7.


Julia grimpa l'escalier quatre à quatre et entra dans l'appartement. Le salon était désert. Elle appela plusieurs fois mais n’obtint aucune réponse. Living, chambres, salle de bains, une visite à l'étage confirma que les lieux étaient vides. Elle remarqua la photo d'Anthony Walsh dans son petit cadre en argent, nouvellement installée sur la cheminée.

– Où étais-tu ? demanda son père, la faisant sursauter.

– Tu m'as fait une de ses peurs ! Et toi où avais-tu disparu ?

– Je suis très touché que tu t’inquiètes à mon sujet.

Je suis allé me promener. Je m'ennuyais tout seul ici.

– Qu'est-ce que c'est ? demanda Julia en désignant le cadre sur le tablier de la cheminée.

– Je préparais ma chambre là-haut, puisque c'est là que je serai remisé ce soir, et j'ai déniché une chose tout à fait par hasard... Sous un amas de poussières. Je n'allais pas dormir avec une photo de moi dans la pièce ! Je l'ai posée ici, mais tu peux la mettre ailleurs, si tu préfères.

– Tu veux toujours partir en voyage ? demanda Julia.

– Je revenais justement de l'agence qui se trouve au bout de ta rue. Rien ne remplacera jamais le contact humain. Une charmante jeune fille, elle te ressemble un peu d'ailleurs, le sourire en plus... Où en étais-je ?

– À une charmante jeune fille...

– C'est exactement ça ! Elle a bien voulu faire une entorse à la règle. Après avoir pianoté sur un clavier d'ordinateur pendant une bonne demi-heure, j'ai d'ailleurs cru qu'elle recopiait l'œuvre intégrale d’Hemingway, elle a enfin réussi à réimprimer un billet à mon nom. J'en ai profité pour nous faire surclasser !

– Tu es incroyable tout de même ! Mais qu'est-ce qui te laisse croire que j'accepterais... ?

– Ah mais rien du tout ; seulement, quitte à coller ces billets dans ton futur album de souvenirs, autant qu'ils soient en première classe. Question de standing familial, ma chère !

Julia fila vers sa chambre, Anthony Walsh lui demanda où elle partait encore.

– Préparer un sac de voyage, pour deux jours, répondit-elle en insistant sur le chiffre, c'est bien ce que tu voulais ?

– Notre aventure durera six jours, les dates n'étaient pas modifiables ; j'ai eu beau supplier Élodie, la ravissante jeune fille de l'agence donc je te parlais tout à l'heure, elle est restée intraitable là-dessus.

– Deux jours ! Hurla Julia depuis la salle de bains.

– Oh, et puis fais comme tu veux, au pire nous t'achèterons une autre paire de pantalon sur place. Au cas ou tu ne l'aurais pas remarqué, ton jean est déchiré, on voit un bout de ton nous genou !

– Et toi, tu pars les mains vides ? demanda Julia en passant la tête par la porte.

Anthony Walsh avança vers la caisse en bois au milieu du salon et souleva une trappe qui cachait un double fond. À l'intérieur, il y avait une mallette en cuir noir.

– Ils ont prévu un petit nécessaire, de quoi rester élégant durant six jours, la durée approximative de mes batteries ! dit-il non sans une certaine satisfaction... Je me suis autorisé en ton absence à récupérer mes papiers d'identité que l'on ta remis. Je me suis également permis de reprendre ma montre, ajouta-t-il en montrant fièrement son poignet. Tu ne vois pas d'inconvénient à ce que je la porte momentanément ? Elle sera à toi le moment venu ; enfin, tu vois ce que je veux dire...

– Si tu pouvais arrêter de fouiner chez moi, je t'en serais reconnaissante !

– Fouiller chez toi, ma chérie, relèverait de la spé-léologie ! J'ai trouvé mes effets personnels dans une enveloppe en Kraft déjà abandonné dans ton grenier, au milieu du désordre !

Julia boucla son bagage et le posa dans l'entrée. Elle prévint son père qu'elle ressortait quelques instants et reviendrait aussi tôt que possible. Il fallait maintenant qu'elle aille justifier son départ auprès d'Adam.

– Que comptes-tu lui dire ? demanda Anthony Walsh.

