XXIII

LE DONJON
Vendredi 2 mai
7 heures 32

Magda attendait devant le portail et se balançait nerveusement d’une jambe sur l’autre. Le soleil commençait à briller mais elle avait froid. L’aura de maléfice que dégageait le donjon l’avait frappée dès l’instant où elle avait mis le pied sur la chaussée. La veille, elle ne dépassait pas le ruisseau mais aujourd’hui, elle atteignait déjà l’autre versant du défilé.

Les lourdes portes de bois avaient été repoussées contre les parois de pierre de l’entrée. Les yeux de Magda se posaient alternativement sur la porte de la tour où elle souhaitait ardemment voir paraître Papa et sur la partie arrière de la cour. Les soldats étaient déjà à l’œuvre et descellaient frénétiquement les pierres de la muraille. Leurs gestes étaient ceux de déments – de déments apeurés.

Pourquoi ne partent-ils pas ? Elle ne parvenait pas à comprendre ce qui les retenait ici, alors que le nombre des victimes ne cessait de s’accroître.

Le sort de Papa la préoccupait au plus haut degré. Comment avaient-ils bien pu le traiter après la découverte des corps de ceux qui avaient tenté d’abuser d’elle ? Un instant, l’idée atroce qu’ils avaient pu l’exécuter lui était venue à l’esprit mais ses appréhensions avaient été dissipées par le bref hochement de tête de la sentinelle à qui elle avait demandé l’autorisation de le voir. Et ses pensées pouvaient une fois de plus se fixer sur d’autres sujets.

Des piaillements d’oisillons sous sa fenêtre et la douleur sourde de son genou gauche l’avaient éveillée assez tôt. Elle s’était retrouvée seule dans le lit, sous les couvertures, avec tous ses vêtements. Elle s’était montrée si vulnérable, et Glenn aurait pu facilement en profiter. Mais il ne l’avait pas fait en dépit de tout le désir qu’elle lui avait manifesté.

Bouleversée par le souvenir de sa propre intrépidité, Magda ne parvenait pas à comprendre ce qui lui était advenu. Heureusement, Glenn l’avait repoussée… ou plutôt, écartée. Elle s’en étonna, heureuse et vexée à la fois.

Pourquoi donc devrait-elle se sentir vexée ? Elle n’avait jamais réfléchi à sa capacité à séduire un homme.

A moins que l’attitude de Glenn n’eût rien à voir avec elle. Peut-être était-il l’un de ces… l’un de ces hommes qui ne peuvent aimer une femme et se tournent vers ceux de leur propre sexe. Non, elle savait que ce n’était pas le cas. Elle se souvint de leur unique baiser, de la façon dont il lui avait répondu – et ce souvenir déclencha en elle une nouvelle bouffée de chaleur.

Tout était bien ainsi. Comment aurait-elle pu le regarder en face s’il avait accepté sa proposition ? Mortifiée par sa légèreté, elle se serait cru obligée de l’éviter et aurait été ainsi privée de sa compagnie. Sa compagnie qu’elle désirait tant.

La nuit précédente avait été une sorte d’aberration, un concours de circonstances exceptionnelles qui ne se reproduirait pas : il y avait eu son épuisement physique et moral, l’agression de la part des soldats, le sauvetage par Molasar, le comportement de son père – tout s’était mêlé pour la laisser temporairement perturbée. Celle qui s’était allongée auprès de Glenn, ce n’était pas Magda Cuza ; c’était une autre femme, qu’elle ne connaissait pas. Jamais plus cela ne se reproduirait.

Papa apparut au pied de la tour, poussé par un soldat. Un seul regard, et elle oublia toute sa colère. On eût dit qu’il avait vieilli de vingt ans en une seule nuit. Elle n’aurait jamais cru cela possible, mais il s’était encore affaibli.

Comme il a souffert ! Ses compatriotes, son propre corps et maintenant, l’armée allemande – tout se dresse contre lui. Comment pourrais-je ne pas être à ses côtés ?

Le soldat qui manœuvrait le fauteuil roulant était plus aimable que celui d’hier. Il arrêta Papa devant Magda puis fit demi-tour. Sans un mot, elle conduisit Papa vers la chaussée. Ils n’avaient pas fait douze pas quand il leva la main.

— Arrête-toi ici, Magda.

— Qu’y a-t-il ?

Elle ne voulait pas faire halte parce qu’elle sentait encore l’influence maléfique du donjon. Papa, quant à lui, semblait ne rien remarquer.

— Je n’ai pas dormi de la nuit.

