seine qui va de Charenton au Point-du-Jour.
Elle arriva bonne première, battant de vingt brasses le célèbre nageur anglais Toto Lehmoine… battant ainsi tous les records… et décrochant, du premier coup, le championnat du monde.
Quelques jours après elle remportait une seconde victoire, non moins éclatante, dans le fameux circuit d’automobile d’Auvergne… où on la vit, sur les routes les plus difficiles et dans les virages les plus dangereux, dépasser successivement tous ses adversaires.
Miss Daisy Torp était lancée, et sans que cela lui eût coûté un centime de réclame.
Alors, tout simplement, elle fonda à Paris, boulevard Malesherbes, une salle d’armes, à l’usage des femmes du monde, où les élèves ne tardèrent pas à affluer.
Puis, cédant aux propositions que lui faisait l’imprésario d’un grand cirque parisien…, elle consentit, en échange d’un cachet vraiment américain, à venir, chaque soir, exécuter dans la piste nautique du célèbre établissement un de ces plongeons de la mort qui ont pour résultat de donner la chair de poule à un public le plus souvent… bien chair de dinde.
Ce fut la consécration suprême.
Miss Daisy Torp avait triomphé… par elle-même… toute seule; elle pouvait en être fière et s’accorder quelques jours de repos au bord de la Méditerranée, où l’excellent Prosper l’avait retrouvée… s’ébattant dans les flots bleus… telle une exquise et svelte ondine.
Telle était la femme qui, autant par dévouement spontané que par amour de l’imprévu, n’avait pas hésité un seul instant à se précipiter au secours de Judex.
Tout d’abord, elle avait nagé doucement, sans bruit, entre deux eaux… afin de ne pas attirer sur elle l’attention des gens qui se trouvaient dans le canot.
Tandis qu’ils accostaient, elle s’était tenue à l’écart… faisant la planche, et observant avec curiosité tous les mouvements des passagers…
Lorsque ceux-ci eurent tous pris pied sur le pont; et que le canot amarré au brick-goélette ne contint plus personne, elle se rapprocha de l’Aiglon… s’orienta, dans l’intention bien arrêtée de monter, elle aussi, à bord de ce navire.
Mais comment exécuter cette opération sans attirer l’attention de personne?
Daisy n’était pas femme à demeurer longtemps embarrassée.
En faisant le tour du bateau, elle aperçut un bout de filin qui pendait au bastingage… Elle s’en saisit… d’une poigne vigoureuse… et, tout en arc-boutant ses pieds contre la coque de l’Aiglon, elle parvint ainsi à se hisser presque jusqu’à la hauteur du pont… lorsque des voix qui partaient de l’intérieur du brick parvinrent jusqu’à elle.
Il lui sembla qu’elle venait d’entendre un nom, celui que Cocantin avait prononcé tout à l’heure: «Judex!»
Un hublot s’ouvrit tout près d’elle, sur le flanc du bâtiment.
Daisy parvint à s’en approcher assez rapidement… Elle y colla son œil… tandis qu’une expression de curiosité et de surprise se répandait sur son visage.
L’ondine allait assister à toute la scène que nous venons de décrire entre Judex, Favraut, Diana et Moralès.
Cramponnée à son filin… le corps appuyé contre la paroi du bateau…, elle eut la force et la volonté d’attendre jusqu’à la fin de ce tragique colloque dont elle avait compris toute la terrible et sinistre signification.
Lorsque tout fut terminé, lorsque Judex attaché au pilier, ligoté et bâillonné, fut laissé seul dans la cabine… Miss Daisy Torp, qui n’avait plus qu’un but… sauver l’ami de Cocantin, attendit encore un moment… réfléchissant aux moyens qu’elle allait employer pour arracher Judex à ses ennemis.
Puis, avec des précautions infinies, elle recommença à grimper le long du bastingage… et l’oreille aux aguets, et retenant son souffle… elle parvint ainsi jusqu’au sabord… et jeta un long coup d’œil sur le pont… L’arrière du bateau où se trouvait la cabine dans laquelle Diana et ses complices avaient lié Jacques de Trémeuse était désert… Tous les matelots, rassemblés à l’avant, écoutaient les ordres de leur capitaine… Favraut et Diana, de l’autre côté du navire, paraissaient plongés dans une conversation des plus intimes… Miss Torp aperçut aussi Moralès… qui, dissimulé derrière les ballots, les épiait dans l’ombre.