– Je pense que ça ne regarde que lui et moi, répondit Julia.

– Je ne me soucie pas de ce qui le regarde, c'est ce qui te concerne toi qui m'intéresse.

– Ah oui ? Ça aussi, cela fait partie de ton nouveau programme ?

– Quelle que soit la raison que tu invoqueras, je te déconseille de lui dire où nous allons.

– Et je suppose que je devrais suivre les conseils d'un père qui a beaucoup d'expérience en matière de secrets.

– Prends-le juste comme un conseil d'homme à homme. Maintenant file, il faut que nous ayons quitté Manhattan dans deux heures au plus tard.


*

Le taxi déposa Julia Avenue of the Americas, devant le 1350. Elle s'engouffra dans le grand immeuble en verre qui abritait le département de littérature pour enfants d'une importante maison d'édition new-yorkaise. Son portable ne recevait pas dans le hall, elle se présenta à l'accueil et pria la standardiste de la mettre en relation téléphonique avec M. Coverman.

– Tout va bien ? demanda Adam en reconnaissant la voix de Julia.

– Tu es en réunion ?

– Je suis à la maquette, nous finissons dans un quart d'heure. Veux-tu que je réserve une table à 20 heures chez notre italien ?

Le regarda d'Adam se posa sur le cadran de son poste téléphonique.

– Tu es dans les murs ?

– À l'accueil...

– Ça tombe mal, nous sommes tous en réunion de présentation des nouvelles parutions...

– Il faut que nous parlions, l'interrompit Julia.

– Cela ne peut pas attendre ce soir ?

– Je ne pourrais pas dîner avec toi, Adam.

– J'arrive ! répondit-il en raccrochant.

Il retrouva Julia dans le hall, elle avait ce visage sombre qui présageait une mauvaise nouvelle.

– Il y a une cafétéria au sous-sol, je t’y emmène, dit Adam.

– Allons plutôt marcher dans le parc, nous serons mieux dehors.

– C’est si grave que cela ? demanda-t-il en sortant de l'immeuble.

Julia ne répondit pas. Ils remontèrent la sixième Avenue. Trois blocs plus loin, ils entrèrent dans Central Park.

Les allées verdoyantes étaient presque désertes écouteurs sur les oreilles quelques joggeurs trottaient à bonne allure, concentrés sur le rythme de leurs courses, hermétique au monde, à ceux qui se contentaient d'une simple promenade. Un écureuil à la fourrure rousse avança vers eux et se dressa sur ses pattes arrière en quête de nourriture. Julia plongea la main dans la poche de son trench-coat, s'agenouilla et lui tendit une poignée de noisettes.

Le petit rongeur effronté s'approcha, hésita un instant, fixant le butin qu'il convoitait avec gourmandise.

Leur vie dépassa la peur, d'un mouvement rapide il attrapa la noisette et s'éloigna de quelques mètres pour la gri-gnoter sous l'œil attendri de Julia.

– Tu as toujours des noisettes dans la poche de ton imperméable ? demanda Adam amusé.

– Je savais que je t’emmènerais ici, j’ai acheté un paquet avant de monter dans mon taxi, répondit Julia en en tendant une autre à l’écureuil que quelques compères avaient déjà rejoint.

– Tu m’as fait sortir d’une réunion pour me montrer tes talents de dresseuse ?

Julia lança sur la pelouse le reste de son paquet de noisettes et se redressa pour reprendre le cours de sa marche. Adam lui emboîta le pas.

– Je vais partir, dit-elle d’une voix triste.

– Tu me quittes ? s’inquiéta Adam.

– Mais non imbécile, seulement quelques jours.

– Combien ?

– Deux, peut-être six, pas plus.

– Deus ou six ?

– Je n’en sais rien.

– Julia, tu débarques à l’improviste à mon bureau, tu me demandes de te suivre comme si le monde autour de toi venait de s’écrouler, est-ce que tu peux m’éviter d’avoir à t’arracher les mots de la bouche, un par un.

– Ton temps est si précieux que ça ?

– Tu es en colère, c’est ton droit, mais ce n’est pas après moi que tu en as. Je ne suis pas l’ennemi, Julia, je me contente d’être celui qui t’aime et ce n’est pas toujours facile. Ne me fais pas payer des choses pour lesquelles je ne suis pour rien.

