L’odeur de kérosène brûlé prenait à la gorge. Il avait beau être une heure du matin, le ciment du terrain était encore tout imprégné de chaleur. Les petites lumières bleues jalonnant la piste d’envol donnaient à l’ensemble un air moderne. Malko Linge sourit silencieusement en découvrant que chacune de ces ampoules était doublée d’une lampe à pétrole. L’électricité est capricieuse, à Téhéran.
L’énorme DC 8 s’était arrêté tout près du bâtiment de l’aérogare. Il n’y avait presque pas d’avions ; un Bœing d’Air India, un Coronado de la SAS et quelques vieux Dakota appartenant à d’inavouables compagnies moyen-orientales.
Docilement, les passagers emboîtèrent le pas à une hôtesse rondelette et noiraude.
Malko regarda autour de lui.
Personne ne semblait l’attendre. « On » serait venu sur le terrain. Il n’y avait que deux manœuvres persans en guenilles, affalés sur une marche. La terrasse était déserte et la pendule lumineuse indiquait une heure dix. Malko pensa avec fatigue qu’il n’était que quatre heures et demie à New York et qu’il aurait été bien mieux dans sa maison de Poughkeepsie que dans ce bled perdu où l’on avait l’impression de respirer du pétrole.
Déjà les passagers faisaient la queue aux deux guichets vitrés, où des fonctionnaires endormis et pas rasés se passaient avec des airs mystérieux les passeports étrangers ; le passeport diplomatique de Malko lui épargna l’attente. Un petit Iranien aux dents éclatantes sous une énorme moustache tiqua en voyant le titre de Malko. Il n’osa pas demander ce que signifiait SAS, mais, visiblement, il en mourait d’envie.
Beaucoup de gens avant lui avaient été intrigués par ces trois lettres. Elles voulaient tout simplement dire « Son Altesse Sérénissime ».
En dépit de son passeport diplomatique américain le prince Malko Linge, d’origine autrichienne, avait droit à ces titres. Et il y tenait beaucoup : autant qu’au château qu’il possédait en Autriche et où il comptait terminer ses jours, lorsque ses travaux un peu spéciaux pour le gouvernement américain lui auraient permis de le restaurer. Il était une sorte de contractuel à la CIA – Central Intelligence Agency – l’organisation de contre-espionnage américain.
Ses collègues, comme tous les Américains, étaient très impressionnés par son titre. Mais c’était un peu long. L’appeler « Linge » tout court eût paru un peu léger. SAS unissait concision et respect.
— Désirez-vous une voiture ? proposa poliment le fonctionnaire.
— Merci, je prendrai un taxi.
Dans ces pays-là, il vaut mieux toujours se méfier des gens trop serviables.
Malko regarda autour de lui. Il se trouvait dans la salle de douane, parmi les premiers arrivants. De l’autre côté d’une cloison vitrée, une cinquantaine d’Iraniens pressaient leur visage contre les glaces pour tenter d’apercevoir les passagers. Leur expression ravie et anxieuse donna à Malko l’impression d’être un nouveau-né dans une couveuse.
Pendant que ses deux valises arrivaient, il alla changer cent dollars au guichet de la banque Melli. L’employé lui donna un paquet de riais. Malko les compta. Il en manquait. Il tendit la main, sans rien dire. L’employé, dégoûté, rouvrit son tiroir et restitua les deux billets qu’il avait ôtés de la liasse avant de la donner à Malko. Ça marchait une fois sur deux, avec les étrangers qui avaient la naïveté de croire à l’honnêteté des banques. Tant pis, la fille de l’employé n’aurait pas de tchador[1] neuf !
Les valises étaient là. Un douanier pansu colla une étiquette dessus et sourit à Malko. Compréhensif, celui-ci tendit cinq riais.
Il n’y avait toujours personne. Pourtant, Schalberg savait que Malko arrivait ; et l’avion n’était même pas en retard ! Malko serra plus fort la poignée de sa serviette noire. Comme si on avait pu voir à travers le cuir ce qu’il y avait à l’intérieur. Il avait pensé un moment se l’attacher au poignet par une chaîne, mais ç’aurait été un peu ridicule.
Et puis, pourquoi attirer l’attention ? Il serait quand même fichtrement soulagé quand il aurait remis l’objet à Schalberg.
