Chapitre XII

Jozo Kozari sursauta, entendant de nouveau les planches du confessionnal craquer. La visite précédente l’avait traumatisé et il n’arrivait pas à retrouver son calme intérieur. Il se força à faire coulisser le panneau de bois et tout de suite distingua une tache claire : de l’autre côté, il y avait une femme blonde.

— Jozo ! fit à voix basse Sonia, tu me cherches ? Que se passe-t-il ?

Le franciscain respira profondément. Il était sur un volcan. Si l’homme de la CIA arrivait pendant que Sonia se trouvait là, il en porterait la responsabilité. Mais il y avait des choses qu’il ne pouvait pas avouer, même à Sonia. Il s’efforça donc d’adopter un ton léger pour répondre :

— Non, je ne te cherche pas, j’avais seulement demandé de tes nouvelles. Il y a longtemps que je ne t’ai pas vue. Tu viens te confesser ?

— Oui, répondit Sonia avec une hésitation imperceptible.

Jozo Kozari se mit à l’écouter, regrettant aussitôt sa proposition. D’une oreille, il guettait son murmure, de l’autre, il surveillait les bruits de l’extérieur. Chaque seconde passée dans ce confessionnal avec Sonia accroissait les risques d’une catastrophe.

Il ne fut vraiment soulagé qu’en lui donnant l’absolution et en l’entendant quitter le confessionnal.


* * *

Lorsque Sonia émergea de la cathédrale, elle semblait moins pressée. Malko attendit qu’elle ait commencé à descendre vers le marché pour quitter sa place. Heureusement, il y avait pas mal de monde et il se fondit dans la foule déambulant au milieu de l’ex-place de la République. La jeune femme avait gagné l’arrêt des trams et venait de monter dans l’un d’eux. Malko n’avait pas le temps d’aller chercher sa voiture et, vu le nombre de rues autorisées aux trams et non aux voitures, ce n’était pas un moyen sûr de la suivre.

Il n’y avait plus qu’à espérer qu’elle ne l’aperçoive pas…

Lorsqu’elle changea, il manqua se faire semer et rattrapa en catastrophe la rame sur laquelle elle venait d’embarquer. Ils filaient vers le sud, passant devant l’hôtel Intercontinental. À chaque arrêt, Malko guettait les voyageurs qui descendaient.

Sonia quitta le tram en face d’un immeuble moderne, au coin de Savska Cesta et Proleterskih Brigada. S’éloignant, heureusement sans se retourner, en direction d’un bloc de HLM un peu en retrait de l’avenue. Grâce à la tache blonde de ses cheveux, il était relativement facile de ne pas la perdre de vue.

Quand Malko la vit disparaître dans une des portes, il hâta le pas et réussit à noter le numéro de l’immeuble et la porte D, repérable à cause d’une carcasse de voiture rouillée juste devant. Il fit demi-tour : c’eût été de la folie de s’aventurer à l’intérieur. Grâce à Mladen Lazorov, il arriverait assez vite à identifier la jeune femme.

Il trouva un taxi et se fit reconduire à la cathédrale. Peut-être Jozo Kozari avait-il recueilli des informations auprès de Sonia.

La grande nef était quasi-déserte et d’une fraîcheur délicieuse. Malko remonta par la gauche jusqu’à ce qu’il trouve un confessionnal fermé. C’était le troisième, comme le franciscain le lui avait indiqué. Les deux box étaient libres et il s’installa dans celui de gauche. Aussitôt, un panneau coulissa et il devina une présence de l’autre côté.

— Père Kozari ?

— C’est moi. Je vous reconnais.

— Vous avez…

Le franciscain ne le laissa pas terminer : dans un chuchotement, il lança :

— Elle n’est pas venue et maintenant, je dois retourner à mon couvent. Je suis désolé.