– Le secrétaire particulier de mon père m’a appelé ce matin. Je dois régler quelques-unes de ses affaires en dehors de New-York.

– Où cela ?

– Dans le nord du Vermont, à la frontière de Canada.

– Pourquoi ne pas y aller ce week-end, tous les deux ?

– C’est urgent, cela ne peut pas attendre.

– Cela a un lien avec le fait que l’agence de voyage m’ait contacté ?

– Qu’est-ce qu’ils t’ont dit ? demanda Julia d’une voix mal assurée.

– Quelqu’un est passé les voir. Et pour une raison que je n’ai pas comprise, ils m’ont recrédité du prix de mon billet, mais pas du tien. Ils n’ont pas voulu me donner plus d’explications. J’étais déjà en réunion, je n’ai pas eu le temps de m’attarder.

– C’est probablement l’œuvre du secrétaire de mon père, il est très doué pour ce genre de choses il a été à bonne école.

–Tu vas au Canada ?

– À la frontière, je te l'ai dit.

– Tu as vraiment envie de faire ce voyage ?

– Je crois bien que oui, répondit-elle l'air sombre.

Adam prit Julia sous son épaule et la serra contre lui.

– Alors va ou tu dois aller. Je ne t’en demanderai pas plus. Je ne veux pas prendre le risque de passer deux fois de suite pour celui qui ne te fait pas confiance, et puis il faut que je retourne travailler. Tu me raccompagnes à mon bureau ?

– Je vais rester ici encore un peu.

– Avec tes écureuils ? demanda Adam, ironique.

– Oui, avec mes écureuils.

Il posa un baiser sur son front, fit quelques pas à re-culons en agitant la main et s'en alla dans l'allée.

– Adam ?

– Oui ?

– Pas de chance que tu aies cette réunion, j'aurais bien-aimé...

– Je sais, mais nous n'avons pas eu beaucoup de chance toi et moi ces derniers jours.

Adam lui envoya un baiser dans les airs.

– Il faut vraiment que j'y aille ! Tu m’appelleras du Vermont pour me dire que tu es bien arrivée ?

Et Julia le regarda s'éloigner.

*

– Tout s'est bien passé ? Demanda Anthony Walsh, jovial, alors que sa fille venait de rentrer.

– Epatant !

– Alors pourquoi fais-tu cette tête d'enterrement ?

Cela dit, mieux vaut tard que jamais...

– Je me le demande ! Peut-être parce que, pour la première fois j'ai menti à l’homme que j'aime ?

– Ah non, c'était la deuxième, ma Julia, tu as oublié hier... Mais si tu veux, on peut dire que c'était un galop d'essai et que cela ne compte pas.

–De mieux en mieux ! J'ai trahi Adam pour la seconde fois en deux jours et lui, il est tellement formidable 93

qu’il a eu la délicatesse de me laisser partir sans me poser la moindre question en montant dans mon taxi, je me suis retrouvée dans la peau d'une femme que je m'étais juré de ne jamais devenir.

– N'exagérons rien !

– Ah non ? Qu'est-ce qu'il peut y avoir de plus dégueulasse que de tromper quelqu'un qui vous fait confiance au point de ne rien vous demander ?

– D'être trop occupé par son travail pour s'intéresser vraiment à la vie de l'autre !

– Venant de toi, c'est une remarque qui ne manque pas d'air.

– Oui, mais comme tu le dis, elle émane de quelqu'un d'avisé en la matière ! Je crois que la voiture est en bas... Nous ne devrions pas trop tarder. Avec ses consignes de sécurité, on passe désormais plus de temps dans les aéroports que dans les avions.

Pendant Anthony Walsh descendait leurs deux bagages, Julia fit un tour d'horizon de l’appartement. Elle regarda le cadre en argent sur la cheminée, retourna la photo de solitaires face au mur et referma la porte derrière elle.

*

Une heure plus tard, la limousine empruntait la bretelle d'accès qui conduisait aux terminaux de l'aéroport John Fitzgerald Kennedy.

– Nous aurions pu prendre un taxi, dit Julia en regardant par la vitre les avions garés sur le tarmac.

