CHAPITRE X

Étendu sur son lit, en chaussettes et slip, Malko grillait la dernière cigarette de son paquet. Tout allait mal. La bonne de l’étage avait à moitié carbonisé le beau complet d’alpaga, en faisant semblant de le repasser. De noir, il était devenu presque roux. Malko s’en était étranglé de rage. Avec amour et un chiffon mouillé, il avait passé une bonne demi-heure à tenter de limiter les dégâts. Mais le pantalon ne serait plus jamais le même.

Après le petit déjeuner, il avait avisé une brune splendide qui errait seule dans le hall. Il avait réussi à engager la conversation, pour se la faire soulever cinq minutes plus tard par un géant barbu – son mari – qui la lui avait presque arrachée du bras.

La visite à Rhafa ne s’était pas mieux passée.

Le fonctionnaire n’était même pas là ; Malko avait été reçu par un de ses sbires, absolument terrorisé, qui lui avait juré que M. Rhafa avait d’autres soucis dans l’existence que d’obtenir une audience de Sa Majesté pour Son Altesse Malko Linge. Certainement demain, au plus tard après-demain… C’était le meurtre ou le haussement d’épaules. Malko avait choisi la seconde solution par flemme. Quant au minuscule Alah, le ministre de la Cour, il était introuvable… Après l’éternelle tasse de thé, Malko était ressorti, dégoûté du palais blanc.

Il avait essayé de joindre de nouveau Derieux. Le Belge était absent pour la journée, vaquant à de mystérieuses besognes. Impossible de joindre l’ambassade au téléphone. Toujours occupé. Malko avait tourné dans sa chambre toute la journée, comme un lion en cage. De la révolution, il ne restait que le couvre-feu. S’il n’y avait pas eu le plan de feu trouvé sur le cadavre de l’Américain, dont aucun journal n’avait parlé, et les dollars, Malko aurait pu se dire que nul danger n’existait plus, qu’il pouvait rentrer tranquille à Washington. Mais il savait que Khadjar n’avait pas déclenché pour rien ces émeutes. Il était sûr maintenant que le prochain pas serait l’élimination du chah, ce qu’il devait justement empêcher. Mais comment ? Il venait de se fixer une limite : s’il ne parvenait pas à voir le chah dans les deux jours, il prendrait le premier avion pour Washington, pour aller expliquer la situation.

La nuit tombait. De sa fenêtre, Malko vit s’allumer les premières lumières de la ville. Dans deux heures la voiture de Tania Taldeh viendrait le chercher. Agréable détente en perspective ! Du coup, il passa dans sa salle de bains et se frictionna tout le corps à l’eau de toilette française. Puis il se brossa les dents avec rage. Haleine fraîche et bonne odeur sont les deux principaux attraits du séducteur, c’est bien connu. Qui sait, il pourrait peut-être glaner des informations intéressantes, à cette soirée !

Il finissait de s’habiller quand le téléphone sonna. C’était Derieux.

— Je suis en bas. Je monte vous dire bonjour.

Il raccrocha immédiatement. Cinq minutes plus tard, il frappait à la porte.

— J’ai des nouvelles assez curieuses, dit-il tout de suite. Les armes de Van der Staern n’ont pas été perdues pour tout le monde…

— Ah ?

— Oui, j’ai vu des amis qui revenaient de la région d’Ispahan. Ils ont été en contact avec les tribus qui se baladent dans la région. Or, ces tribus viennent de recevoir un armement qui ressemble à s’y méprendre au nôtre. Et elles s’attendent à s’en servir assez vite. Pour le moment, elles se font la main sur les caravanes isolées et sur les petits villages. À tel point qu’on a dû en pendre deux ou trois qui exagéraient…

— En quoi est-ce que cela concerne notre histoire ?

Derieux rit.

