NOTICE

« Allons bon ! » me dis-je en aparté, car mes réflexions s’articulent toujours dans un style beaucoup plus sobre et condensé que mon style écrit.

Le quatuor (qui n’est pas à cordes, mais à pieds) s’avance jusqu’à ma portière. Quibezzoli toque comme s’il s’agissait de l’huis d’un appartement.

Je baisse ma vitre.

— Si vous quêtez pour la Croix-Rouge, j’ai déjà donné, fais-je.

Mais n’étant pas joyeux de nature, et compte tenu de son entourage magistral, il s’abstient du moindre sourire.

— Pouvez-vous sortir, commissaire ? Nous avons besoin de vous parler.

J’hésite.

— D’accord, dis-je, je descends parce que le juge Favret est une femme et que je ne parle pas assis aux dames debout.

Les insectes, indifférents à nos mesquins problèmes de mammifères pensants, continuent de crépiter comme un feu d’artifice. Archiptères, coléoptères, diptères, hyménoptères, lépidoptères, névroptères, orthoptères s’en donnent à cœur joie.

— Ainsi, vous me suiviez ! fais-je. J’ai déjà exprimé ma réprobation à l’un de vos sbires, je suis prêt à continuer avec vous, collègue !

Il retrousse ses babines de cador teigneux :

— Je ne vous le conseille pas. Moi, je travaille officiellement, j’ai des ordres. Le juge Favret souhaitait vous auditionner d’urgence et vous avez grossièrement repoussé sa convocation.

— Je n’ai eu de contact qu’avec son greffier.

— Il s’exprimait en son nom.

Je me décide à sortir un de mes cigares.

— La fumée ne vous gêne pas ? demandé-je à la belle Hélène.

Elle secoue négativement la tête. J’use du cérémonial d’usage pour allumer mon barreau de chaise. Un qui se demande si c’est du lard ou le duc Hochon, c’est Freddo. Cette bouille, en m’entendant appeler commissaire ! Je suis tremblant d’une rage glaciale. Juste au moment où le mec s’affalait, voilà ces pieds-nickelés qui déboulent, avec à leur tête de nœud, la Jehanne d’Arc des dossiers verdâtres ! Pour rattraper le coup, ensuite, ce sera macaque bonno, comme dit Bérurier. Un amphigouri de cette nature, c’est pis qu’une baise ou une mayonnaise avortée, même à la manivelle tu peux plus la ravoir.

— Retournons en ville ! dit Hélène.

— En ce cas, bonsoir, fais-je, moi j’ai un flirt en cours avec ce beau jeune homme et j’entends le poursuivre. Mes mœurs changent d’orientation, cela se produit parfois chez des individus déçus dans leur orthodoxie.

La petite Favret me file un regard aussi suave que celui qu’échangent un serpent et une mangouste.

— Je n’ai encore jamais signé de mandat d’amener sur le capot d’une voiture, mais je suis prête à le faire si vous refusez de nous accompagner.

— Le commissaire San-Antonio en état d’arrestation ! m’exclamé-je, c’est frivole. On peut connaître le chef d’inculpation ?

— Complicité avec une association de malfaiteurs s’étant rendus coupables de séquestration, et insultes à magistrat, entre autres…

— Je ne pense pas qu’une initiative de ce genre constituerait le fleuron de votre carrière, juge.

— Voulez-vous me préparer un mandat d’arrêt au nom du commissaire, monsieur Roupille ? demande la vilaine donzelle à son birbe.

Tu parles qu’il veut, l’autre furoncle ! Il me déteste tellement qu’il souille son slip chaque fois que mon nom est prononcé. Tu le verrais déballer son porte-documents râpé, sur le capot de leur DS.

Quibezzoli jubile aussi, mais avec un peu plus de discrétion. Je me penche à l’oreille de la jugeuse.

— Plus vous m’en faites voir, plus je m’en ressens pour vous, Hélène, je lui chuchote, c’est un maléfice merveilleux. J’attendrai vingt ans s’il le faut, mais un jour je vous prendrai dans mes bras !

Joli, non ? Dans un film, bien en situation, ça ferait mouiller les chaisières, moi je te le dis. Faut pas craindre d’en rajouter, d’aller à fond dans le gazouillis.

La Favret, comment qu’elle saute ! Tu verserais un plein bol de fourmis rouges dans sa culotte, elle réagirait pas plus vivement.

— Insolent ! hurle-t-elle.

— Qu’est-ce il y a ? Qu’est-ce il y a ? intervient le commissaire Quibezzoli.

— Cet homme n’est pas digne du titre qu’il porte ! égosille le juge.

S’ensuit une amorce d’échauffourée de la façon suivante. Le médor à Quibezzoli, con et discipliné, croit judicieux de me cueillir aux revers. Ce qui lui donne droit à mon genou dans les roubignoles. De ce fait il me lâche ! Quibezzoli, vert de rage, ver de terre, verre filé, vers chez moi, porte la main à son pétard, que je te demande un peu où ça va dégénérer ce numéro à la noix, d’ici qu’on s’entre-flingue, y a pas loin !

