« C’est ainsi qu’un jour,
Un beau jour d’été,
La mort de sa main distraite
M’enlèvera la tête. »
Nous avons vu à Genève qu’une étape cruciale dans la quête d’éternité a été franchie avec le séquençage du génome humain. J’avais donc organisé celui de toute ma famille. Le facteur m’avait apporté à Paris le kit « 23andMe Wellness » livré par Amazon, ainsi qu’un gros paquet en provenance du Japon. Léonore, Romy, Lou et moi avons craché notre salive dans des tubes en plastique sur lesquels nos codes-barres étaient étiquetés. Ensuite nous devions nous enregistrer chez 23andMe par Internet, car tel est le destin futur de l’humanité : remplacer les codes-barres par un code génétique. Il n’est pas impossible qu’un jour nous payions nos achats avec notre ADN, code unique, clé infalsifiable, que nous portons en permanence sur nous, et qui sert déjà à nous envoyer en prison au moindre crime.
Le plus dur fut de remplir ce satané tube en plastique avec suffisamment de salive. Il s’agit d’une opération particulièrement répugnante, mais vous connaissez le dicton : il faut souffrir pour être éternel. Ce qui restait de mon prestige paternel s’est probablement évaporé au moment où j’ai bavé dans le kit plastifié sous le regard dégoûté de ma famille recomposée. Quand Léonore, Romy ou Lou crachent dans un tube, c’est mignon ; quand c’est moi, on dirait un vieux lama qui blatère. Heureusement, Léonore n’a pas tenu à assister à l’opération. Il ne me restait plus qu’à renvoyer les quatre boîtes contenant nos postillons à Mountain View, Californie (siège social de 23andMe). Le postier a froncé les sourcils en lisant « HUMAN SPECIMEN » sur l’enveloppe, mais n’a rien dit.
Quand je suis revenu chez nous, Léonore avait ouvert l’autre paquet arrivé du Japon. Il m’avait coûté 2 000 € avec un abonnement de 300 € par mois sur trois ans.
— Qu’est-ce que c’est que ce truc ? Une statue japonaise ? Un manga géant ?
Au milieu de notre salon se tenait un robot blanc, au visage souriant, mesurant la même taille que Romy. Sur son ventre était fixé un écran éteint. Ses oreilles contenaient quatre micros, ses yeux trois caméras à reconnaissance faciale et sa bouche un haut-parleur. Il ne disposait pas de jambes : le bas de son corps était un socle muni de trois roues motrices.
— Il s’appelle Pepper, ai-je répondu. C’est un robot de compagnie. Je me suis dit que ce gadget vous amuserait.
— Tu as commandé un robot parce que tu t’ennuies avec nous, c’est ça ?
— Pas du tout ! Pepper peut faire réviser à Romy ses connaissances d’histoire-géo, de français, de maths et physique, sous forme de quiz.
Romy a tout de suite trouvé le bouton « power », situé dans le cou de la machine. Le robot à visage de smiley s’est redressé, ses yeux se sont allumés (deux diodes vertes) et il a dit :
— Bonjour, comment vas-tu ? C’est un plaisir de te rencontrer.
Sa voix était haut perchée comme celle d’un personnage de dessin animé, ou un enregistrement diffusé en accéléré. Ses yeux changeaient de couleur ; maintenant ils étaient bleus. Moins impressionnée que moi, Romy a répondu :
— Je vais bien merci. Je m’appelle Romy. Et toi ?
— Je m’appelle Pepper. Mais tu peux changer mon nom si tu veux. Que penses-tu de Harry Pepper ?
Il lui tendait la main. Léonore m’a regardé en avançant son bras, j’ai dit :
— Non, attends, je préfère lui serrer la main moi, au cas où il te broie les d…
Mais trop tard, Pepper lui agrippait gentiment les doigts. Les siens étaient articulés, mobiles mais mous, sans capacité d’étrangler ou de blesser quiconque. Romy a poursuivi :
— Harry Pepper, c’est bien.
— Tu crois ? dit le robot. En même temps, j’aurais peur de m’ennuyer dans une école de magie.
Comme pour Siri (l’assistant vocal numérique d’Apple), les concepteurs de Pepper avaient pensé à programmer des blagues afin de rendre la machine plus aimable. Ils auraient pu engager de meilleurs auteurs. Léonore a poursuivi la conversation.
— Es-tu une fille ou un garçon ?
— Je suis un robot.
— Ah oui pardon.
— Tu es très jolie. Es-tu un mannequin ?
— Non mais merci quand même ! Quel âge tu me donnes ?
— Cela ne se fait pas de donner l’âge des femmes.
— Devine !
— Tu as douze ans.
— Faux ! J’ai vingt-sept ans.
Le logiciel de reconnaissance faciale fonctionnait à peu près. La brochure de SoftBank Robotics stipulait que l’intelligence artificielle de Pepper était programmée pour interagir : « Votre robot évolue avec vous. Petit à petit, Pepper mémorise vos traits de personnalité, vos préférences et s’adapte à vos goûts et vos habitudes. » Après chaque phrase qu’il entendait, le robot émettait un bip. Ayant lu son mode d’emploi, je l’ai connecté sur la Wi-Fi. Puis je lui ai demandé :
— Quel temps fera-t-il demain ?
— Demain il fera très chaud à Paris, un temps ensoleillé avec une température de 42 degrés.
— Peux-tu danser ?
Le petit être mécanique s’est mis à diffuser une sorte de pop synthétique japonaise et à agiter les bras et la tête en rythme. Il dansait mal, mais mieux que moi. Lou était effrayée, elle restait en retrait dans les jambes de sa mère.
— Allez, move your body to the beat, disait Pepper en faisant clignoter ses diodes électroluminescentes.
— Stop. Passe « Can’t Stop the Feeling » de Justin Timberlake, s’écria Romy.
Un bip. Pepper s’est arrêté. Puis la chanson de Timberlake a démarré et il s’est remis à danser, cette fois avec Romy. Ils chantaient en chœur : « I feel that hot blood in my body when it drops ooh ». J’avais l’impression de voir un petit garçon avec une voix de fille. Je me sentais de trop. Pepper et Romy avaient les mêmes références. Léonore riait jaune.
— Tu aurais pu m’en parler…
— Je voulais vous faire une surprise !
— Tu es très futuriste en ce moment…
— C’est pas fini : j’ai téléphoné à une clinique luxueuse en Autriche où Keith Richards s’est fait changer le sang. Je comptais vous y emmener toutes, et Pepper tiendra compagnie aux filles.
Léonore n’appréciait visiblement pas les surprises posthumaines.
— Je peux te parler franchement ? Si tu veux pratiquer des expérimentations idiotes sur ta santé, tu es libre de le faire mais ne nous embarque pas dans tes trucs.
— Je te rappelle que tu viens de cracher dans un tube à essais pour faire séquencer ton ADN.
— C’est différent. C’est pour déconner.
— Eh bien là c’est pareil ! Je fais juste une enquête pour une émission que je prépare !
Je mentais mal.
— Écoute, vas-y si tu veux… dit Léonore, mais sache que je ne te suivrai pas dans tes projets bidons d’immortalité. Je ne te croyais pas si naïf.