— C’est pas compliqué. D’abord, ces tribus portent le nom de notre cher général Khadjar et lui sont toutes dévouées. On a le sens de la famille, dans ce pays. Ensuite, il y a cinquante ans, le père du chah actuel les a désarmées, parce qu’elles en faisaient un peu trop à leur tête en coupant celles des autres. Alors vous pensez bien que si Khadjar leur rend leur honneur et le moyen de se défendre, elles se feront une joie de l’aider à pousser affectueusement le chah vers la sortie. D’autant qu’au passage elles en profiteront pour faire la loi aux autres tribus qui, elles, n’ont toujours pas d’armes… Vous pigez ?

— Parfaitement. On dirait que ça se dessine. Je me demande ce que je suis venu faire dans ce méli-mélo.

— Encore une chose, fit Derieux.

— Une mauvaise nouvelle ?

— Ça dépend pour qui. On parle d’une tentative de liquidation du chah, très bientôt, c’est-à-dire dans deux jours, à l’occasion de la grande fête de gymnastique qui aura lieu au stade Asrafieh. Ce qui n’aurait rien d’étonnant, car le chah se montre rarement.

— Vous avez des précisions ?

— Rien. C’est un vague tuyau. Vous savez, ici, c’est dur de faire du renseignement précis ! Ça peut vous paraître incroyable, que je puisse savoir qu’on tentera d’assassiner le chah, mais si ça se trouve on le lui a dit aussi, et il a haussé les épaules. Ou il ne se passera rien du tout, comme d’habitude. Pourtant il y a un détail bizarre : le type qui m’a dit cela vient d’envoyer toute sa famille en Europe. Comme s’il craignait un vrai coup dur…

Malko hocha la tête :

— Ça ne m’étonne pas. Écoutez ce qui m’est arrivé…

Il lui raconta la visite du Russe et la mauvaise plaisanterie de la farine explosive.

— Qui tire les ficelles derrière tout cela ? À force de se faire des entourloupettes, ils ne le savent peut-être plus eux-mêmes. Appelez-moi demain matin. Nous irons ensemble voir cette canaille de Rhafa. J’ai des arguments que vous n’avez pas.

— Quoi donc ?

— Des films. Rhafa s’intéresse beaucoup à un certain genre de cinéma… – Il eut un clin d’œil égrillard. – Vous voyez ce que je veux dire. À l’occasion, il ne dédaigne pas de faire un peu de figuration, sinon intelligente, du moins active. Je possède quelques documents amusants, et il le sait… Sur ces paroles d’espoir je vous quitte.

Il restait tout juste à Malko le temps de se changer. Les propos du Belge l’avaient laissé rêveur. Ainsi il aurait peut-être son rendez-vous avec le chah parce que l’attaché culturel aimait partouzer. Quel pays !

La sonnerie du téléphone l’arracha à sa rêverie. On l’attendait en bas.

Après un court instant de réflexion, il décida de laisser son colt dans la chambre. Il allait à une soirée mondaine, et il avait l’impression qu’il n’aurait pas besoin d’une arme aussi redoutable pour forcer la belle Tania dans ses derniers retranchements…

Tania lui avait envoyé un chauffeur ne comprenant que le persan et probablement muet. La voiture était une Buick grise dernier modèle. Il y avait, en face de la banquette arrière, un petit bar avec un carafon de vodka. Malko s’en servit un verre. La voiture roula une demi-heure. Ils étaient dans un quartier que l’Autrichien ne connaissait pas, où il n’y avait plus que des villas isolées, entourées de parcs immenses. Et pas plus de piétons que dans un sentier de Beverly Hills…

Ils montaient toujours. Enfin, la Buick franchit une grille et s’engagea dans un chemin privé. Il y en eut encore pour deux bons kilomètres avant d’apercevoir les lumières de la maison.

Tania était sur le perron, éblouissante en fourreau vert jade, qui semblait avoir été coulé sur elle, avec un décolleté à ridiculiser Sophia Loren. Mais Malko fut fasciné surtout par les mains longues et fines que terminaient des griffes rouges.

