Odessa

Oh, que nous étions heureux en ce temps-là. En amour, bien sûr. Rien que nous deux ; pas d’enfants ; un travail intéressant ; beaucoup de temps libre ; Mars entière à explorer ensemble. Nous faisions de longues marches dans la nature, nous nous promenions en bavardant. La nuit, nous dormions à la belle étoile. Pendant des années, nous avons passé l’automne à Odessa, à travailler dans les vignes et les caves. Nous louions une petite maison dans un village, près de la plage, à quelques kilomètres à l’ouest d’Odessa, au terminus de la ligne de tram. Un village à flanc de coteau, surplombant l’anse d’une plage, des maisons les unes sur les autres, en bas, dispersées entre les arbres, en haut. Notre maison était assez haut sur la colline, et nous avions vue sur la cime des arbres, les toits de tuiles et la vaste étendue bleue de la mer d’Hellas. Un petit patio sur l’arrière, une table, deux chaises. Beaucoup de vignes en fleurs, un petit citronnier dans un baquet. Presque tous les estivants étaient partis, à ce moment-là, et il n’y avait plus qu’un restaurant d’ouvert, sur la plage. Les chats n’étaient pas farouches, ils avaient le poil luisant et l’air bien nourris, et pourtant ils n’étaient à personne. Au restaurant, l’un d’eux me sauta sur les genoux et se mit à ronronner. Je me souviens de la première fois où nous regardâmes, depuis le patio, la vue, en bas, puis la maison – les murs blanchis à la chaux, la treille, le balcon de la chambre avec sa rambarde en fer, les collines brunes au-dessus de nous, sur l’arrière, la mer et le ciel. Toute cette perfection nous faisait rire. La plupart du temps, le matin, nous allions en tram à la ville, pour travailler, et l’après-midi nous allions à la plage. Ou le contraire. Le coucher du soleil sur le patio, avec un verre de vin. Le dîner dans notre petite cuisine, ou au restaurant, en bas, où il y avait deux gars qui jouaient de la guitare et de la mandoline, le vendredi soir. Et les nuits dans notre maison rien qu’à nous. Des fois, je me réveillais avant l’aube, alors je descendais me faire un café et je sortais sur le patio. Un de ces matins-là, il y avait dans le ciel un nuage en forme d’arête de hareng qui devint rose, puis doré.

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