Un porteur en loques prit les valises ; Malko suivit, après un moment de suffocation. On avait beau être à mille cinq cents mètres d’altitude, il faisait une chaleur à mourir ; Téhéran au mois de juin, c’est le brasier.
La sueur dégoulinait déjà le long du dos de Malko. Son complet d’alpaga noir était tout froissé, ce qui l’agaça, car il avait horreur du négligé.
Glissant la main sous sa veste, il déplaça légèrement la crosse du pistolet extra-plat qui était glissé dans sa ceinture. C’était encore là que cela se voyait le moins, mais la chaleur collait l’arme à la peau d’une façon désagréable. Encore une concession qu’il avait faite à ses employeurs ! Lui avait horreur des armes à feu.
Il hésitait, planté sur le trottoir, devant l’entrée de l’aérogare ; il y avait bien un bar au premier étage, mais il fallait grimper les grands escaliers de marbre, c’était trop loin. Autant aller directement à l’hôtel. Là-bas, ils devaient avoir un coffre. Après, il aurait tout le temps de s’imprégner de vodka-lime.
Une rangée de taxis attendaient. Il levait le bras pour en appeler un, quand quelqu’un lui adressa la parole.
— Vous êtes perdu ?
C’était le ravissant accent, un peu chantant, de la petite hôtesse allemande qui avait pris son service à Paris. Elle se tenait derrière Malko, un sac dans une main et, dans l’autre, un manteau enveloppé d’une housse.
— Pas exactement. Je cherche à deviner quel est le moins voleur de tous ces taxis.
L’hôtesse sourit.
— Pourquoi ne venez-vous pas avec nous, dans la navette de la Panam ? Le commandant ne dira rien, c’est un ami.
Malko hésita un instant. Peut-être ceux qui devaient venir le chercher étaient-ils en retard. Mais d’autre part, Hildegard – elle lui avait dit son nom dans l’avion – avait une bien jolie silhouette. Ils avaient déjà parlé allemand ensemble, et ils pourraient continuer au bar du Hilton. Le dépaysement rend les femmes plus vulnérables, c’est connu. Quant à la serviette, elle serait autant en sécurité au milieu d’un équipage de la Panam qu’entre deux gardes du corps à la moralité douteuse. En Iran, la moralité des gens est toujours douteuse lorsqu’il s’agit de sommes supérieures à un dollar.
— Eh bien, d’accord. En avant.
Après un dernier regard circulaire, il monta dans le petit car Volkswagen qui attendait le long du trottoir. A douze dans le véhicule ils étaient un peu serrés, mais le commandant de bord eut un grand sourire pour Malko, lui montrant qu’il était le bienvenu.
Hildegard s’était assise à côté de lui. Visiblement, Malko lui plaisait. Il sourit en pensant à la tête qu’elle ferait si elle savait à qui elle avait donné asile.
Il grimaça un peu ; la crosse du pistolet lui entrait dans la cuisse. Difficile de le sortir sans se faire remarquer. La guerre était finie depuis longtemps.
— C’est la première fois que vous venez à Téhéran ?
— Non. Je suis déjà venu pendant la guerre. Ce n’était pas très drôle. J’espère qu’il y a des hôtels convenables, maintenant.
— Le Hilton, c’est tout. Les autres, c’est à peine croyable. Au Park Hôtel, le standardiste de nuit ne parle aucune langue connue… Vous allez rester longtemps ?
— Un mois environ. Je dois visiter un certain nombre d’endroits, pour voir où nous pourrions implanter une usine de nitrates. Dans le golfe Persique, probablement. Mais j’aurai pas mal de temps libre, se hâta d’ajouter Malko.
Il ne faut pas décourager les bonnes volontés.
— Ce sont tous vos papiers d’affaires que vous avez dans votre serviette ? continua l’hôtesse.
Malko sourit. Drôles de papiers !
— Ils me sont indispensables. C’est pour cela qu’ils ne me quittent pas.
Hildegard sourit. Elle posa la main sur la hanche droite de Malko et demanda, sur le ton le plus naturel :
— Et ça ? Ce sont aussi des papiers ?
Elle avait la main sur la crosse du pistolet. Comme elle avait posé la question en allemand, personne ne tiqua. Malko se mordit les lèvres. Il aurait dû rester fidèle à ses habitudes. C’était bien le moment de se faire remarquer ! Maintenant, il fallait bien donner une explication.
