Chapitre X

Mladen Lazorov arrêta sa BMW devant la porte de L’Esplanade, et tendit la main à Malko.

— A demain, faites quand même attention, mais je crois qu’ils ne recommenceront pas tout de suite. Dès que vous aurez reçu le manifeste du camion, prévenez-moi. En attendant, je vais faire mon possible pour identifier ce Boza. Il semble être la cheville ouvrière de toute l’affaire.

Dans l’ascenseur, Malko se demanda dans quel état il allait retrouver Swesda. Il l’avait appelée du ministère de la Défense afin de la rassurer et elle avait répondu avec une voix curieusement calme… À peine eut-il mis la clef dans la serrure qu’elle fut en face de lui. Tout de suite, il fut frappé par l’expression intense, presque égarée, de ses pupilles dilatées. On aurait dit une droguée. Sans un mot, elle se jeta sur Malko, se collant de tout son corps à lui.

— Sans toi, il me tuait, ce salaud d’Oustachi, dit-elle d’une voix de petite fille où flottait quand même un fort relent de sexualité. Tu as vu son couteau ! Comment m’a-t-il retrouvée ?

Malko, dont les nerfs se détendaient, ne put s’empêcher d’esquisser un sourire devant la question de Swesda, toujours accrochée à lui.

— Honnêtement, remarqua-t-il, je crois que c’est moi qu’il cherchait. N’oublie pas qu’il ne t’avait jamais vue, contrairement à toi. Tu ne l’aurais pas reconnu, il m’aurait probablement pris par surprise et tué, comme Boris Miletic…

C’est vrai que sans Swesda, il serait vraisemblablement revenu à Liezen dans un cercueil…

— Et l’autre, dans la voiture ? demanda-t-elle, il voulait aussi te tuer. J’ai tout vu par le balcon.

— Peut-être, dit Malko, mais je crois qu’il était surtout là pour liquider ce vieux tueur.

Swesda buvait ses paroles, toujours collée à lui. Dans un état second. Son corps était secoué de petits tressautements sous l’empire de la peur rétrospective et d’autre chose aussi qu’il sentit poindre à d’imperceptibles mouvements de son bassin.

— Mais c’est horrible, murmura-t-elle, c’est comme les gangs des narcos à Miami qui n’arrêtent pas de s’entretuer. Un jour, un type a été abattu devant moi, il est resté à se vider de son sang sur le trottoir, et un jeune latino continuait à lui tirer dans la tête.

— Pour toi, c’est fini, assura Malko. Tu vas pouvoir regagner Miami et le Fontainebleau.

— Non ! Je veux rester avec toi !

Brutalement, la terreur avait disparu de ses prunelles au regard noyé, comme si la peur avait ouvert les vannes de quelque chose qu’elle retenait depuis longtemps, d’un brasier qu’elle voulait absolument éteindre. Concentré au bas de son ventre, derrière l’os dur qui poussait contre Malko. Sa robe en stretch semblait avoir rétréci d’un coup, ses gros seins débordaient et l’ourlet du bas s’était retrouvé en haut des cuisses. Sans un mot, elle commença à se frotter contre Malko, à la façon d’un animal en chaleur, d’une chatte sevrée de sexe depuis longtemps.

Mais ce qu’il y avait de plus fort, c’étaient ses yeux, avec les prunelles immenses, fixes, hypnotiques, qui semblaient parler. Elle avança le visage, ses dents se refermèrent sur la lèvre inférieure de Malko et elle le mordit. Au sang.

Instinctivement, il la repoussa, mais elle revint comme un élastique, la bouche entrouverte sur une sorte de feulement.

— Baise-moi !

Ses lèvres avaient dessiné le mot plus qu’elles ne l’avaient prononcé, une sorte de râle d’agonie, de SOS…

Malko s’embrasa à son tour. Chaque fois que sa vie avait été en danger, il éprouvait la même réaction viscérale, un désir féroce de se plonger dans une femme, de ne plus être que sensation, d’en avoir plein les mains d’une chair élastique, de faire crier de plaisir ou de douleur… Comme si l’instinct animal de Swesda avait deviné ce qui se passait en lui, elle se déchaîna encore plus, le long du couloir, défaisant ses vêtements, égrenant des obscénités en trois langues d’une voix de catéchumène douce et lisse, la lueur folle toujours tapie au fond des prunelles.

Ils se cognaient aux murs, aux placards. Lorsqu’ils atteignirent la chambre, Malko n’avait plus que ses chaussures.