Alors elle n’hésita pas… D’un bond plein de souplesse, elle s’élança sur le pont… puis, se faufilant avec l’agilité d’une panthère, elle gagna l’escalier de la cabine, se demandant, tandis qu’elle descendait les marches:
– Pourvu qu’ils ne l’aient pas enfermé à clef…
Presque aussitôt elle respira.
Se croyant à l’abri de toute investigation indiscrète et sachant leur victime dans l’impossibilité de tenter la moindre évasion, les bandits n’avaient même pas songé à prendre cette précaution.
Promptement… la jeune femme ouvrit la porte… et s’en allant droit à Judex elle lui arracha le voile noir qui lui couvrait la tête.
En voyant cette femme en maillot noir… toute ruisselante d’eau, et qui se présentait à lui d’une façon aussi inattendue… Judex eut un regard de surprise… qui allait immédiatement s’illuminer d’un clair rayonnement d’espérance, car, à voix basse, Miss Daisy Torp lui dit:
– Ne craignez rien… Je suis la fiancée de Cocantin… et je viens vous sauver.
Tout de suite, en femme qui se rend compte de la valeur des minutes, l’audacieuse Américaine, inspectant des yeux la pièce dans laquelle elle se trouvait cherchait un instrument quelconque qui lui permît de délivrer le plus rapidement possible le prisonnier.
Ne voyant rien tout d’abord, elle ne put réprimer un geste d’impatience… Mais, apercevant l’entrée d’une soupente qui donnait dans la cabine, elle s’y précipita… C’était une sorte d’alcôve où se trouvait le lit du capitaine… À un portemanteau était suspendue une longue casaque de cuir, munie de deux larges poches, dans laquelle Daisy plongea la main, en retirant successivement un large coutelas… et un revolver.
– All right! fit-elle entre ses dents… Maintenant, tout va marcher à merveille.
Revenant vers Judex… elle s’empressa de lui enlever son bâillon… et de lui trancher ses liens…
Après avoir endossé la veste du capitaine, elle remit le revolver à Jacques de Trémeuse tout en lui disant:
– Je garde le couteau… de cette façon, nous aurons chacun de quoi nous défendre.
À peine avait-elle prononcé ces mots qu’un bruit de pas se faisait entendre dans l’escalier…
– Attention! fit Judex, qui après avoir fait grandement, noblement, le sacrifice de sa vie, se retrouvait à présent plus que jamais prêt pour la lutte suprême qu’il allait engager contre ses ennemis.
La porte s’ouvrait, livrant passage à Moralès qui, après un mystérieux conciliabule avec le capitaine de l’Aiglon venait rendre visite au prisonnier.
Le fils du vieux Kerjean n’eut même pas le temps de pousser un cri.
En effet, à peine avait-il mis le pied dans la cabine, que Judex, qui se dissimulait dans un angle, bondit sur lui, lui portant à la tempe un coup formidable avec la crosse du revolver.
L’amant de Diana chancela… complètement étourdi… mais il ne tomba pas à terre… Fort adroitement, Jacques de Trémeuse l’avait reçu dans ses bras et lançait d’une voix brève, sifflante, à Miss Daisy Torp, ravie de se trouver en collaboration avec un homme qui semblait lui aussi un sportif dans toute l’acception du mot:
– Chère mademoiselle… veuillez me donner un coup de main pour attacher, à son tour, ce gredin au pilier.
Quelques instants après, Moralès était ficelé… aux lieu et place de Judex, qui avait eu la précaution de lui recouvrir également la tête avec le voile noir dont, par un raffinement de cruauté, Diana Monti l’avait affublé.
Et, après avoir compté les cartouches de son revolver, Judex fit, en s’adressant à Daisy Torp:
– Maintenant, mademoiselle… suivez-moi. À présent, grâce à votre intervention providentielle… c’est moi qui vais commander… à bord de l’Aiglon.