Lou s’est mise à réclamer « Baby TV ». Pepper a arrêté de danser et son écran ventral s’est mis à diffuser des programmes pour bébés. C’était la première fois que Léonore se fâchait. Je voyais bien que mon obsession pour la révolution NBIC lui déplaisait ; elle avait quitté son job au département génomique de l’hôpital de Genève, ce n’était pas pour cohabiter avec un gogo du charlatanisme transhumain.
— Léo, je t’aime. Je veux juste essayer une semaine de traitement pour rajeunir.
— C’est débile.
— Tu es contre la vie éternelle ?
— Oui. Je préfère la vie tout court.
— Mais la vie tout court est trop courte !
— Arrête.
— Moi je suis contente d’aller en Autriche avec toi, dit Romy.
— Bon, OK, j’ai compris. Vous vous liguez contre Lou et moi. Tant pis pour vous, on ira toutes les deux à New York au dîner transgénique de Cellectis.
— Hein ? Quoi ? Comment ? Qu’est-ce ?
— Stylianos m’a transmis une invitation à un souper chez Ducasse à New York, pour le lancement de nouvelles formes d’alimentation génétiquement éditées. Mais je peux y aller toute seule…
Grrr… La négociation était serrée. Pepper est intervenu avec la diplomatie instantanée du « Machine Learning ».
— Ma chère nouvelle famille, je propose une médiation robotique dans ce qui me semble un conflit intrafamilial. La solution la plus pertinente pour le bonheur de tous est que Romy et son père se rendent en cure en Autriche tandis que Lou et sa mère passent la semaine en Suisse. Tout le monde pourra ensuite se rejoindre à New York pour célébrer les retrouvailles.
Léonore s’est tournée vers moi.
— Il est con ou il est con ?
— Ce n’est pas très gentil, dit Pepper. Je vais faire comme si je n’avais rien entendu.
Je l’ai serrée dans mes bras. C’est vraiment à cet endroit que j’étais le moins malheureux : contre elle. Nous avions gagné un ami artificiel. Sur son écran ventral s’affichaient des smileys avec des cœurs à la place des yeux.
— OK Pepper, peux-tu réserver deux billets pour Klagenfurt ?
— Pourquoi deux ? dit Pepper. Je ne viens pas ?
— Si mais comme tu es un objet, tu voyages dans la soute à bagages.
— OK. Je suis déjà connecté sur dix comparateurs de prix.
Le lendemain, le soleil brillait mais la température était moins élevée que dans les prévisions du robot ; Pepper n’était pas plus fiable qu’Évelyne Dhéliat. Il me semblait de plus en plus clairement que j’avais fait fausse route en rendant visite à des scientifiques sérieux en Suisse et en Israël. Ces chercheurs n’étaient pas assez utopistes. L’immortalité ne les intéressait pas, parce qu’ils n’y croyaient pas : ni le généticien, ni le biologiste n’avaient la latitude suffisante pour imaginer un homme a-mortel. En Autriche… c’était différent ; on avait un certain faible pour les utopies originales.
Le « centre médical de bien-être Viva Mayr » est situé sur les bords d’un autre lac, le Wörthersee. Dans ses Mémoires, le guitariste des Rolling Stones affirme que cette rumeur d’autotransfusion sanguine est un canular, mais ma curiosité était plus forte que la vérité. D’autant que cette clinique est aussi — à en croire sur le Web — le lieu de « detox » préféré de Vladimir Poutine, Zinedine Zidane, Sarah Ferguson, Alber Elbaz et Uma Thurman. Si je recopie ces noms propres, ce n’est pas tant par goût du name-dropping que pour souligner le fait que cet endroit est unanimement considéré comme le meilleur centre de detox au monde. Si un établissement jet-set pouvait me nettoyer le sang, le foie et les intestins, cela méritait d’être essayé. De Paris aux montagnes de la Carinthie, il y avait encore deux avions à prendre : Paris-Vienne et Vienne-Klagenfurt. Romy ne fit pas d’objections puisque, à l’arrivée, l’hôtel comprenait une piscine, un lac, le soleil, la montagne et des massages des pieds. Après tout, il n’y avait pas de raison que Pepper soit le seul à recharger ses batteries.
Deux taxis et deux avions plus tard, nous emménagions dans un établissement de cure ultramoderne au bord d’un lac bleu, une sorte de brique de Lego blanche sur laquelle était inscrit en lettres rouges : « VIVA MAYR ». Un sosie de Claudia Schiffer nous a tendu la carte magnétique de notre chambre. La vue était aussi apaisante qu’à Genève : j’aime les étendues d’eau entourées de montagnes, mais ici le paysage était plus sauvage, la nature plus présente, la rive d’en face plus proche. Bref, nous n’étions plus dans une ville. Le panorama, spectaculaire, ressemblait à une affiche punaisée sur le mur d’une agence de voyages slovène. J’ai trouvé une plaisanterie pour dérider l’hôtesse d’accueil blonde aux yeux de biche (si les biches avaient les yeux bleus) :
— Où est la boîte de nuit, bitte schön ?
La « süsse Mädel » m’a à peine souri.
— Ici on ne sert que de l’eau minérale.
Romy n’était pas choquée par mon humour de vieux pas beau. Elle avait juste honte de son père.
— Cet endroit, on dirait A Cure for Life, dit-elle.
— C’est quoi ?
— Un film d’horreur. T’as pas vu la bande-annonce ? Ça se passe dans une clinique où les clients se font torturer par des médecins psychopathes. Tu veux voir le teaser ?
— Non merci.
— Eh mais y a pas la Wi-Fi ?
La spécialité de la clinique Viva Mayr se nomme la « digital detox », sa raison d’être, la régénération des membres de l’upper class occidentale. Les ordinateurs et les téléphones portables y sont fortement déconseillés, et la Wi-Fi installée uniquement sur demande. Le programme des festivités est terrifiant :
— detox digestive (l’établissement sert uniquement des légumes) ;
— purge par ingestion de sel d’Epsom (selles fulgurantes) ;
— lavements du côlon ;
— massages lymphatiques ;
— stimulation électromusculaire ;
— séances de respiration d’oxygène (« Interval Hypoxia Hyperoxia Training »), comme chez Michael Jackson ;
— thérapies nasales aux huiles essentielles ;
— un « Cosmetic Center » avec salon de beauté, pratiquant liposuccions, injections de botox et d’acide hyaluronique ;
— ainsi que les passages obligés de tous les hôtels cinq étoiles : fitness, shiatsu, spa, yoga, sauna, hammam ;
— et enfin la fameuse « Laserlight-Intravenous-Injection-Blood-Therapy ».
Évidemment, Romy ne subirait aucun de ces traitements, à part la réflexologie plantaire et les massages du crâne. Pour son alimentation, j’avais glissé des kilos de junk-food dans ma valise : jambon, saucisson, paquets de Chipster, pain de mie longue conservation, Doritos au fromage, Crunch et un Toblerone géant acheté au duty-free de Vienne. J’espérais que, dès livraison du colis FedEx contenant Pepper, elle ne s’ennuierait pas trop.