— Messieurs ! Messieurs ! Je vous en prie ! crie le juge, effrayé.

Bon, le calme revient.

Roupille qui s’était interrompu de rédiger retourne à ses pattounes de mouche. Celui que j’ai genouillé de première, masse ses génitoires à travers son grimpant, mais on sent qu’il aimerait se les passer à l’eau froide. Quibezzoli bongré-maugrée. Et moi je bondis en constatant que le gars Freddo a profité de l’algarade pour se tirer.

Textuel ! Sa portière est encore entrouverte. Il a bien employé notre inattention.

— Il a filé ! beuglé-je. Bande de crêpes, c’est votre faute ! Un client de première !

Je m’élance !

— Restez ici ! tonne Quibezzoli.

Je lui oppose la face la plus vacharde qu’il ait jamais contemplée depuis qu’il s’est fait tirer le portrait dans un Photomaton.

— Cet homme est un des éléments de l’affaire, si vous couvrez sa fuite, alors là, oui, il y aura complicité avec une association de malfaiteurs.

Et je bondis, le laissant libre de me défourailler dessus s’il est assez tordu pour.

Freddo, je pige très bien, a rampé une fois dégagé de sa guinde, jusqu’au monceau de bagnoles empilées. Une fois à l’abri de cet immense tas de ferraille, il a pu prendre ses jambes à son cou.

Je cavale à perdre alêne, comme un cordonnier asthmatique. Au-delà de l’amoncellement de tires pourries, se trouvent des serres. Je m’y précipite. Très vite, devant la première, je découvre un monsieur en tenue de paysagiste, face à terre (il a l’habitude de la contempler). L’arrière de sa tronche est sérieusement contondé : son cuir dénudé (il est chauve comme la cantatrice de Ionesco) porte une tuméfiance bleuâtre et qui sanguignole en son centre. Une pierre tachée de sang gît à côté du bonhomme.

Je m’empresse de le soulever. Il est sonné sérieux, Fanfan-la-tulipe. Le Freddo, quand il assomme, c’est pas de la chiquenaude.

Au bout de fort peu, il récupère pourtant ses esprits. Me dévisage.

— Jé crois qué j’ai oun’ insolatione, dit-il avec l’accent italien du nord.

Quibezzoli me rejoint.

— Qu’est-ce que vous avez encore fait ! grince mon homologue.

— Ah ! non, m’emporté-je, ça commence à bien faire ! Pour qui me prenez-vous, Ducon ! A côté des miens, vos états de service ressemblent à des virgules sur des murs de chiottes, si je fais donner la garde vous allez la sentir passer dans vos moustaches, vous et le juge, merde !

Ma colère est tellement somptueuse qu’il ne peut se retenir de l’admirer comme elle le mérite. Impressionné par l’éclat de mon éclat, il chausse ses lunettes de soleil afin d’éviter les radiations.

Je désigne une tache d’huile sur un petit terre-plein où sont entreposés des sacs d’engrais.

— Vous avez une auto ? demandé-je au jardinier.

— Si ! Ma où elle est ?

— En circulation, fais-je.

Puis, à Quibezzoli :

— Notre homme a assommé ce jardinier pour s’emparer de sa tire et disparaître.

— Sympa, ronchonne le commissaire. C’était qui, ce type ?

— Un dénommé Freddo, exerçant officiellement le métier de chauffeur de grande remise. Mais il avait probablement d’autres activités moins honorables, sinon il n’aurait pas pris tous ces risques en nous faussant compagnie.

On regagne Nice. C’est Quibezzoli qui pilote la Mercedes à Freddo. Il a pris le paysagiste avec lui pour lui faire greffer un pansement chez le premier pharmago venu ; moi je monte dans sa voiture, au côté du juge Favret.

Au fait, qu’est devenu le mandat d’arrêt ? Roupille a dû, sur l’ordre d’Hélène, le fourrer dans sa serviette fétide en attendant la suite des événements.

Serait-elle disposée à rengracier ?

Elle se tient bien droite, sans parler. Son parfum délicat continue de m’envoûter.

Je tire mon carnet de ma poche et j’écris :

Vous êtes bien plus belle que la Côte d’Azur !

Lui montre le feuillet.

Elle lit le poulet du poulet, hausse les épaules et se crispe un peu plus mieux davantage, dirait le Gravos dont les qualités pléonasmiques sont célèbres.

Je tourne la page de mon carnet et sur la nouvelle qui s’offre je trace :

Je vous aimerai jusqu’à la fin du monde.

Mais elle ne veut plus lire. Alors j’arrache le feuillet, l’humecte de salive et le colle contre sa vitre.

Vivement, elle l’arrache.

Je sais qu’elle a eu le temps d’en prendre connaissance.

— Je n’ai jamais vu un tel acharnement, soupire-t-elle.

— Moi non plus, dis-je ; moi non plus.

Et c’est vrai que ça devient désemparant, tout ça.

