Chapitre XIX

Jozo Kozari avait à peine mis le pied dans son couvent qu’un jeune franciscain l’intercepta.

— Père, on vous a appelé tout à l’heure. Il faut rappeler ce numéro.

Le franciscain regarda le papier qu’on lui tendait et regretta de ne pas pouvoir se transformer en ectoplasme. Il était deux heures et demie du matin. L’appel de l’agent de la CIA ne lui disait rien de bon. Il hésita à rappeler immédiatement, puis s’accorda quelques heures de repos et de réflexion.

Cela pouvait attendre l’aube. Sous le regard intrigué du jeune franciscain, il partit se coucher.


* * *

Malko rejoignit Jozo Kozari dans le hall de L’Esplanade. Il préférait ne pas lui parler en présence de Swesda. Le franciscain l’avait appelé très tôt et il l’avait convoqué aussitôt. En le voyant, il se rendit compte immédiatement que le stringer de la CIA n’était pas dans son assiette. Il avait du mal à fixer Malko en face et sa main, lorsqu’il la serra, était moite.

Le regard fuyant, il demanda d’une voix moins onctueuse que d’habitude :

— Que se passe-t-il ?

Malko posa sur lui le regard perçant de ses yeux dorés. Décidant de le déstabiliser tout de suite.

— Où étiez-vous cette nuit ?

Le franciscain n’arriva pas à dissimuler son trouble, bredouilla, les yeux baissés, parlant d’urgence, de personne en détresse. Malko l’écouta, glacial. Au départ, il avait pensé lui demander de l’aider à retrouver Miroslav Benkovac. Mais il risquait encore de s’enliser. Il décida de procéder autrement.

— Peu importe, coupa-t-il, mais je voudrais savoir pourquoi vous m’avez menti.

— Menti ! s’étrangla le franciscain. Mais à quel sujet ?

— Vous avez prétendu ne pas avoir vu Sonia à la cathédrale. Elle est venue et vous a parlé. Je le sais, j’étais en face et je l’ai vue. Ensuite, je l’ai suivie.

Jozo Kozari était effondré. Muet, il fuyait le regard incisif de Malko qui enchaîna :

— Vous savez ce qui lui est arrivé ?

— Non.

Là aussi, il devait mentir. Ou ne lisait pas les journaux…

— Elle a été assassinée, précisa Malko, dans des circonstances horribles.

Calmement, il raconta tout au franciscain. Celui-ci se décomposait au fur et à mesure.

Malko ne manqua pas d’enregistrer sa réaction lorsqu’il mentionna Le Serpent. Brutalement, il fut certain que le franciscain jouait le double jeu. Mais il faisait encore face. Il devait le faire craquer. Se penchant vers lui, les yeux dans les yeux, il martela à voix basse :

— Jozo, je sais encore beaucoup de choses. Maintenant, il faut dire, vous, tout ce que vous savez. Vous avez envoyé Sonia Bolceck à la mort.

L’aveu jaillit comme la bonde d’un tonneau qu’on arrache.

— Je l’ignorais !

— Vous connaissez celui qu’on appelle « Le Serpent » ?

Il entendit à peine le « oui ».

Ensuite, le silence se prolongea un temps qui lui parut infini. Les mains croisées, le regard baissé, Jozo Kozari n’était plus que l’ombre de lui-même. Détruit. Malko l’observait avec un mélange de dégoût et de pitié. Il sentit qu’il devait lui tendre la main.

— Jozo, dit-il, personne ne peut vous juger. Je n’ignore rien de l’univers communiste et de ses pièges diaboliques. Même si vous avez travaillé avec celui qu’on appelle Le Serpent, que je connais, moi, sous le nom du major Tuzla, je ne peux vous jeter la pierre. Surtout si vous vous rachetez en m’aidant.

— Je n’ai jamais travaillé pour lui à proprement parler, protesta faiblement Jozo Kozari. Il m’a sauvé la vie. Alors, de temps en temps, il me demande de lui rendre un service. Mais vous savez bien que je hais le communisme, ce système…

— Quel service lui avez-vous rendu cette nuit ?

Pendant quelques secondes, Jozo Kozari hésita à répondre, puis il se mit à tout raconter.

— Le numéro de cet attelage polonais ? demanda Malko.

— Je ne l’ai pas noté, je vous le promets, jura le franciscain. La Volga est grise. C’est une grosse caravane.

— Où est Le Serpent ?

