Chapitre XVI

— Qu’est-ce que c’est que tout ce bel argent ?

Ivan Dracko avala sa salive, encore sonné. La douleur aiguë de son bas-ventre commençait à s’atténuer, mais il lui restait une lourdeur dans tout le bas du corps qui faisait de chaque mouvement une souffrance. Désespérément, il cherchait une réponse à la question posée par son adversaire. Il y en avait pour cent mille marks. Une fortune qu’il devait remettre à Boza à onze heures au restaurant Dubrovnik. Sa part de la vente du matériel hi-fi aux Albanais.

Comme il ne répondait pas, son interlocuteur, un grand brun au visage acéré, demanda ironiquement :

— Ce ne serait pas l’argent que tes copains albanais t’ont donné cet après-midi ?

Le chauffeur de taxi demeura muet. C’était plus grave qu’il ne l’avait pensé. Mais à qui avait-il affaire ? La Milice ne procédait pas de cette façon. Ou alors, ils cherchaient un arrangement discret… Il releva la tête coincée dans la glace et dit humblement :

— Si vous voulez, on peut s’arranger.

— Il n’y a rien à arranger, coupa le brun. Tu connais ce monsieur ?

Le second personnage se plaça dans la lueur des phares. Ivan se tordit le cou, mais son visage ne lui disait absolument rien.

Ne.

— C’est bizarre, fit le brun, tu ne l’as pas regardé quand ton copain Boza a tiré sur lui ? Toi, tu étais au volant.

Ivan Dracko sentit ses jambes se dérober sous lui et souffla comme un phoque. Cette fois, c’était vraiment mauvais. Il était lié depuis longtemps avec Boza Dolac et c’est dans le coffre de son taxi que le corps du routier assassiné avait été transporté. Contre la promesse de 50 % de la cargaison. Il avait pensé que Boza faisait un gros coup et n’avait pas voulu rester à l’écart.

Ivan, connaissant tous les voyous de la mafia albanaise, était sûr de pouvoir écouler son stock.

— Je ne sais pas de quoi vous parlez, dit-il sans conviction.

Pour se donner un peu de courage, il regarda la fille qui fumait à l’écart, les jambes découpées par le faisceau des phares. Le brun revint à la charge, penché sur lui.

— Ivan, dit-il, tu es foutu. Tu as participé à un meurtre et à une tentative. Je vais te coller deux balles dans la tête.

« Et ton fric, on ira le dépenser au casino.

L’homme brun leva le bras au bout duquel se trouvait le gros SZ automatique et posa l’extrémité du canon juste entre les deux yeux d’Ivan Dracko, sur l’arête du nez. Le froid du métal se répandit dans ses os à la vitesse de l’éclair. Le cliquetis du chien qu’on relevait acheva de le liquéfier. L’autre avait une tête de tueur. Calme et glacial.

— Salut, Ivan, fit-il, tu n’aurais pas dû te mêler des affaires de Boza.

Ivan Dracko vit l’index se crisper sur la détente. Il était à quelques millimètres de l’éternité. La terreur envoya une formidable décharge d’adrénaline dans ses artères. Il ne voulait pas mourir.

— Attendez ! Attendez ! bégaya-t-il. Qu’est-ce que vous voulez ?

La pression du pistolet se relâcha imperceptiblement.

Ivan louchait à cause du long canon entre ses deux yeux.

— On veut Boza, dit l’homme brun. Si tu peux nous aider, tu as une petite chance. Une toute petite chance de ne pas terminer ici.

Ivan Dracko était broyé entre deux paniques. On ne trahissait pas un type comme Boza Dolac sans risque. Mais ceux-là allaient le tuer tout de suite.

Il essaya quand même de biaiser.

— Je le connais très mal, Boza, plaida-t-il. On se voit comme ça dans des cafés. Je ne sais même pas où il habite.

— Vous mentez !