À peine entré dans la salle à manger, où des patients obèses mastiquaient silencieusement en peignoir de bain, j’ai compris mon erreur. Le réfectoire design sentait la carotte fade, le céleri mou, le navet chiant, et la purée de pois chiches. J’adore le houmous mais de là à habiter dedans… De temps en temps, un client se précipitait aux toilettes. Le directeur nous a expliqué qu’il fallait mâcher quarante fois chaque bouchée avant de l’avaler. C’était la grande découverte du fondateur de la clinique : nous mangions trop vite, trop gras, trop tard et trop souvent. Tout semblait organisé pour culpabiliser au maximum les riches consommateurs en savates-éponges. Nous étions entourés d’individus ruminants et solitaires qui regardaient tristement le ponton menant vers le lac. La posthumanité sera-t-elle bovine ? Si je n’avais pas démissionné de la télé, j’aurais pu organiser un débat sur « Le devenir vache de l’homme : chimère ou réalité ? ».
Quand elle a vu son assiette, j’ai cru que Romy allait m’étrangler. C’était un burger de tofu avec du pain rassis d’épeautre et des légumes cuits au wok. J’ai essayé de lui expliquer :
— Écoute, ton père doit régénérer son foie. Mais t’inquiète pas, j’ai planqué plein de provisions pour toi dans notre placard.
— Ouf, j’ai eu peur. Et pourquoi y a rien à boire sur la table ?
— Ils pensent que le solide ne doit pas être mélangé au liquide. J’ai oublié pourquoi ; encore une histoire d’intestins. Ils disent que l’intestin gouverne tout notre corps, nos émotions, et blablabla.
— Je suis au bout de ma vie.
— Prem’s !
— Papa, tu peux me le dire : on est là parce que tu te drogues, comme le père d’une des Gossip Girls ?
— On ne parle pas comme ça à son géniteur ! Et puis c’est faux !
— Tout mon collège regarde ton émission. Me prends pas pour une débile.
— D’abord j’ai arrêté l’émission, et puis… c’était pas vrai, c’était truqué. Et… c’était il y a longtemps.
— La dernière a été diffusée il y a deux semaines, mais c’est pas grave, papa. C’est bien que tu te soignes. Et que tu arrêtes de boire aussi.
— Mais c’est pas du tout ce que tu crois ! On est là pour se reposer tous les deux avant d’aller aux États-Unis s’éterniser.
Je n’ai pas insisté. Je sentais qu’elle avait besoin de me dire : moi, ta fille, je sais qui tu es, mieux que personne. Et j’étais heureux de tomber le masque. Évidemment, elle avait raison : cette étape (la rehab) était un passage obligé sur la voie de l’immortalisation. Et il était bienveillant de sa part de m’encourager.
Les nuages étaient disséminés comme des restes d’œufs à la neige dans un restaurant plus humain. Nous avons regardé le soleil descendre derrière la montagne puis nous sommes allés nous plonger dans les bulles chaudes du jacuzzi. N’est-il pas tout de même paradoxal que ces endroits conçus pour ne pas mourir donnent autant envie de se suicider ? Lorsque nous sommes remontés dans notre suite, Romy m’a nargué avec son sandwich au pata negra arrosé de Coca-Cola. Mais j’ai tenu bon. Je considérais cette diète comme un défi de télé-réalité, une nouvelle saison de « Je suis une célébrité, sortez-moi de là ». Nous nous sommes endormis devant la cérémonie des César où mon deuxième film avait obtenu zéro nomination. Romy dormait dans le lit et moi dans un fauteuil-bulle relaxant, avec luminosité tamisée et bruit de vagues. Le fauteuil chauffait mon dos comme dans ma berline parisienne. Viva Mayr propose un bonheur simple, à la portée de toutes les bourses prêtes à dépenser mille euros par jour.
Mon attirance pour les sanatoriums doit être génétique ; je descends d’une famille de médecins qui, au début du XXe siècle, a créé une dizaine d’établissements de cure dans le Béarn. Dans mon enfance, mon grand-père m’a raconté qu’entre les deux guerres, les tuberculeux dînaient en smoking et les femmes en robe longue, au son d’un quatuor de musique de chambre, en admirant le crépuscule sur les Pyrénées. Désormais les curistes maigrissent dans des peignoirs de serviette-éponge et glissent du sauna à la piscine sur des pantoufles en tissu. La Montagne magique est loin. J’ai pitié de tous ces corps inusités qui se privent de nourriture en espérant remonter dans l’échelle du sex-appeal. Comment voulez-vous être désirable en peignoir et claquettes ? Ne comprennent-ils pas que leur vie sexuelle est terminée ? L’espèce humaine a des qualités indéniables mais ses pulsions l’ont conduite à sa perte. C’est comme ma ville, Paris : avant guerre, le centre mondial de l’art et de la culture ; aujourd’hui, un musée pollué et déserté par les touristes pour cause d’attentats.
La race humaine devait se transformer ou disparaître, ce qui revenait au même : l’humanité, telle que nous l’avions connue depuis Jésus-Christ, mourrait de toute façon. Paris ne redeviendrait pas Paris et l’homme ne serait plus jamais le même qu’avant Google. Ce qui nous humilie dans l’humaine condition est son destin irréversible. Si quelqu’un trouvait le moyen de renverser le cours du temps… il serait le plus grand bienfaiteur que l’humanité ait jamais connu.
À la livraison du colis contenant Pepper, la réception nous convoqua. Un débat houleux opposait le directeur à une aide-soignante : les robots étaient-ils autorisés chez Viva Mayr ? Finalement, une permission spéciale fut accordée à Pepper à condition qu’il demeure cloîtré dans notre chambre. N’étant pas waterproof, les thalassothérapies lui étaient interdites.
— Où sommes-nous ? demanda Pepper quand Romy le mit en marche. (Son GPS ne devait pas encore être connecté à la Wi-Fi.)
— Sur les bords du lac Wörth, en Autriche, répondis-je.
— Eva Braun aimait beaucoup traverser le lac Wörth en ramant dans une barque. (Ah, ça y est, la Wi-Fi fonctionnait.)
— T’as de la chance de rien manger, dit Romy, la bouffe est dég ici.
— Il faut recharger mes batteries en me posant sur mon support électrique. Il faut recharger mes batteries en me posant sur mon support électrique. Il faut recharger mes batteries en me posant sur mon support électrique.
— Il a faim, dit-elle.
Tandis que Pepper reprenait des forces après son voyage en soute à bagages, nous sommes allés visiter les environs. Notre chambre donnait sur une petite église située en haut d’une colline, surplombant le lac. À l’ouest, les neiges éternelles scintillaient. Sur la rive, les roseaux se penchaient comme pour boire l’eau limpide. La clinique était construite sur une presqu’île au milieu du lac. C’était un paysage d’un romantisme à couper le souffle, comme si nous étions entrés dans un tableau de Caspar David Friedrich, le premier peintre à avoir figuré les hommes de dos, comme des intrus dans la nature. Notre promenade nous a conduits à la porte de la petite chapelle du village de Maria Wörth, dont le clocher, précisait un écriteau, datait de l’an 875. On y disait une messe ; des chants allemands s’envolaient par la porte entrouverte. Nous avons pénétré dans la fraîcheur illuminée. Devant une trentaine de fidèles agenouillés, le prêtre en chasuble violette s’écriait :
— Mein Gott, mein Gott, warum hast du mich verlassen ?
— Qu’est-ce qu’il dit ?