– Passez… mon capitaine…, fit aussitôt la jeune Américaine.
Et, tandis que Judex s’engageait à pas de loup dans l’escalier qui conduisait au pont du navire, la fiancée de Cocantin, enveloppée dans la veste en cuir du capitaine Martelli, murmura, tandis que son visage s’illuminait de la plus légitime des fiertés et de la plus douce des allégresses:
– Je crois que mon ami Prosper va avoir, comment dit-on déjà en France, un coin… oui… c’est cela… un coin de bouché!
Tandis que Moralès s’en allait exécuter ses ordres et tombait, à son tour, d’une façon aussi inattendue, dans le guet-apens si promptement et si merveilleusement organisé, Diana, accoudée contre le bastingage, et croyant enfin toucher au but qu’elle s’était assigné, se laissait aller à toute la joie perverse qui, en ce moment, faisait vibrer tout son être.
Maintenant, en effet, les millions de Favraut, objets de toute sa convoitise, ne lui apparaissaient pas comme un mirage lointain et fugitif dont l’incertaine conquête exigerait de multiples et formidables efforts tout en l’exposant aux pires dangers… Non… ils étaient là, tout près d’elle… elle n’avait plus que la main à étendre pour s’en emparer… Aucun obstacle ne se dressait plus entre elle et cette fortune colossale… tant et tant désirée.
Et tandis que l’Aiglon, dont les voiles s’étaient gonflées sous l’action de la brise, gagnait le large, elle se disait…
– Dans quelques instants, Judex aura à tout jamais disparu dans la mer… Demain, je me serai débarrassée de Jacqueline et de l’enfant, sans que ce demi-fou, que restera désormais Favraut, se doute de quelque chose. D’ailleurs, s’il le faut, je me chargerai bien de lui faire perdre le peu qui lui reste de tête. Quant à Moralès… malgré ses défaillances… il m’aura bien servie…
Et, avec une sorte de volupté perverse et qui ne connaissait pas de limites, elle songea, tandis qu’un sourire indéfinissable entrouvrait ses lèvres:
– Et puis… C’est bon de se sentir aimée à un tel point par un homme qui s’est fait aussi volontairement votre esclave et que l’on sent toujours prêt à risquer sa vie pour un de vos baisers.
Pendant qu’elle se livrait à ces réflexions, l’Aiglon continuait à gagner le large… et bientôt les feux de la côte n’apparurent plus au loin que comme des petites lueurs indécises et vacillantes.
Diana… après avoir contemplé longuement la mer dont elle croyait si bien, dans un instant, faire sa complice discrète… se dirigea vers le capitaine.
– Martelli?… fit-elle de sa voix impérieuse, le moment est venu d’exécuter entièrement le marché que vous avez conclu avec moi.
À ces mots, le forban de la Méditerranée eut un ricanement et, d’une voix canaille, il répliqua:
– Je suis prêt… Seulement…
– Seulement quoi?
– Ne croyez-vous pas que ce petit travail mérite une petite gratification supplémentaire?
– Moralès ne vous a donc pas remis?…
– Si… cinq cents francs tout à l’heure.
– Eh bien?
– Vous allez être très riche… Vous pourriez bien doubler la somme. D’autant plus que je vais être obligé de donner de fortes parts à mes hommes.
Et, comme l’aventurière le regardait avec un air de mépris sévère, Martelli ajouta:
– Dame… balancer un homme à la mer… c’est une besogne qui se paie… et cher, encore… dans tous les pays du monde.
Diana, qui avait hâte d’en finir ne voulut point marchander.
Elle tira de la poche de sa vareuse de laine une liasse de billets qu’elle remit au capitaine qui s’en empara… tout en disant:
– J’étais sûr que nous finirions par nous entendre. Je vous remercie tout de même.
– Où est Moralès? interrogeait l’ex-institutrice.
– Je l’ai vu regagner sa cabine…, déclarait Martelli. Voulez-vous que je l’appelle?