— Je ne sais pas.

— Vous devez le revoir ?

— Il ne m’a rien dit, c’est toujours lui qui m’appelle. Parfois, il reste des mois sans donner signe de vie.

— Si vous lui téléphonez, il viendra à un rendez-vous ?

— Je n’ai pas son numéro…

Malko réfléchit rapidement. Lui l’avait, mais le major Tuzla se méfierait immédiatement. Pressé comme un citron, le franciscain ne pouvait plus lui être d’aucun secours. Il fit pourtant une ultime tentative.

— Où se trouve Miroslav Benkovac ?

— Je ne sais pas non plus, j’ignore même où il demeure à Zagreb. Une fois, il est venu coucher au couvent… Je ne peux pas le joindre.

Tassé sur la banquette, le regard embué, il faisait pitié. Malko se leva.

— Retournez dans votre couvent et priez, dit-il. Pour que nous parvenions à arrêter cette opération diabolique.

Jozo Kozari se leva lentement, comme un vieillard, et s’éloigna sans avoir osé tendre la main à Malko.

Brisé.


* * *

— Il faut alerter tous les postes de la Milicja, déclara Mladen Lazorov. Qu’on intercepte cette caravane. Seulement, sans le numéro, c’est difficile, la Slavonie est pleine de touristes et il y a pas mal de Polonais…

— Il n’y a pas moins de contrôles la nuit ?

— Pratiquement pas. Nous manquons d’hommes.

— Et s’ils se trouvaient encore à Zagreb ?

— C’est possible, reconnut le policier croate. Il faut faire le tour, des parkings de la périphérie. Le centre est interdit aux caravanes. Seulement, cela fait beaucoup d’endroits à vérifier. La Milicja ne va pas y consacrer beaucoup d’hommes : ils n’en ont pas les moyens.

— Partageons-nous le travail, suggéra Malko, vous et moi. Nous pouvons éliminer le nord de la ville à cause de ses rues étroites. Il reste tout le sud, à partir de Beogradska. Je vais explorer tout ce qui se trouve à l’ouest de Hrvatske Bratzke Zajednice, vous vous occuperez de l’est.

— Si vous les trouvez, appelez ce numéro, c’est le central de la Milicja. Ils parlent allemand. Demandez-leur de me prévenir immédiatement.

Swesda Damicilovic, qui était descendue les rejoindre dans le hall de L’Esplanade après le départ de Jozo Kozari, se leva en même temps que Malko.

— Je ne vais pas rester à attendre ici, décréta-t-elle.


* * *

Malko fit demi-tour, remontant par l’avenue Marina Drzica. Il avait été trop loin vers le sud en pleine campagne où la route étroite ne présentait aucun parking. Arrivé au croisement de Beogradska, il prit à droite, vers l’est. Là se trouvaient plusieurs aires de stationnement fréquentées surtout par les poids lourds filant sur Belgrade.

Swesda Damicilovic avait la gorge desséchée à force de demander à tous ceux qu’ils rencontraient s’ils avaient vu une Volga grise, traînant une grosse caravane, le tout immatriculé en Pologne.

Malko aperçut devant lui, en contrebas de l’autoroute un grand parking plein de camions avec des semi-remorques sans tracteur. Il bifurqua pour l’explorer de près et son cœur se mit à battre plus vite. Coincée entre deux énormes gros culs, il y avait une Volga grise haute sur pattes et une caravane qui avait connu des jours meilleurs. Il baissa les yeux sur la plaque de l’avant : les chiffres noirs sur fond blanc des pays de l’Est et un macaron ovale avec « PL ».

— Attends-moi dans la voiture, dit-il à Swesda.

Il gara sa Mercedes derrière un Mann et s’éloigna à pied. La Volga était vide. Il se dirigea vers la caravane. Il était en train de l’examiner quand une pointe aiguë piquant ses reins le fit sursauter, tandis qu’une voix basse disait quelques mots incompréhensibles… Il se détourna et vit un grand type aux cheveux ébouriffés, pas rasé, l’air féroce, qui lui enfonçait une baïonnette de Kalachnikov dans le dos.

À côté de lui, se trouvait Miroslav Benkovac, avec un regard de fou. Ce dernier frappa trois fois à la porte de la caravane qui, aussitôt, s’ouvrit.