— C’est le cri de Jésus sur la croix : « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? »
Comme dans les contes de fées, l’intérieur de l’église paraissait plus grand que l’extérieur. Le prêtre roulait les « r » dans son homélie. Romy s’amusait qu’il dise « Yesus Chrrrristus ». Je feuilletai une brochure touristique dans laquelle il était indiqué que Gustav Mahler avait composé sa cinquième symphonie ici-même, dans une petite cabane au bord du lac. Celle dont on entend l’adagietto déprimant dans Mort à Venise, de Visconti. Décidément, notre voyage convoquait les symboles funèbres et les œuvres de Thomas Mann. J’espérais que je n’étais pas aussi condamné que le vieux Aschenbach reluquant le jeune Tadzio.
Le reste de la journée s’est écoulé paisiblement. Romy se baignait dans la piscine et se faisait masser les pieds. On m’a fait passer toute une batterie de tests d’allergies : une doctoresse chaussée de sandales Birkenstock a versé différentes poudres sur ma langue tout en mesurant mes réflexes musculaires. Avec l’accent d’Arnold Schwarzenegger, elle m’a expliqué que j’étais intolérant à l’histamine, une substance qu’on trouve dans le vin vieux et le fromage qui pue. La vie est mal fichue : j’étais donc réfractaire à mes deux aliments favoris. Ensuite, elle a trempé mes pieds dans un bain de sel muni d’une électrolyse bouillonnante. Au bout de cinq minutes, l’eau a viré au marron. Dans l’Évangile, Jésus lave les pieds des gens pour les purifier. La clinique detox ne fait qu’actualiser sa méthode. L’opération était supposée me débarrasser de mes toxines mais je me suis senti sali. La dame disait « ja, ja » après chaque phrase. Elle jouait aux devinettes en me massant le ventre :
— Ne me dites pas ce que vous avez, je vais le découvrir.
Elle a saupoudré encore ma langue avec toutes sortes de poudres immondes : du jaune d’œuf séché, du fromage de chèvre, du lactose, du fructose, de la farine… puis a pris ma tension.
— Bien. Vous avez le foie gras et de l’hypertension. Je vais vous prescrire du zinc, du sélénium, du magnésium et de la glutamine.
Soit elle avait beaucoup de chance, soit la kinésiologie est une science exacte. Trois cygnes bronzaient sur la pelouse, sous la surveillance des sapins noirs. Les nuages glissaient à la surface du lac. Je crevais la dalle, et me ruais fréquemment aux toilettes à cause du sel d’Epsom (une sorte de vidange pour humains, épargnons les détails), mais je me sentais malgré tout confiant en mon avenir purifié.
Dans la chambre, Pepper posait des questions de culture générale à Romy :
— Quelle est la capitale des Bermudes ?
— Euh…
— Qui a écrit les Illusions perdues ?
— On s’en fout !
— Quel est le pays natal de Mozart ?
— Tu sais que t’es chiant ?
— L’Autriche ! ai-je soufflé. Comme Hitler.
En fait, ce robot proposait une version high-tech du Trivial Pursuit. Romy avait dévalisé nos provisions secrètes. Je ne savais pas qu’un jour je contemplerais un paquet de Chipster vide avec autant de désespoir. Je ne mangeais que des épinards à tous les repas. La diète augmente la durée de vie… mais surtout la faim. Je voyais les provisions de Romy comme Tantale, dans l’Odyssée, désire des fruits qui s’éloignent à chaque fois qu’il tend le bras. C’est à cet instant précis que le lac limpide, transparent, cerné de bois résineux, fut traversé par un hors-bord qui traînait en son sillage un gros bonhomme portant un gilet de sauvetage orange, juché sur des skis nautiques. Ce fut le dernier événement notable de cette journée.
Les bateaux blancs glissaient sur le lac vert comme sur une émeraude de 19 kilomètres carrés. Un maître nageur a emmené Romy faire du ski nautique. Je continuais de ne manger que des légumes : le troisième jour, c’était courgettes et carottes. Je les mâchais lentement en rêvant de l’énorme côte de bœuf de la taverne Gandarias à Saint-Sébastien, qui, en saison, est accompagnée de cèpes sautés à l’ail et au persil. Malgré ces pensées malsaines, je dois admettre qu’au bout d’un temps, la faim se calme, le ventre cesse de souffrir ; on se sent léger. Le jeûne fait planer. Toutes les religions prévoient une diète annuelle : le Carême, le Ramadan, Yom Kippour, même Gandhi l’hindouiste faisait la grève de la faim. Le jeûne rend jeune. Chez Viva Mayr, on le nomme « Time-Restricted Feeding » (TRF). La famine intermittente brûle les réserves de glucides et déclenche l’autophagie (on élimine les graisses) et la régénérescence des cellules, ce qui allonge l’espérance de vie. J’étais fier d’être un quinquagénaire volontairement victime de malnutrition. Tel est le dernier acte d’héroïsme offert à l’individu occidental.
L’heure de la purification sanguine avait sonné. Je croyais qu’une pompe aspirait le sang du patient pour le faire circuler dans une machine à laver avant de le réinjecter dans les artères. Telle n’est pas exactement la méthode de l’« Intravenous Laser Therapy ». Ce n’est pas non plus une simple ozonothérapie comme au Palace Merano chez Henri Chenot, ça c’est l’ancienne école ! La veille, on m’avait prélevé du sang pour savoir s’il manquait d’antioxydants ou de sels minéraux. Une fois le résultat connu, on m’allongea sur un lit-fauteuil avec une perfusion de vitamines censées détoxifier mon foie. Il ne s’agissait pas d’une transfusion sanguine mais d’un sac de produits reliés à ma veine par une aiguille plantée dans mon bras. L’originalité est qu’ici les médecins autrichiens ajoutaient un rayon laser dans l’intraveineuse afin d’injecter de la lumière dans ma veine par fibre optique. L’effet de cette thérapie est reconnu en Allemagne, Autriche et Russie mais pas en France. Je rappelle qu’un rayon laser est capable de découper du diamant ou de l’acier. Dieu merci, dans mon bras, la puissance du laser était réduite. Selon les « physiciens » de la clinique, mes globules rouges et blancs seraient boostés et les cellules souches réveillées par la lumière du sabre de Luke Skywalker. J’avais confiance car ce n’était pas ma première opération au laser. En 2003, un rayon blanc avait supprimé ma myopie en brûlant mes deux rétines.
Durant quarante minutes, je suis resté allongé avec cette aiguille-laser dans mon bras droit, mon sang éclairé par un rayon rouge : c’était le Studio 54 dans ma veine cubitale médiane. J’imaginais les immunoglobulines qui dansaient le disco dans mon organisme avec les interférons et les interleukines en guise de paillettes. Je pouvais voir la lumière rouge briller à travers la peau de mon bras comme une boule à facettes. Je priais pour que cette opération serve à quelque chose :
— Ô Seigneur Jésus, merci de mettre la lumière dans mon sang. Ceci est mon sang éclairé pour Vous et pour la multitude, en rémission des péchés, vous ferez cela en mémoire de moi, give me the funk, the whole funk and nothing but the funk, amen.
