Air de la Romance de Gabrielle de Vergy.

Premier Couplet.

Hélas! qui pourra jamais croire.

D’Ursule et d’Edmond les malheurs!

Qui, sans pleurer, lira l’histoire.

De leurs écarts, de leurs douleurs!

Bons, innocents, beaux dans l’enfance,

En ce village on les a vus,

Mais bonté, charmes, innocence.

À la ville se sont perdus.

2.

À seize ans, au vœu de son père,

Du village partit Edmond:

À quinze ans, pleurée de sa mère Ursule a quitté le canton:

L’un trouva plus d’une maîtresse,

L’autre plus d’un trompeur amant,

Et tous deux l’amitié traîtresse.

De Gaudet, mauvais garnement.

3.

Edmond apprenait la peinture.

D’un maître sans religion:

Mais la femme vrai mignature,

Était une perfection:

Par malheur elle était absente,

Quand dans la maison il entra;

Fine cousine, bonne servante.

En place d’elle il y trouva.

4.

Edmond eut le malheur de plaire.

À la jeune et belle Manon:

Enceinte elle était, quoique fière,

Du fait du rusé Parangon:

Ce fut pour couvrir cette faute.

Qui lui devait ôter l’honneur,

Que cette fille vaine et haute.

Usa d’un talent suborneur.

5.

D’abord, avec grande insolence,

Elle humiliait Edmond:

Puis avec grande complaisance.

Rechercha son affection:

De Gaudet elle eut l’entremise;

Il ne fait cas d’un paysan;

À bout il mène l’entreprise,

Et le trompe en le corrompant.

6.

Mais de cet aimable jeune homme.

La naïveté le séduit;

De biens il ne veut pas qu’il chomme,

Et son intérêt le conduit:

Edmond simple comme au village,

De Gaudet consent au vouloir;

Comptant faire un bon mariage,

Il donne dans le pot au noir.

7.

Du vil séducteur de sa femme,

Il résolut de se venger;

Par un amour digne de blâme,

Il voulut se dédommager.

Or belle et sage était la dame,

Longtemps il sut la ménager;

Mais il méditait dans son âme,

De l’adoucir, pour l’outrager.

8.

Ursule alors vint à la ville,

Avec madame Parangon;

Contre Edmond ce fut un asile,

Ainsi que la tante Canon:

Puis avec l’aimable Fanchette,

Toutes allèrent à Paris;

Mais de loin sa flâme sécrète.

Encor plus troubla ses esprits.

9.

Cependant il revoit Edmée.

Il est séduit par Madelon;

Sans oublier sa bien-aimée;

Il courtise chaque tendron.

L’une à l’apport il a connue,

À l’autre Gaudet l’a lié;

Pour femme l’une est bien venue,

L’autre sert à la volupté.

10.

La belle dame qui projette.

De lui faire épouser sa sœur,

Veut le sauver d’une coquette,

À la grisette ôter son cœur:

De la jeune et belle Fanchette.

Elle veut qu’il soit amoureux;

Hélas! l’innocente brebiette.

Se livre à ses coupables feux!

11.

Un jour étant seule avec elle,

Il vint se mettre à ses genoux.

– Pour mon malheur vous êtes belle,

Car je vais périr, de vos coups:

Mais d’amour s’il faut que je meure,

Ne vous en applaudissez pas!

Cruelle! je veux tout à l’heure,

Venger ma mort sur vos appas!

12.

Furieux, sur elle il s’élance,

Il brave et ses pleurs et ses cris.

Il la presse avec violence,

Il contient ses membres meurtris:

Alors employant la prière,

Elle invoque son amitié!

– Non, répond-il, âme trop fière,

Pour l’amour tu fus sans pitié!

13.

De cette dame la ruine.

D’Edmond ne fut le coup d’essai:

Trompant Laurote sa cousine,

Avec son sang il a méfait:

Sa femme ayant su l’aventure,

Dans un tel chagrin elle entra,

Que par un fait contre nature,

Sur elle-même elle attenta.

14.

Cependant, Ursule coquette.

Avait des galants à Paris:

De tous écoutant la fleurette,

Elle recevait leurs écrits.

Mais une peine méritée,

De ses écarts fut le guerdon;

D’un marquis elle est enlevée,

Et Dieu la laisse en abandon.

15.