Elle reste un instant silencieuse. Je la regarde à la dérobée (ce que je la déroberais bien moi-même, bon Dieu !). Elle finit par murmurer :

— Vous devriez avoir davantage de respect humain, commissaire. Votre insistance a quelque chose de… de très pénible.

— Et de désespéré, ajouté-je.

On ne se dit plus rien jusqu’à Nice.


Dans une petite pièce où se dessèche un bouquet de mimosa, unique ornement de ce lieu dont l’anonymat flanque la nausée, elle recueille ma déposition, la nouvelle, qui s’enchaîne sur celle qu’a prise Quibezzoli la veille. Le ton de ses questions est morne, le ton de mes réponses l’est plus encore. Tout cet échange est mécanique. On a l’air brusquement de se foutre éperdument de l’affaire Lainfame. Le mystère ne nous passionne plus.

Le vieux gribouillard relit le texte en attendant de le relier. Je persiste et signe.

Et puis je demeure face au juge, les jambes croisées, l’air tout chose, abîmé dans des sentiments confus.

— Si vous voulez me permettre d’ajouter quelques mots, hors antenne, Mme Favret, je vous dirai que ce genre d’enquête doit se mener à chaud et au pas de charge. Votre intervention, tout à l’heure, a été pour le moins intempestive, car j’allais obtenir des révélations de ce Freddo.

— Nous le retrouverons, assure-t-elle.

— Peut-être, mais les circonstances seront alors telles qu’il ne parlera plus car vous userez de la voie officielle. Mon efficacité vient de ce que je n’hésite pas à me marginaliser en usant de moyens plus ou moins légaux.

— Nous sommes les représentants de la légalité, objecte-t-elle.

— Vous, certes, mais pas moi. Mon rôle est de combattre les criminels et d’obtenir des résultats positifs.

Tiens, s’amadouerait-elle ? Elle ne me rebuffe pas, ne me congédie pas comme un palefrenier ivre.

— Je vais convoquer immédiatement le sieur Moulayan.

Le sieur vous l’offre !

— Me permettez-vous de donner un coup de téléphone, madame le juge ?

Elle désigne l’appareil d’un geste irrité.

Je demande au standard de me passer l’hôtel Azur Grand Lux et c’est fait en moins que pas longtemps. La téléphoniste de l’hôtel m’annonce que Moulayan a dû quitter l’hôtel précipitamment, de même que Mlle Ira Palhuin, la personne qui l’accompagnait. Il a réglé sa note, mais laissé ses valises qu’il devra faire prendre plus tard.

— En ce cas, lui dis-je, passez-moi M. César Pinaud.

Elle répond que oui, mais au bout d’une forte insistance, m’informe que ce dernier ne répond pas.

Parbleu ; le Débris s’est mis à filocher Clément Moulayan. Fasse le ciel qu’il ne se laisse pas décrampinner trop vite !

Je mets le juge au courant de la situasse.

— Vous voyez que j’ai raison quand je vous dis que tout cela manque de promptitude. Le Libanais a eu le temps de fuir. Je vous fiche mon billet qu’il s’est fait conduire à l’aéroport. Il faut immédiatement lancer un avis de recherches, peut-être s’y trouve-t-il encore ?

— Je vais aviser, réagit la magistrate ; je vous remercie, commissaire, mais je n’ai plus besoin de vous.

Elle me décoche à nouveau son regard froid, gardant ses deux jolies menottes bien à plat sur le cuir du vieux sous-main.

— Puis-je me permettre une dernière question ? articulé-je.

— Je pense que nous n’avons plus rien à nous dire, bonsoir.

Alors je me penche vers elle par-dessus la table-bureau.

— Je me tiens à la disposition de la Justice, madame, ne l’oubliez pas : de jour et de nuit.

Là-dessus, je m’en vais. Dans le couloir, je me heurte à l’ami Quibezzoli.

— Et voilà, lui dis-je, tout s’arrange quand on oublie ses mouvements d’humeur. Si nous allions boire une coupe bien fraîche à mon hôtel, collègue ? Manière d’enterrer cette ridicule hache de guerre. On a mieux à se faire que des crocs-en-jambe, vous et moi.

Il hésite, s’apprête à refuser, je le sens.

— Je dois bouffer avec le ministre de l’Intérieur demain soir, chez le grand patron de la Rousse, poursuis-je ; si vous avec un petit machin à la traîne et dont vous souhaiteriez qu’il s’accélère, je suis votre homme.

Un éclat vite éteint flamboie dans sa prunelle. Il se met à me suivre, comme un âne qui aime les carottes.


Deux bouteilles de champagne vadrouillent dans notre tubulure et le commissaire Quibezzoli commence à prendre un regard de belon double zéro. Il m’a confié l’espoir de sa mutation à Paris et j’ai réchauffé celui-ci au bain-marie des promesses fallacieuses. On se tutoie.

Le jugeant à point, je décide de lui placer ma fameuse botte de Nevers.