Swesda l’entraîna jusqu’à la table, se retourna, se penchant dessus, lui tendant sa croupe sans la moindre pudeur. Il n’eut qu’à rouler le stretch vers le haut pour la découvrir jusqu’au creux des reins, là où elle avait deux profondes fossettes. Elle se retourna, lâcha :

Sock it to me ![26]

Malko la prit d’un seul coup de toutes ses forces, et le sexe brûlant et inondé se referma comme un manchon de rêve. Il avait pris un tel élan que la tête de Swesda heurta le mur, mais elle ne sembla pas s’en apercevoir. Elle eut un râle d’accouchée et gronda d’une voix de possédée :

— Salaud ! Bon Dieu, c’est si bon !

Malko continua, la martelant comme un fou, jusqu’à ce que la sueur lui coule dans les yeux. Swesda ressemblait à une poupée cassée, le torse affalé sur la table, les cheveux collés au visage par la transpiration et sa tête qui cognait le mur chaque fois que Malko se jetait au fond de son ventre. Il n’y avait plus de limite et il sentit confusément que plus jamais il ne vivrait un moment magique de cette intensité avec elle.

Quand il se retira complètement, Swesda gronda, comme un fauve à qui on arrache sa proie. Son grondement se mua en hurlement aigu lorsque Malko viola ses reins d’un seul élan, sans la moindre douceur, s’engloutissant jusqu’à la racine. Swesda se redressa comme un ressort, glapissant des injures dans sa langue maternelle, cherchant à lui échapper. Les doigts solidement crochés dans ses hanches, abuté tout au fond d’elle, Malko attendit que l’orage se passe. Les mouvements désordonnés de Swesda se calmèrent peu à peu. Elle resta en équilibre, haletante, pleurnichante, lui fiché toujours en elle, comme un pieu impitoyable.

Puis, elle se remit à gémir, avec son « autre » voix, son torse retomba sur la table, tandis que ses petites fesses rondes se soulevaient pour qu’il la viole encore mieux.

Ce brusque revirement acheva de déchaîner Malko. Il se mit à se démener entre les fesses charnues, comme s’il souhaitait les écraser, les aplatir, les faire exploser. De nouveau, la tête de Swesda cognait contre le mur, ses mains froissaient les prospectus de l’hôtel, elle se soulevait sur la pointe des pieds pour qu’il puisse la déchirer encore mieux. Le haut de sa robe était descendu jusqu’à sa taille, et ses seins libres frottaient contre la table, à chaque va-et-vient, ce qui semblait encore augmenter son plaisir. D’un ultime élan, Malko jeta tout son poids en avant, lançant sa semence au fond des reins offerts.

Quand elle fut certaine qu’il avait joui, elle se redressa comme une noyée, les cheveux dans les yeux, les pointes des seins rouges et irritées par le frottement contre la table, une lueur de folie trainant encore dans les yeux cernés.

Malko glissa hors d’elle qui se retourna, se collant de nouveau à lui, le léchant sur tout le corps.

— Putain, tu m’as estropiée ! dit-elle d’une voix cassée et éblouie. J’avais jamais connu ça avec un mec. J’avais jamais eu aussi peur non plus. C’est comme à la télé, mais c’est en vrai. Je veux rester avec toi, faire d’autres trucs. Tu comprends, j’ai l’impression d’être vachement vivante.

Il commençait à comprendre pourquoi elle avait accepté la proposition de la CIA. Swesda Damicilovic était complètement allumée, complexée, passait son temps à jouer la comédie. Seules des émotions vraiment fortes parvenaient à lui faire retrouver son équilibre aussi précaire que provisoire. Une authentique salope, perverse et parfois même désintéressée.

— C’est le deuxième moment extra que j’ai depuis que ce Boris m’a abordée, dit-elle. Le premier, c’est quand j’ai pris l’avion à Miami pour venir ici. Tes copains m’avaient mis en première sur Air France. Moi qui n’avais jamais dépassé le charter… Tu peux pas savoir, j’ai eu du foie gras, du caviar, un type qui me servait en veste blanche et puis des vins… Rien que des grands crus français. On se serait cru chez Maxim’s. J’ai gardé la carte en souvenir d’ailleurs. Tiens regarde.

Elle se leva pour fouiller dans son sac de voyage et revint en brandissant triomphalement la carte des vins de la Première d’Air France.

— Il y en a dix-neuf, lança-t-elle fièrement. Moi, j’ai pris ça et ça.

Elle désignait un Chateau Rieussac et un Pape Clément 87.

— Le premier, c’est avec le foie gras, remarqua Malko.

Swesda ouvrit de grands yeux.

— Comment tu as deviné ?

Il sourit, amusé.

— Un Sauternes, en principe…

— Ils en servent dix millions de bouteilles par an, fit-elle. Tu te rends compte ?

Laissant tomber la carte, elle se lova contre Malko.