Malko essaya de ne pas prolonger trop son silence, pris à contre-pied. Pourquoi le franciscain lui mentait-il ? Ou alors, se pouvait-il que Sonia soit entrée dans la cathédrale sans aller le voir ? Peu vraisemblable… Donc, Jozo Kozari mentait.

— Tant pis, dit-il d’un ton faussement indifférent. Vous revenez quand ?

— Mardi.

— Alors à mardi. Si vous savez quelque chose d’ici là, téléphonez-moi.

— Je n’y manquerai pas, promit Jozo Kozari avant de refermer son volet de bois.

Malko quitta le confessionnal, perturbé. Si les Stringers de la CIA commençaient à jouer contre lui, les choses allaient se compliquer encore. Pourvu que Mla-den Lazorov soit sûr, lui.


* * *

Boza Dolac tournait en ville depuis un bon moment dans sa petite Zastava, examinant tous les parkings de la périphérie. Le major Tuzla lui avait donné des ordres précis et, cette fois, il avait intérêt à les exécuter après la série d’erreurs commises.

Il fit demi-tour dans Dubrovacka Aleja, revenant vers le motel Zagreb tapi au bord de la Sava, le long d’une allée parallèle à la rivière. Plusieurs poids lourds étaient stationnés en face ainsi qu’une grosse Volga grise immatriculée en Pologne, trainant une caravane. La famille – un gros homme en casquette blanche, sa femme et deux enfants – pique-niquait sur le capot de la Volga, allant prendre leurs boissons au motel. Boza Dolac les avait déjà repérés. C’était exactement ce qu’il lui fallait.

Lorsqu’il vint s’arrêter près d’eux et descendit de voiture avec un sourire engageant, le Polonais lui jeta un regard aigu. Trafiquant de tout dans un pays où il n’y avait rien, les Polonais étaient à l’affût de toutes les combines possibles..

— Vous allez en Dalmatie ? demanda aimablement Boza, après avoir dit bonjour.

Heureusement, il parlait à peu près polonais.

— Non, on a été refoulés à Knin, dit le Polonais, alors on va aller plus au nord.

— Vous ne seriez pas intéressé par des magnétoscopes ? demanda Boza, sans avoir l’air d’y toucher.

Sachant pertinemment qu’en Pologne, ils valaient cinq fois le prix de la Yougoslavie… L’œil du Polonais brilla.

— J’ai presque pas d’argent, se plaignit-il, ici, tout coûte cher.

— Les miens, y sont pas chers, affirma Boza. Évidemment, il ne faut pas les déclarer à la douane.

Comme si les Polonais déclaraient quoi que ce soit…

L’homme à la casquette blanche, méfiant, demanda :

— C’est des vieux trucs ?

— Comment, des vieux ?

Indigné, Boza Dolac le prit par le bras, l’amenant devant la Zastava. À l’arrière se trouvait un magnétoscope Samsung encore dans son carton d’origine…

— Voilà, fit-il. Et j’en veux seulement cent marks !

Le Polonais sentit son sang se mettre à bouillir. Dans son pays, cela valait cinq cents marks, facile.

— C’est cher, fit-il, et je n’ai pas beaucoup d’argent.

Boza, le sentant accroché, se fit carrément câlin, passant un bras autour de ses épaules tombantes.

— Écoute, plaida-t-il. J’ai besoin de fric. Si tu m’en prends cinq, je te les laisse à 80 marks ! Un cadeau.

Le Polonais, silencieux, calculait dans sa tête comme un fou, mélangeant les dinars, les zlotys, les marks. Avec une affaire pareille, il pourrait changer de voiture. Tant pis pour les vacances. C’était évidemment de la marchandise volée, mais il s’en moquait comme de sa première casquette.

— Ça va, fit-il en tendant la main, paume levée, va les chercher.

Boza Dolac se rembrunit.

