Un zig qui renaude sauvagement, c’est le pauvre Alfredo que j’ai laissé moisir au mitard privé. Il est vert de rage, et c’est une couleur qui n’est pas engageante pour un maquereau.
— Je veux un avocat ! hurle-t-il. J’y ai droit ! Cette détention est arbitraire !
Je le calme d’une phrase.
— Mets-y une sourdine, Alfredo, tu es libre !
Du coup il se tait.
Ses yeux papillotent comme le clignotant d’une bagnole.
— Libre ?
— Ben oui. Et tu vois, bonhomme, je vais même pousser le luxe jusqu’à te faire des excuses.
Croyez-moi ou allez vous faire déguiser en pompe à essence, mais je suis sincère. Notre Alfredo montmartrois est blanc comme la neige que ses petits camarades bradent aux camés de Paname.
Il n’a pas tué sa fille. Il n’a pas menti au sujet de Boilevent.
Je fais sauter dans ma paluche le bouton manquant à son lardeuss.
— Tu as perdu ce bouton, Alfredo, ça fait idiot, mais c’est à cause de ce détail que tu portais le bada.
— Vous autres, roussins, vous lisez trop de romans policiers, ronchonne le truand.
— Où l’as-tu perdu, tu t’en souviens ?
J’ai ma petite idée là-dessus, et sa réponse ne fait que la confirmer.
— Dans ma bagnole, dit-il. Il s’est coincé dans le volant et ça l’a arraché.
— O.K., fils.
Je lui tends la main.
— Sans rancune, j’espère. Si un jour t’es ennuyé, viens me trouver, j’essaierai de te revaloir ça.
Il est un peu ému. Il me confie sa fine main aristocratique et nous échangeons un shake-hand vigoureux.
— Vous me bottez, dit-il, dommage que vous soyez un matuche.
— Tu me bottes aussi, dommage que tu sois une fripouille.
On rit et on se quitte bons copains.
Mon vieux camarade Pâquerette va beaucoup mieux. Ses bandages qui le faisaient 1000 av. J.C. ont été remplacés par un large sparadrap. Lorsque je rapplique à son chevet, il est béat, car une gente infirmière vient de lui placer un suppositoire à réaction et lui a promis une piqûre de je-ne-sais-pas-quoi pour très bientôt.
— Et alors ? me fait-il, guilleret. Je me morfondais, commissaire. Quoi de neuf ?
— Des tas de trucs, ma vieille. Primo, alors qu’on ne s’attendait pas à cela, on a mis la main sur une dangereuse bande de trafiquants d’or…
— Pas possible ?
— Comme je vous le dis.
— Et secundo ?
Je lui souris.
— Secundo, on a découvert l’identité du fameux sadique.
— Non ? Enfin !
— Oui, enfin !
Je re-ris.
— Pas étonnant que les filles aient continué de se laisser embarquer par le monstre, malgré les avis diffusés par la presse.
— Ah ! oui ?
— Le sadique est un inspecteur, Pâquerette, vous vous rendez compte ?
Il ouvre de grands yeux.
— Vous plaisantez ?
— Pas du tout. Il lui suffisait de montrer sa carte à la victime qu’il avait choisie et de lui dire « Suivez-moi ». La môme désignée ne pouvait guère refuser…
Je reprends :
— Et savez-vous comment j’ai démasqué le coupable ?
Il ne répond pas.
— Un minuscule détail. Mais que je vous raconte ça. Ça va vous passer le temps. L’inspecteur dont je vous parle était chargé de surveiller une catin endormie que j’avais placée au Bois dans la voiture de son jules.
« Lorsqu’il a été seul, dans la nuit, près de cette fille, son instinct bestial a pris le dessus. Cette force irrésistible qui le poussait à tuer s’est emparée de lui. C’est un malade. Alors il est allé étrangler la fille. Puis, son feu meurtrier éteint, il a compris qu’il venait de signer sa condamnation. Comment expliquerait-il le meurtre, lui qui était chargé de surveiller la fille ? Une seule solution : feindre un attentat. Il s’est lacéré les mains. Croyant prouver une lutte avec son pseudo-agresseur, il a ramassé un bouton qui se trouvait dans l’auto afin de faire croire ensuite qu’il l’avait arraché aux vêtements du meurtrier. Et alors, cet être maladif, ce faible, a eu le courage sadique de se blesser en se frappant de toutes ses forces la face contre le montant de la portière. Après quoi il s’est traîné dans les taillis proches et a attendu. Génial ! Ensuite, il a donné un signalement du souteneur de la fille, qu’il connaissait, ayant passé des années à la Mondaine. Il l’a fait assez vague pour pouvoir revenir sur ses dires au cas où le souteneur en question aurait un alibi. Tout aurait bien marché sans le bouton. Comprenez, mon vieux Pâquerette, Alfredo a un alibi. Et c’est le bouton de son pardessus que l’inspecteur serrait dans sa main.
« Conclusion, l’inspecteur mentait. Il ne pouvait avoir arraché le bouton. »
Un long silence.
Pâquerette fixe le plafond blanc où s’amorce une lézarde. À quoi rêve-t-il, le doux camarade ?
— Ce type est un refoulé. Il vit seul depuis toujours. Chose paradoxale, il a vécu, chaste, au milieu des filles les plus dévergondées. Un jour il a craqué. Loyalement, sentant où son penchant l’entraînait, il a demandé sa mutation afin de lutter contre cette obsession morbide. Mais rien n’y a fait. Il s’est laissé aller. Une seconde fois, il a eu l’occasion de se reprendre : lorsqu’il a abattu Boilevent. Mais il était trop tard. L’homme était perdu.
Je sors de ma poche un petit paquet.
— La dernière fois que je suis venu vous voir ici, je vous ai promis en m’en allant de vous apporter quelque chose lors de ma prochaine visite.
Je dépose le petit paquet sur sa table de nuit.
— Voici… C’est de la part du Vieux. Dedans, il y a une capsule. On la met dans sa bouche, on la croque d’un coup de dent, et en une seconde toutes les misères du monde disparaissent.
Je soupire.
— Le Vieux n’aime pas le scandale. Et je pense loyalement qu’il a raison en l’occurrence.
Je tends la main à Pâquerette.
— Adieu, inspecteur. Bon courage.
Il laisse couler sur moi un regard mou et triste.
— Adieu, commissaire.
Je passe chez Béru en rentrant à la maison.
Le Gros est debout à sa fenêtre. Il a un oreiller attaché au derrière.
— Merci de ta visite, dit-il lugubrement. Ah ! je m’en rappellerai de ce voyage à Courchevel. J’y vais assis, en seconde classe. Et j’en reviens en wagon-lit mais debout !
Je lui mets sur l’épaule une main fraternelle.
— Allons, ma Grosse, du cran. Qu’est-ce qui te ferait plaisir ?
Il réfléchit, s’arrache un poil du nez et essuie la larme que cette brutale ablation a fait perler à ses paupières.
— Une baignoire pleine de crème Chantilly, dit-il enfin. Je voudrais tellement me reposer !