— Qu’est-ce qu’on fait maintenant ?

— Puisque tu veux rester, dit Malko, tu vas m’aider. On va essayer de retrouver Sonia.

— Super !

— Ça peut être dangereux, remarqua Malko, tu as vu ce soir.,

— Je m’en fous. Dis, si on la trouve, tu me laisseras l’interroger ? Je te jure qu’elle dira tout. Moi, je sais ce qu’il faut faire à une femme pour lui faire vraiment mal.

De nouveau, la lueur inquiétante flottait dans les prunelles sombres. Il avait trouvé une recrue de choix…

— Ne vendons pas la peau de l’ours, conseilla-t-il.

Swesda s’était rembrunie d’un coup.

— Tu sais, fit-elle, je ne pourrai plus jamais retravailler au Fontainebleau avec tous ces vieux mecs qui me mettent la main aux fesses et me grimpent dessus ensuite.

— Il ne faut pas te laisser faire.

— Vu le prix des loyers à Miami Beach, fit-elle avec simplicité, ce n’est pas possible.

Sur cette remarque pleine de bon sens, elle fila vers le mini-bar, y prit une mini-bouteille de Cointreau dont elle versa le contenu sur de la glace et la but d’un coup.

— Woah ! fit-elle, ça râpe pas comme la Slibovizc.


* * *

Swesda tourbillonna devant Malko comme une débutante, lui faisant admirer sa robe noire pailletée de strass avec un décolleté d’enfer. Ses gros seins semblaient prêts à vous sauter à la figure. Elle se planta ensuite devant Malko, une mèche sur l’œil, juchée sur ses talons de quinze centimètres, avec un sourire canaille.

— Comment trouves-tu ma tenue de combat ?

— Superbe !

Elle souleva la corolle de sa robe, découvrant un minuscule slip noir, lui aussi hérissé de strass…

— C’est avec ça que je gagne mon loyer, commenta-t-elle. Mais ce soir, c’est seulement pour toi.

Délicate attention. Lui, se contenta de glisser son pistolet extra-plat avec un chargeur neuf sous sa chemise, dissimulé par sa veste d’alpaga noir. Swesda le regardait, fascinée.

— Je ne reviendrai pas à Miami, dit-elle. Je prends trop mon pied avec toi. Pourtant, je crois que j’aurais fait mon trou. Le Fontainebleau, c’est le rendez-vous de tous les mecs bourrés. Un jour, il y en a un qui m’a emmenée chez lui, c’était pas croyable : il avait un lit à baldaquin en perpex avec de l’or partout, et plein de trucs superbes en marbre avec des pierres précieuses. Il m’a dit qu’il avait tout commandé à Paris, chez un décorateur qui s’appelle Claude Dalle et que ce dernier était venu dans son jet privé lui installer tout.

« Évidemment, avec ce que cela lui avait coûté, il aurait pu m’acheter le Ko-I-Nor… Après, j’ai été voir le magasin d’exposition de Claude Dalle, à Miami, c’était somptueux. Je croyais que tout ça, ça n’existait qu’à la télévision…

— On verra, dit Malko, diplomate.

Le centre de Zagreb était déjà presque désert, à part quelques tziganes qui rôdaient près de la gare et les rares putes autour de L’Esplanade.

— Tu sais où c’est le Best ? demanda Swesda.

— À l’ouest, près du campus, dit Malko.


* * *

Malko remontait à petite vitesse une des innombrables allées sillonnant le campus de Zagreb. Après avoir demandé vingt fois leur chemin, ils avaient enfin trouvé. Des centaines d’étudiants rôdaient un peu partout, par groupes ou par couples. Les phares éclairèrent une fille assise sur les genoux de son compagnon, installé sur un banc, en train de flirter outrageusement. Mais toujours pas de Best.

Swesda descendit et alla trouver un barbu, qui, cette fois, les mit sur la bonne route. Ils durent ressortir du campus et aperçurent enfin ce qui ressemblait à un gigantesque blockhaus de béton sur lequel on aurait construit une superstructure de petits pavillons ! À côté, des courts de tennis. Une foule animée longeait le bâtiment, allait et venait comme des colonnes de fourmis. Malko et Swesda s’y mêlèrent. Trouvant enfin des « videurs » en T-shirt gris marqués « Best ». La musique était si forte que le sol en tremblait. Pour quelques dinars, ils eurent accès au Saint des Saints. Les tympans de Malko se mirent à vibrer au tempo endiablé et rythmé d’un orchestre noir. Cela faisait « boum-boum-boum » dans les oreilles et l’ensemble ressemblait à n’importe quelle discothèque de l’Ouest.