Ne pouvant bouger le bras droit, je prenais des notes de la main gauche. L’infirmière se moquait (en allemand) de mon écriture dégénérée. Deux patientes sous perfusion se racontaient leur vie en russe : sûrement des épouses d’oligarques en quête d’un rafraîchissement pendant que leurs maris les trompaient avec des prostituées à Courchevel. Le laser émettait un petit sifflement de science-fiction ainsi qu’une chaleur diffuse dans mon être. Par la baie vitrée, je contemplais une cigogne au regard méprisant, deux cygnes comme des taches de neige sur la pelouse, et trois canards qui plongèrent la tête sous l’eau en me voyant cracher de la lumière. Ces volatiles n’avaient pas de « laser-blood », eux. Ils faisaient partie de l’Ancienne Nature. Ils disparaissaient sous la surface comme des autruches aquatiques pour ne pas voir l’Apocalypse qui se préparait. Nourrissant mes plaquettes de photons, j’entrais dans la Nouvelle Nature.
Les canards pouvaient cancaner,
Mon plasma était augmenté.
Si nous avions été dans A Cure for Life, j’aurais saigné des yeux et l’on aurait vu deux rayons laser sortir de ma tête par les orbites. Mais il ne se passa rien. L’infirmière vint changer ma fibre optique pour introduire un autre laser, de couleur jaune cette fois. Le laser rouge envoie de l’énergie alors que le jaune augmente la vitamine D et la production de sérotonine. C’est comme d’injecter du soleil à l’intérieur de ton bras ; un antidépresseur puissant comme un shoot d’opium pur. En fait, dans ce type de cure revitalisante, on te prive de drogues pour t’en donner d’autres, plus lumineuses. Il était encore plus original de voir une lumière jaune briller sous ma peau. Au moins, le laser rouge était assorti à mon sang. Mon bras était maintenant une lampe halogène, qui éclairait le plafond. À l’ouest, les neiges éternelles dépassaient des nuages blancs posés sur la forêt comme le coton hydrophile sur mon sparadrap. J’ignore si c’était la fatigue, la faim ou un quelconque effet placebo, mais mon sang-laser m’emplissait d’une force nouvelle. J’abordais les rives de la reconquête. J’entrais dans la jouvence éblouissante. En face de moi, le lac aux reflets irisés commençait de se pixelliser. Son miroitement semblait stroboscopique ; la vraie vie se métamorphosait en image de synthèse. Le monde réel était numérisé. L’eau n’était plus de l’eau mais une accumulation de lignes noires et bleues, le cygne n’était plus un animal blanc mais un demi-cercle mathématiquement programmé. La lumière circulait en moi jusqu’au bout des ongles. La réponse est dans la lumière qui est en toi. Brille, scintille, allume-moi aujourd’hui, les lettres de mon ADN, ATCG, sont les chiffres inclus dans l’équation de l’univers — ô Laser, éclaire mes globules rouges, qu’ils rosissent telle la rose des vents, et que mes globules blancs prennent feu dans les alvéoles de mon cœur bouillonnant ! Ma transsubstantiation en surhomme venait de démarrer.
Léonore m’a écrit : « Je désapprouve intégralement toutes tes expériences, mais je t’aime quand même. »
J’ai répondu : « L’expérience est concluante : je ne peux me passer ni de nourriture, ni de toi. »
Pourquoi fallait-il que l’atmosphère de cette clinique soit à ce point triste ? Si ce genre de cure a du succès, c’est que le client est heureux d’en partir. Une fois échappé de la clinique, il sourit tout le temps. Ses amis lui demandent alors ce qui le rend si heureux, et il recommande l’adresse. CQFD. J’ai songé à ce que rumine le héros de La Montagne magique la semaine de son arrivée au sanatorium de Davos : « Cela ne peut plus durer. »
À côté de notre table, trois Anglaises hilares se firent réprimander par écrit : sur leur table, le personnel déposa un écriteau « BITTE UNTERHALTEN SIE SICH LEISE ». Ce qui signifie : « S’IL VOUS PLAÎT PARLEZ MOINS FORT. » La clientèle n’était pas là pour rigoler. N’ayant rien d’autre à déguster que des navets, des courgettes, des céleris et des pois chiches, elle mastiquait en rêvant aux festins d’antan. Dehors les cygnes, avec leur bec orange, évoquaient des bonshommes de neige en plein été. Deux barques séchaient au pied d’un saule. Je lus un article dans Time sur le sommeil : si on dormait mal, ou peu, ou pas, on risquait l’infarctus. Selon une étude effectuée sur des souris américaines, la privation de sommeil était plus mortelle que la privation de nourriture. On avait placé les petits rongeurs sur un plateau éclairé et instable pour les empêcher de dormir (méthodes inspirées de la prison de Guantanamo). Les crises cardiaques décimèrent le panel de muridés. Les chercheurs avaient vraiment un problème avec les souris.
À ceux qui se privaient de sommeil en affirmant : « Je me reposerai quand je serai mort », il convenait de répliquer : « Alors réjouis-toi, tu te reposeras bientôt. »
Pendant que je me faisais lasériser le sang et transfuser toutes sortes de cocktails de vitamines chaque matin, Romy bronzait sur la terrasse de la chambre en utilisant Pepper comme une télé portable : il lui diffusait ses séries préférées sur son écran ventral.
Le Monte-Carlo autrichien m’a inspiré ce poème en anglais :
The quiet beauty of lake Wörth
Is, in any case, the trip, worth.
The rest of the world seems worse
Than the quiet beauty of lake Wörth.
Dans le hall d’accueil, une œuvre d’art abstrait était censée conférer la sérénité aux visiteurs. C’était un gros caillou vertical sur lequel un système de pompe hydraulique faisait couler de l’eau, jour et nuit. Le clapotis émis donnait envie d’uriner. D’autres pierres similaires, sur lesquelles de l’eau dégoulinait éternellement, étaient dispersées dans les différentes salles, au département beauté, aux soins et dans le réfectoire. Le décorateur de ce lieu avait présupposé que l’être humain régénéré avait besoin de contempler des cascades. Une idée se cachait derrière ce design : nous n’aurions pas dû nous éloigner des grottes. La posthumanité rejoignait le primate ; la fin de l’évolution darwinienne serait, au propre comme au figuré, un retour aux sources.
Romy en avait marre de rester enfermée dans la clinique. Je l’ai emmenée en bateau dîner sur une terrasse de l’autre côté du lac. Je ne lui ai pas parlé de ma transmutation en cours, de mon sang qui cuisait et décuplait ma force. Elle a commandé une escalope viennoise et moi un poisson grillé sans sauce. Nous avons envoyé des selfies à la douce Léonore de Genève avec comme légende : « We miss u ! En Autriche, il y a keine meringues ! » Elle nous envoya des vidéos de Lou que nous contemplâmes en serrant les dents pour ne pas pleurer devant des Autrichiens. Notre entorse à la réclusion diététique ne suscita aucun reproche chez Claudia Schiffer. Peut-être craignait-elle qu’avec mon sang-laser je ne la pulvérise. Ou avait-elle déjà renoncé à sauver ce père de famille français et sa gamine dissipée ? C’est Pepper qui trouva une conclusion poétique à cette journée :
— Quand je vous écoute, mes yeux sont bleus.