— Je préfère ne pas transporter ça dans ma voiture, à cause de la Milicja. On pourrait pas prendre la tienne ? Comme ça, vous pourrez choisir, il y a plein de trucs. Vous pouvez même emmener votre femme et vos gosses, ça les amusera. C’est la caverne d’Ali Baba.

Le Polonais lui jeta un regard intrigué.

— Qui vous êtes au juste ?

— Un petit commerçant, fit Boza, modeste. Des copains à moi ont récupéré le chargement d’un camion tombé dans le fossé. Comme on avait un hangar…

Le Polonais souleva sa casquette blanche et lança une phrase à sa femme qui commença à replier les restes du repas…

— Vous pouvez détacher la caravane ? demanda Boza Dolac. C’est plus discret là où on va.

L’autre s’exécuta docilement. Cinq minutes plus tard, la Zastava quittait le parking du motel, suivie de la Volga où avait pris place toute la famille de touristes polonais.


* * *

Quinze kilomètres après la sortie de Zagreb, la Zastava s’engagea dans un chemin étroit perpendiculaire à la route. Au bout, à un kilomètre environ, se trouvait un énorme hangar entouré d’un enclos grillagé de trois mètres de haut perdu au milieu des bois. Boza Dolac stoppa devant le portail fermé par une chaîne condamnée par un énorme cadenas.

Une minute plus tard, les deux véhicules étaient garés à l’intérieur : Boza fit coulisser une des portes du hangar devant les Polonais émerveillés.

— Bon Dieu, qu’il fait chaud, soupira le futur acheteur en s’éventant avec sa casquette.

Il devait faire plus de 40° à l’intérieur… Très vite, il ne sentait plus la température infernale, fasciné par des empilements de cartons montant presque jusqu’au plafond. Des télévisions, des magnétoscopes, des chaînes hi-fi Akai ou Samsung. Le tout flambant neuf. Il en avait l’eau à la bouche…

— Choisissez ! lança Boza Dolac en se dirigeant vers un bureau vitré, je vais chercher à boire.

Les deux gosses montaient déjà à l’assaut des cartons avec des piaillements aigus.

Lorsque Boza Dolac ressortit du bureau, le couple de Polonais était penché sur les cartons, essayant de déchiffrer les inscriptions. L’homme se retourna, lançant :

— Ils sont bien « tous systèmes » ?

C’est à ce moment qu’il aperçut le riot-gun Beretta braqué sur lui. Les petits yeux noirs de son « vendeur » avaient presque disparu au fond de leurs orbites.

Le Polonais jeta les mains en avant, comprenant instantanément.

— Non ! Non ! je vais vous donner tout ce qu’on a ! cria-t-il.

Boza Dolac se fichait royalement de leurs quelques centaines de marks. Il fit deux pas en avant et appuya sur la détente du riot-gun. Rejeté contre une pile de cartons, le Polonais tomba, la bouche ouverte, la poitrine et l’estomac déchiquetés. Comme il avait huit cartouches dans son magasin, Boza prit quand même la précaution de lui tirer une seconde décharge dans la tête… La femme hurlait, tétanisée, incapable de bouger.

C’est presque à bout touchant que Boza lui lâcha sa décharge dans le ventre. Les deux garçons s’étaient éparpillés dans le hangar, terrorisés, cherchant une sortie.

Boza cueillit le plus grand au sommet d’une pile de cartons et la décharge du Beretta le coupa presque en deux, à la hauteur des cuisses. Pour le plus petit, ce fut plus difficile : il s’était blotti dans un espace vide entre deux rangées de cartons. Boza Dolac dut les escalader en maugréant et viser de haut en bas ; la tête en bouillie, l’enfant cessa de hurler. Celui-là n’avait pas besoin de coup de grâce.

Boza Dolac regagna le bureau vitré, la sueur lui coulait dans les yeux. Sa sensibilité étant celle d’un bloc de béton, il n’éprouvait rien d’autre que la satisfaction d’une affaire bien menée.