Elle planta ses grands yeux dans ceux de Malko. Pour une fois, les yeux d’or cillèrent. Ce qu’il lisait dans ces deux lacs verts était si précis qu’il eut envie de prendre la belle par la main et de l’entraîner sous un des grands arbres du parc.

— La route ne vous a pas paru trop longue, monsieur Linge ?… Entrez, je vous rejoindrai tout à l’heure. Je dois saluer les invités.

Malko obéit et entra. La maison était immense. Le living-room avait bien trente mètres de long. Il donnait sur une terrasse d’où on voyait au loin Téhéran. Les pièces étaient plongées dans la demi-obscurité. Une silhouette ondulante vint vers Malko :

— Je suis la sœur de Tania, fit une voix douce. Vous êtes Malko Linge ? Venez, je vais vous présenter.

Elle était moins jolie que Tania, mais encore très acceptable. Malko la suivit dans la pénombre. On lui présenta une bonne vingtaine de personnes aux noms imprononçables. Les hommes s’inclinaient très profondément, et les femmes tendaient des mains douces et fermes. Toutes étaient très parfumées et habillées de façon presque provocante.

Un électrophone distillait une musique de danse européenne. Des couples dansaient un peu partout, surtout dans les coins sombres. De jeunes femmes causaient sur les divans ; plusieurs hommes avaient déjà formé une table de jeu. On flirtait sur la terrasse. Malko suivait docilement son guide. Ils contournèrent un énorme buffet froid, chargé de plats d’inquiétantes couleurs, et enfin la sœur de Tania s’arrêta devant une forme assise dans un fauteuil.

— Saadi, tu connais Malko Linge, je crois ?

La forme se déplia et Malko eut devant lui le ravissant visage de chat de la fille du général Khadjar.

— Bien sûr. Comment allez-vous monsieur Linge ?

Malko baisa la main qu’on lui tendait. La soirée promettait : le choix allait être difficile. Était-ce voulu ?

— Alors, comment trouvez-vous l’Iran ? attaqua la jeune fille. Vous avez un peu voyagé ?

— Beaucoup, même, répondit Malko. Et je trouve que c’est un pays plein de surprises.

Pas la peine de préciser lesquelles.

Il voulut mettre la conversation sur un terrain qui l’intéressait.

— Malheureusement, je n’ai pas pu faire tout ce que je voulais. Les derniers jours ont été assez mouvementés, à Téhéran…

Saadi cracha comme un chat en colère.

— Ce n’était rien, rien du tout ! Quelques mécontents qui ont manifesté un peu violemment. Poussés par des communistes, bien entendu.

Tout en parlant, la jeune fille s’avançait vers la terrasse. Malko lui prit le bras, comme pour la guider.

— Mais il y a eu beaucoup de morts, paraît-il.

— Des morts ? – La voix de Saadi était furieuse. – Ce sont des mensonges de la propagande communiste. Les soldats tiraient en l’air, seulement pour se dégager.

— Mais j’ai vu des tanks…

— C’était pour leur faire peur.

C’était net et définitif. Les morts avaient dû mourir de peur. Ou Saadi était mal informée, ou elle mentait encore plus éhontément que son père. Malko quitta ce sujet brûlant :

— Où faites-vous faire vos robes ? Vous êtes merveilleuse.

Du coup, elle roucoula :

— À Paris. J’y vais deux fois par an. Vous aimez la façon dont je m’habille ?

— Beaucoup. Si nous dansions ?

La lune brillait, la terrasse baignait dans une agréable pénombre ; Saadi sentait bon et son corps doux et chaud s’appuyait, dans un frôlement de soie, contre celui de Malko. Que le chah était loin…

Malko ramena doucement contre sa poitrine sa main gauche, qui tenait celle de la jeune fille et la baisa du bout des lèvres. Rien que pour voir.