C’était le second homme qui avait parlé, en allemand. Il ajouta aussitôt :

— Vous conduisiez la voiture quand Boza a voulu me tuer ! D’abord, comment s’appelle-t-il Boza ?

Là, c’était difficile de ne pas répondre.

— Boza Dolac, murmura-t-il.

— Il habite où ?

— Je ne sais pas, je vous le jure, je le vois toujours au Dubrovnik.

Dans la Mercedes, la radio grésillait sans cesse, égrenant les appels du standard. Avec angoisse, Ivan réalisa qu’il devait maintenant être onze heures. Boza Dolac l’attendait au Dubrovnik, pour récupérer sa part de l’argent de la vente du matériel volé dans le camion.

Il eut soudain une idée. À manier avec précaution.

— Vous ne pouvez pas un peu baisser la glace ? demanda-t-il humblement, j’étouffe.

Avec ses mains accrochées aux montants de la portière et sa tête prise dedans, il ressemblait aux gravures anciennes représentant des suppliciés chinois au XIXe siècle.

— On la baissera quand tu auras parlé, reprit le brun. Si tu ne nous dis pas très vite où est Boza Dolac, ça ne sera pas la peine.

— Mais enfin, qu’est-ce que vous lui voulez, à Boza ? gémit le chauffeur de taxi.

— C’est notre problème.

Il comprit qu’il n’en sortirait rien de plus. L’heure de la négociation avait sonné.

— Écoutez, fit-il d’un ton soudain changé, moi, Boza, je m’en fous. Si je vous dis où il est en ce moment, vous me laissez tranquille ?

Le grand brun eut un sourire froid.

— Peut-être que si on le trouve, on te laissera tranquille. Ne nous prends pas pour des cons. Où est-il ?

Ivan Dracko en avait trop dit et s’en rendit compte. Le sentant prêt à basculer, l’homme blond proposa :

— Si nous le trouvons, nous donnons un coup de fil à la Milicja et ils viennent vous délivrer.

— Et l’argent ?

Il n’avait pas pu s’empêcher de dire ça…

— On vous le laisse.

Coûte que coûte, il fallait le décider. La vie n’était pas toujours morale…

Ivan Dracko craqua d’un coup.

— J’ai rendez-vous avec lui, avoua-t-il. Maintenant. Au Dubrovnik. Il doit être en train de m’attendre.

— Pourquoi ?

De nouveau, il s’était fait piéger.

— Pour lui remettre l’argent, avoua-t-il faiblement.

L’homme brun eut un sourire satisfait.

— On va savoir très vite si tu dis la vérité. Si Boza est là-bas, pas de problème, on envoie quelqu’un te délivrer. Sinon, c’est nous qui revenons.

Sans un mot de plus, les deux hommes s’éloignèrent, rejoints par la jeune femme. Soudain, Ivan Dracko réalisa qu’ils emportaient la mallette contenant les marks !

— Hé, l’argent ! hurla-t-il.

Le brun se retourna.

— On a changé d’avis…

Ce serait un excellent argument pour débloquer Boza et lui éviter de trop mentir.

Ses interlocuteurs disparurent dans la pénombre.

Déchaîné, Ivan Dracko se mit à donner des coups de pied furieux dans la portière, dans sa portière. Même avec sa force hors du commun, il ne pouvait l’arracher. De toutes ses forces, il pesa sur la glace. Sans résultat. Et personne ne viendrait le secourir au fond de ces bois, à cette heure-ci. Une pensée s’insinua tout à coup dans sa tête, le glaçant de panique. Et si Boza leur échappait ? Il comprendrait immédiatement qu’Ivan l’avait balancé. Lui seul connaissait le lieu et l’heure du rendez-vous. Sa vengeance serait terrible. Ivan Dracko parvint à voir le cadran lumineux de sa montre : 11 h 15. Ne sachant s’il fallait prier pour que Boza l’ait attendu. Ou l’inverse.