— Est-ce qu’ils t’ont interrogé ? demanda-t-elle en se penchant vers lui. Ils ne t’ont pas frappé, quand même ?

Il leva vers elle des yeux humides.

— Ils ne m’ont pas frappé mais ils m’ont fait très mal.

— Comment cela ?

Il se mit alors à parler dans le dialecte tzigane que tous deux connaissaient :

— Écoute-moi, Magda. Je sais à présent pourquoi les SS sont ici. Ce donjon n’est qu’une étape sur la route de Ploiesti, où ce major va entreprendre la construction d’un camp de la mort – pour notre peuple.

Magda se sentit prise de nausées.

— Non, ce n’est pas vrai ! Le gouvernement ne permettra jamais aux Allemands de s’installer ici pour…

Ils sont déjà là ! Tu sais que les Allemands construisent des fortifications autour des raffineries de Ploiesti et qu’ils entraînent des soldats roumains au combat. S’ils font déjà tout cela, je ne vois pas pourquoi il serait si difficile de croire qu’ils n’ont pas l’intention d’apprendre aux Roumains à tuer les Juifs. J’ai cru comprendre que le major avait pas mal d’expérience en matière d’extermination. Il aime son travail et cela fera de lui un bon professeur, j’en suis certain.

C’était impossible ! Mais n’avait-elle pas également proclamé que Molasar ne pouvait exister ? Des histoires circulaient à Bucarest sur les camps de la mort, leurs atrocités, leurs victimes innombrables – autant d’anecdotes que l’on ne croyait pas au début et qui, ajoutées les unes aux autres, constituaient un témoignage accablant que les Juifs les plus sceptiques finissaient par accepter. Les chrétiens, eux, n’y croyaient pas. Parce qu’ils n’étaient pas menacés. Ce n’était pas leur intérêt de croire – cela aurait pu même être à leur désavantage.

— C’est un emplacement excellent, dit Papa d’une voix lasse, dépourvue de toute émotion. Il est facile de nous y conduire. Et si l’un de leurs ennemis se mettait à bombarder les champs pétrolifères, le cataclysme qui en résulterait ne ferait que hâter la tâche des nazis. Et puis, qui sait ? l’existence du camp pourrait même empêcher l’ennemi de bombarder les champs, bien que j’en doute.

Au bout de quelques secondes, il ajouta :

— Il faut neutraliser Kaempffer.

Magda se redressa brutalement, faisant renaître la douleur dans son genou.

— Tu ne crois tout de même pas pouvoir l’arrêter tout seul ? Tu serais mort au moins douze fois avant d’avoir pu le frapper !

— Il faut trouver une solution. Je ne m’inquiète plus seulement pour ta vie mais pour celle de milliers de personnes, qui toutes dépendent de Kaempffer.

— Même si quelque chose parvenait à l’arrêter, ils en enverraient un autre à sa place !

— Oui, mais cela prendra du temps, et le temps joue en notre faveur. Dans l’intervalle, la Russie aura peut-être attaqué les Allemands, à moins que ce ne soit le contraire. Cela m’étonnerait que deux molosses comme Hitler et Staline s’observent longtemps sans se sauter à la gorge. Et le camp de Ploiesti sera peut-être oublié dans le conflit qui s’ensuivra.

— Mais comment peut-on arrêter le major ?

Elle voulait forcer Papa à se rendre compte par lui-même de la folie de son projet.

— Peut-être grâce à Molasar.

— Papa, non !

— Attends, dit-il en levant une main gantée. Molasar m’a laissé entendre que je pourrais devenir son allié contre les Allemands. Je ne sais pas encore comment je peux lui rendre service mais j’aurai la réponse dès ce soir. Et je lui demanderai de mettre fin aux agissements du major Kaempffer.

— Tu ne peux pas discuter avec un être tel que Molasar ! Tu ne peux pas croire qu’il ne te tuera pas pour finir !

— Ma propre vie m’importe peu. Je te l’ai déjà dit, l’enjeu est capital. Je crois que tu le juges un peu hâtivement. Il a un certain sens de l’honneur. Tu réagis en femme et non en universitaire. Molasar est un produit de son temps, et son époque était avide de sang. Mais il possède une sorte de fierté nationaliste qui se trouve offensée par la présence des Allemands. Je pourrai profiter de ce détail. Il voit en nous des compatriotes, des Valaques, et se sent mieux disposé à notre égard. Ne t’a-t-il pas sauvée des deux Allemands qui voulaient te déshonorer ? Il aurait très bien pu faire de toi sa troisième victime. Non, nous devons essayer de nous servir de lui ! Il n’y a pas d’autre solution !