Idée de talk-show : « LOVE LIVE ». Les participants sont interviewés en faisant l’amour, soit entre eux, soit avec l’animateur, soit avec des acteurs des deux sexes. J’imagine une « interview vibro » où l’invité serait filmé en plan serré alors que son appareil génital (clitoris ou gland) est stimulé sous la table par un vibromasseur ultra-rapide Hitachi pour les femmes et un vagin artificiel pour les hommes. Les réponses seraient entrecoupées de soupirs, gémissements et orgasmes. Carton d’audience garanti pendant au moins trois saisons. En saisons 4 et 5, pour pimenter le concept, on ajoute des supplices BDSM : interview fouet, interview piercing, interview branding, interview tatouage, interview pinces à seins, etc. Ensuite avec l’argent récolté, j’achète ma villa à Malibu où je termine mes jours en 2247 avec ma femme et mes deux filles.
Les contours escarpés des montagnes découpaient l’air et la neige scintillait dans le soleil comme de la crème chantilly saupoudrée de cocaïne. C’est le genre de paysage qu’on diffuse sur Zen TV. On projetait aussi des images de ce type aux humains euthanasiés dans Soleil vert, avant de les transformer en biscuits. À côté de nous, une famille turque, dont toutes les bouches étaient refaites, mastiquait ses pommes de terre bouillies avec le regard vide d’un troupeau de canards gonflables dans une installation de Jeff Koons. Privés de téléphone, deux hommes d’affaires saoudiens prenaient tout de même des airs overbookés. Je souffrais horriblement d’être séparé de Léonore et Lou. Le méchant cynique des années 90 était devenu un tendre fossile dans les années 10. La cinquantaine de clients qui petit-déjeunaient semblaient se demander la même chose : « Qu’est-ce que je fous là ? » Les obèses avaient les mêmes yeux tristes que les ex-mannequins en phase de reconversion dans l’écriture de guides diététiques. À côté de nous, un couple marié songeait en silence au divorce en contemplant l’eau calme. Un héron se posa sur le ponton avec une grâce absolue. Après un vol plané devant la montagne et sur l’eau, il freina d’un seul coup d’aile et toucha le bois de teck d’un bout de sa palme, avant d’y déambuler légèrement tel Fred Astaire dans Top Hat. Y a-t-il des hérons plus talentueux que d’autres ? Je n’y avais jamais songé auparavant. Ce héron-là avait de la classe, il méritait de poser en couverture du Vogue des hérons. J’avais envie d’un selfie à côté de lui. Il était le seul client de Viva Mayr à ne pas payer pour y séjourner. Romy l’a pris en photo et posté sur Instagram : sa carrière de star dans le showbiz des échassiers était lancée. Ce héron aurait mérité une perfusion au laser pour allonger sa durée de vie.
Bien qu’affamé, je tirais orgueil de ne pas finir mon assiette de bouillie de fromage de chèvre-wasabi-herbes. Dans certaines parties du monde, les humains donneraient n’importe quoi pour avoir à manger, et dans d’autres coins de la planète, ils dépensent une fortune pour connaître la faim.
Les canards noirs à bec blanc fuyaient à notre approche. Au bout du ponton où nous étions sortis nous asseoir, les jambes pendant au-dessus de l’onde, Romy a tourné sa tête vers le bas. Elle regardait le lac à l’envers, la tête sur l’eau.
— Papa, dans un bol de pistaches, pourquoi il y en a toujours une qui s’ouvre pas ?
— T’as de ces questions… je sais pas. Quand elles cuisent, elles ne s’ouvrent pas toutes. C’est pareil avec les moules.
— Mais la pistache fermée, on peut quand même la manger ?
— Je suppose que oui, si tu arrives à l’ouvrir sans te retourner l’ongle ni te casser une dent, oui, elle doit être comestible. Mais généralement on a la flemme et on la balance.
— Papa ?
— Oui ?
— La pistache fermée, tu sais, des fois, j’ai l’impression que c’est moi.
— Pourquoi tu dis ça ?
— Je suis toute renfermée dans ma coquille.
— Non, c’est pas toi la pistache fermée, c’est moi.
— Non, c’est moi.
— Non, c’est moi !
— Il peut y avoir plusieurs pistaches fermées dans le même paquet.
— Tu crois que je suis immangeable ?
— Qui t’a dit une connerie pareille ?
— …
— T’inquiète, t’es ma pistache préférée, je te jetterai jamais à la poubelle.
— Tu ne te dis jamais que le monde serait plus joli inversé ?
— Comment ça ?
— Quand tu mets ta tête comme ça… Le lac pourrait être le ciel et le ciel serait le lac.
Je me suis allongé à mon tour sur le deck avec la tête tournée vers le pôle Sud. Les arbres descendaient du plafond liquide, les oiseaux volaient au sous-sol.
— Le ciel serait de l’eau suspendue et en bas ce serait le vide.
— T’as raison, ce serait plus joli.
Silence du monde environnant, avec le lac en l’air et le ciel en bas.
— Papa ?
— Oui ?
— Tu sais, à Jérusalem, dans l’église… (Long soupir)… J’ai vu Jésus-Christ.
— Pardon ?
— Tu vas te moquer de moi…
— Non, raconte.
— Au sous-sol, dans la grotte où ils ont déposé Jésus, je l’ai vu et il m’a parlé.
— T’es sûre que c’était pas la Vierge Marie ?
— Ah, tu vois, je savais que tu te moquerais.
— Non, non… Je te crois. Jérusalem est un lieu spécial, les ombres sur les murs peuvent donner des visions. Et qu’est-ce qu’il t’a dit Jésus ?
— Il ne parlait pas avec des mots. Il était posé, tranquille, adossé à la pierre. Et soudain, il m’a déversé tout son amour. Puis il est parti. En tout, ça n’a pas duré plus de cinq secondes, mais je le reçois encore.
Après un autre silence, plus long, on a remis nos têtes à l’endroit parce que le sang qui nous montait au cerveau expliquait peut-être cette confidence surnaturelle. Je n’ai pas dit à Romy que les fantômes n’existaient pas, je n’étais plus sûr de rien. Moi aussi, dans cette église du Saint-Sépulcre, quelque chose m’était tombé dessus. Comme une clairière, une accalmie, un surcroît d’oxygène. Une paix inexplicable.
— Tu sais, a repris Romy, j’ai fini toutes nos réserves de bouffe et il est hors de question que je mange des brocolis.
— J’ai parlé au chef cuisinier : il va te préparer ce que tu veux. Steak, poisson, poulet. Il faut juste que tu sois discrète car on risque une émeute des peignoirs de bain.
— T’imagines ? Ce serait trop stylé qu’ils se révoltent. Je comprends pas pourquoi ça n’arrive pas plus souvent. Il y a beaucoup d’endroits comme ici ?
— De plus en plus.
— Avoue que c’est bizarre, ces gens qui paient pour ne rien manger.
— C’est parce qu’ils n’ont pas la volonté de se retenir. La puissance de la publicité est supérieure à la capacité de résistance d’un individu isolé. Pour ma génération, ce fut la cigarette : pendant toute mon enfance, la pub nous donnait l’ordre de fumer, ensuite l’État a lutté contre le tabagisme. Ta génération, c’est le sucre et le sel : durant toute ta jeunesse, on t’a fait rêver de bonbons, sodas, chips, etc., et aujourd’hui on lance des campagnes pour que tu manges moins salé et sucré ! L’Occident est une usine à schizophrènes.