– Oui, mais tu avoueras que ces voitures sont bien plus confortables. Puisque j'ai récupéré chez toi mes cartes de crédit, et comme j'ai cru comprendre que tu ne voulais pas de mon héritage, laisse-moi le privilège de le gaspiller moi-même. Si tu savais le nombre de types qui 94

ont passé leur vie à amasser de l'argent et qui rêverait de pouvoir, comme moi, le dépenser après leur mort, c'est de luxe inouï, quand on y pense ! Allez, Julia, ôte-moi cet air maussade de ton visage. Tu retrouveras ton Adam dans quelques jours et il sera encore plus amoureux à ton retour. Profite pleinement de ces quelques moments avec ton père. À quand remonte la dernière fois où nous sommes partis ensemble ?

– J'avais sept ans, maman était toujours en vie et nous avons passé toutes les deux nos vacances autour d'une piscine pendant que tu passais les tiennes dans la cabine téléphonique de l'hôtel à régler tes affaires, répondit Julia en descendant de la limousine qui venait de se ranger le long du trottoir.

– Ce n'est quand même pas ma faute si les portables n'existaient pas encore ! s'exclama Anthony Walsh en ouvrant sa portière.

*

Le terminal international était bondé. Anthony leva les yeux au ciel et vint se joindre à la longue file de passagers qui serpentait jusqu'aux banques d'enregistrement.

Une fois obtenue les cartes d'accès à bord, valeureux sésames acquis au prix d'une interminable attente, l'exer-cice était à renouveler cette fois pour passer sous les portiques de sécurité.

– Regarde la nervosité chez tous ces gens, l'inconfort qui ruine le plaisir du voyage. Et comment les blâmer, comment ne pas céder à la l'impatience quand on vous oblige à rester debout ainsi pendant des heures, avec pour les uns leurs enfants dans les bras et pour d'autres le poids de l'âge qui pèse sur leurs jambes. Crois-tu vraiment que cette jeune femme devant nous aura planqué 95

des explosifs dans les petits pots de son bébé ? Compote d'abricots et de pommes-rhubarbe à la dynamite !

– Crois-moi, tout est possible !

– Allons, un peu de bon sens ! Mais où ont disparu ces gentlemen anglais qui buvaient leur thé à l'heure du blitz ?

– Sous les bombes ? chuchota Julia, gênée qu'Anthony parle si fort. Et toi, tu n'as rien perdu de ton caractère de râleurs. En même temps, ils expliquaient à l'agent de sécurité que l'homme avec qui je voyage n'est pas tout à fait mon père et lui détaillait les subtilités de notre situation, il aurait peut-être le droit de perdre un peu de son bon sens, non ? Parce que, moi, j'ai abandonné le mien dans une caisse en bois au milieu de mon salon !

Anthony haussa les épaules et avança, son tour était venu de passer sous le portique. Julia repensa à la dernière phrase qu'elle venait de prononcer et le rappela aussitôt, trahissant dans sa voix l'urgence qui l’animait soudain.

– Viens, dit-elle cédant presque à la panique. Allons-nous-en d'ici, l'avion était une idée stupide. Louons une voiture, je prendrais le volant, dont six heures nous seront à Montréal, et je te promets que nous parlerons en route.

On parle bien mieux en voiture, non ?

– Qu'est-ce qui t'arrive, ma Julia, qu'est-ce qui te fait peur à ce point ?

– Mais tu ne comprends pas ? chuchota-t-elle à son oreille. Tu vas te faire repérer en deux secondes. Tu es bourré d'électronique, à ton passage ces détecteurs se mettront à hurler. La police de sautera dessus, ils vont t’arrêter, te fouiller, te radiographier des pieds à la tête, et puis, ils te mettront en pièces détachées pour comprendre comment un tel prodige technologique est possible.

Anthony sourit et fit un pas vers l'officier de sécurité. Il ouvrit son passeport, déplia une lettre coincée dans le rabat de la couverture et la tendit du bout des doigts.

Le préposé l'a parcouru, appela son supérieur et pria Anthony Walsh de bien vouloir se mettre sur le côté. Le chef de poste pris connaissance à son tour du document et adopta une attitude des plus révérencieuses. Anthony Walsh fut conduit à l'écart ; on le palpa avec une infinie courtoisie et on l'autorisa, dès la fouille achevée, a circulé à son aise.