Magda réfléchit pour lui opposer quelque argument mais sans résultat. Il n’y avait vraiment pas d’autre solution, même si ce projet la rebutait au plus haut point. Ne se montrait-elle pas trop sévère avec Molasar ? Ne lui semblait-il si mauvais que parce qu’il était différent ? Et le major Kaempffer, n’était-ce pas un exemple de créature foncièrement mauvaise ?

— Je n’aime pas cela, Papa, parvint-elle à dire.

— Je ne te demande pas d’aimer cette idée. Et personne ne nous a dit que la solution serait facile – si solution il y a, dit-il dans un bâillement. J’aimerais à présent que tu me ramènes à ma chambre. J’ai besoin de dormir avant ce soir. Je devrai disposer de tous mes esprits si je veux passer un accord avec Molasar.

— C’est un pacte avec le diable, dit Magda dont la voix n’était plus qu’un murmure.

— Non, Magda. Le diable qui vit dans ce donjon porte un uniforme noir à tête de mort et a le grade de Sturmbannführer.


Magda l’avait reconduit au portail puis avait attendu qu’un soldat vînt s’en charger. Elle s’empressa ensuite de regagner l’auberge. Tout allait trop vite. Elle avait toujours mené une existence scandée par la musique, les recherches et les livres anciens. Elle n’était pas faite pour les intrigues.

Elle espérait seulement que Papa sût parfaitement ce qu’il allait entreprendre.

Ce n’est qu’aux abords de l’auberge qu’elle échappa à l’atmosphère glacée du donjon. Elle fit le tour de la maison à la recherche de Glenn mais il n’était pas dehors. Pas plus que dans la salle à manger. Elle monta au premier et s’arrêta devant sa porte pour tendre l’oreille : pas le moindre bruit. Il ne devait pas être homme à faire la grasse matinée et était certainement en train de lire.

Elle se préparait à frapper de nouveau quand elle se ravisa. Il valait mieux le rencontrer par hasard dans l’auberge qu’avoir l’air de lui courir après.

De retour dans sa propre chambre, elle entendit les piaillements plaintifs des oisillons et se pencha à la fenêtre pour tenter de les apercevoir. Elle vit quatre têtes minuscules jaillir hors du nid. La mère n’était pas là et les petits paraissaient très affamés.

Elle prit sa mandoline pour la reposer après avoir plaqué quelques accords. Trop nerveuse pour jouer, elle quitta brusquement la chambre pour se diriger une nouvelle fois vers celle de Glenn.

Elle frappa par deux fois sur la porte de bois. Nulle réponse, nul mouvement à l’intérieur. Elle hésita puis céda à son impulsion. Elle tourna le bouton, et la porte s’ouvrit.

— Glenn ?

La chambre était vide. Elle la connaissait bien, pour y avoir séjourné lors de sa dernière visite au donjon. Pourtant, quelque chose avait changé. Magda observa les murs, les meubles. Le miroir – oui, le miroir placé normalement au-dessus du bureau avait disparu. Il avait dû se briser et n’avait pas été remplacé.

Magda pénétra dans la chambre, qu’elle parcourut lentement. C’était donc ici qu’il vivait, et voici le lit défait où il dormait. Elle se demanda ce qu’il penserait s’il venait à rentrer à cet instant. Comment pourrait-elle lui expliquer sa présence ? Elle se dit alors qu’il était plus sage de partir.

En faisant demi-tour, elle remarqua que la porte du placard était entrebâillée. Quelque chose brillait à l’intérieur, et sa curiosité fut la plus forte. Elle ouvrit toute grande la porte.

Le miroir censé orner le mur de la chambre était rangé dans le placard. Quel intérêt Glenn aurait-il eu à l’enlever ? En fait, il avait dû se décrocher et Iuliu n’avait pas pris la peine de le remettre en place.

Le placard contenait également quelques vêtements et, surtout, un objet étrange : une sorte de caisse de cuir et de bois, presque aussi haute qu’elle.

Magda effleura le cuir craquelé – il devait être très ancien, à moins que l’on ne l’ait pas entretenu. Elle ne parvenait pas à deviner ce qu’il pouvait y avoir à l’intérieur. Elle était seule dans la chambre et il n’y avait pas de bruit dans l’auberge. Il ne lui faudrait que quelques secondes pour manœuvrer les loquets, jeter un coup d’œil, refermer la boîte.