– Non, c’est inutile… il pourrait encore avoir une crise de sensibilité. Mieux vaut nous passer de lui. Et maintenant, agissons…
Comme s’il n’attendait que cet ordre, le capitaine fit entendre un sifflement aigu… prolongé.
Aussitôt, deux hommes, deux vrais écumeurs… qui descendaient certainement en ligne directe de ces féroces pirates qui, aux siècles passés, infestaient la Méditerranée, s’empressèrent d’accourir à l’appel de leur chef qui, en un patois spécial, leur ordonna:
– Allez me chercher l’homme en question… et faites vite, n’est-ce pas?
Silencieusement… mais avec une promptitude qui révélait une soumission parfaite, les deux matelots dégringolèrent l’escalier qui conduisait à la cabine où, une demi-heure auparavant, ils avaient ligoté eux-mêmes Judex au pied du pilier central.
Judex et Miss Daisy Torp, cachés dans l’alcôve-soupente et prêts à intervenir en cas de besoin, les virent pénétrer dans la cabine, s’approcher de Moralès qu’ils détachèrent du mât et remontèrent sur le pont, sans avoir enlevé le voile noir qui entourait son visage.
Diana et Martelli les attendaient.
Le capitaine n’eut qu’un geste, mais un geste effroyable dans sa laconique signification…
Il leur désigna la mer.
Alors, les deux gredins, sans la moindre hésitation, précipitèrent l’homme ligoté dans les flots…
Puis… ils s’éloignèrent accompagnés de leur patron avec l’air satisfait de gens qui viennent d’accomplir une besogne toute simple et toute naturelle.
Diana, demeurée seule, penchée au-dessus du bastingage, regardait avec une fixité d’hallucinée l’endroit où le corps avait disparu.
Avec une joie féroce elle grinçait:
– Bon voyage dans l’éternel, monsieur Judex… Tu as cru que tu serais plus fort que moi… mais c’est moi qui ai remporté la victoire.
Et, d’un ricanement sinistre, elle accompagna les derniers bouillonnements de l’onde… répétant avec un accent de haine effroyable, que rien ne pouvait désarmer:
– Bon voyage! Judex… Bon voyage!…
Mais une ombre venait de se dresser devant elle… en même temps qu’une main s’abattait sur son épaule.
Brusquement, l’aventurière se retourna…
Un cri de terreur et de colère s’échappa de sa gorge.
Judex était devant elle, la dominant de sa haute taille, l’écrasant de son regard superbe.
– Lui! Vous! grinça-t-elle.
– Oui, moi!
– Mais alors, qui vient-on de jeter à la mer?
Jacques de Trémeuse répondit:
– Votre victime n’est autre que votre complice… Robert Kerjean…, dit Moralès.
– Misérable! grinça l’ex-institutrice.
Mais, encore révoltée, elle ajouta:
– Je n’ai pas dit mon dernier mot. J’ai ici des hommes qui me sont tout dévoués… et qui ne me laisseront pas assassiner par vous.
– Nous allons bien voir! soulignait flegmatiquement Judex…
– À moi!… au secours!… à moi!…
Martelli et ses hommes s’empressèrent d’accourir.
Judex, revolver au poing, s’était aussitôt jeté entre Diana et eux.
– Le premier qui bronche…, lança-t-il d’une voix métallique…, je lui brûle la cervelle.
À l’apparition inattendue de cet homme extraordinaire, qui venait d’échapper si miraculeusement à la mort et les dominait de toute la hauteur de son attitude altière et de son admirable dignité, l’équipage de l’Aiglon était demeuré comme pétrifié.
Profitant de l’effet qu’il venait de produire sur ces gens frustes et presque sauvages, Judex attaqua aussitôt en désignant Diana, qui s’était accrochée au bastingage, ivre de fureur, écumant de rage:
– Combien cette femme vous a-t-elle donné pour que vous deveniez ses complices?
Et comme tous se taisaient, Judex, braquant son revolver dans la direction de Martelli, scanda:
– Allons, voyons, répondez!
– Cinq mille francs…, fit le capitaine de l’Aiglon, sur lequel Jacques de Trémeuse avait conquis d’un seul coup un irrésistible ascendant.