— A propos, Brice (c’est là son écologique prénom), qu’as-tu fait du citoyen Courre Martial qui tarabustait les parents Lainfame ?

— Je l’ai filé au ballon !

— En attendant quoi ?

— Que la petite juge décide.

— Tu sais ce qui serait marle, mon grand ? fais-je en vidant le reliquat de la seconde quille dans son godet, ce serait de le relâcher.

Il bondit, ce qui manque le déchaiser.

— Quoi, le relâcher ?

— En organisant une courette bien suave, il nous permettrait de recoller au peloton qui vient fâcheusement de prendre la tangente.

Malgré sa biture en voie de développement, mon éminent confrère hoche la tête :

— Trop risqué ; s’il nous échappait ?

— Ce serait à nous autres d’usiner pour éviter ce genre de gadget.

— La gonzesse va crier au charron et faire tout un cirque ; elle est jolie mais pas marrante, les bonnes femmes investies d’autorité se prennent toutes pour des Jehanne d’Arc. Je ne sais pas si tu as remarqué celle-ci, la façon qu’elle nous parle ! Selon moi, elle manque de bite !

— Les grands esprits se rencontrent, approuvé-je, j’ai déjà posé le même diagnostic à son sujet.

— Tu devrais essayer de la mettre à plat, ricane Quibezzoli, on m’a raconté que tu tombais toutes les frangines qui passaient à promiscuité ?

— On exagère, je ne tombe que celles qui me plaisent, réponds-je modestement. On s’en commande une autre ?

— La dernière, alors. Dis donc, on voit que tu as des accommodements avec le ciel, toi, tes notes de frais t’empêchent pas de roupiller !

C’est le moment que choisit le barman pour m’annoncer qu’on me réclame au fil.

It is Pinuche.

Le Vieillâtre marque sa satisfaction de m’obtenir en ligne par une quinte menue entrecoupée de syllabes sans signification objective.

— Calme-toi, respire à fond, déporte ton mégot sur la gauche, toute, et compte jusqu’à dix avant de parler, lui conseillé-je.

Il souscrit à ces conseils dont le bien-fondé ne lui échappe pas, prend même un temps supplémentaire et commence son récit de Tu-ramènes.

— Il s’est passé pas mal de péripéties et autres incidences depuis ta visite à Moulayan, attaque l’éminent déchet. Je vais te les résumer dans leur ordre chronologique.

« Peu après que tu eusses quitté l’hôtel, Moulayan a quitté sa chambre. Il est sorti, a cherché quelqu’un qui ne se trouvait pas là et a questionné le portier, lui demandant ce qu’il était advenu d’un certain Freddo. Le portier lui a expliqué que tu étais monté dans la voiture et que vous étiez partis en direction de Cannes. Ce qu’entendant, Moulayan s’est précipité à la caisse pour demander sa note immédiatement ; me suis-tu, Antoine ? »

— Comme un porteur de bannière suit le saint sacrement, rassuré-je.

Il toussote d’aise et reprend :

— Ayant payé, il est remonté chercher la fille qui l’accompagnait ainsi que son attaché-caisse. La personne en question paraissait mécontente, néanmoins elle l’a suivi. Ils ont alors pris un taxi et se sont fait conduire à l’aéroport, me suis-tu toujours ?

— La main sur l’épaule, Pinaud, va, mon chérubin, tu me passionnes.

— Une fois à Nice-Côte d’Azur, seul Moulayan est descendu, cependant que le chauffeur attendait, avec la fille toujours assise à l’intérieur. Au bout d’un certain laps de temps, Moulayan a réapparu. Il a ouvert la portière du taxi, mais n’y est pas monté. Il a simplement parlementé avec sa compagne. Puis il a reclaqué la portière et il est rentré dans l’aéroport.

— Qu’as-tu fait alors ?

— J’ai montré ma carte de police au conducteur de mon propre taxi et je lui ai ordonné de filer le premier, lui donnant rendez-vous à l’Azur Grand Lux en fin d’après-midi. Moi-même j’ai pénétré dans l’aéroport.

— Très très bien, mon vieux Vermoulu. Ah ! si tous les gâteux étaient seulement comme toi ! Ensuite ?

— Moulayan venait de prendre un billet d’avion pour Athènes. C’était le vol étranger le plus immédiat : on appelait déjà les passagers. N’ayant pas suffisamment d’argent sur moi, je n’ai pu le suivre davantage. Alors j’ai regagné mon hôtel et je me suis employé à récupérer l’appareil que tu m’avais demandé de poser, ce à quoi j’étais parvenu en me faisant passer pour l’intendant de l’hôtel. Hélas ! l’engin avait disparu.

Je postille :

— Disparu !

— J’ai le regret de te le confirmer.

— Il faut dire que tu l’avais si admirablement planqué ! Un aveugle sans canne blanche l’aurait aperçu !

— Ecoute, mon cher, il est malaisé de trouver une cachette inexpugnable en présence de deux personnes qui suivent vos faits et gestes ! rebiffe l’hémorroïdique.