Les trois fermoirs de cuivre crissèrent en s’ouvrant, comme s’il y avait du sable dans les charnières. Puis elle souleva le couvercle.

Magda ne comprit pas tout de suite de quoi il s’agissait. L’objet était métallique – quel métal ? elle n’aurait pu le dire. D’un bleu sombre, électrique, il avait la forme d’un coin extrêmement allongé. Cette longue pièce de métal pointue, aux côtés tranchants, ressemblait à une épée. Oui, c’était cela ! Une épée, ou plutôt, un glaive ! A la différence près qu’il n’y avait pas de garde, rien qu’une grosse pointe d’une vingtaine de centimètres de long qui aurait pu s’enchâsser dans une garde. Quelle arme terrible c’eût été alors !

Ses yeux furent attirés par les marques portées sur la lame. Elle était couverte de symboles étranges gravés très profondément dans le métal bleu. Les rainures étaient si larges qu’elle pouvait y glisser son petit doigt. Ces symboles étaient des runes, bien qu’elle n’en eût jamais vu de telles. Elle connaissait parfaitement les inscriptions runiques germaniques ou scandinaves. même celles qui dataient des Ages Sombres de l’histoire de l’humanité. Mais ces runes étaient plus anciennes. Bien plus anciennes. Il y avait en elles une sorte d’inconcevable antiquité qui la troublait au plus profond de son âme. La lame de ce glaive était extraordinairement ancienne – au point qu’elle en vint à se demander qui ou quoi l’avait forgée.

La porte de la chambre se referma brutalement.

— Vous avez trouvé ce que vous cherchiez ?

Magda sursauta et s’empressa de rabattre le couvercle sur la lame puis elle se retourna pour découvrir Glenn debout devant elle.

— Glenn, je…

— Et moi qui croyais que je pouvais vous faire confiance ! s’écria-t-il, l’air furieux. Qu’est-ce que vous espériez trouver là-dedans ?

— Rien… je vous cherchais.

Elle ne comprenait pas pourquoi sa colère était si intense. Bien sûr, il avait le droit de lui en vouloir, mais tout de même.

— Vous pensiez me trouver dans ce placard ?

— Non ! Je…

Pourquoi tenter de se justifier ? Elle n’avait rien à faire ici. Elle était dans son tort et le savait parfaitement. Mais elle n’était pas venue le voler, seulement… La réaction brutale de Glenn l’irritait au plus haut point et elle sentit la colère monter en elle, ce qui lui donna le courage d’affronter son regard.

— Je m’intéresse à vous, c’est tout. Je suis venue vous parler. Je… j’aime votre compagnie, et je ne sais rien de vous. Mais soyez sans crainte, cela ne se reproduira plus.

Elle se dirigea vers la porte d’entrée mais ne parvint pas à l’atteindre. Une main s’était posée sur son épaule et Glenn l’attira vers lui avec une douceur non dénuée de fermeté. Elle lui fit face et leurs yeux se rencontrèrent.

— Magda… commença-t-il.

Puis il la plaqua contre lui et écrasa ses lèvres sur les siennes. Magda eut un instant envie de résister, de lui marteler la poitrine de coups de poing avant de s’enfuir, mais elle n’en fit rien. Une vague de désir la submergeait. Elle jeta les bras autour du cou de Glenn et se serra plus fort contre lui. Sa langue jouait avec la sienne et les mains de Glenn commencèrent d’explorer son corps, lui caressant les fesses malgré l’épaisseur du tissu et pressant ses seins comprimés dans le corsage. Ses doigts dénouèrent son fichu et le lâchèrent avant de défaire un à un les boutons de son tricot. Et elle ne fit rien pour les en empêcher. Ses vêtements l’enserraient et il faisait soudain si chaud dans cette pièce…

Il y eut un bref instant où elle aurait pu l’arrêter et lui échapper. Lorsque les pans de son tricot s’écartèrent, une petite voix s’éleva en elle : Que m’arrive-t-il ? Est-ce bien moi ? C’est trop fou ! C’était la voix de l’ancienne Magda, celle de la jeune femme qui avait dû faire front depuis la mort de sa mère.

Mais cette voix fut étouffée par une autre Magda, une étrangère, une Magda qui avait grandi en secret dans les ruines de tout ce qu’avait cru l’ancienne Magda. Le passé n’existait plus. Il n’y avait plus que le moment présent. Et Glenn.