– Eh bien, reprit Judex, moi je vous en donne cinquante mille… plus une prime de mille francs par homme si vous passez à mon service. Et moi je ne vous demanderai pas d’assassiner les gens, mais de les sauver.
À ces mots une sourde rumeur s’éleva du groupe des matelots… de plus en plus impressionnés.
– Allons, décidez-vous!… ordonnait impérieusement le justicier.
– Qui me garantit que vous vous exécuterez? interrogeait Martelli, ébloui par les mirifiques promesses de Judex.
– Je m’appelle Jacques de Trémeuse…, définit le jeune homme avec un accent d’incomparable noblesse.
Et, tirant son portefeuille de sa poche, il fit:
– Je puis d’ailleurs vous donner un acompte.
– Non… cela va bien, déclarait le forban entièrement conquis.
– Alors… je puis compter sur vous?
– Absolument.
– Sur tous vos hommes?
– Sur tous mes hommes.
– En ce cas, attendez mes ordres…, concluait Judex avec autorité.
Et, désignant Diana Monti complètement effondrée, il ajouta:
– J’ai un dernier compte à régler avec madame.
Tandis que Martelli et ses hommes, enchantés de l’aubaine, regagnaient l’avant du navire… Jacques, prenant l’ex-institutrice par le bras, lui dit:
– Suivez-moi!
– Vous allez me tuer…, grinça la misérable.
– Suivez-moi… vous dis-je.
La tête baissée, Diana Monti se laissa guider par Judex, qui la conduisit jusqu’à la cabine du capitaine… où l’attendait l’Américaine.
– Miss Daisy…, fit-il, je vous confie ma prisonnière… Veillez sur elle et évitez qu’elle ne se livre à quelque fâcheuse extrémité. Je veux la ramener vivante à terre.
En proie à un profond abattement, Diana se laissa tomber sur un coffre.
Mais pas une larme ne jaillit de ses yeux… Seuls la crispation de ses traits, le rictus infernal de ses lèvres montraient jusqu’à quel point la souffrance mordait à son tour l’infernale créature.
Tranquillement, en homme qui se sent désormais entièrement maître de l’heure, Judex avait regagné le pont… et ordonnait de remettre le cap vers la terre.
Le forban de la mer, tout à la discrétion de Jacques de Trémeuse, s’empressa d’obéir.
Désormais, il lui était tout aussi attaché qu’il semblait, quelques instants auparavant, dévoué aux intérêts de Diana Monti.
Il était de ceux qui ont pour principe de se vendre au plus fort enchérisseur.
Judex l’avait immédiatement compris.
Voilà pourquoi il se sentait à présent entièrement maître à bord de l’Aiglon.
– J’ai bien fait, se dit-il, de suivre mon inspiration première.
Et il ajouta, avec un tressaillement de bonheur qui donna à sa figure une expression véritablement surhumaine:
– Jacqueline va être heureuse! Et moi, de même que j’avais fait mon devoir en m’emparant de son père, je l’accomplis encore en le lui rendant sans parjure.
Tandis que le navire évoluait dans la direction de Sainte-Maxime, Jacques de Trémeuse gagnait la cabine de Favraut… dont il ouvrit doucement la porte…
Le banquier, étendu sur une couchette, semblait reposer paisiblement.
– Laissons-le…, se dit Judex. Inutile de troubler son sommeil.
Et il allait se retirer… lorsque tout à coup le banquier se dressa sur son séant et, dans un cri rauque, étranglé, il articula, comme en proie à une soudaine hallucination:
– Lui!… Lui!… Je le vois!… C’est Judex! Judex!…
– Oui, c’est moi, fit Jacques de Trémeuse en s’avançant vers le marchand d’or qui, déjà envahi par une terreur folle à la vue de son ennemi, sentait sa raison prête à l’abandonner encore.
Mais avec un accent que Favraut ne lui connaissait pas, tant il lui semblait empreint de la plus noble miséricorde, Judex s’empressait de déclarer.