Aussitôt Edmond plein de rage.

Du tort qu’on a fait à sa sœur,

Court à Paris venger l’outrage.

Qu’elle a reçu dans son honneur.

Lui, qui blessa par adultère,

D’un autre époux les droits acquis,

Il ne songe dans sa colère.

Qu’à battre en duel le marquis.

16.

Après avoir par sa victoire,

Satisfait son ardent courroux,

De la plus véritable, gloire.

Il ne se montre point jaloux.

Ses torts au marquis il pardonne,

Et de la marquise amoureux,

Par Ursule qu’il abandonne,

Il se fait servir dans ses feux.

17.

Tous deux dans le libertinage,

On les vit marcher à grands pas.

Mais la sœur, plus faible et moins sage,

Alla plus loin, tomba plus bas.

Par Gaudet étant pervertie,

Elle commit mille forfaits…

La pensée en serait salie,

Si la langue en disait les traits.

18.

Mais Dieu la frappa la première,

De sa toute-puissante main,

Pour avoir fait tomber son frère,

Comme l’Ève du genre humain.

Un méchant, contre elle en furie,

Par ses gens la fait enlever;

À son porteur d’eau la marie,

Par son nègre la fait forcer!

19.

Par ses valets elle est moquée,

Pour arroser porte de l’eau;

Dans une mare elle est plongée,

On la vêt d’habits en lambeaux.

Pour lui faire signer la vente.

De tout ce qu’elle posséda,

Du pied, d’une main assommante.

Le porteur d’eau l’écalventra.

20.

De mille horreurs l’infortunée.

Fut la victime en ce séjour:

Au nègre elle est abandonnée,

On l’enferme dans une cour:

Comme une chienne elle est traitée;

On la met dans le même endroit;

Par le nègre elle en est tirée;

Par le poignard elle s’en défait.

21.

On le découvre, elle est parée,

Pour être mise en mauvais lieu;

On la lie, elle est bâillonnée,

On la descend chez la R’nidieu.

Aux libertins elle est livrée,

À la luxure on l’asservit;

S’elle diffère, elle est châtiée,

Sur elle chacun s’assouvit.

22.

Edmond que la fureur gouverne,

Ne cherche qu’à venger sa sœur,

En Angleterre, à la taverne,

D’Ursule; il trouve le trompeur.

Hors par les cheveux il l’entraîne:

– Scélérat! dit-il, dans ton flanc,

Que ce fer guidé par ma haine,

Cherche la source de ton sang!

23.

Edmond revenu d’Angleterre,

Avec les méchants se mêla.

Il se plongea dans la misère;

Il s’engagea, puis déserta.

Pris, on va lui casser la tête,

Il n’en est point épouvanté,

Pour lui mourir est une fête,

Sans songer à l’éternité!

24.

Le malheureux livrant son âme.

Au goût des plaisirs crapuleux,

Dans un lieu de commerce infâme.

Ursule et lui se voient tous deux.

De leur abandon ils gémissent,

– Ciel! où te vois-je! en quel séjour!…

Ma sœur!… – Edmond!… Ils gémissent.

Des fruits d’un impudique amour.

25.

Mais, hélas! bientôt ils oublient.

Ces bons sentiments de remords;

Pour faire mal tous deux s’allient,

Par le plus détestable accord.

Tombés au fond du gouffre immonde,

Edmond d’Ursule est souteneur,

C’est sur Edmond qu’elle se fonde,

Pour s’abandonner sans pudeur.

26.

Ursule, toujours plus hardie,

En écarts de perversion,

Gagne une laide maladie,

Venant de prostitution:

Défaite, difforme, ulcérée,

À son frère elle fait horreur;

À l’hôpital elle est placée,

Afin d’y cacher sa laideur.

27.

Lors Gaudet qui l’a pervertie,

Veut la venger de son malheur;

Il va chercher en Italie,

La fille de son oppresseur.

Il la corrompt, il l’humilie;

Ursule en voit le déshonneur;

Mais cette innocente punie.

Est pour elle un objet d’horreur.

28.

Elle commence à reconnaître.

L’auteur de sa corruption;

Il a rendu par une lettre.

Hommage à la religion:

Lors Ursule désespérée,

– Qu’as-tu fait, malheureux trompeur,

Pourquoi donc me l’avoir ôtée,

Cette foi qui mène au bonheur.

