Elle rit comme une enfant, puis se couvrit la bouche de sa main.

— Je n’eus guère de mal à faire cette promesse, ajouta-t-elle, car mon époux n’a aucune raison de molester les disciples du Nazaréen. Tout au contraire ! S’ils parvenaient à former un parti, la discorde qui s’installerait entre les Juifs ne pourrait que servir la politique romaine !

« Naturellement les rêves ne sont que des rêves, et sans doute m’a-t-il parlé de brebis suivant son habitude ; l’on m’a dit, en effet, qu’il les évoquait souvent au cours de ses prêches. Quoi qu’il en soit, ce rêve était très clair et je l’ai fait la nuit où tous deux l’avez vu sur la montagne ; enfin, il m’a guérie de mes cauchemars. Certes, le médecin du prince affirme que je dois cette guérison aux bains de soufre chauds et à son propre traitement et comme je ne puis ni ne veux le froisser, je lui donne toujours les présents traditionnels. Mais en vérité je suis convaincue, que tu te moques ou non, que c’est le Nazaréen qui m’a délivrée en m’accordant sa grâce durant mon rêve. J’avais tellement pensé à lui et souffert au cours de cauchemars à cause de lui !

Enfin, sur le ton du triomphe, elle conclut :

— Quel que soit celui que vous avez rencontré sur la montagne, moi, c’est Jésus que j’ai vu dans mon rêve. Suzanne cependant, qui est une femme en laquelle j’ai confiance, m’a affirmé avoir reconnu son rabbin sur la montagne.

Après avoir un instant réfléchi au songe de Claudia, je l’interrogeai avidement, tremblant d’émotion :

— Il t’a vraiment dit dans ton rêve qu’il a d’autres brebis ? Dans ce cas, il a donné sa vie pour elles également !

Ô Myrina, entends-tu ? nous ne sommes pas des étrangers pour lui !

L’épouse du procurateur laissa échapper un petit rire.

— Oh ! Assez avec cette histoire de brebis ! s’écria-t-elle. Je me suis renseignée au sujet de Jésus de Nazareth et je crois jusqu’à un certain point qu’il est le fils de Dieu et qu’il a ressuscité. Suzanne m’a appris certaines choses, par exemple que je peux prier le cas échéant ; j’ai d’ailleurs l’intention d’obéir à quelques-uns de ses commandements dans la mesure où je peux le faire en cachette et sans porter atteinte à ma position. Il n’est pas question, en tout cas, que je cesse d’offrir des sacrifices au génie de l’empereur, même si je ne me soucie plus guère des autres divinités de Rome.

« Je n’ai pas encore résolu la question de savoir ce qu’il convient de raconter à ce sujet à mon époux et ce qu’il convient de taire. Ponce Pilate est un homme positif, expert en droit, et qui ne prête guère attention aux miracles.

— Il vaut mieux, répondis-je en hésitant, il vaut mieux, je crois, que tu mentionnes le nom de Jésus le moins possible devant lui. Toute cette histoire, en heurtant son sens de la loyauté et de la justice lui a été très désagréable et il se courroucera si tu la lui rappelles.

— Il est difficile de savoir ce qu’il ressent au fond de lui ! Ses hautes fonctions au sein de l’empire l’ont accoutumé à dissimuler si habilement ses sentiments que je me demande parfois s’il en a réellement ! Ce n’est point un mauvais homme et la Judée aurait pu avoir à sa tête un gouverneur bien pire ! Je trouve tout à fait injuste qu’on le traite de voleur et ne vois là qu’une manifestation du fanatisme hébreu ! Mais tu as peut-être raison, je ne dirai rien s’il ne me fait point de questions.

« À propos, poursuivit-elle en me regardant attentivement, je suis ravie de te voir de nouveau avec un visage lisse et des vêtements décents. À vrai dire, je commençais à me faire du souci pour toi et je craignais que les Juifs ne t’eussent tourné la tête ! L’expression de ton visage rappelait celle des fanatiques à tel point que mon médecin, dont tu as fait la connaissance l’autre jour, m’a demandé plus tard ce qui t’arrivait. On dirait que le fait de voir Jésus sur la montagne t’a fait du bien. Ne crois-tu pas que c’est pour toi le moment de regagner Rome ? Les roses de Baiae sont en fleurs à présent. Je te serais infiniment reconnaissante si, de temps en temps, tu m’envoyais de là-bas des nouvelles détaillées et précises sur l’état de santé de l’empereur.

« Je crois qu’une année d’exil suffit à tempérer les ardeurs d’un amant trop passionné et certainement Tullia est toute prête à t’accueillir. J’ai des raisons de croire qu’elle a réussi pendant ton absence à annuler son mariage et à en contracter un nouveau. Ce sera pour toi comme si tout recommençait ! Nul ne te poursuit à Rome, je te le dis dans le cas où elle te ferait croire le contraire.

Sans doute disait-elle la vérité et nul péril ne me menaçait plus à Rome. Mon cœur me fit mal dans la poitrine, oh ! pas à cause de toi, ô Tullia, mais à cause de mon amour-propre insensé qui m’avait fait croire aveuglément en ta promesse de venir me rejoindre à Alexandrie.

— Je pense que je ne retournerai jamais à Rome, répondis-je sur un ton désabusé. Le simple fait de penser aux roses me donne la nausée.

— Viens au moins visiter Césarée ! pria Claudia. C’est une ville neuve et civilisée, incomparablement plus somptueuse que la Tibériade du prince Hérode Antipas ! Des vaisseaux viennent du monde entier mouiller dans son port et tu rencontreras là-bas des personnes susceptibles de te conseiller et de t’aider à faire ton chemin dans la vie ; les belles d’Israël pas plus que les petites Grecques ne suffisent à remplir la vie d’un Romain !

Alors Myrina mit fin à notre bavardage d’une manière tout à fait inattendue : elle se leva dans le plus grand calme et remercia avec courtoisie Claudia Procula pour l’honneur qu’elle lui avait fait en la recevant ; ensuite, toujours aussi calme, elle me gifla sur une joue puis sur l’autre, se saisit de ma main et m’entraîna vers la sortie ; une fois parvenue à la porte, elle fit volte-face et dit :

— Noble Claudia Procula, ne te préoccupe plus pour Marcus. C’est moi désormais qui veillerai à ce que cette brebis ne s’égare point !

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