ÉPILOGUE

Quelque part, dans le Pays basque, le rire des goélands a réveillé un bébé. Le soleil n’est pas encore levé, une rosée abondante s’est posée sur les pétales. Une fillette appelle sa maman. Elles se serrent l’une contre l’autre. Il y a tant d’amour dans cette chambre que les murs pourraient exploser. L’enfant mange une pêche ou une banane. Ses cheveux blonds et ses dents ont encore grandi dans la nuit. Elle a un an et demi. Elle marche et dit quelques mots : « t’entends ? », « ballon », « viens », « encore ! », « ouais ! », « maison », et « miaou » quand le chat entre dans la chambre. Le reste de son langage est un dialecte personnel : « Bakatesh », « Pabalk », « Fatishk », « Kabesh », « Dedananon », « Gilgamesh ». Elle parle peut-être le sanskrit couramment. Elle aime : se balancer dans le hamac, faire semblant de conduire la voiture en imitant le vrombissement du moteur, cueillir des pâquerettes dans le jardin, jouer aux ombres chinoises sur le gazon, trouver une coquille d’escargot, prendre une poignée de gravier pour redécorer la terrasse, cesser toute activité pour regarder un avion qui laisse une traînée blanche dans le ciel bleu, faire une boule avec la mie d’un croissant au beurre, danser avec sa mère en écoutant Joe Dassin, se faire offrir des framboises par la vendeuse au marché. En guise de chorégraphie, elle lève les bras et pivote sur elle-même, pieds nus dans l’herbe jusqu’au vertige. Son état d’esprit général : l’émerveillement devant Tout. Tout est nouveau, tout est important, et l’ennui n’existe pas. La mère et la fille iront déjeuner sur la plage. Dans ce pays il pleut souvent, ce qui confère à chaque rayon de soleil l’allure d’un miracle. Il suffit qu’une gloire transperce le firmament et les autochtones se déshabillent en vitesse. Il se passera énormément de choses au bord de l’océan : mettre du sable dans le seau, retourner le seau, tapoter sur le seau, retirer le seau, admirer le pâté de sable, détruire le pâté de sable, recommencer l’opération dix fois. Tremper ses orteils dans la mer. Courir en avant vers les vagues, reculer quand la vague approche. Crier « Oh non ! » quand la marée monte sur la serviette de bain. Croquer des morceaux de langoustine, des chipirons, une galette de maïs, une poignée de sable. L’après-midi est infini comme la mer. S’allonger sur le dos pour regarder le ciel. Dans la voiture qui la ramène à la maison, la petite réclamera son dessin animé préféré : « La petite taupe », œuvre tchèque des années 60, qui prouve que le communisme n’a pas complètement échoué. Le bain chaud est le clou de la journée. La maman et le bébé le prennent ensemble. La peau de l’enfant est plus douce que toi. Dehors, les brebis rosissent au flanc de la colline.

C’est alors qu’elles entendent des roues crisser sur le gravier. Un taxi s’est arrêté dans l’allée. Un grand échalas, chevelu et barbu, est assis sur la banquette arrière, tenant par la main sa fille aînée qui a grandi de quelques centimètres, débarrassée de son robot nippon. Le gars dégingandé paie la course et déplie sa carcasse pour sortir de la voiture. Il revient de Californie, où il s’était inscrit pour subir un protocole de tests scientifiques, à base d’injection de sang jeune. Mais le jour J, il s’est dégonflé, et ne s’est pas rendu au rendez-vous. Léonore et Lou ouvrent la porte de la maison basque. Léonore pose sa fille au sol, puis croise les bras sur son ventre arrondi. Elle resplendit dans la lumière rosée du soleil qui se couche derrière les pins. M’ayant reconnu, Lou laisse tomber son biberon par terre. Elle se met à courir vers moi en criant : « Papa ! »

Alors je m’agenouille et j’ouvre les bras.

Загрузка...