Des centaines d’adolescents s’agitaient dans une sorte de fosse carrée, comme pour une cérémonie rituelle, entraînés par une sono diabolique dont le disc-jockey siégeait dans une cage vitrée à gauche. Tous très jeunes.

Les filles étaient habillées de toutes les façons, du short à la mini en passant par de longues robes de coton… Extatiques, elles ondulaient, les bras levés vers les projecteurs. Il fallait hurler pour échanger deux mots. Dans d’autres salles dominant la fosse, se pressaient des centaines de couples, entassés sur des banquettes, flirtant ou buvant.

Cela rappela à Malko la grande époque du Palladium à New York.

— On danse ? suggéra Swesda. C’est formidable, je n’aurais jamais cru qu’un truc comme ça puisse exister à Zagreb…

Elle commença à onduler sur place, pour le plus grand plaisir des garçons assis sur les marches conduisant à la fosse. Sans façon, l’un d’eux fit signe à Swesda de venir le rejoindre sur la piste.

— Va danser, dit Malko. Je vais explorer. Pour l’instant, je n’ai pas besoin de toi.

Elle plongea au milieu des danseurs et Malko l’aperçut quelques secondes plus tard, enlacée au grand escogriffe qui l’avait draguée. Il se glissa dans la foule compacte, poursuivi par le « boum-boum » lancinant.

On s’agitait moins en haut… Debout dans un coin, un garçon se frottait contre une grande brune en dentelles, à mettre le feu à son jeans. Le regard noyé, sa partenaire s’abandonnait, sans souci des spectateurs. Une enfilade d’ivrognes sirotaient de la bière au bar, indifférents à la musique. Malko revint ainsi vers l’autre balcon dominant la fosse. Swesda avait disparu dans le magma s’agitant à ses pieds.

Le « boum-boum » fit place à un slow et la fosse se remplit brutalement, à déborder. Malko repéra enfin dans un coin Swesda dont le cavalier caressait les seins sous la robe endiamantée. Il n’y en avait pas beaucoup comme elle dans la salle, c’était plutôt le’ style jeans et chemise. Fatigué, il alla s’asseoir sur les marches et une fille au visage aigu vint aussitôt le rejoindre, s’adressant à lui en croate.

— Je ne parle pas votre langue, dit-il, seulement allemand.

— Moi aussi, un peu, répondit-elle. Vous êtes dans la politique ?

— Pourquoi ?

— Les membres du HSP viennent ici recruter des sympathisants. Ils sont très drôles.

— Pourquoi ? ‘

— Vous verrez quand ils viendront. Vous m’offrez une bière ?

Il se fraya un chemin jusqu’au bar et obtint deux « pivo » qu’il ramena à sa « conquête » qui le remercia aussitôt d’un baiser sur la bouche. Mousseux à souhait. Au Best, les filles draguaient ouvertement.

La musique changea, revenant au « boum-boum ». Soudain, des marches d’en face, Malko vit s’élever de la foule un immense drapeau croate, applaudi aussitôt par tous les danseurs qui en oublièrent de se trémousser ! Il était tenu par un grand garçon athlétique et barbu visiblement très fier, qui entreprit de se promener au milieu des danseurs.

La musique s’arrêta presque aussitôt et une voix de femme un peu aiguë se mit à haranguer la foule, saluée de sifflets et de cris divers. La voisine de Malko traduisit tant bien que mal.

— C’est la porte-parole du HSP. Ils réclament la Grande Croatie. Ça fait plaisir à tout le monde bien sûr, mais ils préfèrent la danse aux discours politiques…

D’ailleurs, la musique « normale » recommença, tandis que le drapeau croate continuait à flotter sur la fosse. Malko repéra une fille dont le chemisier était confectionné dans une oriflamme. On était en pleine hystérie nationaliste…

— Vous ne dansez pas ? demanda la fille à Malko.

Il s’apprêtait à refuser lorsque, soudain, il aperçut un nouveau groupe de danseurs qui venaient de monter sur une petite estrade à ses pieds. Ils se démenaient avec la vigueur des troupes fraîches. Au centre, se trouvait une fille aux longs cheveux blonds et raides. Malko ne la voyait que de dos : un jeans bien rempli et un chemisier de dentelle blanche. Son pouls s’accéléra. La silhouette ressemblait furieusement à la cycliste qu’il avait « renversée »… La complice de Miroslav Benkovac et de Boza. Il se tourna vers sa conquête et lui prit la main :

— Allons danser.

Trente secondes plus tard, ils se secouaient face à face au milieu de la piste. Sournoisement, Malko l’entraîna de l’autre côté de l’estrade. Jusqu’à ce qu’il se trouve en face de la blonde.

C’était bien Sonia, la fiancée de Miroslav Benkovac.

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