Moi, je me revois chez Moulayan ; et je te parie l’âge du feu contre celui de ta grand-mère qu’il y a eu un phénomène de télépathie entre nous, à cet instant : je l’ai « senti » passer.

La Pinoche reprend, après moult gargarismes à sec :

— Tout n’est pas négatif. Mon taxi est venu au rendez-vous pour se faire régler, et à ce propos, je te signale que je suis désormais sans le moindre viatique, lui ayant remis pour prix de sa course toute la liquidité dont je disposais et qui se montait à cent treize francs et quarante centimes. Tu sais que chez nous, Mme Pinaud tient les cordons de la bourse d’une main de fer et ne m’alloue pour argent de poche que deux cents francs par mois. Nous vivons des temps d’inflation et elle place tout en napoléons.

— Que t’a appris le taximan ? coupé-je, insoucieux de ses opérations boursières.

Je comprends que la découverte de mon petit esgourdeur de poche ait conforté Moulayan dans ses desseins de fuite. J’ignore ce qu’il bricole dans l’affaire, mais il a pigé que c’était scié et qu’il était au seuil de noirs turbins.

— Le premier taxi a conduit la jeune femme au port de Villefranche. Le mien, un garçon jeune et dégourdi, qui me semble s’être piqué au jeu, a attendu un moment pour observer ses agissements.

« Elle s’est rendue à bord d’un petit yacht battant pavillon panaméen et qui se nomme Gerda III. Voilà, mon cher, c’est tout ce que je suis en mesure de t’apprendre. »

Son cher remercie. Trouve que le Flasque a bien œuvré, lui conseille de prendre quelque repos dans sa chambre en évitant de s’y faire servir des boissons par trop alcoolisées, et va rejoindre l’ami Quibezzoli, lequel a déjà tronçonné la troisième bouteille de rouille, étant de ces gens qui ont à cœur de s’en foutre jusque-là pour peu qu’ils soient assurés de ne rien débourser.

— Tu vois, me dit-il, j’ai bien réfléchi à ce que tu me demandes, pour le gars que j’ai enchristé ; je pense pas que ça va être possible sans l’accord du juge.

— Eh bien, téléphone-lui pour lui demander la permission de risquer ce coup !

— Gringrinche comme tu la sais, elle va m’envoyer aux fraises !

— Et alors ? Moi, je te fais muter à Paname, c’est pas autre chose ? T’as quoi à espérer d’elle ?

Il plaque sa main devant sa bouche et inverse les réacteurs de manière à se roter dans les intérieurs.

— Hmm, je verrai.

Il verra ! Seulement il ne faut pas qu’il attende d’être dessoûlé pour « voir », sinon il retrouvera son esprit chagrin et ses idées vinaigrées, l’artiste.

— Vas-y, tube-lui, elle est à l’hôtel. Tu lui dis que t’as un plan génial, fais mousser la savonnette, merde ! La fortune sourit aux audacieux. Tu te rends compte que si tu démantelais l’organisation que je subodore, tu ferais ton entrée à Pantruche au son d’un Te Deum ! On déroulerait le tapis rouge et la fanfare te jouerait la Marseillaise. Faut faire parler de toi, bonhomme ! Les carrières dans un placard sont les plus poussiéreuses !

— Je vais, décide-t-il. Banco, je vais !

Il rote à l’air libre, s’excuse, évente, s’ébranle.

Je le laisse gagner les cabines, d’ensuite de quoi, je m’y rends idem pour réclamer à la gentille standardiste la capitainerie du port de Villefranche. Un préposé qui est en train d’écouter la radio me répond. Je lui raconte que police, naninana, et qu’il me faut avoir des tuyaux discrets sur un petit yacht baptisé Gerda III sous pavillon panaméen.

Le gus me rétorque que oui, oui, il est toujours à quai. Son « capitaine » est un Hollandais du nom de Van Delamer. Mais il s’agit d’un yacht de quinze mètres que Van Delamer manœuvre avec seulement l’assistance d’un mataf. Il mouille à Villefranche depuis quatre jours.

Alors bon, très bien, moi je me mets à raconter des trucs au gars de la capitainerie, et à lui expliquer ceci, cela, le comment du pourquoi du chose. La manière qu’il faudra, tu comprends ? Il pige admirablement, paraît très coopératif, voire, à la limite, excité de collaborer avec la police. Je le prie de saluer son épouse de ma part, et lui promets d’envoyer des fruits déconfits à icelle à la première occase.

Je raccroche, presque en même temps que le commissaire Quibezzoli dans la cabine voisine. On se retrouve face à face, yeux dans yeux.

Il me distord une grimace de mauvaise auguration, comme dit Bérurier (qu’à propos, si j’avais pour deux ronds de ce que tu penses, je devrais prendre de ses nouvelles à ce cher agonisant de mes fesses).

— Alors, ça biche, prêcheur ? je rigole.