Elle appuya un peu plus sa joue contre celle de son danseur mais le corps ne suivit pas. Elle était nettement moins tendre que lors de leur précédente rencontre. C’était quand même agréable. Malko nageait dans un rêve doré quand une voix le fit sursauter :

— Je vous croyais perdu, Malko.

Tania était derrière eux, et c’était la première fois qu’elle l’appelait Malko.

Il eut un geste pour arrêter la danse avec Saadi.

— Ne bougez surtout pas, enchaîna Tania, de sa voix douce. Je craignais que vous ne vous ennuyiez, tout seul. – Elle marqua une pause. – Je ne savais pas que vous connaissiez déjà Saadi. A tout à l’heure.

Elle tourna les talons et s’éloigna en ondulant. La situation était critique. Malko devait choisir, et vite. Sinon, ces deux panthères se partageraient sa dépouille.

Il termina la danse sans pousser ses avantages. Pourtant Saadi se laissait un peu plus aller contre lui.

— Allons boire un verre, proposa-t-il.

— Bonne idée, fit Saadi. Rapportez-moi une orange pressée.

Furieux, Malko s’avança vers le buffet. Tania était entourée d’une douzaine de mâles, qui la dévoraient des yeux. En le voyant elle se tourna imperceptiblement. Il repartit vers la terrasse avec une vodka pure et un grand jus d’orange.

Coup de chance : Saadi n’était plus seule ! Deux garçons conversaient avec elle. Malko lui tendit son verre :

— Voilà votre drink, Saadi. Vous me retrouverez à l’intérieur.

Avant qu’elle n’eût le temps d’ouvrir la bouche, il avait disparu.

Tania était toujours très entourée. Cette fois, il n’y alla pas par quatre chemins. Il fendit le petit groupe et s’approcha :

— Vous voulez danser, Tania ?

En même temps, il lui prit la main et l’entraîna irrésistiblement loin de ses rivaux.

— Vous êtes affreusement mal élevé ! souffla Tania, quand il la prit dans ses bras.

— Moi ? Je vous ai seulement invitée à danser.

— Et vous ne m’avez pas laissé le choix.

— C’est un risque qu’il ne faut jamais prendre avec une femme.

Elle rit, mais continua à se tenir très droite et loin de lui. Avec une patience infinie, Malko, à la faveur de l’obscurité, entreprit de lui mordiller le bout de l’oreille droite. Elle se raidit un peu, mais laissa faire.

— Je suis heureux de vous retrouver, murmura Malko. Mais quand tous ces gens vont-ils partir ?

Tania sursauta :

— Quels gens ? Les invités, vous voulez dire ? Mais ils sont venus me voir eux aussi, figurez-vous !

— Quelle horreur ! soupira Malko. Je pensais que nous ne serions que deux : vous et moi.

— Vous êtes fou !

Il n’y avait pas beaucoup de conviction dans sa voix et Malko commençait à sentir que le corps de sa danseuse épousait le sien beaucoup plus étroitement. Profitant d’un coin d’ombre, il lâcha l’oreille et effleura de ses lèvres la bouche de la jeune fille. Elle frémit et ne dit rien.

Cinq minutes plus tard, c’est elle qui l’embrassait, aussi passionnément que la première fois. Ils s’étaient arrêtés au milieu des autres couples et oscillaient comme des ivrognes, soudés l’un à l’autre. Elle lui rendait son étreinte de toutes ses forces. Le désir de Malko s’était réveillé d’un coup. Il en avait presque mal.

Il se recula pour reprendre sa respiration. Les beaux yeux verts étaient noyés. Le bassin en avant, elle était tout entière tendue vers lui. Il mourait d’envie de la prendre là, tout de suite.

— Venez, murmura-t-il. Faites-moi visiter votre maison.

Elle sursauta.

— Impossible ! Pas maintenant ! Je ne peux pas laisser mes amis. Attendez.