29.

L’âme d’Edmond n’est point touchée.

Du sort malheureux de sa sœur;

Aurore, fille débauchée,

À Zéphire enlève son cœur.

Cette Zéphire généreuse.

Qui dans son mal l’a soulagé,

Au sein du vice est vertueuse;

Ursule par elle a changé.

30.

Cette aimable samaritaine.

Pour Ursule fut un miroir,

Et, sa pareille, rompt la chaîne.

Qui la liait au désespoir:

– Ah! je vois, dit l’infortunée,

Que Dieu pourra me pardonner;

C’est la vertu qu’il m’a montrée,

Zéphire va m’y ramener!

31.

Sitôt elle fit pénitence,

Et comme sainte elle vécut;

Édifiant par sa repentance.

Des créatures le rebut:

Humble, et de ses pleurs inondée,

La dernière elle se mettait,

Et la plus grande abandonnée.

Toujours au-dessus d’elle était.

32.

Pendant ce temps, Edmond son frère,

Moins durement par Dieu frappé,

Brave la céleste colère.

Et se livre à la saleté:

Il séduit une blanchisseuse,

Trompe la fille d’un marchand;

Au billard une revendeuse,

À ses mauvais désirs se rend.

33.

Il s’amuse avec des crieuses,

Objets de sa brutalité;

Il courtise des écosseuses,

Qui tentent sa lubricité:

Le cœur d’une coquette orfèvre,

En Savoyard il pénétra;

Le même soir il prit le lièvre.

Avec cent louis qu’il présenta.

34.

Une autrefois en pleine rue,

Fille honnête il ose attaquer;

Il obtient une bonne issue,

Tant il a d’art à s’expliquer:

Mais en allant pour voir sa belle,

D’une soubrette il fut tenté;

Il la trahit à deux pas d’elle;

On l’apprit, il fut remercié.

35.

À la plus terrible aventure.

Dans un taudion s’exposa;

Il sauta sur la couverture,

Et par miracle il échappa.

Tenu par quatre mousquetaires,

Qu’il avait escroqués au jeu,

Ils lui réservaient pour salaire,

La broche devant un grand feu.

36.

Mais telle est son infortune,

Que rien ne change son penchant;

Un soir rencontrant une brune.

Sans lumière se retirant.

Il profita de la surprise,

Se fit passer pour son amant,

Qui survenant dans l’entreprise,

S’en est vengé cruellement!

37.

D’un amant il fit connaissance,

Qui de sa belle lui parla;

En ramoneur Edmond s’agence,

Et sous la suie en triompha:

Partout, il entre et se faufile;

C’est ainsi qu’il s’enmouracha.

De la mondaine obscurophile.

Baladine de l’Opéra.

38.

Après une pareille vie,

Il épousa par intérêt,

Et de sa figure jolie.

Il tire parti par Gaudet.

Qui d’une place le décore,

Et montre au public étonné,

Dans un corps que chacun honore,

Un libertin déterminé.

39.

À la vieille qu’il s’est unie.

Il ne montre que des regrets;

Mais Gaudet lui fait chère lie,

Et pour elle se met en frais:

Courtisant la fille et la mère,

Qui sont belles au coffre-fort,

Par le plaisir, les mène en terre;

Mais il gémira de leur mort.

40.

À peine elles sont trépassées,

Que Gaudet et le pauvre Edmond.

Ont, de les avoir avancées,

Tous les deux le mauvais renom.

On les accuse, on les arrête,

On va les conduire en prison;

Ils doivent payer de leur tête.

D’avoir employé le poison.

41.

Or chez Edmond étaient deux dames,

Objets de son affection;

On le liait, quand de ces femmes.

Une est tombée en pâmoison:

À son secours l’amour l’appelle;

Mais ses deux bras sont retenus:

– Vous m’empêchez d’approcher d’elle!

Dit-il, ah! vous êtes perdus!

42.

Dégagé, sur eux il se jette,

Il les terrasse, il se saisit.

De la première baïonnette.

Qu’il tire du bout d’un fusil.

Il assomme, il massacre, il tue;

Gaudet ne voyant plus d’espoir.

Fait sauver Edmond à leur vue;

Périr tout seul est son vouloir.

43.