* * *

Boza Dolac n’écoutait pas le juke-box à côté de lui et n’avait même pas touché à sa bière, perdu dans ses pensées. Son agacement était en train de se transformer en anxiété. Ivan Dracko avait vingt minutes de retard et ce n’était pas dans ses habitudes… La faune habituelle du Dubrovnik, chauffeurs de taxis, putes, étudiants prolongés, marginaux, faisait un vacarme infernal. Lui guettait toutes les voitures qui stoppaient devant l’établissement.

Pas de Mercedes bleue.

Des craintes informulées s’entrechoquaient dans sa tête. Et si le major Tuzla avait décidé de se débarrasser de lui, au lieu de le renvoyer à Belgrade ? Normalement, il ne connaissait pas Ivan Dracko, mais « Le Serpent » avait le bras long…

Boza Dolac avait appris qu’un des membres de l’équipe qui avait massacré Sonia Bolcek avait eu le temps de parler à un policier. La Croatie allait devenir malsaine pour lui.

Il ne pouvait pas continuer à se promener dans Zagreb au risque de se faire reconnaître. Pour l’instant, la police était désorganisée, mais cela ne durerait pas éternellement. C’est la raison pour laquelle il avait houspillé Ivan Dracko pour que ce dernier brade rapidement le contenu du Volvo. Son viatique pour une vie normale.

Si le major Tuzla avait appris qu’il n’avait pas respecté ses ordres à la lettre, il l’aurait tué. Mais, c’était un risque à courir. Avec cet argent, il s’achèterait un commerce et pourrait enfin se reposer. Il en avait assez des dangers et de la trahison. Parfois, il repensait à ceux qui pourrissaient encore en prison à cause de lui. Ceux-là ne l’avaient pas oublié. Avec tous les changements politiques, le pire était à craindre.

En plus, « Le Serpent » était parfaitement capable de le trahir, en le livrant à ses ennemis.

Il regarda sa montre. Onze heures vingt-cinq. Que faisait ce salaud d’Ivan ? Pourvu qu’il ne se soit pas tiré avec le fric… La musique l’énervait. Le restaurant appartenait à des Serbes, et, par défi, ceux-ci mettaient sans arrêt des chansons qui ressemblaient à des chants arabes. Boza Dolac en avait par-dessus la tête… Il se leva et fila vers le téléphone. Il composa le numéro du standard radio des taxis et attendit.

— Le taxi 2250, demanda-t-il.

— Je vais voir s’il est libre, répondit la voix indifférente de la standardiste.

Elle le mit en attente, tandis qu’il rongeait son frein, pour le reprendre quelques minutes plus tard.

— Il ne répond pas, annonça-t-elle, il doit être en train de manger. Je vous envoie le 2032.

— Non, cria Boza, je veux le 2250.

— Il n’est pas disponible, répéta la standardiste agacée.

Boza Dolac, l’appareil collé à l’oreille, écumait de rage intérieure. Dracko s’était tiré avec les cent mille marks ! Il était peut-être déjà dans un avion. Il raccrocha, puis quelques instants plus tard rappela le 970.

— Vous voulez encore essayer le taxi 2250 ? demanda-t-il. Il est peut-être disponible maintenant.


* * *

Ivan Dracko égrenait des jurons à faire tomber le ciel sur sa tête. Le piège où l’avaient enfermé ses adversaires était diabolique. Sa tête était toujours coincée entre le montant et la glace, comme dans un carcan.

Impossible de s’en dégager sans se priver de la moitié de son menton. Son coude était enflé et douloureux, seul résultat de ses tentatives de briser la glace Sécu-rit.

Il avait longuement appelé à l’aide, mais avait fini par renoncer.

Seule distraction, sa radio ouverte diffusant les appels du standard aux différents taxis. Deux fois déjà, on l’avait demandé, sans qu’il puisse répondre. La voix de la standardiste le fit sursauter à nouveau.