– Calmez-vous, monsieur Favraut… et surtout n’ayez aucune inquiétude. Vous n’avez plus rien à redouter de moi. Ainsi que je vous l’ai dit tout à l’heure, si je vous ai rejoint sur ce bateau, ce n’était nullement dans l’intention de vous replonger dans un cachot, mais au contraire, pour vous rendre à vos enfants, en pleine et entière liberté de vos décisions et de vos actes. Vous avez mieux aimé écouter les affirmations aussi perfides que mensongères de cette Marie Verdier, et de son amant, oui, monsieur Favraut, de son amant… Vous vous étiez livré à ces deux aventuriers pieds et poings liés… leur sacrifiant ainsi votre fille et votre petit-fils qu’ils se préparaient à assassiner au moment où, tombant dans le guet-apens qu’inconsciemment vous aviez aidé à organiser, ils allaient accourir vers vous.
«Et cette misérable… qui n’en a jamais voulu qu’à votre or, qu’à vos millions et qui vous eût sacrifié délibérément, dès qu’elle serait entrée en possession de votre fortune… quand elle m’a vu, attaché à ce pilier et dans l’incapacité absolue de tenter le moindre effort pour me défendre, comme elle a bien cru toucher au but… comme elle a été convaincue que son plan infernal était enfin réalisé… selon son rêve!
«Ah! Favraut!… Favraut!… si vous aviez remarqué à ce moment son regard… regard de haine terrible… regard de triomphe diabolique… où flambait toute l’atroce lueur du crime… vous auriez compris à votre tour… et, au lieu de savourer la joie que vous causait le spectacle de mon impuissance et la certitude de ma mort prochaine, vous eussiez tremblé pour vous-même… et vous eussiez compris que désormais c’était cette femme qui voulait vous perdre et moi qui voulais vous sauver.
«Mais non, aveuglé à la fois par le ressentiment que je vous inspirais et la passion que cette créature a su allumer en vous, vous avez assisté aux préparatifs de ma mort avec la joie sauvage, féroce, d’un coupable qui non seulement est à jamais certain de toute impunité, mais voit l’homme qui l’avait condamné à la prison perpétuelle, condamné à son tour à mort.
«Et tous vos mauvais sentiments… tous vos instincts criminels… qui avaient disparu sous l’angélique et divine caresse de votre petit-fils, se sont réinstallés en vous. En un mot, vous êtes redevenu le marchand d’or cupide, le brasseur d’affaires impitoyable… vous vous êtes abaissé au rang de cette aventurière abominable. Elle vous eût mis un couteau dans la main en vous disant: Frappe! que vous lui auriez immédiatement obéi… car vos yeux reflétaient la même lueur de crime… oui, vos yeux ressemblaient aux siens… Et c’est ainsi que vous avez failli vous-même, après avoir savouré ma chute que vous croyiez mortelle, vous faire le bourreau de votre fille et de son enfant.
Et dominant Favraut, qui le contemplait avec épouvante, Judex acheva:
– Mais Dieu n’a pas voulu que ces deux innocents fussent sacrifiés à votre lâcheté aveugle, à votre haine exacerbée. Mes liens ont été brisés à temps pour me sauver malgré ces gens, et malgré vous. Favraut, je ne reviendrai pas sur mon verdict de grâce.
«Cessez donc de trembler ainsi. Je vous l’ai dit, je vous le répète, et vous ne tarderez pas à en avoir la preuve… désormais, vous n’avez plus rien à craindre de moi.
– Non… non… reprenait le banquier d’une voix sourde… farouche. Non, ce n’est pas possible.
– Pourquoi n’est-ce pas possible?
– Parce que je sais qui vous êtes.
– Eh bien?
Le marchand d’or, courbant le front, avoua:
– Jacques de Trémeuse ne peut pas me pardonner!
– Certes…, reprenait Judex, j’avais le droit de me montrer inexorable… et loyalement, je dois vous dire qu’élevé, ainsi que mon frère, dans la haine de celui qui avait tué notre père et à jamais brisé le cœur de l’épouse la plus pure et la mère la meilleure, rien ne m’eût détourné de la vengeance que nous avions résolu d’exercer contre vous, si un ange n’était pas venu à votre secours…
– Ma fille!… balbutia le banquier en joignant instinctivement les mains.