Il restait une corvée. Après être allé chercher un grand sac en plastique, il fouilla les cadavres, y mettant tout ce qu’il trouvait dans leurs poches. Des mouches venues on ne sait d’où commençaient à tournoyer au-dessus du sang frais. Son sac rempli, Boza ressortit, laissant les corps là où ils étaient et prit le volant de la Volga dont les clefs étaient restées sur le tableau de bord.

Toutes glaces baissées pour respirer un peu, il reprit la direction de Zagreb. Avant tout, il fallait récupérer la caravane avant de se la faire piquer par des Albanais.

Ensuite, il reviendrait faire le ménage et les corps de la famille polonaise rejoindraient celui du chauffeur du Volvo.

Cette fois, le major Tuzla ne lui reprocherait pas d’avoir saboté son travail.


* * *

Impossible de mettre la main sur Mladen Lazorov. Le « bip » étant inconnu en Yougoslavie et son bureau ne répondant pas, il n’y avait plus qu’à attendre leur rendez-vous du lendemain matin pour localiser l’appartement de Sonia.

— Si on dînait en bas ? Ça a l’air sympa, proposa Swesda Damicilovic, de nouveau sur son trente et un.

En trois jours, la furie teigneuse et allumée s’était métamorphosée en créature douce et docile, l’œil humide en permanence.

— Pourquoi pas ? acquiesça Malko.

La plupart des restaurants de Zagreb se trouvaient dans des sous-sols sinistres. Au moins, de celui de L’Esplanade, en terrasse, on pouvait voir passer les trams.


* * *

Une file ininterrompue d’hommes, de femmes et d’enfants avançaient lentement sur le sentier au sommet de la digue dominant la Sava, comme une procession de fourmis. En direction de Jakuçevac, le marché aux puces du dimanche, distant encore de trois bons kilomètres.

Un véritable exode, stoppé tous les dix mètres par un Polonais offrant sur une toile à même le sol les objets les plus hétéroclites : quelques hardes, une vieille Bible, des engrenages, des disques tordus, des pièces de voitures. Ils arrivaient par le train, espérant glaner quelques marks qui leur permettraient de ramener en Pologne des choses introuvables là-bas.

En contrebas de la digue, les voitures avançaient au pas, sous la chaleur accablante.

Malko bâilla. Mladen Lazorov était venu le chercher à huit heures pile, s’excusant pour son absence de la veille au soir : il était dans sa famille. Concernant Sonia, il avait rassuré Malko : « Dès lundi, je me procurerai la liste des locataires de cet immeuble. Nous procéderons par élimination. »

— On arrive bientôt ! annonça enfin le policier.

La chaleur était déjà écrasante. Malko aperçut sur sa droite des milliers de voitures garées dans l’herbe, sur des kilomètres. Avant tout, c’était le marché aux véhicules d’occasion. Grâce à son badge, Mladen Lazorov échappa aux 150 dinars du parking, somme exorbitante, explicable par le caractère vénal du lieu. Nombreux étaient ceux qui repartaient à pied, sans leur voiture, un chèque dans la poche. Le policier se gara et ils gagnèrent les éventaires.

La plupart des vendeurs, étalaient leurs trésors sur le capot de leur véhicule. Cela allait des pièces de voitures aux fripes en passant par les statues religieuses, les objets de culte, les livres, les disques, n’importe quoi. Un grand gaillard coiffé d’une toque ronde aiguisait un énorme poignard recourbé et coupait avec, ensuite, des feuilles de papier, pour vanter sa pierre à affûter.

Malko et son guide arrivèrent dans une zone calme où on ne voyait rien d’apparent à vendre. Des jeunes gens à la mine patibulaire, pas rasés, hirsutes, étaient accroupis devant des fourgons, se connaissant tous visiblement, s’interpellant d’un « stand » à l’autre.