Le tricot tomba à terre, puis le chemisier blanc. Les cheveux de Magda balayaient ses épaules dénudées. Glenn fit alors glisser le soutien-gorge, libérant ses seins. Sans cesser de l’embrasser passionnément, il fit courir ses doigts sur sa poitrine, s’attardant sur les pointes dressées et traçant de petits cercles concentriques qui projetaient en elle des vibrations de plaisir. Ses lèvres abandonnèrent enfin sa bouche pour explorer sa gorge, la vallée de ses seins, ses mamelons durcis. Avec un petit cri, elle rejeta la tête en arrière et écrasa sa poitrine contre son visage tandis que la volupté envahissait peu à peu son bas-ventre.

Il la souleva et la porta jusqu’au lit, la débarrassant de ses vêtements sans cesser de l’honorer de la langue et des lèvres. Puis il se dénuda à son tour et s’allongea sur elle. Les mains de Magda semblaient avoir une vie propre et courir sur le corps de Glenn comme pour s’assurer qu’il était bien réel. Il chercha alors à la pénétrer. Ce fut une brève douleur puis une sensation merveilleuse.

Mon Dieu ! se dit-elle, secouée par des ondes de plaisir. C’est donc cela ? L’acte splendide que j’ai négligé pendant toutes ces années ? C’est trop beau, trop grand ! Et je n’ai rien perdu, en fait, car je n’aurais jamais pu trouver un homme comme Glenn !

Il commença de se mouvoir en elle et elle s’accorda à son rythme. Sa volupté s’accrut, inexorablement, jusqu’à ce qu’elle sentît Glenn se cabrer et déclencher sa propre extase. Pour Magda Cuza, l’univers tout entier se déchira en un éclair de flammes.

Haletante, les paupières mi-closes, elle le vit s’effondrer à son côté.

Ils passèrent la journée sur ce lit étroit, à rire et à bavarder, à se murmurer des choses sans importance et à se découvrir mutuellement. Glenn savait tant de choses qu’il lui révélait les secrets de sa propre chair. Il était doux, patient, tendre, et son corps la fascinait. Le corps de l’homme était pour elle une chose nouvelle, et elle se demanda si tous les hommes étaient aussi musclés que lui. Des poils roux recouvraient sa poitrine, et d’anciennes cicatrices blanchâtres tranchaient sur sa peau olivâtre. Lorsqu’elle l’interrogeait sur leur origine, il se contentait de répondre qu’il avait eu un accident puis lui faisait l’amour pour détourner sa curiosité.

Lorsque le soleil eut disparu derrière les montagnes, ils s’habillèrent et allèrent se promener main dans la main, s’arrêtant souvent pour s’enlacer et s’embrasser. Lidia servait le dîner quand ils revinrent à l’auberge. Magda mourait de faim et dévora littéralement son repas sans quitter Glenn des yeux.

Sitôt le dîner achevé, ils s’élancèrent dans l’escalier, Magda en tête, riant aux éclats. Et elle l’entraîna dans sa chambre, dans son lit.

Plusieurs heures plus tard, rassasiée d’amour, Magda savait qu’elle était amoureuse. Magda Cuza, la vieille fille, le rat de bibliothèque, était amoureuse Et elle savait qu’il la désirait.

Elle ferma les yeux. Les cris des oisillons lui parvinrent alors, plus faibles que ce matin, plus désespérés aussi. Mais elle s’endormit avant de prendre conscience qu’il y avait quelque chose d’anormal.


Il contempla le visage de Magda dans la pénombre. Paisible et innocent. Le visage d’un enfant. Il la serra plus fort dans ses bras, comme s’il redoutait de la voir partir.

Il aurait dû s’en éloigner, il le savait, mais il s’était senti irrésistiblement attiré vers elle. Elle avait fouillé les cendres de sentiments qu’il pensait éteints depuis longtemps et mis au jour des charbons ardents. Et, ce matin, quand il s’était emporté contre elle, les charbons s’étaient embrasés.

Leur aventure était-elle voulue par le destin ? Il avait vu et vécu trop de choses pour croire que tout était immuablement agencé. Malgré cela, certains événements étaient… inévitables. La différence était subtile, quoique capitale.

Il avait eu tort de la laisser s’attacher à lui alors qu’il ignorait s’il pourrait jamais quitter ces lieux. Mais peut-être n’était-il venu ici que pour la rencontrer. S’il mourrait ici, ce serait avec le parfum de Magda aux lèvres. Non, il lui était interdit de s’abandonner, d’écouter son cœur, car cela réduirait considérablement ses chances dans le combat qu’il allait devoir livrer. Mais, en supposant qu’il triomphât et survécût, Magda voudrait-elle encore de lui lorsqu’elle connaîtrait toute la vérité ?

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