Car… rien qu’à la noblesse d’émotion et à la profondeur de sentiment que Judex avait témoignées en prononçant cette dernière phrase, le père de Jacqueline avait enfin compris que son ennemi était sincère et qu’il n’avait plus rien à redouter de lui.
– Oui… votre fille! accentuait Jacques de Trémeuse. En attendant qu’elle vous confirme tout ce que je viens de vous dire, qu’elle vous mette sous les yeux la preuve des accusations que j’ai portées contre l’infâme Marie Verdier… laissez-moi vous dire ce qu’elle est… car vous ne vous en êtes jamais douté un seul instant… Elle a grandi… vécu près de vous… sans que vous daigniez jeter un regard attendri sur elle… sans que vous ayez jamais eu à son égard d’autres projets que ceux que vous jugiez utiles à vos intérêts… vous servant d’elle comme d’un moyen de plus pour la réussite de vos entreprises… n’hésitant pas à la livrer, comme vous alliez le faire, à un individu que vous saviez non seulement criblé de dettes, mais sali de toutes les tares, capable de toutes les félonies, mûr pour tous les crimes, puisque j’en ai fait justice au moment où il allait devenir un assassin.
Maintenant, complètement subjugué par cette parole précise et puissante, Favraut écoutait, sans l’interrompre, Judex qui poursuivait:
– Je vous ai dit la vérité. Une fois que vous allez avoir reconquis cette liberté que je vous rends au nom de votre fille et de votre petit-enfant, vous agirez envers moi, envers tous, dans la plénitude de votre indépendance reconquise. Je ne ferai rien… vous m’entendez, absolument rien pour me soustraire aux responsabilités que j’ai encourues. Puissent ces deux êtres, auxquels vous devez déjà votre salut matériel, vous apporter aussi le salut moral dont vous aurez besoin pour reprendre en paix le cours d’une existence qui, je l’espère pour vous encore plus que pour les autres, sera toute de repentir, de réparation et de bonté.
Et, désignant d’un geste large, l’horizon qui commençait à s’empourprer des premiers feux de l’aurore, Jacques de Trémeuse acheva:
– Favraut… c’est un jour nouveau qui se lève pour vous. Soyez digne de la lumière qu’il vous apporte… du bonheur qu’il va vous donner. Je n’ajouterai qu’un mot: Le châtiment que vous avez subi n’est rien en comparaison de vos crimes. Je ne souhaite qu’une chose, pour ceux qui vous aiment… pour ceux que maintenant vous allez enfin savoir aimer… c’est que ce châtiment suffise à Dieu comme il m’a suffi à moi-même.
Et le marchand d’or, bouleversé par cette parole, qui le pénétrait d’un sentiment nouveau, inconnu… bégaya en un sanglot cette phrase, montrant qu’enfin touché par le regret, il comprenait à la fois ce qu’il avait été, et ce qu’il aurait dû être:
– Ah! si j’avais su… si j’avais su!…
Diana Monti, toujours affalée sur le banc, dans la cabine du capitaine Martelli, n’avait cessé de donner les marques du plus profond abattement.
Sous la surveillance de Miss Daisy Torp qui, fidèle à la mission que lui avait confiée Judex, ne la quittait pas des yeux… elle n’avait pour ainsi dire par bougé… se contentant, par instant, de faire entendre quelques plaintes douloureuses… et gardant sa tête cachée entre ses mains comme si elle voulait se dérober au regard de l’Américaine.
L’aventurière donnait ainsi l’impression d’une femme qui, résignée à son sort, n’a plus à opposer à l’infortune qui l’accable que la passivité du découragement le plus complet.
Et cependant… la misérable n’avait pas désarmé.
Loin de là…
Elle concentrait au contraire sa pensée sur un but unique: échapper à Judex.
Mais comment?