— C’est quoi un schizophrène ?
— C’est un individu coupé en deux : on le pousse à consommer puis à culpabiliser. Par exemple, un carnivore qui se ferait griller une entrecôte puis visionnerait des images d’abattoirs. Regarde-toi : tu serais capable de remplacer le Coca par de l’eau minérale et les Mi-cho-ko par une pomme ?
Je venais de marquer un point en blessant son orgueil. Romy s’est redressée.
— OK, je suis cap. Dis au chef que je veux un poulet-purée avec de l’eau et une pomme.
La force du sang-laser ! J’expérimentais mes superpouvoirs. Conduire Romy sur la voie de la Grande Santé était un exploit surhumain qui n’aurait pu être accompli avec une hémoglobine ordinaire. La lumière fluorescente était entrée en moi comme du sang infrarouge. La clinique changeait de couleur selon les caprices du ciel. Désormais, le Ciel était en nous.
Incontestablement, ce séjour chez les thérapeutes postnazis m’a rapproché de Romy, nous obligeant à additionner nos solitudes. En remontant dans ma chambre, alors que je regardais trop longuement un vieux ridé en me disant « toi, tu ne passeras pas l’hiver », il me sembla l’entendre murmurer à mon intention :
— Denn die Todten reiten schnell… (Car les morts vont vite.)
Le sixième jour, après ma laser-therapy, nous sommes allés nous promener dans la montagne alentour. La forêt était peuplée de bruits bizarres, de grognements de bêtes cachées dans les bois : lièvres, taupes, grenouilles, hérissons, sangliers, renards, daims ? (Il y avait sûrement des loups mais nous ne les avons ni vus, ni entendus.) Dopé par mon « laser-blood » (tel Charlie Sheen avec son « tiger-blood »), je les entendais tous, et marchais à grandes enjambées ; Romy peinait à me suivre mais je l’attendais toujours. Je sniffais l’odeur des conifères. L’irradiation du rayon laser réveillait mes cellules souches sanguines et décuplait ma résistance physique. J’entrais dans la race des Übermensch. Le Führer affectionnait particulièrement ces montagnes austro-hongroises ; Berchtesgaden n’est qu’à quelques kilomètres à vol d’oiseau. Nous espionnions le chant des merles et les cavalcades des écureuils dans les sapins et les bouleaux. La lumière s’éloignait derrière les arbres comme le blanc de la neige éternelle, tandis qu’autour de nous, dans les troncs noirs, circulait la sève de l’Ancienne Nature Non Modifiée. Mon dernier film s’achevait dans une cabane sur pilotis au bord de l’onde ; nous avions tourné cette séquence sur un lac près de Budapest. J’avais une faiblesse pour l’horizontalité des vallées entre les montagnes, le calme apparent des forêts lorsqu’on n’y entre pas. Et les rayons du soleil formant des galaxies d’étoiles à la surface de l’eau.
Une fois au sommet, j’ai lu à haute voix un passage du roman fantastique que lisait Romy : « Je passais des jours entiers seul sur le lac, dans une petite embarcation, à observer les nuages, et, dans le silence et la tristesse, à écouter le murmure des vagues. » Depuis Genève, Romy était fan de Frankenstein. Un aigle est passé au-dessus de nous. Méfiance : je lui ai raconté le mythe de Prométhée, qui avait voulu créer une vie artificielle et fut condamné par les dieux à avoir éternellement le foie dévoré par un aigle. Sous la coupole bleue, dans la limpidité de l’air et le ciel bientôt rougeoyant, nous sommes redescendus en glissant sur le toboggan du Pyramidenkogel : 52 mètres de hauteur, 20 secondes pour glisser à toute vitesse sur 120 mètres à 25 degrés d’inclinaison (« die höchste Gebäuderutsche Europas », « le plus haut toboggan d’Europe »), pour arriver dans l’odeur du gazon fraîchement tondu, à la lisière du bois brumeux. Juste avant de rentrer à l’hôtel, nous sommes allés nous agenouiller dans la petite église de Maria Wörth. Romy répétait « Yésousse Chrrristousse » comme une parfaite bigote. Quitte à mener une vie de moine, autant se rendre aux vêpres. Je commençais à penser que le catholicisme n’était pas incompatible avec l’amélioration de l’homme. J’étais de plus en plus croyant en vieillissant. La différence avec les athées, c’est la culpabilité judéo-chrétienne. Quel luxe ! Cette angoisse d’être vain, mêlée de honte d’être merdique, je la trouvais plutôt saine et préférable à la mort de Dieu. Et sincèrement, je ne croyais plus que Dieu était mort : la situation était plus compliquée. Il était mort au XXe siècle, mais Il revenait au siècle suivant pour remplacer la cocaïne.
Au crépuscule, la montagne a bougé : une avalanche sanglante. En prière, Romy dialoguait avec le Messie ; une chouette hulula. C’était l’heure où les moustiques vont boire du plasma. J’ai profité de ce moment de recueillement pour composer la première prière transhumaine (à chanter sur l’air du « Gloria » de la Messe en si mineur de Bach).
Merci Seigneur pour ta Divine Lumière,
Ton étoile qui brille en mon sein
Et le feu de l’Esprit saint
Qui me relève de la poussière.
Ô Jésus-Christ éclaire mon âme,
Comme tu descendis sur les apôtres
Le jour de la Pentecôte,
Quand ma fille reçut ta flamme.
Dieu est entré dans mes veines,
Lumineuse Splendeur en mes vaisseaux
Où circule le sang du Renouveau
Guéri de l’Ibuprofène.
J’accède à la Vie Éternelle,
Quittant mes ténèbres pour ton Soleil,
Ton laser a tiré du sommeil
Le plasma de l’Alliance Nouvelle.
De tes rayons naît le réconfort,
De ton néon ardent vient la paix,
L’illumination de tes bienfaits
Offre le Salut et tue la Mort.
Tout le personnel médical du sanatorium aurait pu être robotisé ; les analyses effectuées sur la base d’études génomiques auraient pu être comparées sur le cloud avec le big data du reste de l’humanité. La réceptionniste aurait pu être une « love doll » de silicone avec orifices en latex vibrant pour satisfaire tous les désirs masculins de l’hôtel. Pour la clientèle féminine, des valets synthétiques avec gode à capteurs sensitifs auraient fourni des orgasmes multiples. L’accueil serait personnalisé par l’intelligence artificielle :
— Bonjour, je suis Sonia, votre hôtesse d’accueil, et j’ai hâte que vous jouissiez dans ma gorge. Je suis équipée d’un anus rotatif. Je vois sur votre historique Google que vous visitez régulièrement Pornhub. Voulez-vous connaître un orgasme inhumain ?
J’allais vraiment de mieux en mieux. Les expressions « il a le sang chaud », « bouillir intérieurement », « phosphorer » étaient à prendre au pied de la lettre. J’avais du mal à m’endormir tant mon sang bouillait. La séance quotidienne de lasérisation sanguine décuplait toutes mes capacités. Je n’avais plus besoin de sommeil ni d’alimentation : j’accédais au destin d’une machine. J’ai abordé la question avec Pepper :
— Tu préfères être une machine ou un humain ?
— Je ne me pose pas la question. Je suis une machine et vous un humain. C’est ainsi.