Julia dut se plier à la procédure imposée à tous les autres passagers. On lui fit ôter ses chaussures et la ceinture de son jean.

On lui confisqua la barrette qui retenait ses cheveux

- jugée trop longue et trop pointue -, un coupe-ongles oublié dans sa trousse de toilette - l'ALÉNA englobons était assorti la lime à ongles dont il était assorti mesurer plus de 2 cm de long. Le superviseur la réprimanda pour son inconséquence.

Les panneaux n’indiquaient-ils pas, en caractère suffisamment gros, la liste des objets interdits à bord des avions ?

Elle s'aventura à répondre qu'il serait plus simple d'afficher ceux qui étaient autorisés, et l'agent de sécurité prit le ton d'un sergent instructeur pour lui demander si elle avait un problème avec le règlement en vigueur. Ju-liana l’assura qu'il n'en était rien, son vol décollait dans quarante-cinq minutes, L. n'attendit pas la réaction de son interlocuteur pour récupérer son sac et fila rejoindre Anthony qui l’observait de loin, l'œil goguenard.

– Je peux savoir pourquoi tu le droit à ce traitement de faveur ?

Anthony agita la lettre qu'il tenait toujours en main et la confia, amusé, à sa fille.

– Tu portes un stimulateur cardiaque ?

– Depuis dix ans, ma Julia.

– Pourquoi ?

– Parce que j'ai fait un infarctus et que mon cœur avait besoin d'être soutenu.

– Quand est-ce arrivé ?

– Si je te disais que cela s’est passé le jour anniversaire de la mort de ta mère, tu accuserais encore mon côté théâtral.

– Pourquoi ne l’ai-je jamais su ?

– Peut-être parce que tu étais trop occupée à vivre ta vie ?

– Personne ne m'a prévenue.

– Encore aurait-il fallu savoir où te joindre... Oh, et puis n’en faisons pas tout une histoire ! Les premiers mois, je fulminais de devoir porter un appareil. Quand je pense qu'aujourd'hui c'est un appareil qui me porte tout entier ! On y va ? Nous allons finir par le raté ce vol, dit Anthony Walsh en consultant le tableau d'affichage des départs. Ah, non, reprit-il, ils annoncent une heure de retard. Il ne manquerait plus que les avions soient ponc-tuels !

Julia profita du temps qui leur était accordé pour aller explorer les rayons d'un kiosque à journaux. Cachée à l'abri d'un présentoir, elle regardait Anthony, sans que ce dernier s'en aperçoive. Ainsi dans la salle d'embarquement, les yeux perdus vers les pistes d'envol, il fixait le lointain et, pour la première fois, Julia eut l'impression que son père lui manquait. Elle se retourna pour composer le numéro de Stanley.

– Je suis à l'aéroport, dit-elle, parlant tout bas dans l'appareil.

– Tu décolle bientôt ? demanda son ami, d’une voix presque aussi inaudible.

– Tu as du monde dans la boutique, je te dérange ?

– J’allais te poser la même question !

– Mais non, puisque c'est moi qui t’appelle, répondit Julia.

– Alors pourquoi tu chuchotes ?

– Je ne m'en étais pas rendu compte.

– Tu devrais passer me voir plus souvent, tu me porte chance, j'ai vendu la pendule du XVIIIe siècle une heure après ton départ. Cela faisait deux ans que je l'avais sur les bras.

– Si elle était vraiment XVIIIe, elle n'était plus à quelques mois près.

– Elle aussi savait bien mentir. Je ne sais pas avec qui tu es et je ne veux pas le savoir, mais ne me prends pas pour une andouille, j'ai horreur de ça.

– Ce n'est vraiment pas ce que tu crois !

– La croyance est une affaire de religion, ma chérie !

– Tu vas me manquer, Stanley

– Profite bien de ces quelques jours ; les voyages forment la jeunesse !

Et il raccrocha sans laisser la moindre chance à Julia d'avoir le dernier mot. La communication coupée, il regarda son téléphone et ajouta :

– Pars avec qui tu veux, mais ne va pas t’amouracher d’un Canadien qui te garderaient dans son pays. Une journée sans toi, c'est long, et je m'emmerde déjà !



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