— Le 2250, vous pouvez prendre une course ? Au restaurant Dubrovnik.

C’était la seconde fois en quelques minutes. Boza Dolac devait être fou de rage.

Ivan Dracko allongea le bras droit pour attraper le combiné, à se désarticuler l’épaule, comme il l’avait fait auparavant et sans plus de résultat. Il en sanglotait de rage.

Le désespoir lui donna une idée. À force de se contorsionner, il parvint à effleurer le combiné du bout de sa chaussure. Un ultime effort et il arriva à le faire tomber sur la banquette, mettant la radio en circuit. Encore trop loin pour qu’il puisse le saisir, mais s’il parlait assez fort, on devait l’entendre. Au même moment, une voix sortit du haut-parleur.

— Ivan ! Ivan ! C’est Boza ! Où es-tu ?

La standardiste avait branché Boza Dolac directement dans le circuit.

— Boza, hurla aussitôt Ivan Dracko. Je suis là !

— Qu’est-ce que tu fous ! fit la voix exaspérée de Boza Dolac. Où es-tu ?

Ivan Dracko se mit à brailler, précisant l’endroit où il se trouvait, disant qu’il ne pouvait pas bouger, donnant d’humiliantes précisions. Sans être sûr que Boza l’entende.

Aphone, il se tut, la bave aux lèvres ; et tendit l’oreille. Le silence. Boza n’était plus en ligne. Ivan jouait sur les deux tableaux. Si les autres attrapaient Boza, ils le délivreraient. Si Boza leur échappait, c’est lui qui viendrait.

Il n’y avait plus qu’à compter les étoiles.


* * *

Ivan Dracko hurlait tellement que Boza fut obligé d’éloigner l’appareil de son oreille. Affolé. Que signifiait toute cette histoire ? Il ne comprenait pas bien qui avait attaqué Ivan Dracko. Ni pourquoi. Mais au moins, l’autre lui avait expliqué clairement où il se trouvait. Avec son argent…

L’estomac noué, il raccrocha et regagna la salle du Dubrovnik. Il crut vomir. Une BMW 316 S grise était arrêtée devant le restaurant avec deux hommes à bord. Or, ce type de voiture n’était utilisé que par les barbouzes de la Présidence. Ça sentait de plus en plus mauvais. Il posa un billet de 20 dinars sur la table et glissa la bandoulière de sa sacoche à son épaule. Elle contenait deux pistolets : un Makarov et un Herstall 14 coups, avec plusieurs chargeurs. Le problème était maintenant de gagner sa voiture et de semer les autres s’ils le suivaient.

D’un pas faussement assuré, il prit le volant de sa Jugo. C’était sa voiture personnelle avec un moteur gonflé qui lui permettait d’atteindre le 160… Il tourna autour du rond-point et franchit une des grilles du campus voisin. Il connaissait le dédale des allées par cœur, allant souvent y draguer des étudiantes. Du coin de l’œil, il vérifia que la BMW suivait. Alors, il se déchaîna… Manquant plusieurs fois écraser des étudiants, il zigzagua dans les avenues étroites, effectuant de brusques changements de direction, empruntant des sens interdits et finalement jaillissant par une porte qui donnait sur une avenue se terminant en impasse.

Peu de gens savaient qu’un chemin presque invisible permettait de se faufiler parallèlement à elle et de regagner une grande voie un peu plus loin.

Cette fois, la BMW n’était plus là. Il s’arrêta, éteignit ses phares et se força à attendre plusieurs minutes. Rien. Trente secondes plus tard, il fonçait à tombeau ouvert sur l’avenue Proleterskih Brigada… Tout en conduisant, il sortit le Herstall et le posa à côté de lui. La gorge nouée. C’étaient ses affaires privées. « Le Serpent » ne lui viendrait pas en aide. Il ne pouvait compter que sur lui-même.