Elle l’embrassa, pour l’empêcher de protester. La langue tournait autour de la sienne comme une bête vivante. Elle lui caressait lentement le dos et il sentait les ongles le griffer légèrement à travers le mince tissu de son complet. On n’aurait pas passé une feuille de papier à cigarettes entre leurs deux corps.

Un mauvais plaisant mit un twist et les couples s’écartèrent un peu, pour sauver les apparences. Tania se mit à danser à deux mètres de lui, donnant des coups de hanche comme une négresse en délire. Malko eut encore plus envie d’elle. Elle était belle, animale et jeune.

Autour d’eux, on flirtait avec autant de passion.

Malko commençait à comprendre pourquoi un célèbre médecin de Téhéran avait amassé une fortune considérable en refaisant des pucelages aux jeunes filles de bonne famille, dans ce pays où une fille ne se marie que vierge…

À part quelques malheureuses très laides, qui se bourraient de pistaches sur les divans, et les petits groupes de joueurs, tous les couples qui étaient là se préparaient visiblement à faire l’amour ; quand déjà, ils ne le faisaient pas…

Malko en avait assez de la station verticale. Il entraîna Tania jusqu’à un divan libre, rafla au passage deux coupes de Champagne et s’installa confortablement.

Tania s’était presque étendue, il en profita pour glisser la main le long de sa jambe, jusqu’à l’endroit où le bas s’arrêtait. Elle gémit :

— Arrêtez !

Mais elle ne lâcha pas le cou de Malko. La robe légèrement relevée au-dessus du genou, elle était vraiment très excitante. Malko remarqua que dans le dos le fourreau de soie était coupé d’une interminable fermeture Éclair, facile à défaire.

Un domestique passa tout près d’eux pour enlever les cendriers pleins. Il n’eut pas un regard pour la jeune fille, offerte sur le divan. Lui et dix de ses pareils circulaient au milieu des couples enlacés, enlevant les verres, renouvelant les boissons, nettoyant, silencieux, muets et absents comme des fantômes. Toute cette dépravation mondaine les laissait indifférents. Ils n’auraient jamais d’aussi belles femmes, alors à quoi bon rêver ? Et, en cas de révolution, ils seraient cent pour en violer une…

— Je voudrais vous faire l’amour dans cette robe, murmura Malko à l’oreille de Tania.

— Quelle drôle d’idée ! souffla-t-elle.

Elle rit un peu et glissa une main dans la chemise de Malko.

Lui ressentait l’exaltation qui le prenait chaque fois qu’il allait avoir une femme dont il avait eu très envie et qu’il allait ainsi gagner son pari contre lui-même. Tania, il l’avait « sentie », comme un dresseur tâte un fauve. Il avait tout de suite pensé qu’il ferait l’amour avec elle. Sans savoir comment ni où. Ce n’était pas de la fatuité mais une sorte de sixième sens, qui le trompait rarement. Maintenant qu’il la tenait pantelante entre ses bras, il jouissait délicieusement de sa victoire virtuelle sur cette fille si inaccessible en apparence.

Tania se coula encore un peu plus contre lui. Elle l’embrassa et murmura :

— Il faut que je vous quitte. On parle vite, ici à Téhéran. Je vous rejoindrai après. Si vous vous ennuyez, dansez un peu avec Saadi, la pauvre. Elle est toute seule ce soir, je crois…

Quelle vipère !

La jeune fille passa dans une autre pièce, et Malko ferma les yeux, étendu sur le divan. La soirée était aussi agréable qu’il l’avait escompté. C’était amusant, que la petite Saadi soit là ! Cela donnait encore plus de piquant à l’affaire.

Autour de lui, les couples s’en donnaient à cœur joie. Il y en avait de moins en moins, d’ailleurs ; ils disparaissaient un à un ; à croire que la maison avait cent cinquante chambres… Malko essaya d’apercevoir Saadi. En vain. Le père devait décourager les éventuels amateurs d’un flirt trop poussé.

Tania revint. Elle était encore allée se parfumer. Elle s’allongea contre Malko et l’embrassa longuement.