Malko fut poussé à l’intérieur, accueilli par un autre escogriffe armé d’un fusil M. 16, chargeur engagé, qui lui en enfonça le canon dans le ventre. Il n’eut le temps de rien faire : un violent coup de crosse dans la nuque lui fit perdre connaissance…

Lorsqu’il rouvrit les yeux, il était ficelé comme un saucisson, allongé entre deux mitrailleuses M. 60, l’escogriffe au M. 16 veillant sur lui, assis sur des caisses de munitions.

Dans la caravane, il régnait une chaleur à se trouver mal… Malko sentit une secousse, l’attelage s’ébranlait.

Bientôt, il se rendit compte qu’ils roulaient assez vite. Dix minutes, puis une halte. La porte s’ouvrit et il se trouva devant la barbe fournie de Miroslav Benkovac. Le jeune activiste croate flamboyait de rage. Sans crier gare, il expédia un coup de poing à Malko qui le fit saigner du nez. Comme si cela avait été le signal, ses deux compagnons se mirent à le rouer de coups de poing et de pied. La caravane tanguait comme un bateau ivre. Finalement, un des Croates brandit un poignard avec l’intention évidente d’égorger Malko.

— Attends ! fit Miroslav Benkovac.

— Vous êtes fou ! protesta Malko. Pourquoi me traiter ainsi ?

— Parce que vous travaillez avec les Serbes, gronda le Croate. C’est vous qui avez éliminé Boza. J’en suis sûr. Depuis que vous êtes à Zagreb, vous nous traquez. Nous vous laisserons avec vos amis Tchekniks, on verra comment ils vous traitent…

— Vous n’arriverez jamais en Slavonie, dit Malko, la police connaît l’existence de votre caravane. Ils la recherchent. Vous travaillez en réalité pour le KOS. Votre ami Boza est un traître.

Miroslav Benkovac haussa les épaules.

— Vous dites n’importe quoi pour sauver votre vie… À propos, ne comptez pas sur votre complice Swesda, elle est aussi entre nos mains.

— Où est-elle ? ne put s’empêcher de demander Malko.

— Cela ne vous regarde pas.

Il sortit, la porte claqua et la caravane s’ébranla à nouveau.

Si Mladen Lazorov ne le retrouvait pas rapidement, il y avait de fortes chances pour que cela se passe très mal pour lui… Le plan de ses adversaires était féroce : l’abandonner dans un village serbe dont on aurait massacré la plupart des habitants. Les survivants le lyncheraient, au mieux. Et ce n’était pas l’armée yougoslave qui interviendrait en sa faveur. À partir du moment où il était dans cette caravane, il faisait partie des fascistes Oustachis…


* * *

Le major Tuzla attendait à la terrasse de l’Orient-Express, en civil.

Rien qu’en voyant arriver Miroslav Benkovac, il comprit qu’il y avait un nouveau problème. L’activiste croate se laissa tomber à côté de lui, arborant une mine catastrophée.

— Que se passe-t-il ? demanda Tuzla.

— La police a découvert l’existence de la caravane ! annonça Miroslav Benkovac.

L’officier serbe eut l’impression de recevoir le ciel sur la tête. Comment les Croates avaient-ils eu vent de l’histoire de la caravane ? Seuls Boza et Jozo étaient au courant. Si Boza avait parlé, il aurait trouvé un Comité d’accueil. Donc, c’était Jozo Kozari.

Le salaud !

Machinalement, il regarda autour de lui. Si la police avait suivi Miroslav Benkovac, non seulement sa manip était terminée, mais sa carrière aussi.

— Vous en êtes sûr ? demanda-t-il avec un calme de façade.

— Bien sûr ! confirma Miroslav Benkovac, mes hommes ont trouvé l’agent des Américains en train de rôder autour.

— Vous l’avez tué ? demanda Tuzla, plein d’espoir.

— Non, nous l’avons fait prisonnier. Nous l’abandonnerons à Borovo avant d’en repartir.

C’était encore une meilleure idée. Pendant des années, la SDB avait tenté de faire croire que la CIA finançait les Oustachis.

— Il était seul ? demanda Tuzla.

— Non, avec une femme, une Serbe qui travaille sûrement pour Belgrade. Nous l’avons emmenée dans un local sûr. Il faut savoir tout sur ses réseaux, ensuite on la liquidera.

Si la situation avait été moins grave, le major Tuzla aurait éclaté de rire. Ces balourds de Croates s’emparant de leurs propres alliés et discutant de leur sort avec lui. Peu importe, il fallait bien qu’ils s’amusent. Mais le point principal n’était pas là.