* * *

Quand il entendit le ronflement d’un moteur, Ivan Dracko sentit son cœur se mettre à battre follement dans sa poitrine… Mais le véhicule dépassa le chemin où il se trouvait et le bruit décrût.

Vingt minutes s’étaient écoulées depuis son appel. Or, à cette heure tardive, il fallait moins d’un quart d’heure pour traverser Zagreb… Cinq minutes passèrent encore et des phares apparurent de nouveau, montant la côte. La voiture ralentit et tourna dans sa direction. Bien qu’elle soit encore à cent mètres, Ivan se mit à hurler comme un fou. Enfin, il allait être délivré ! Il fit pivoter la portière pour voir qui arrivait. Les épaules larges et tombantes de Boza Dolac étaient facilement reconnaissables, même dans la pénombre. Il s’immobilisa devant Ivan Dracko, pistolet au poing, et lui jeta un regard méfiant, tournant autour de la voiture, comme un chien de chasse. Il aperçut la manivelle de la glace à terre et la ramassa. Puis il consentit enfin à s’intéresser à Ivan.

— Qu’est-ce que c’est que cette histoire ?

Le chauffeur de taxi s’étrangla de rage.

— Putain ! Baisse cette saloperie de vitre, j’étouffe.

Boza Dolac ne bougea pas, ses petits yeux vrillés dans ceux du chauffeur. Demandant simplement :

— Où est mon argent ?

— Ils l’ont pris, avoua Ivan Dracko.

— Qui ? « Ils » ?

— Deux types. Armés ! Je ne les connais pas, mais ils te cherchaient, toi. J’ai rien compris. Il y avait celui que tu as voulu flinguer.

Boza Dolac arriva à demeurer impassible, en dépit de sa panique.

Le visage fermé, il remit la manivelle en place.

— Tourne vers l’avant, dit Ivan soulagé. Dépêche…

Sa phrase se termina en gargouillement. Boza Dolac avait tourné vers l’arrière. L’arête de la glace lui coupait presque le souffle. Il réussit à lancer :

— Tu es fou ! Qu’est-ce que… ?

— Calme-toi. Je n’aime pas ton histoire, fit Boza Dolac. Raconte-moi tout ce que tu sais… D’abord, comment tu t’es retrouvé ici.

Ivan s’étrangla de fureur, mais comprit que l’autre ne céderait pas. Boza Dolac l’écoutait, impassible, jouant avec son Herstall. Quand le chauffeur eut fini, il remarqua d’une voix douce :

— Tu ne me dis pas tout. Je me demande si tu n’es pas en train de me trahir.

Tranquillement, il s’assit sur le siège avant et saisit la poignée commandant la glace.

— Tu vas me dire la vérité, dit-il, toute la vérité. Sinon, tu vas crever.

Avec une lenteur sadique, il se mit à pousser la poignée vers l’arrière, faisant monter la glace… Qui écrasa un peu plus le larynx du chauffeur. Ivan Dolac poussa un cri étranglé et devint cramoisi, ses yeux lui sortaient de la tête. Boza l’observait attentivement. Quand il le vit devenir violet, il relâcha brutalement la pression. Il voulait deux choses : son argent et savoir ce que Ivan avait vraiment fait… Mort, il ne lui serait d’aucune utilité. Brutalement, il relâcha la glace de deux centimètres et le chauffeur se mit à gronder comme un soufflet de forge !

— Salaud ! lança-t-il quand il eut retrouvé la voix. Ton pognon, tu ne le reverras jamais…

Boza Dolac, de rage, remonta la glace si violemment qu’Ivan Dracko faillit suffoquer pour de bon.

— Connard ! Tu vas crever. Tu vas voir tes tripes descendre sur tes genoux.

Il tira un court poignard de sa ceinture, avec une lame très fine et terriblement aiguisée. Pour s’amuser, il traça une longue estafilade sur le flanc d’Ivan Dracko, puis s’arrêta, coupant du même coup sa chemise à la hauteur du foie.

— Tiens, je vais t’ouvrir là !