— Vous savez, dans ces pays-ci, les routes ne sont pas toujours sûres… Je suis appelé à me promener dans les coins déserts.
Hildegard rit un peu.
— Quand même, la route de Mehrabad à Téhéran !…
Elle continua :
— Vous êtes un trafiquant ? Qu’est-ce que vous passez ? Des diamants, des émeraudes ? J’espère que ce n’est pas de la drogue.
Malko secoua la tête.
— Non, ce n’est pas de la drogue, je vous assure.
— Je vous crois. Vous n’avez pas l’air d’un sale type. Alors ?
— Je ne peux pas vous expliquer. Pas maintenant.
Ni maintenant, ni jamais. Il n’y avait que le président des États-Unis, le chef de la CIA pour le Moyen-Orient et Malko qui étaient au courant. Plus les « autres ». Mais ceux-là ne diraient rien non plus.
— Promettez-moi de ne dire à personne ce que vous pensez, demanda Malko. C’est très important.
En même temps, il planta ses yeux d’or dans ceux de la jeune femme. Peu de femmes résistaient à ce regard. C’était comme de l’or liquide. Mais, cette fois, il ne s’agissait pas d’emmener Hildegard dans son lit. Du moins pas tout de suite. L’enjeu était beaucoup trop important.
— D’accord. Mais vous sortez avec moi demain. Je ne veux pas que vous disparaissiez.
— Juré. D’ailleurs nous allons au même hôtel.
Le petit car entrait dans les faubourgs de Téhéran. La grande avenue Chah-Reza était éclairée par des lampes au sodium, diffusant une lumière jaune. Pas un chat. Seuls passaient quelques taxis attardés, illuminés de l’intérieur par des guirlandes de petites lampes multicolores.
Les autres passagers du car s’étaient assoupis. Malko prit la main d’Hildegard dans le noir et la serra. Elle ne la retira pas et, au contraire, se rapprocha de lui.
De l’autre côté de Malko, le commandant de bord grogna un peu. Malko posa sa serviette par terre, à côté de celle de l’officier. Ainsi, il pouvait mettre ses jambes en travers, contre celles de l’hôtesse.
Le petit car avait tourné dans l’avenue Hafez et montait péniblement vers le quartier de Chimran, où se trouve le Hilton, en dehors de la ville, à près de six kilomètres. Ils passèrent devant l’enseigne brillamment éclairée d’une boîte de nuit, le Miami. La civilisation ne perdait pas ses droits.
Maintenant, il n’y avait presque plus de maisons. La route serpentait entre des collines pelées, où surgissait parfois une construction isolée.
Malko commençait aussi à somnoler. Tout se passait bien. Bientôt il serait à l’hôtel, au frais. La serviette serait en sûreté dans le coffre et, moyennant cinq dollars au portier, il aurait la chambre voisine de celle d’Hildegard.
Le car freina brutalement.
Réveillé, Malko se pencha sur l’épaule de l’hôtesse pour regarder au-dehors. Le véhicule roula encore un peu, puis stoppa complètement sur le bas-côté de la route. La portière s’ouvrit brusquement. Une tête coiffée d’une casquette apparut. C’était un Iranien, avec une petite moustache à la Valentino et l’œil injecté de sang. Il brandissait une énorme pétoire.
— Tout le monde en bas ! cria-t-il en mauvais anglais. Contrôle militaire.
Le commandant de bord se réveilla en sursaut, furieux.
— Qu’est-ce que c’est que ce bordel ? jura-t-il. Personne n’a le droit de nous arrêter. Repartez immédiatement, chauffeur.
Mais le chauffeur avait une mitraillette sur le ventre et de la famille. Il grommela quelque chose d’incompréhensible et ne bougea pas.
Brutalement, l’officier iranien attrapa le steward par la manche et le jeta hors du véhicule.
— Tout le monde dehors, répéta-t-il.
Cette fois, personne ne se le fit dire deux fois. Même le commandant de bord, impressionné peut-être par l’uniforme, se leva. Tout cela ne disait rien de bon à Malko. Ce contrôle impromptu, en pleine nuit, semblait bizarre. Il eut une idée, facile à réaliser…
À son tour, il sortit, précédant Hildegard. Dès que l’officier le vit, il aboya :
— Qui êtes-vous ? Vous êtes un civil ? Pourquoi vous cachez-vous dans un véhicule des équipages ? Vos papiers !