— Où est la caravane ?

— Sur un parking, derrière une station-service de l’autoroute de Belgrade. Après le péage.

Pas fameux. Ils étaient à la merci d’un milicien un peu trop curieux. Hélas, il n’avait plus le choix. En attendant son siège le brûlait. Il consulta ostensiblement sa montre.

— Je dois vous laisser. Je serai ce soir au motel de Sotin. Bonne chance.

Il s’enfuit comme s’il avait le diable à ses trousses. Une fois à Sotin, il ne restait que le Danube à franchir pour être en sûreté.

Cette fois, il quittait Zagreb pour de bon. Mais, avant, il avait quand même un sacré compte à régler, si c’était possible.


* * *

Mladen Lazorov, la radio ouverte, parcourait Zagreb dans tous les sens. Toutes les voitures de la Milicja étaient alertées. Maintenant, ils recherchaient non seulement la caravane polonaise, mais aussi la voiture de Malko… Celui-ci avait disparu ainsi que Swesda. Ce qui n’était pas bon signe. Soudain, son haut-parleur grésilla.

— On vient de retrouver la Mercedes dans un parking de l’autoroute de Belgrade, annonça un milicien.

Mladen Lazorov brancha sa sirène et fonça. La Mercedes était vide, pas fermée à clef. Ce qui signifiait que Malko avait retrouvé la caravane et que ses occupants l’avaient enlevé ou tué. À cette heure-ci, ils avaient sûrement quitté Zagreb.


* * *

Swesda Damicilovic reprit connaissance, la mâchoire de travers, avec une migraine effroyable. Elle avait des bleus partout, la nuque raide et un œil au beurre noir. Lorsqu’elle avait vu Malko se faire attaquer, au lieu de démarrer chercher du secours, elle s’était bêtement précipitée et fait ceinturer par un des gorilles de Miroslav Benkovac. Il l’avait rouée de coups avant de la jeter dans un fourgon où on l’avait menacée des pires sévices. Elle avait atterri dans une cour, et, de là, dans un sous-sol où un jeune homme dont la barbe arrivait presque aux yeux, au regard illuminé, ne cessait de l’injurier et de la menacer.

Un hystérique de la Grande Croatie qui jouait avec un énorme poignard pour lui faire dire qu’elle travaillait pour les Serbes. Entre deux diatribes, elle remarqua quand même que le regard de son geôlier se posait souvent sur ses seins ronds et glissait ensuite vers ses cuisses pleines de bleus.

— Donne-moi à boire ! supplia-t-elle, je ne suis pas ce que tu dis.

— Tu n’es qu’une salope ! répliqua le barbu, avec pourtant un peu moins de conviction.

Il alla lui chercher une bière qu’elle but avec délices, coincée par l’escogriffe hystérique. Elle se dit qu’il était beau garçon avec son regard de braise et ses épaules larges. Il fallait coûte que coûte se tirer de là. Pour ça, elle ne disposait que d’une arme.

— Qu’est-ce que vous allez me faire ? demanda-t-elle.

— Quand les autres seront revenus, expliqua le barbu, on te jugera, on te condamnera et tu seras châtiée.

— Comment ?

— On t’arrachera les yeux, d’abord. Tu sais bien que nous avons des traditions, nous autres Oustachis…

Elle frémit malgré elle ; ce beau jeune homme était un Oustachi.

— Pourquoi es-tu si méchant ? demanda-t-elle d’une voix douce. Je ne vous ai rien fait. Libère-moi au moins les bras, j’ai très mal. J’ai les pieds attachés, je ne peux pas m’enfuir…

Son regard était aussi insistant que suppliant… Le jeune homme hésita, puis se pencha et défit les liens de ses mains. Immédiatement, Swesda se coula contre lui, agenouillée comme une esclave, enserrant sa taille de ses deux bras, frottant doucement son visage contre le devant de son pantalon. Il essaya, en vain, de se dégager. Les gros seins s’écrasaient contre ses cuisses et il sentait la chaleur de la bouche de Swesda à travers le tissu. Elle le massait, le regard chaviré, et leva vers lui un visage extasié.