Il commença à peser et la pointe pénétra dans l’épiderme. Ivan Dracko poussa un grognement horrifié. Mais la pression cessa. Comme elle avait commencé. Il se dit que l’autre bluffait.


* * *

Boza Dolac contemplait le canon d’un gros pistolet automatique à quelques centimètres de sa tête. Un SZ 9 mm. Le bras qui le tenait passait par la glace opposée, ouverte. Le chien de l’arme était relevé et le petit trou noir du canon lui semblait énorme…

— Boza, ne bouge pas, fit une voix calme. Laisse tomber ton couteau.

Il obéit et le couteau tomba dans l’herbe. Ivan Dracko avait entendu la voix, mais ne pouvait voir la scène. Une seconde silhouette jaillit de l’obscurité, s’empara des deux armes de Boza Dolac et descendit la glace, libérant le chauffeur qui se redressa, les yeux hors de la tête, cramoisi, tremblant de rage.

Sans un mot, il se jeta sur Boza Dolac, le bascula sur la banquette et noua ses mains autour de sa gorge avec l’intention évidente de l’étrangler. Ils roulèrent tous les deux en une masse indistincte sur le plancher de la voiture, jurant et s’injuriant.

— Arrête ! cria Mladen Lazorov. Arrête, Ivan !

Ivan Dracko n’écoutait que sa haine. Non content d’étrangler son adversaire, il lui bourrait le visage de coups de tête… Boza essaya de lui arracher son bouc, ce qui le déchaîna encore plus. Malko et Mladen réussirent quand même en s’y mettant à deux à le traîner hors de la voiture. Une manchette sur la nuque l’étourdit assez pour qu’il lâche prise.

Aussitôt, Mladen Lazorov lui passa des menottes, immobilisant ses bras derrière son dos.

Malko le fouilla tandis que le policier tenait sous la menace de son pistolet Ivan Dracko en train de se relever.

Boza Dolac, le regard fixe, avait plus que jamais l’air d’un oiseau de proie… Il baissa la tête pour ne pas affronter le regard de Malko. Ce dernier se tourna vers Mladen.

— Dites-lui que je veux savoir où sont les armes. Et qui est au-dessus de lui.

Le policier croate traduisit la question et la réponse de Boza Dolac.

— Il veut être emmené à la police. Il ne dira rien. Il ne comprend pas ce que nous lui voulons. C’était un différend privé entre ce chauffeur de taxi qui l’avait volé et lui.

Boza Dolac faisait la part du feu.

Une nouvelle épreuve de force s’engageait.

— Dites-lui que nous savons qu’il a livré à ce chauffeur de taxi un chargement de téléviseurs et de magnétoscopes contenus dans un camion dont le chauffeur a été assassiné et qui contenait des armes. Il sait très bien qui je suis.

Boza ne répondit pas. Ivan Dracko s’approcha, un peu calmé, le cou encore rouge et dit entre deux quintes de toux :

— Laissez-moi interroger ce salaud. J’ai une idée. Il va vous dire tout ce qu’il sait. À une condition.

— Laquelle ? demanda Mladen Lazarov.

— Vous me rendez mon argent quand vous êtes satisfaits. Je vais déjà vous dire quelque chose. Le chauffeur de votre camion, je sais où il se trouve. C’est moi qui l’ai transporté. Ce salaud de Boza m’a dit qu’il l’avait tué dans une discussion d’affaires… Il est…

Boza Dolac se rua en avant et seul un violent coup de crosse de Mladen le stoppa.

— Vous êtes d’accord ? demanda le policier croate à Malko, après lui avoir résumé l’offre du chauffeur de taxi.

— On peut essayer, dit Malko.

Coûte que coûte, il fallait faire parler Boza Dolac et ça n’allait pas être facile. Visiblement, Ivan Dracko avait un sérieux compte à régler avec lui. Il allait mettre du cœur à l’ouvrage.

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