Malko, tenant sa serviette d’une main, tendit son passeport, mais l’officier le regarda à peine. Se retournant, il appela deux hommes en civil qui jusque-là étaient restés dans l’ombre.
— Emmenez-le ! cria-t-il en persan. Puis, en anglais, il ajouta, pour les autres passagers : Vous pouvez remonter. Monsieur est suspect et nous le gardons.
Encore mal réveillés, tous remontèrent dans le car. Hildegard la dernière. Elle se retourna et examina anxieusement Malko. Pour la rassurer, celui-ci fit un clin d’œil. Il espérait qu’elle l’apercevrait dans l’obscurité.
Les deux hommes appelés par l’officier l’avaient encadré. C’étaient deux malabars de un mètre quatre-vingt-dix, le front bas et la moustache agressive. Ils prirent Malko chacun par un bras et l’entraînèrent vers une vieille voiture américaine, gardée par quelques soldats. Placidement, les hommes replièrent leurs mitraillettes et attendirent. Malko entendit l’un d’eux qui disait : « Le lieutenant Tabriz a dit qu’après on pourrait aller se coucher. »
Malko s’était bien gardé de montrer qu’il comprenait l’iranien. Ce sont des détails comme cela qui parfois vous sauvent la vie. Il se laissa entraîner sans résistance jusqu’à à la voiture, se demandant comment cette comédie allait se terminer. Pour lui, cela risquait fort de finir par une promenade dans le désert…
Avant de pénétrer dans la voiture, l’un des gorilles le fouilla et le soulagea de son pistolet. Malko ne lâcha pas sa serviette.
Un civil était au volant. Il démarra aussitôt, dès qu’ils furent montés.
— Où allons-nous ? demanda Malko, en anglais, pour la forme.
Ses gardiens ne répondirent même pas. La voiture quitta tout de suite la route et prit un chemin de traverse, au sol inégal. Malko songea qu’avant que le commandant de bord ne puisse alerter qui que ce soit, ce serait beaucoup trop tard pour lui.
Il serrait toujours précieusement la poignée de la serviette. Soudain, la voiture ralentit et s’arrêta. Le gorille de gauche ouvrit la portière et tira Malko dehors.
C’était bien ce qu’il avait pensé. Ils étaient dans un terrain vague. On voyait au loin les lumières de Téhéran. Malko banda ses muscles. Il fallait filer dans l’obscurité. Les gorilles ne lui laissèrent pas le temps de bondir. L’un d’eux le saisit par-derrière, lui immobilisant les deux bras. Il avait une force terrifiante. Malko ne pouvait plus respirer. L’autre lui prit d’une main le poignet et de l’autre la poignée de la serviette. Enfonçant son pied dans le ventre de Malko, il tira de toutes ses forces.
Malko eut un hoquet et lâcha la serviette. Aussitôt, celui qui le tenait le libéra. Un coup violent atteignit Malko derrière l’oreille. Il s’écroula sur le sol caillouteux et encore chaud.
Confusément, il entendit la voiture démarrer et faire demi-tour. Il était seul. Ils n’avaient pas osé ou pas voulu le tuer.
Il se remit sur ses pieds et vomit. C’était le coup de pied dans le ventre. Le ciel était étoilé et la nuit était douce. Au loin, un chien hurlait.
Malko se mit en marche, reprenant le chemin qu’avait emprunté la voiture. Il réfléchissait. Ainsi l’histoire incroyable qu’on lui avait racontée à Washington n’était pas sortie du cerveau malade du général Gavin.
Au bout de vingt minutes, il se retrouva sur la grand-route. Bien entendu, les soldats et l’officier avaient disparu. Il ne restait plus qu’à regagner le Hilton.
Il attendit près d’une demi-heure au bord de la route. Des voitures passaient, mais c’étaient tous des particuliers ou des taxis bondés. Enfin arriva un taxi vide, descendant de la montagne. Malko l’arrêta. L’autre ne voulait pas repartir. Il allait se coucher. Finalement pour quatre cents riais, il consentit à faire demi-tour. La course valait soixante riais. Mais ce n’était pas le moment de discuter.