— Tu sais que tu es beau…

Impossible de savoir si elle parlait de son visage ou de son sexe qu’elle venait d’arracher à sa prison de toile. Un membre long et fin qu’elle se mit à manueliser avec joie, oubliant quelques secondes pourquoi elle se trouvait là. Plongeant dessus comme un vautour, elle l’engloutit sans laisser à son propriétaire le temps de se reprendre. Ce dernier avait renoncé à se défendre. C’était la première fois qu’il subissait un traitement semblable. À l’Université, les étudiantes étaient encore maladroites. Swesda savourait ce qu’elle faisait. Même libre, elle aurait continué.

— Regarde ! dit-elle soudain d’une voix rauque.

Les yeux fermés, le barbu n’obéit pas. Elle le regarda jaillir dans sa main et l’enveloppa aussitôt à nouveau de sa bouche. Il rouvrit les yeux, écarlate de honte et la repoussa.

— Tu te rends compte ce qu’on aurait pu faire si je n’avais pas les jambes attachées, lança Swesda de sa voix rauque des grands jours.

Soudain, elle remarqua le crucifix sur le mur. Les Oustachis étaient de fervents chrétiens. Il fallait penser à l’avenir. Les copains de son geôlier ne seraient peut-être pas aussi malléables…

— Tu connais le père franciscain Jozo Kozari ? demanda-t-elle à tout hasard.

Le barbu, en train de se rajuster, lui jeta un regard stupéfait.

— Jozo Kozari ! Bien sûr ! C’est un des nôtres. Pourquoi ?

— Tu sais où le joindre dans son couvent ? demanda-t-elle.

— Oui, balbutia-t-il.

— Alors, appelle-le, lança-t-elle. Il me connaît bien. Il sait que je ne suis pas ce que tu dis… Va…

Le jeune homme hésita. Après ce qu’il venait d’accepter d’elle, il avait hâte d’innocenter sa prisonnière. Sinon, elle risquait de tout raconter.

Il se dirigea vers le téléphone. Swesda Damicilovic l’épiait avec un sourire figé. Elle ne suivit qu’une moitié de la conversation, mais cela suffisait.

— C’est vrai, il te connaît, lança le barbu.

— Dis-lui de venir, nous allons nous expliquer, supplia Swesda.

Il parla à voix basse et elle ne put tout entendre. Mais quand il raccrocha, il annonça :

— Il veut bien venir.

— Tu peux me détacher maintenant ! suggéra Swesda.

Il s’exécuta.

À peine fut-elle libre qu’elle se colla à lui. Lubrique comme une chatte en rut.

— Tu crois que tu vas pouvoir encore une fois ? demanda-t-elle.

Elle le dégagea. Il était encore plus excité que la fois précédente. C’était beau la jeunesse.


* * *

Swesda Damicilovic regarda les vieux immeubles décrépits de la rue Sencina avec un soulagement sans faille. Jozo Kozari la couvait d’un regard ambigu : il n’avait pas ménagé sa peine pour obtenir du barbu qu’il la laisse partir. La garantissant de sa propre personne.

— Qu’avez-vous l’intention de faire maintenant ? demanda-t-il.

— Ces cinglés ont enlevé Malko, dit-elle. Il faut les retrouver. J’ai le numéro de la voiture polonaise. Il faut que je joigne Mladen Lazorov. Vous venez avec moi ?

— Oui, dit sans hésiter le franciscain.

Juste avant l’appel du barbu, il en avait eu un du Serpent, lui fixant rendez-vous dans son confessionnal habituel de la cathédrale. Il était sans illusion sur ce qui l’attendait. Il avait le choix entre la mort ou le déshonneur.


* * *

— Une voiture de la Milicja vient de les repérer à Slavonski Brod, annonça triomphalement Mladen Lazorov à Swesda et Jozo Kozari qui l’avaient rejoint. Ils roulent en direction de Belgrade. J’ai donné l’ordre qu’on ne les intercepte pas mais que les véhicules de la Milicja se passent le relais.

Il roulait à près de deux cents à l’heure sur l’autoroute, Swesda à côté de lui et Jozo Kozari derrière. Le policier raccrocha son micro pour se concentrer sur sa conduite. Les derricks défilaient à une vitesse hallucinante. Heureusement, à part quelques camions, il n’y avait aucune circulation sur la plus grande autoroute de Yougoslavie.

Swesda se tourna vers le jeune policier.

— Vous pensez qu’on va les rattraper ?

— Sûrement.

Ce qu’il fallait éviter, c’était une confrontation armée entre la Milice et les hommes de Miroslav Benkovac. Malko risquerait d’être pris entre deux feux.

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