Ils sont pris; des juges sévères,

Les ont tous les deux condamnés,

L’un à mourir, l’autre aux galères.

Pleurons sur ces infortunés!

Puisse taire la renommée.

Ce jugement, au bon rameau,

Car si sa vie est diffamée,

Il s’en va descendre au tombeau!

44.

Ursule arrive échevelée.

Annonçant ce cruel malheur;

De père et mère interrogée,

Tous deux elle les frappe au cœur.

À cette fatale nouvelle,

Le père d’Edmond fut glacé;

Comme lui sa femme fidèle.

De douleur elle a trépassé.

45.

Cependant Edmond aux galères.

Est secouru par la pitié;

Monsieur Loiseau, brave et sincère,

Court lui montrer son amitié:

Il le console, obtient sa grâce;

Mais de madame Parangon,

Qu’en bonté personne ne passe,

Loiseau lui dit que c’est un don.

46.

Edmond entendant qu’il est maître.

De s’en aller en liberté,

N’en profite que pour se mettre.

Dans l’état qu’il a mérité:

Il se sauve, en gueux il mendie.

Il pleure, gémit, se repent;

Et dans cette dolente vie.

Il est mordu par un serpent.

47.

De venin, sa main est enflée,

À la scie il livre son bras:

Manchot, barbu, face hâlée,

Fanchette ne le connaît pas.

Le soir elle lui fait l’aumône,

Il se sauve en la remettant;

L’ire divine l’aiguillonne,

Il court la nuit en gémissant.

48.

Au village enfin il arrive,

De ses parents baise le seuil;

Il voit son frère, mais il l’esquive;

Et court pleurer sur le cercueil:

De larmes la tombe est trempée,

Pierre y survient avec Fanchon,

Disant que c’était la rosée;

Ah! c’étaient les larmes d’Edmond!

49.

Ursule toujours pénitente,

Dans ses maux offre un cœur soumis;

Mais quoique vraiment repentante,

Son péché ne fut pas remis.

Avant de frapper sa victime,

Dieu la voulut mettre en honneur;

Afin qu’en connaissant son crime,

Il en inspirât plus d’horreur.

50.

À Paris, elle fut marquise,

Et vit son fils légitimé;

Mais bientôt elle fut reprise.

Par son malheur accoutumé.

Un sort terrible la menace,

Tout l’annonce et l’en avertit;

Elle le sent, demande grâce,

Mais en vain, son sort est écrit.

51.

Edmond errant et misérable,

Et sur Ursule ignorant tout,

Vient à Paris, la croit coupable,

Et médite, un horrible coup.

Armé par Dieu, ce fratricide.

À punir se croit obligé;

Il poignarde une parricide…

Sur lui ce crime sera vengé.

52.

Il apprend bientôt qu’innocente,

Ursule saintement vivait;

Il veut mourir; mais son attente.

N’aura pas encor son effet.

On l’éloigne; il s’en va sur l’onde,

Traînant partout son chagrin noir;

Il acheva le tour du monde,

Sans avoir rencontré l’espoir.

53.

Revenu de si loin en France,

Il retrace tous ses forfaits;

D’un grand tableau c’est l’ordonnance,

On les y trouve sous leurs traits.

Ursule y paraît poignardée,

On y voit l’enfer et ses feux,

Une bonne âme prosternée.

Pour fléchir l’ange furieux.

54.

Oh! qui pourrait compter les peines.

Du pauvre et malheureux Edmond!

Tout couvert de rougeurs malsaines,

Aveugle et plein d’infection!

C’est Dieu qui prolongea sa vie.

Pour qu’il endurât plus longtemps;

Car elle ne lui fut ravie.

Qu’après les plus affreux tourments.

55.

Le jour qu’on fit son mariage.

Avec madame Parangon;

Car elle était dans le veuvage.

Et toujours elle aimait Edmond:

Une pierre par Dieu lancée,

Du char effraya les chevaux.

Et de sa poitrine brisée.

On vit couler le sang par flots.

Dernier Couplet.

Après sa mort, en ce village,

Où le frère et la sœur sont nés,

Dans le tombeau de leur lignage.

Leurs corps ont été transportés.

Or profitons tous de l’exemple.

Que leur sort donne aux paysans;

Il faut que chacun le contemple,

Pour fuir la ville, et vivre aux champs.

1784

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