Malko avait affreusement mal à la tête. Du sang avait coulé et séché le long de sa joue. Enfin, le taxi stoppa devant le Hilton. Le portier dormait. Malko pénétra directement dans le hall. Une certaine animation y régnait.
Le commandant de bord, nu-tête, gesticulait au milieu d’un groupe. Il y avait là plusieurs civils et un Iranien en uniforme. Malko s’approcha.
C’est l’Iranien qui le vit le premier. Il poussa un cri et tous les autres se tournèrent vers Malko. Le commandant de bord se précipita.
— Bon sang, ce qu’on a eu peur pour vous ! J’ai cru que ces salauds vous avaient descendu. Quand je pense que ces macaques sont équipés avec nos bons dollars !
— Je ne vous permets pas, commença l’Iranien…
— Vous, le macaque, bouclez-la, coupa l’Américain. Ou je vous vire à coups de pied. Vous feriez mieux de retrouver le fou qui s’est permis cet attentat inqualifiable.
L’officier leva les bras au ciel.
— Je vais faire un rapport. Où voulez-vous que j’aille les chercher ? C’est incompréhensible.
La tête de Malko tournait encore. Il chercha des yeux un endroit pour s’asseoir. Et son regard tomba sur Hildegard, endormie sur un des divans du hall. Un petit feu de joie s’alluma aussitôt dans sa poitrine. Car dans son sommeil la jeune femme tenait à deux mains la poignée d’une serviette noire. Celle de Malko !…
Il dut y avoir une transmission de pensée à ce moment-là. Car le commandant de bord demanda à Malko :
— Et ma serviette ? Ils vous l’ont prise, hein ? Ils croyaient qu’il y avait de l’argent dedans.
Remonté à bloc, il se tourna vers l’Iranien :
— Si je n’ai pas ma serviette, contenant tous les documents de bord, l’avion ne peut pas décoller demain matin. Et s’il ne peut pas décoller, cela va vous coûter cent mille dollars pour commencer. Sans compter la suite. La compagnie va attaquer l’Iran. Vous avez une armée de bandits, de gangsters !
Consternés, ceux qui l’entouraient se taisaient. Il y avait le second secrétaire de l’ambassade des États-Unis, mal réveillé et complètement abasourdi à l’idée qu’une unité de l’armée iranienne ait pu attaquer un bus de la Panam. Le directeur du Hilton, un monsieur très digne, réveillé aussi en sursaut, n’avait même pas eu le temps de mettre une cravate, ce qui, pour un Anglais, est le comble de l’affolement. Quant à l’officier iranien, il avait été convoqué par le directeur. Il n’y comprenait rien et ne voulait surtout pas prendre d’initiative.
Voyant qu’il n’y avait aucune chance de retrouver sa serviette, le commandant de la Panam consentit à aller se coucher. Mais le lendemain promettait d’être tumultueux.
Ce n’était pas pour Malko que l’Américain avait ameuté l’hôtel à son arrivée mais pour retrouver sa précieuse serviette. Quand Malko était descendu du car, il avait eu le temps d’empoigner celle du commandant. Rien ne ressemble plus à une serviette noire qu’une autre serviette noire. L’Américain ne s’était aperçu de la substitution qu’en voulant ouvrir la sienne. Elle était fermée à clef. De là était parti tout le drame.
Malko regarda avec attendrissement Hildegard. Il la secoua doucement. Elle sursauta et ouvrit les yeux.
— Oh, mon Dieu, vous êtes blessé !
Le sang séché avait vilaine allure.
— Ce n’est rien. Merci. Vous avez été épatante. Grâce à vous, personne ne se doute de rien.
— Vous êtes content ? Alors vous allez m’accorder quelque chose.
— Quoi ?
— Ouvrez la serviette. Je veux savoir ce qu’il y a dedans.
— C’est impossible.
— Vous préférez que je raconte au commandant que vous aviez un pistolet ? Il la fera ouvrir lui-même.
Il n’y avait rien à faire.
— Bon. Mais, pas ici. Rejoignez-moi dans ma chambre.
— Attention ! Ne vous enfermez pas, ou quelque chose comme cela. Si vous voulez venir, vous, j’ai le numéro 716.
— Je n’ai encore jamais refusé de venir dans la chambre d’une dame la nuit.