— Mollo ! Elle veut interroger Courre demain matin, elle me dit que cette histoire est fumeuse et qu’elle m’a probablement été soufflée par toi, que c’est bien ton style Pieds-Nickelés.

La belle âme ! Un instant, tout à l’heure, j’ai cru lire chez elle un certain flottement. Et puis elle s’est ressaisie, Hélène. O combien ! Petite garcerie, va ! Te lui enfoncerais une bouteille de Perrier dans les miches afin qu’elle fasse pschitt ! une bonne fois ! Ça ne devrait pas exister des gonzesses de ce tonneau : belles, romantiques, mais chiantes et bêcheuses ! Elle a été élevée chez les demoiselles de Saint-Machin, sous le haut patronage de Mme de Maintenon.

Qu’est-ce qui l’a décidée à effectuer ce déplacement sur la Côte ? C’est légal, tu crois ? Faudrait que je me rencarde…

— On va finir la bouteille ? demande Quibezzoli.

— Vas-y tout seul, faut que j’usine.

— Dans quoi vas-tu te lancer, encore ?

— Dans la navigation, je réponds. Le jour commence à en prendre un coup dans l’aile et j’ai juste le temps.

— Le temps de quoi ?

— De faire une connerie de plus.

— C’est bien ce qui me semblait, grince l’autre girouette, regonflée par la jeune Favret et toute prête à me barbouiller de sa bave gastéropodique.


Le barlu que je viens de louer est un pointu de pêcheur bricolé, mesurant environ huit mètres, dont la peinture bleue s’écaille comme le maquillage d’une douairière en fin de soirée. Il s’appelle Vas-y Titin !, ce qui est une exhortation de bon augure. Son moteur à deux temps trois mouvements fait un bruit comme le pétomane dans sa baignoire. Ayant casqué la caution, donné l’assurance, promis le reste, me voilà à l’attaque du flot berceur.

La mer, assagie par l’imminence du crépuscule, est lisse comme le dessus de ta desserte d’acajou. Je contourne le cap séparant la baie de Nice de celle de Villefranche. Mes petoupetoupetou s’épanouissent sur la Méditerranée à peu près déserte. Un voilier aux feux allumés passe, très loin, tellement au bord de la ligne d’horizon que je crains de le voir basculer dans le vide, mais non, il conserve son équilibre.

Je me mets à chanter à tue-tronche. Des bribes de scies anciennes : O Sole mio, la Petite Tonkinoise, J’ai deux amours, Mon légionnaire et autres machins dont j’ignorais qu’ils existassent encore dans mon souvenir. Les lumières de Villefranche scintillent, réverbérées par l’eau. Je pique droit sur le port, repère la capitainerie et me range en coupe devant la construction. Je tombe sur mon préposé avec lequel j’ai eu cette édifiante converse téléphonique. Poignées de mains. C’est un gars enveloppé, jovial.

— Je vous ai arrangé votre affaire aux petits oignons ! me dit-il.

— Merci grandement. Je vous demande quelques minutes avant de m’indiquer ma place, j’ai quelques emplettes à faire.

Et je trace en direction des magasins qui s’apprêtent à fermer. Il ne me faut pas lerche de temps pour m’acheter un caban et une casquette de marine qui accréditent mon personnage. Je pourrais compléter par une pipe, mais je ne suis pas client, bien qu’aimant l’odeur de l’Amsterdamer ; jusque-là, les pipes, je ne les achète pas de série mais me les fais faire sur mesure par des spécialistes émérites dont j’apprécie la modulation de fréquence.

Mon pote Martin (le capitainier se nomme ainsi) me désigne alors le quai où je dois jeter l’ancre.

Et me voilà à quelques centimètres du Gerda III, amarré pépère. Martin qui s’est rencardé, m’a affranchi : ils sont quatre à bord en comptant Ira Palhuin ; il y a Van Delamer et sa femme, un mataf qui ne jacte pas un traître mot de français (du reste, notre langue ne comporte pas de traîtres mots, ou s’il en est, ils ne sont pas utilisés dans le langage courant), et la camarade du père Moulayan.

La nuit est superbe comme dans du Van Gogh étoilé. On entend musiquer des radios à bord des bords. Quelques plaisanciers bouffent sur leur pont. Mais dans l’ensemble l’animation, en cette avant-saison, est très réduite.

Je me love dans le petit roof aménagé à l’avant du pointu, et qui est tout juste assez spacieux pour héberger deux couchettes. Le réduit pue le moisi, le poisson et autre chose encore que je n’arrive pas à déterminer avec certitude, mais dès que ça me reviendra je t’enverrai un télégramme. Je laisse mes fringues et revêts le caban, plus un jean dont je me suis muni.

Et si tu t’offrais une petite graille, Tonio ? Une pareille après-midi t’éponge les calories.