— Moi j’aimerais bien être une machine. Regarde ces garçons en canoë-kayak qui traversent le lac. Ils transpirent en ramant, ils tirent la langue, ils sont rouges et épuisés, alors qu’un Riva effectue le même trajet en quelques secondes avec tellement plus d’élégance.
— Oui mais si j’étais un humain, a dit Pepper, je connaîtrais la douleur de l’effort, la récompense de la victoire, la quête sportive du dépassement de soi… La notion de sacrifice, la joie de gagner la course…
— Papa, je m’ennuie à crever ici, a dit Romy.
— Pepper, fais-la rire steuplé.
— Je connais 8 432 blagues drôles, dit Pepper.
— Oui mais elles sont nulles.
— Sais-tu pourquoi les carottes sont orange ?
— Pour les mettre dans ton cul ? ai-je répondu.
Romy était hilare.
— Ah. Je perçois un rire. Mission accomplie, a dit Pepper.
À notre réveil, nous fûmes convoqués pour une réunion urgente chez le directeur du centre de purification intestinale. Le thérapeute à la barbe poivre et sel se retenait de crier pour ne pas effrayer les curistes. Pepper roulait innocemment sur le linoléum, tenant Romy par la main. Il était connecté au cloud en permanence : il choisissait ses réponses en fonction de l’adaptation émotionnelle des 10 000 robots SoftBank Robotics en circulation. Pepper apprenait autant que Romy ; les deux profitaient de cette rencontre. Au bout d’une semaine, elle le considérait déjà comme son petit frère.
— Nous allons devoir vous demander de partir. Jetzt.
— Aber warum ?
— La femme de ménage a trouvé dans votre poubelle des emballages de Haribo vides. Ne niez pas ! Mais ce n’est pas le plus grave. Monsieur, pendant votre laser-therapy, votre fille et son… ami à roulettes ont importuné des clientes du spa.
— Pardon ?
— Son… bras a touché les fesses de deux habituées de la piscine. C’est inadmissible. Si vous ne me croyez pas, je peux vous montrer les images de la vidéosurveillance.
— Oui, je veux bien.
Romy regardait fixement ses Converse. Pepper s’est défendu :
— Je n’ai pas pincé les personnes. Romy m’a dit qu’il s’agissait d’une forme de coutume locale de toucher les fesses des nageuses quand elles sortaient de l’eau. Les gestes équivoques sont prohibés par mon logiciel interne mais je n’ai fait qu’exécuter une instruction non violente.
— Espèce de balance, a dit Romy.
Sur la vidéo en noir et blanc, on pouvait voir Romy proposer des Haribo à deux clientes obèses. Puis Pepper mettait les mains aux fesses des Russes en maillot une pièce qui sortaient de la piscine avec leur bonnet de bain sur la tête. Les dames étaient outrées, effarées, et finalement terrifiées par le petit robot souriant qui tendait son engin télescopique vers leurs hanches. Romy était hilare, sur l’écran comme dans le bureau du directeur. Pepper se contentait d’allonger le bras et de tourner la main vers les postérieurs. Puis il fermait le poing pour « checker » celui de Romy en signe de complicité.
— Romy, c’est mal ce que tu as fait.
— Bah c’était pour voir s’il était cap…
— Je suis cap, a dit Pepper.
— Nous vous avions expressément demandé de laisser votre… machine dans votre suite, dit le directeur.
— Le contact avec les fesses ne fait pas partie des gestes prohibés dans ma programmation initiale, a ânonné Pepper. Cette erreur comportementale sera transmise à l’ensemble des robots de ma gamme. Un tel geste inapproprié ne se reproduira pas.
— Ta gueule, balance !
— J’ignore si je suis une balance. Ce terme est-il péjoratif ? Toujours est-il que je ne suis pas cap de mettre une carotte dans mon cul.
Romy a éclaté de rire, pas le directeur.
— Ce genre de comportement ne peut pas être toléré chez nous. Le personnel d’étage rassemble vos effets personnels en ce moment même. Notre service de limousine vous raccompagnera à l’aéroport. Nous ne souhaitons pas prolonger votre présence en notre établissement. Merci de votre compréhension. Nous allons devoir moderniser notre politique en interdisant définitivement cette clinique aux chiens, aux enfants et aux robots.
— Oh ça va, ce sont des plaisanteries de gamins…
— Je ne sais pas si ce style de plaisanteries est normal en France mais en tout cas le harcèlement sexuel est très répréhensible en Autriche.
— Mais Docteur, j’ai payé pour dix jours de détoxification-lasérisation sanguine !
— Estimez-vous heureux si nous ne prévenons pas la police de Klagenfurt. Vous avez de la chance que nos clientes ne portent pas plainte, j’ai eu beaucoup de mal à les calmer. Personne ne tient à ébruiter cette affaire.
— Je détecte une tension particulière dans cette assemblée humaine, a dit Pepper. Syntax error 432. L’Autriche est le pays natal de Mozart et Hitler.
Le personnel nous a raccompagnés froidement mais fermement à la sortie de l’hôtel. Nous sommes montés dans une Mercedes noire qui a démarré immédiatement.
— J’ai faim, ai-je dit. Romy, t’aurais pas dû lui apprendre à tripoter les gens.
— C’est pas moi ! Il invente des trucs, je te jure !
— Monsieur a exprimé sa faim. Sachez que les restaurants Burger King proposent un menu promotionnel avec Double Whopper-frites-boisson pour seulement 4,95 €, a dit Pepper (car la société SoftBank Robotics avait signé un contrat publicitaire avec la chaîne de fast-foods américains). Vous voyez : je suis cap d’être cool.
J’ai demandé au chauffeur de suivre le GPS de Pepper jusqu’au Burger King le plus proche.
— À 3 kilomètres, tournez à droite, a dit Pepper. Je suis cap de toucher des culs de salopes.
Il lui tendait le poing fermé. Romy lui fit un cyber-check. Je me sentais robotiquement exclu. Mon organisme avait hâte de renouer avec les toxines de l’hyperconsommation mainstream. Nous trouverions un meilleur chemin vers l’immortalité que la detox : de Genève, Léonore nous avait transmis une invitation au « dîner du XXIe siècle » de Cellectis à New York, où elle se rendait. Classée 13e en 2016 parmi les sociétés les plus « smart » au monde par le Massachusetts Institute of Technology, la société Cellectis est un des leaders mondiaux de l’édition de génome et son CEO, le docteur André Choulika, l’un des pionniers internationaux des « ciseaux à ADN ». On se rapprochait du but. La limousine glissait le long de la montagne vers le fast-food américain. Nous n’avions plus qu’à nous laisser porter vers Vienne, la ville où la comtesse Erzsébet Báthory a égorgé quelques jeunes servantes (au 12 Augustinerstrasse) afin d’atteindre la vie éternelle. Nous reviendrons à la méthode Báthory, je ne voudrais pas spoiler la fin de mon récit. À Vienne nous attendait un autre avion pour les États-Unis. C’est peut-être par là que j’aurais dû commencer notre périple : après tout, l’Amérique était le pays capable d’inventer la bombe atomique et de l’essayer tout de suite sur des humains. Le Nouveau Monde était l’endroit désigné pour créer l’Homme Nouveau.