— Voilà le coin des Albanais, annonça Mladen Lazorov. C’est là qu’on trouve des choses intéressantes : des armes, des bijoux et tout le matériel volé.

Il engagea une conversation à voix basse avec un des vendeurs qui finit par lui indiquer une Zastava bleue au capot surchargé de statuettes religieuses.

— Celui-là vend des télévisions et des magnétoscopes, annonça le policier.

L’Albanais n’était pas rasé, en haillons, l’air méfiant. Ce n’est qu’au bout de dix minutes de palabres qu’il consentit à soulever la bâche de sa camionnette, découvrant des cartons Akai et Samsung portant des inscriptions en allemand. Le pouls de Malko s’accéléra. Cela ressemblait furieusement au matériel transporté dans le Volvo… Tandis que le policier discutait prix, Malko parvint à décoller discrètement l’étiquette d’un magnétoscope comportant tous les codes d’expédition.

Puis, à la déception visible de l’Albanais, ils s’éloignèrent. À l’abri d’un stand de saucisses, il fut facile de comparer l’étiquette à la liste. Les numéros correspondaient.

— Ce matériel était dans le camion, annonça Malko.

— Bien, dit Mladen Lazorov, laissez-moi faire.

Cinq minutes plus tard, il était plongé dans une discussion sordide avec l’Albanais. Cela dura un bon moment. Finalement, il fit signe à Malko.

— Je lui ai dit que je lui achetais tout le stock, annonça-t-il. Nous partons avec lui.

— Pourquoi ?

— Ici, si je dis qui je suis, nous risquons tous les deux un coup de couteau. Les Albanais sont des violents et n’aiment pas les flics. Il faut y aller en douceur.

L’Albanais avait déjà rangé ses statuettes religieuses et attendait, au volant de sa voiture. Ils le retrouvèrent à la sortie de l’immense parking et Mladen prit la tête. Ils parcoururent quelques kilomètres jusqu’à un chemin désert en contrebas de la E 94, l’autoroute contournant Zagreb par le sud.

Puis, Mladen stoppa sa BMW, bloquant l’Albanais.

— Attendez-moi, dit-il à Malko en sortant de la voiture.

Malko le vit monter à bord de la camionnette et rien ne se passa pendant dix bonnes minutes. Inquiet, il décida alors d’aller voir et ouvrit la portière de la camionnette. Mladen Lazorov appuyait son SZ sur le flanc de l’Albanais qui avait viré livide. Son regard allait de Malko à Mladen Lazorov avec une haine indicible. Il leur aurait bien arraché les yeux pour en faire du yoghourt.

— Je lui fais une offre, expliqua le policier. Ou il me dit où il a trouvé ce matériel ou il vient avec moi à la Milicja.

L’Albanais cracha par la portière, lança un regard noir à Mladen Lazorov et jeta une longue phrase au policier croate qui lui en fit répéter une partie, notant un numéro de téléphone. Il y eut encore un peu de dialogue, pas vraiment aimable à voir la tête des protagonistes, puis Mladen Lazorov remisa son SZ dans son holster et sortit de la camionnette. Aussitôt, l’Albanais démarra comme une fusée, abandonnant sur la chaussée le peu de caoutchouc qui restait encore sur ses pneus archi-usés.

— Alors ? demanda Malko.

— C’est un chauffeur de taxi qui lui a procuré le matériel, dit le policier. Un type qui fait la nuit et a une Mercedes bleue. Il lui a dit qu’il pouvait en avoir beaucoup d’autres. Il le rencontre dans un restaurant de Remuza. Il m’a donné le numéro de son taxi.

Une Mercedes bleue…

— Je me demande si ce n’est pas lui qui a participé à la tentative de meurtre contre moi, objecta Malko.

— C’est vrai, dans ce cas, cela change tout, reconnut Mladen Lazorov. Il ne faut pas risquer de l’alerter. Est-ce qu’il connaît votre amie ?

— Non.