Je me choisis un petit troquet sans histoire dans une ruelle agaçante où une terrine maison, en provenance effectivement de la Maison Olida, et une gibelotte de lapin dite « bonne femme », mais ça n’arrange rien, car il est de sales bonnes femmes, trompent à la fois ma faim et le temps. Le petit rosé de Provence se laisse boire, selon l’expression connesacrée. Et moi, dit bibi, dit mézigue, dit ma pomme, dit mégnace, je me récapitule tout le fourbi depuis le début. D’un côté Michel Lainfame et sa femme. Il me téléphone pour me dire qu’il l’a tuée, mais quand on parvient chez lui, c’est le cadavre de sa maîtresse qui gît sur le parquet. Une bande de gens douteux, commandés semble-t-il par un banquier libanais nommé Clément Moulayan, assiège la maison de ses parents pour y piéger son épouse, disparue. Celle-ci y vient, mais s’esbigne à temps, d’après le témoignage de la maman Lainfame.

Dès que je plonge le nez dans la fourmilière Moulayan, c’est dare-dare la grosse dispersion, chacun joue la fille de l’air.

Pour concrétiser le blot, je me mets à griffonner la nappe en papier. Le seul avantage qu’on retire des restaurants équipés de ce matériel éphémère c’est qu’au moins on peut écrire en mangeant. J’ai en abomination les nappes de papier et plus encore les serviettes de même métal car, outre l’inconfort desdites, elles me sollicitent la glande écrivaine, si bien qu’au lieu de savourer les mets, j’ai envie de noircir la nappe de mes somptueuses élucubrations.

Pour t’en reviendre, je me livre à un petit exercice constellé de sauce, relevant davantage de la comptabilité que de la littérature. A gauche j’écris « Actif », à droite, « Passif ». Un trait au milieu.

A gauche j’écris : « Courre Martial » et « Ira Palhuin ».

A droite : « Michel Lainfame », « Maryse Lainfame », « Clément Moulayan », « Freddo », « Georges Foutré » et, avec un brin d’hésitation, j’ajoute « Aline Sambois », la victime.

Nouveau temps de réflexion, puis, dans la colonne de l’actif je dépose « Mme Lainfame mère ».

Encore un léger temps ; toujours dans l’actif, je place la gentille « Mimiche ».

Terminé.

Je me permets de saucer mon assiette, l’endroit autorisant ce genre d’abandon contraire aux règles de civilité. Et puis je bondis et murmure à mon intention « quel con ! », car je ne suis pas indulgent avec moi-même, crois-le bien.

Je ressors mon crayon pour inscrire « Van Delamer » à l’actif. Dès lors, cette colonne remonte presque au niveau de l’autre. Pour établir la balance, je colle mon blase dans la première colonne : six à six ! Parce que si San-Antonio n’est pas à cloquer dans l’actif, ma poule, t’as qu’à te le mettre entre les jambes !

Je chope mon crayon Bic (j’ai un faible pour les Arabes), et je note, dans un ballon, quelque part à droite de mon verre : Aline Sambois, la victime ?

En voilà une qu’on se contente de laisser morte dans son coin de l’histoire. Pourquoi a-t-elle été dessoudée, en fait ? Tout épastouillé par le fait qu’on m’annonçait un cadavre précis et que c’est un autre qu’on m’a proposé, je n’ai pas cherché dans cette direction. Comme quoi, dans les crimes c’est comme aux passages à niveau : un meurtre peut en cacher un autre, bien se gaffer en traversant le bouquin !

— Au rayon dessert, on a tarte aux pommes ou ananas au kirsch, m’annonce la serveuse à aigrettes.

— Un café, éludé-je.

Elle emporte mon assiette devenue inutile en remuant ses culottes de cheval sous sa robe de satin noir.

Aline Sambois ! Une morte plutôt insignifiante. Et qui aurait été butée ailleurs que chez Lainfame. Curieux comme la méditation est question d’instant, de lieux… Pourquoi ma pensée se sent-elle si à l’aise dans ce petit restaurant familial ?

Des points s’éclaircissent. Je me paie une réflexion judicieuse : Michel Lainfame est directeur de banque ; Moulayan est également banquier. Autre point d’intérêt : s’il est exact que Maryse Lainfame soit allée chez sa belle-mère, seule, c’est donc qu’elle est libre de ses mouvements. En ce cas, pourquoi ne donne-t-elle pas signe de vie ? Parce qu’elle court un danger ? Evidemment, puisque les gars de la bande au Libanais ont pris des risques pour tenter de la piéger. Qu’attendent-ils d’elle ? Que représente cette exquise Maryse avec qui j’eus des joies de très grande qualité à La Baule ? Elle faisait l’amour avec classe. C’est important, ça, la classe, quand l’amour n’y est pas vraiment. On peut baiser en ville, comme on dîne en ville, grâce à elle. Le savoir-vivre est art de vivre. Pitié à ceux qui en sont dépourvus.

Le café a un arrière-goût de caramel. Je le bois à demi, douille et m’en vais, d’une démarche chaloupée. N’es-tu pas mataf, ce soir, mon Antonio vaillant ? Mon éternel coureur de filles et d’aventures ? Ployant mais ne rompant pas. Enrichi de mille savoirs et de cent mille amertumes. Méprisant et passionné, mais toujours allant, allant plus loin, à pas généreux, là où le devoir, le cul et sa curiosité l’appellent.