— Encore un peu de patience, dit-elle. Ils seront bientôt presque tous partis. Nous partirons à notre tour.

— Où irons-nous ?

— À cent mètres d’ici, il y a une petite maison, où nous hébergeons parfois. Elle est vide en ce moment ; nous y serons plus tranquilles qu’ici à cause des domestiques.

Tout cela semblait parfait. Malko avait de nouveau terriblement envie de Tania et le lui fit sentir. Cette fois, elle ne se déroba pas.

— Je partirai la première, et tu me suivras, murmura-t-elle à son oreille. Pour sauver les apparences. Viens.

Comme pour l’encourager, elle le tutoyait.

Elle se leva, alla jusqu’au buffet, échangea quelques mots avec un couple qui dansait et sortit sur la terrasse. Il faisait frais et tous les invités étaient rentrés. Tania demeura quelques instants appuyée au rebord de pierre, puis brusquement, disparut aux yeux de Malko, comme happée par l’obscurité. Il avança à son tour et découvrit que la terrasse se terminait sur un escalier descendant dans le jardin.

Il s’engagea à son tour et suivit une allée de gravier. Il s’arrêta un instant : devant lui s’éloignaient les pas de Tania.

Rassuré, il se hâta de la rattraper. Le sentier serpentait entre de grands arbres. Soudain Malko se trouva au pied d’un bâtiment noir. Tania l’appela à voix basse :

— Tu es là ?

Il la rejoignit et prit la main tendue.

— Nous sommes presque arrivés, murmura-t-elle.

Ils se retrouvèrent sur une autre terrasse, beaucoup plus petite. Toujours guidé par Tania, Malko pénétra dans une pièce qui sentait le renfermé et le pétrole. Elle lâcha sa main.

— Attends, j’allume.

Deux lampes basses aux abat-jour verts s’allumèrent près de Malko. La pièce était petite, meublée d’un grand divan, de deux chaises et d’une table basse.

— Nous sommes bien, non ? souffla Tania. Ici personne ne viendra nous déranger.

Elle enlaça Malko et lui donna un baiser violent. Il l’entraîna sur le divan, mais elle se dégagea doucement.

— Attends, dit-elle. Chez nous il y a des coutumes à observer. Nous avons inventé le strip-tease bien avant les Européens, mais ici il porte un autre nom… Reste où tu es.

Sous la table, il y avait un électrophone, qu’elle mit en marche. Aussitôt s’éleva une aigrelette musique arabe, très entraînante.

— Ça te plaît ? demanda Tania.

Sans attendre sa réponse elle commença à onduler devant lui.

Tout en dansant, elle défit la fermeture de sa robe et d’un coup de reins, la fit glisser à ses pieds. Elle n’avait plus qu’un soutien-gorge noir en dentelle, un slip de la même couleur et des bas très foncés, qui gainaient ses merveilleuses jambes. Toujours au rythme de la musique, elle entreprit de donner à Malko une éblouissante leçon de danse du ventre…

Il en avait la bouche sèche. Elle était encore plus belle que ce qu’il avait imaginé.

Elle s’approcha et le frôla de son ventre, tout en dansant ; il l’attrapa par les hanches et l’attira contre lui. Elle se dégagea d’un coup de reins, en laissant traîner sur le cou de l’homme ses longues griffes rouges.

— Un peu de patience ! souffla-t-elle.

Elle se recula et, d’une main, dégrafa son soutien-gorge, puis l’enleva d’un coup et s’arrêta net. Elle avait des seins splendides, attachés haut, écartés et presque trop lourds pour son buste assez frêle.

— Viens, maintenant ! fit-elle.

Malko se rua plutôt qu’il n’avança.

Au moment où il allait la saisir il y eut derrière lui un frôlement et il eut l’impression de recevoir le plafond sur la tête. La silhouette de Tania tangua un instant devant ses yeux, souriante, et tout devint noir alors que la tête de Malko heurtait le plancher.

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