L’astucieuse créature n’avait pas été longtemps embarrassée…
En effet, elle s’était dit:
– Je vais employer pour m’évader de ce navire le même procédé qui m’a déjà si bien servi pour me sauver du moulin des Sablons. Quand je sentirai que l’Aiglon s’est considérablement rapproché de la terre, je trouverai bien moyen de me débarrasser de ma gardienne… En un bond je grimperai sur le pont et, sans hésiter, je piquerai une tête dans la mer… Quoi qu’il arrive, je suis assez bonne nageuse pour me tirer d’affaire. Que ferai-je ensuite? Je l’ignore. L’essentiel pour moi est de me tirer des griffes de l’ennemi.
Une fois sa résolution arrêtée en principe, une question se posa dans l’esprit de l’aventurière:
– Comment me débarrasser de ma gardienne?
Diana Monti s’était tout de suite rendu compte qu’elle avait affaire à très rude partie… Attaquer de front une pareille adversaire lui semblait d’une imprudence extrême.
D’abord, elle risquait très vraisemblablement de ne pas être la plus forte, puis, le bruit de la lutte ne manquerait pas d’attirer l’attention de Judex, et, depuis la défection du capitaine Martelli et de son équipage, elle savait qu’elle ne pouvait plus compter sur personne pour la défendre.
Restait la ruse… et sur ce terrain, même au milieu de la terrible épreuve qu’elle traversait, l’ex-institutrice se sentait tout à fait à son aise.
Son plan fut vite tracé.
Il ne restait plus qu’à l’exécuter.
Avec un calme extraordinaire, un sang-froid étonnant qui montraient que non seulement elle n’avait pas désarmé mais qu’elle était encore en possession de toutes ses facultés criminelles, l’aventurière calcula le temps dont le brick-goélette avait besoin pour se rapprocher à une distance raisonnable de la terre.
Puis, quand elle eut la conviction qu’il ne se trouvait plus qu’à deux ou trois cents mètres du rivage… elle se leva… comme si elle était en proie à une soudaine et irrésistible douleur…
Puis, portant sa main à sa gorge, elle s’écria la bouche contractée… les yeux révulsés, l’écume aux lèvres:
– J’étouffe… j’étouffe!… au secours… à moi… je vais… mourir.
Et tournoyant sur elle-même, elle s’abattit lourdement sur le plancher de la cabine.
Instinctivement, Miss Daisy Torp se précipita.
C’était l’instant qu’attendait la misérable.
En effet, tandis que l’Américaine se penchait vers elle… Diana se releva d’un bond de panthère… Puis, d’un vigoureux coup de tête en pleine poitrine, elle envoya rouler à l’entrée de la soupente la fiancée de Cocantin qui, surprise par cette attaque aussi traîtresse qu’inattendue, n’avait pas eu le temps de se mettre en garde.
Alors, prompte comme l’éclair… Diana, dont la vitalité nerveuse était décuplée par sa volonté ardente d’échapper à Judex… courut à la porte… l’ouvrit, escalada les marches et se trouva sur le pont…
Courant droit au bastingage, elle grimpa sur le sabord… et, en un plongeon audacieux, disparut dans les flots.
Mais Miss Daisy Torp, immédiatement remise de l’attaque brusquée dont elle venait d’être la victime, apparut à l’entrée de la cabine au moment où l’aventurière piquait une tête dans la mer.
Elle gagna à son tour le bastingage…
Elle aperçut la Monti qui, en brasses précipitées, s’éloignait de l’Aiglon vers la terre.
Alors, sans hésiter, elle «pique» aussitôt dans la mer… se lançant à son tour à la poursuite de celle qui vient de lui échapper.
Diana cherche à la gagner en vitesse.
Mais bientôt elle s’aperçoit que la splendide nageuse qu’est Miss Daisy s’approche d’elle de la façon la plus inquiétante.
Bientôt les deux femmes ne sont plus qu’à quelques mètres de distance.
Une lutte terrible et sans merci va s’engager.
Car Diana, en un geste désespéré, a résolu d’accepter la bataille.
L’ondine a rejoint l’aventurière… Toutes deux, en un cri de défi… se saisissent… s’empoignent… s’étranglent… puis disparaissent bientôt, enlacées en une mortelle étreinte… sous les flots qui se sont refermés sur elles.