Le port est figé. La nuit étoilée. Les haubans font entendre leur cliquetis de grillons métalliques.

Je rejoins mon bord, comme on dit dans la navigation et, tapi sur mon pont (mon ponton nos voleurs), j’écoute le flanc du Gerda III.

Tout y est silencieux. Ses passagers s’y trouvent-ils encore ? Nulle loupiote en provenance de l’intérieur. San-Antonio se déchausse, se déveste, se décasquette, opère un mignon rétablissement (thermal), le bord voisin étant plus haut que le sien. Je tire sur la poignée de la porte coulissante, et celle-ci n’hésite pas à me livrer passage. Me voici voilà dans un coquet salon où flottent des senteurs de melon et de hareng (le Hollandais est un habitué de la caque, c’est sa nature profonde, avec ses gros sabots et son air comme ses moulins à vent, il se sustente modestement des produits de cette mer du Nord dans laquelle il patauge).

Après le salon, se trouve le poste de pilotage ; mais, entre les deux, un bref escadrin mène à la coursive. Le barlu comporte deux cabines ; en sus, se trouve tout à fait à la proue, une espèce de compartiment sans hublot, qui ne s’aère que par la trappe permettant d’y accéder, ce trou est meublé, si l’on ose dire, d’une étroite couchette dont le soubassement sert de coffre à habits, et d’un lavabo grand comme deux mains mises en conque.

J’ouvre délicatement la porte de la première cabine, tends l’oreille à bout de bras, ne perçois rien, hasarde ma lampe-stylo à faisceau bimélangeur indexé, constate la viduité de la cabine, me dirige d’un simple pivotement vers la seconde, procède comme précédemment et, comme procès d’amants, la découvre inhabitée. Les oiseaux se sont envolés à tire-d’ailes ! Pour lors c’est moi qui bats de l’aile ! O Seigneur, pourquoi permets-Tu que je l’eusse dans le cul, alors que je disposais d’une main courante ! Ma chance proverbiale aurait-elle attrapé la vérole, Dieu tout-puissant ? N’ai-je donc plus le privilège de ce tour de faveur que Tu me réservais ? Je jouissais d’une espèce de priorité confuse, Roi de l’Univers, et Tu me la retires du jour au lendemain ! Se peut-ce ?

Je remonte sur le pont et marche jusqu’au trou d’homme desservant la cabine-niche du marin.

La trappe est soulevée. Un léger ronflement s’échappe de l’entrouverture. Il me reste du moins l’équipage si le commandant a déserté.

Je dégage de ma ceinture ma mignonne bombe soporifique.

Pschttt ! pschttt !

Deux giclées dans les profondeurs et je libère la béquille maintenant la trappe ouverte. Il suffit de compter jusqu’à douze. Ce trou du cul-de-basse-fosse commune est le lieu suprêmement idéal pour envaper un gazier. A douze je relève le trapon. Ma loupiotte me permet d’admirer un gaillard (d’avant puisqu’il est à la proue) figé dans le plus marmoréen des sommeils. Il a la bouche ouverte, et les narines tellement dilatées qu’elles ressemblent à une paire de lunettes de soleil. Je cherche un cordage, ce qui est moins difficile à trouver qu’un court de tennis sur un petit yacht de ce gabarit. Retenant mon souffle, je me coule dans le trou et passe la corde autour de la poitrine du dormeur. Puis vite je ressors respirer l’air salubre de la nuit enchanteresse. Hisser le marin hors de son sépulcre nocturne est pour moi un jeu d’enfant. Une fois qu’il est affalé sur le pont, j’utilise le cordage à son entravage et il m’en reste encore une longueur suffisante pour le descendre à mon propre bord.

Les souffles de la nuit forcissent et la chanson des haubans devient plus sonore.

Ayant exécuté cette manœuvre, je statue sur la conduite à adopter. Convient-il d’attendre un hypothétique retour des plaisanciers ou au contraire de m’esbigner avec mon otage ?

Etant l’homme des promptes décisions, j’opte pour la seconde. Quelque chose me dit que Van Delamer et les deux nanas ont mis les bouts pour de bon.

A quoi ça servirait que Vidocq y se décarcasse, si un flic de haute volée ne reniflait pas des certitudes ?

Va, petit mousse, le vent te pousse, que chantait grand-mère, dans son jeune âge ; et mézigue, glandu comme pas trois, je comprenais : « va, petit mousse, le ventre pousse », imaginant dès lors un moussaillon bedonnant, espèce de nain obèse agrippé aux voilures.

Je lance le teuf-teuf petoupetonneur, libère le corps mort, puis les amarres.

En route !

Dieu existe. Je ne l’ai pas rencontré, mais Il m’a téléphoné. A peine sortais-je du port, qu’une forte explosion retentit et qu’un gros brûlot s’installe en bordure du quai.

Le Gerda III qui vient de sauter !

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