— Bon. Ce type m’a dit que le taxi ne travaillait pas le dimanche, nous ne pouvons rien faire avant demain soir. Il prend son travail à dix heures. D’ici là, nous allons essayer de trouver quelque chose sur ce taxi.

Il était presque midi quand Mladen Lazorov déposa Malko devant L’Esplanade. Il devait faire 35°.

Malko se sentait mieux. Enfin il avait deux pistes : Sonia et le chauffeur de taxi. L’une d’elles le mènerait bien au mystérieux Boza. Sans parler de l’attitude étrange du père Jozo Kozari.

Swesda l’attendait dans le hall, en bustier noir et pantalon de soie orange, la taille serrée dans une large ceinture bleue. Ses traits se détendirent en voyant Malko.

— J’avais peur qu’il soit encore arrivé quelque chose, dit-elle. On m’a indiqué un restaurant à Tuscanac, c’est presque à la campagne et ils ont paraît-il, un agneau rôti délicieux.

— Va pour Tuscanac, dit Malko.


* * *

La pelouse bordant le lac de Maksimir disparaissait sous les couples vautrés autour de paniers de pique-nique. Il n’y avait pas beaucoup de distractions à Zagreb durant le week-end, et, dès les beaux jours, toute la ville se retrouvait là.

Le major Tuzla, en civil, assis sur un petit rocher, ressemblait à n’importe quel fonctionnaire en fin de carrière, bavardant avec un vieux copain. Boza Dolac, accroupi sur ses talons, ne semblait pas à l’aise sous le regard perçant de l’officier du KOS. Ce dernier le remit sur le gril pour la vingtième fois. Agacé de rencontrer un grain de sable dans sa belle mécanique.

— Tu es sûr qu’il n’y a pas moyen de le convaincre ? insista-t-il.

Boza Dolac secoua lentement la tête.

— Il est buté, affirma-t-il. Quand je lui ai dit que j’avais une occasion de frapper les Serbes, il a refusé de me suivre. Disant qu’il fallait attendre que les Tchekniks se déchaînent vraiment. Sinon, nous allions faire du tort à notre cause. En plus, il veut récupérer les armes pour les distribuer dans certains villages de Slavonie pour y former des milices d’auto-défense.

Le major Tuzla écoutait tout cela, ivre de rage. Finalement, Miroslav Benkovac n’était pas si idiot que cela… Seulement, lui ne s’était pas donné tout ce mal pour échouer au dernier moment.

— Bien, dit-il, nous allons donc mettre en route notre plan de secours. Est-ce que tout est prêt ?

— Oui, oui, affirma Boza Dolac. Il suffit de deux coups de téléphone. Aujourd’hui, ce serait bien, parce que Miroslav ne se trouve pas à Zagreb.

L’officier serbe lui jeta un regard perçant sans distinguer la moindre faille dans son expression.

— Tu es certain que le délai n’est pas trop court ?

— Certain.

De satisfaction, le major lui donna une petite tape sur l’épaule.

— Alors, vas-y et j’espère que tu ne t’es pas trompé sur les réactions de notre ami. C’est un coup que nous ne pourrons pas jouer deux fois… Si tout se passe bien, tu pars à Belgrade définitivement et je te donne là-bas un travail facile et bien payé. Tu l’as bien mérité.

De toute façon, il n’était pas prudent de laisser Boza Dolac traîner en Croatie. Il savait trop de choses. En cas de capture, cela pouvait se révéler dévastateur… Il se leva, épousseta quelques brins d’herbe et tendit la main à Boza Dolac :

— Mets tout en place et rejoins-moi ce soir au bureau. La sentinelle sera prévenue.

Il s’éloigna en direction de sa voiture pour regagner son petit appartement de la résidence SOPOT I, dans Novi Zagreb. Il y avait un match de foot intéressant à regarder à la télé. Maintenant, les dés étaient jetés, il ne restait qu’à attendre.

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